Décryptage N°32 : (Où) Les prix immobiliers sont-ils trop élevés au Luxembourg ?

© photo : Julien Mpia Massa

La chose semble entendue : les prix immobiliers au Luxembourg sont impayables et tellement déconnectés par rapport au pouvoir d’achat des ménages appartenant à la « classe moyenne » que ceux-ci seraient de plus en plus nombreux à devoir se résoudre à habiter de l’autre côté de la frontière. Cette publication éclaire la question de la cherté des prix immobiliers en allant au-delà des méthodes d’évaluation (price to income, price to rent) généralement utilisées et livre une image relativement préoccupante de la profondeur des difficultés d’accès à la propriété dans certaines communes du pays !

Télécharger le Décryptage :

(Où) Les prix immobiliers sont-ils trop élevés au Luxembourg ?

Clarence : cloud souverain et atout maître ?

Cet article a été rédigé pour le magazine Merkur de mars-avril 2024.

© photo : Julien Mpia Massa

Dans la stratégie de spécialisation du Luxembourg sur l’économie des données figure en bonne place la création d’un « open cloud sécurisé », garant absolu de souveraineté et de confiance, mis à disposition des acteurs économiques et de la recherche. Celui-ci a émergé en 2023 sous la forme d’un accord avec Google pour concevoir le premier cloud souverain et déconnecté d’Europe : Clarence. Le choix singulier du Luxembourg, alors que la souveraineté numérique est une question prégnante de l’Union Européenne, pourrait constituer un atout compétitif… et l’éloigner temporairement de ses partenaires européens.

Les activités humaines sont de plus en plus dépendantes des technologies numériques et des entreprises qui les contrôlent, dont la majeure partie sont américaines voire chinoises. C’est le cas pour les réseaux et plateformes, les outils de communication, les médias, le commerce, la santé, la sécurité… cette tendance s’accentuant avec le développement de l’intelligence artificielle et des objets connectés. C’est ainsi qu’a éclos le concept de souveraineté numérique ou cybersouveraineté, qui peut se définir comme la capacité des États à agir dans le cyberespace et à faire respecter leurs règles par les différents acteurs du monde virtuel.

L’impératif d’un cloud souverain

Selon l’étude « European Digital Sovereignty – Syncing values and value » du cabinet Oliver Wyman, les Etats-Unis stockent 92% des données échangées dans le monde occidental. Or, ces données stockées peuvent être consultées par les Etats-Unis lorsqu’ils le jugent nécessaires en raison de l’application du Cloud Act et du Patriot Act. Elles sont aussi potentiellement utilisables par les acteurs privés qui les hébergent. Cette consultation se fait en violation de nombreuses réglementations visant à encadrer la collecte, le stockage et surtout le partage des données, en premier lieu le Règlement général sur la protection des données (RGPD) européen.

Le Cloud computing repose sur l’utilisation de serveurs informatiques à distance et hébergés sur internet pour stocker, gérer et traiter des données. Il se positionne en alternative moins onéreuse, plus sûre et plus pratique par rapport à la sauvegarde sur un serveur local ou un ordinateur personnel. Le cloud s’est imposé comme un indispensable du travail informatique dans une majorité d’entreprises et son poids économique croît chaque année pour atteindre un chiffre d’affaires de 545 milliards de dollars en 2022. Les cinq principaux fournisseurs de services cloud dans le monde, les hyperscalers, sont Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure, Google Cloud, Alibaba Cloud et IMB Cloud. Les trois premiers acteurs américains occupent à eux seuls plus de 70% du marché.

Le cloud souverain désigne un environnement dans lequel les infrastructures, l’hébergement et l’ensemble des traitements effectués sur des données par un service de cloud sont physiquement réalisés dans les limites du territoire national ou régional, ceci permettant la conformité et le respect de la juridiction du pays. L’enjeu national de protection de la confidentialité des informations se retrouve aussi au niveau des entreprises, tant pour la préservation des données des individus que pour la prémunition contre l’espionnage économique.

Au niveau européen, de l’échec Gaia-X à l’inconnu EPCEI Cloud

Les initiatives collectives et individuelles se multiplient depuis quelques années pour bâtir des services cloud respectant les règles européennes tout en garantissant l’interopérabilité (capacité à circuler entre divers systèmes) et la sécurité des données. Ces initiatives se privent difficilement des hyperscalers.

Gaia-X est un projet de développement porté conjointement par l’Allemagne et la France, visant à développer un cloud fiable pour l’Union européenne. Il regroupe, au moment de sa fondation en 2020, 22 entreprises européennes : cloud service provider, utilisateurs et chercheurs. Ses ambitions portent sur trois niveaux : la définition des bonnes règles de conduite, l’édification d’un environnement technique permettant de vérifier ces règles et la construction des briques technologiques nécessaires à la circulation de la donnée. Celles-ci peinent toutefois à voir le jour et concurrencer véritablement les hyperscalers alors que l’entreprise française Scaleway se retire du projet en raison de la forte activité des entreprises américaines dans les comités techniques de Gaia-X.

En outre, les partenaires allemand et français mènent chacun de leur côté des projets individuels. La France met ainsi en avant son label de confiance SecNumCloud auprès des entreprises nationales, présenté comme le référentiel de cybersécurité le plus exigeant en Europe. AWS a annoncé en octobre 2023 la mise en place de l’ « AWS European Sovereign Cloud », installé sur le sol allemand et à vocation européenne. Ce cloud a obtenu la certification C5, équivalent allemand du SecNumCloud. Ceci le différencie de ses concurrents « Microsoft Cloud for Sovereignty » et « EU Sovereign Cloud » d’Oracle, établi en Espagne. L’un des principes de l’offre d’AWS est que seul les employés résidents et situés dans l’UE auront accès aux données, ce qui n’est pas une garantie suffisante face à l’extraterritorialité de la législation américaine.

Les espoirs européens reposent aujourd’hui sur l’IPCEI Cloud, pour lequel la Commission européenne a débloqué 1,2 milliard d’euros  fin  2023. Portée par l’Allemagne, l’Espagne, la France, la Hongrie, l’Italie, les Pays-Bas et la Pologne, cette alliance vise à développer une infrastructure cloud innovante faisant intervenir les différents fournisseurs locaux.

Au Luxembourg, le choix inédit du déconnecté

C’est dans ce contexte que le Luxembourg conçoit actuellement son propre open cloud sécurisé. Fruit d’un partenariat belgo-luxembourgeois entre Proximus Group et Luxconnect, Clarence s’appuie sur la technologie de Google Cloud. Il se démarquera des autres cloud européens par une déconnexion des données et de la gestion opérationnelle. Concrètement, le stockage des données aura lieu à 100% dans des centres de données luxembourgeois chez Luxconnect. De même, toute la gestion et la maintenance de la technologie de Google sera effectuée au Luxembourg par Proximus. Au-delà de l’origine de la technologie, la déconnexion est donc présentée comme totale vis-à-vis de Google cloud.

Véritable coup de pub pour le Luxembourg, en tant que partenaire privilégié du géant américain et pays-laboratoire assumé, le succès de Clarence reposera sur la confiance qu’auront les potentiels clients privés et publics envers l’apport de cette déconnexion pour la confidentialité de leurs données. Il dépendra aussi de la performance de la technologie proposée par Google et mise en place par Proximus ainsi que de la capacité d’hébergement des data centers luxembourgeois. La réussite de Clarence en tant que plateforme cloud compétitive pour les grands acteurs économiques continentaux serait un immense pas pour le positionnement du Luxembourg en tant que leader européen sur l’économie des données. En attendant peut-être un jour une solution de cloud performante 100% européenne, la voie adoptée par le Luxembourg a le mérite de mêler pragmatisme et audace, tout en restant un pari aux nombreuses incertitudes.

Le Luxembourg, un modèle à réinventer sans cesse

© photo : Julien Mpia Massa

IDEA vient de publier son 10ème Avis annuel intitulé « Le Luxembourg au rAAAlenti ! » . Une fois n’est pas coutume, sa lecture pourrait conforter le lecteur assidu qui aime affirmer que le Luxembourg en a vu d’autres et qu’il va probablement retrouver son insolente trajectoire expansive tout comme celui qui s’inquiète de le voir s’approcher d’un gouffre y trouvera des faits indiquant que son modèle socio-économique fait face à des défis considérables. Sur base d’analyses détaillées comme celles contenues dans ce rapport, c’est précisément ce à quoi s’applique un laboratoire d’idées comme IDEA : faire résonner les arguments de ces deux lecteurs pour nourrir le débat d’idées.

De nombreux constats de notre Avis annuel renforcent l’idée qu’en tant que « petite économie ouverte spécialisée au cœur de l’Europe », certes en moyenne plus dynamique et plus riche que ses principaux partenaires, le pays n’échappe pas à des remises en question, au moins partielles, de son modèle économique.

Dès son arrivée au pouvoir, le nouveau gouvernement a envoyé des signaux au monde économique et à la population qui craignent, pour de multiples raisons, une forme de déclassement économique. S’il veut entretenir la trajectoire de prospérité économique et sociale du pays, il devra aller plus loin et ouvrir des chantiers d’ampleur pour inventer de nouveaux facteurs de compétitivité et de résilience, la deuxième étant devenue une condition de la première avec la « polycrise ». Il devra en outre le faire avec des marges de manœuvre financières réduites, le « quoi qu’il en coûte » ayant fini par coûter, alors même que l’appétit pour un Etat assureur tous risques n’a cessé de grandir.

Le « modèle » luxembourgeois a ses forces, mais il a aussi ses angles morts. Les débats autour de la capacité à développer des logements en nombre suffisant, les effets du vieillissement démographique, l’assèchement progressif du bassin d’emploi transfrontalier ou encore la saturation des infrastructures mettent sous pression un système ayant créé de multiples dépendances entre la prospérité et la croissance ininterrompue des bases économiques imposables. À paramètres inchangés, en particulier sans nouveaux gains de productivité, des limites à la croissance luxembourgeoise existent.

Des évolutions des paramètres du modèle sont possibles. Les mettre en œuvre nécessitera vraisemblablement de faire évoluer certaines modalités de l’action publique, d’anticiper et de planifier davantage, d’intégrer des contraintes nouvelles toujours plus complexes et, surtout, de débattre ouvertement pour sensibiliser sans tabous la population aux défis et de croire en l’intelligence collective pour construire un projet à long terme.

Autant de thèmes à débattre sans préjugés, sur base d’analyses rigoureuses, transparentes et contradictoires. Un travail qu’IDEA s’emploie à poursuivre sans relâche, afin de ne pas injurier l’avenir mais de le préparer !

Décryptage N°30 : Äddi Tanktourismus ? – Les effets potentiels

© photo : Julien Mpia Massa

Dans son Plan National intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC), le Luxembourg ambitionne de baisser ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 55% hors système de quotas d’émissions (ETS) à l’horizon de 2030 par rapport à 2005 . Tous les secteurs sont concernés, et plus particulièrement le secteur des transports qui représente 60,9% des émissions luxembourgeoises hors ETS. En raison de son poids non-négligeable, le gouvernement souhaite réduire les émissions de ce secteur de 62%.

L’alignement des prix du carburant du Luxembourg et de la Grande Région, engendrant la sortie du tourisme à la pompe, est l’une des stratégies pouvant permettre au gouvernement d’atteindre ces objectifs. Cette stratégie, qui pourrait passer par une augmentation de la taxe carbone , mérite d’être débattue pour des raisons économiques, fiscales, mais aussi environnementales et sociales. Il convient en effet d’évaluer les conséquences auxquelles le Luxembourg pourrait être confronté dans le cas purement hypothétique où le gouvernement décidait d’ajuster le prix du carburant à celui de la Grande Région

Télécharger le Décryptage :

Äddi Tanktourismus ? – Les effets potentiels

Objectif 6000

© photo : Julien Mpia Massa

Selon des propos tenus par le premier ministre à la suite du récent logementsdësch : « le pays a besoin de construire annuellement 6.000 logements pour loger convenablement les quelque 12.000 nouveaux habitants qui s’y installent tous les ans » ; il est dès lors permis de dire qu’il s’agit là d’un nouvel objectif officiel de la politique luxembourgeoise du logement.

Concrètement, achever 6.000 logements par an suppose d’augmenter le rythme de construction annuelle de près de 65% par rapport à la période 2014 et 2020 (3.682 logements achevés par an en moyenne).

Sources : STATEC, OCDE

Au moins deux séries de contraintes concourent à rendre cette tâche particulièrement difficile.

Il y a d’un côté des contraintes matérielles : le manque de main-d’œuvre qualifiée, le manque de demande solvable aux prix et taux d’intérêt actuels, l’obligation de respecter des normes (minimales) de sécurité et d’urbanisme, la problématique des gravats et des décharges, etc.

De l’autre, il y a des contraintes sentimentalo-politico-légales : le Not in my backyardisme d’une partie importante de la population qui estime avoir payé très cher un cadre de vie et une (promesse) de faible densité, l’autonomie communale et le pouvoir des bourgmestres en matière d’autorisation de construire[1], les engagements luxembourgeois de préservation de l’environnement, l’attachement des résidents au caractère « champêtre » de certains lieux, la probable opposition des architectes contre une industrialisation/uniformisation poussée de la construction de logements qui permettrait de construire plus rapidement mais leur enlèverait des degrés de liberté en matière de créativité, la probable opposition des constructeurs, artisans et syndicats locaux contre le recours croissant aux entreprises étrangères de construction et/ou aux préfabrications importées, la probable opposition des protecteurs de la nature attachés à la réduction de l’artificialisation du sol en cas de velléités d’édification de nouvelles villes sur des terrains actuellement non-constructibles, l’attachement à la sacralisation de la propriété privée, l’« excuse » des terrains conservés pour ses futurs petits enfants, etc.

Les embûches sur la route vers l’ambitieux objectif de 6.000 logements étant légion, certains concluront qu’il est hors d’atteinte ! L’avenir dira s’ils auront eu raison de douter. Ce qui est cependant d’ores et déjà certain, c’est que le Grand-Duché est l’un des rares pays de l’UE où le stock de logements par habitant a reculé sur la dernière décennie et qu’un pays ne peut afficher dans la durée un nombre de logements construits annuellement inférieur au nombre de ménages supplémentaires ! Autrement dit, si le Luxembourg ne parvient à devenir cet État (sur)bâtisseur qu’il envisage d’être, la croissance démographique devra(it), en toute cohérence, ralentir ou le sans-abrisme et le mal-logement gagner significativement en importance !


[1] Pour rappel : « Sur l’ensemble du territoire communal, toute réalisation, transformation, changement du mode d’affectation, ou démolition d’une construction, ainsi que les travaux de remblais et de déblais sont soumis à l’autorisation du bourgmestre ».

Décryptage N°29 : Le Luxembourg, bon élève en matière de taxation carbone ?

© photo : Julien Mpia Massa

Le réchauffement climatique est principalement causé par les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère provenant d’activités humaines. Ses conséquences, ressenties à différents degrés à l’échelle mondiale, sont multiples : sécheresses, catastrophes naturelles, disparition d’espèces… En termes économiques, le réchauffement climatique est considéré comme étant une externalité négative, c’est-à-dire une situation qui découle d’une activité économique et qui nuit à au moins une tierce personne sans compensation pour le dommage causé. Un outil envisageable pour corriger cette défaillance de marché est les instruments économiques, parmi lesquels figure la taxe carbone, introduite par plusieurs pays de l’Union Européenne (UE). Un premier panorama européen des différentes pratiques montre une telle hétérogénéité qu’il est difficile de dire si le Luxembourg est un bon ou mauvais élève en la matière… Mais des pistes d’amélioration peuvent être mises en avant.

Télécharger le Décryptage :

Quelques observations à propos du volet « logement » de l’accord de coalition

Vers un marché ETS II pour réduire les émissions dans le secteur du transport routier ?

Cet article a été rédigé pour le magazine Merkur de janvier-février 2024.

Merkur 01/2024 : Logistique - Maillon essentiel de la diversification économique

© photo : Julien Mpia Massa

Compte tenu du succès « relatif » du marché ETS-I en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), au sein duquel seuls les gros émetteurs de GES sont parties prenantes, l’Union européenne, dans sa directive 2003/87/CE[1], a annoncé la création d’un marché parallèle (ETS-II) à l’horizon 2027, qui inclurait les secteurs du transport routier et du bâtiment (carburants de transport et combustibles utilisés dans le bâtiment). Ce marché aura donc le rôle de déterminer un signal-prix du carbone suffisamment dissuasif pour réduire les émissions dans les secteurs concernés.

À la différence du marché ETS-I, dans ETS-II, les régulateurs interviendraient si nécessaire pour maintenir le prix au niveau d’un plafond de 45 euros la tonne de CO2 durant les premières années d’existence du marché. De plus, les pays qui le souhaitent pourront bénéficier d’une dérogation jusqu’en 2030 s’ils disposent d’une taxe carbone, pour les secteurs concernés, supérieure au prix moyen de mise aux enchères des permis d’émission. Ainsi, avec un prix à 45 euros la tonne de CO2 en 2026, un pays se donnerait la possibilité de demander une dérogation.

 Au Luxembourg, les secteurs concernés par ETS-II représentent environ 80 % des émissions de CO2. Bien que la transition soit déjà à l’œuvre dans le bâtiment, et semble être sur une bonne trajectoire grâce aux différentes mesures d’efficience énergétique et le déploiement des pompes à chaleur tels que prévus dans le projet de mise à jour du Plan National en matière d’Énergie et de Climat (PNEC), on en est encore loin concernant le transport. Pour ce dernier, malgré les mesures du PNEC, l’enjeu consisterait à la fois à accroître la contribution des résidents qui n’auraient pas encore opéré la transition vers la voiture électrique, mais également à renoncer à la manne financière que pourrait rapporter le « Tanktourismus » (tourisme à la pompe).

On pourrait alors se demander quelle serait la meilleure alternative pour la gestion des émissions dans le transport au Luxembourg : le PNEC ou le marché ETS-II ?

Les émissions dans le secteur du transport

Si le Luxembourg a fourni des efforts remarquables en matière de réduction des émissions de GES, s’élevant à -30 % en 2021 par rapport à 2005 (-18 % par rapport à 2013, selon les chiffres de European Environment Agency), le secteur du transport demeure sans conteste un grand émetteur de GES, du fait de sa forte dépendance aux combustibles fossiles. Les émissions de GES provenant du transport dans le pays représentent un peu plus de 60 % des émissions totales. Il faut noter que dans le secteur du transport routier, couvrant 55 % des émissions liées à la combustion d’énergie, dont près de deux tiers pourraient être attribués au « Tanktourismus », les émissions ont diminué de 18 % entre 2013 et 2022 (STATEC)(. La décarbonation serait donc en cours.

Quel instrument pour accélérer la décarbonation dans le secteur du transport ?

Parmi la panoplie d’instruments pouvant inciter à la baisse des émissions dans le transport, la taxe carbone est particulièrement appréciée, notamment pour des raisons économiques, puisqu’au-delà de responsabiliser les « pollueurs », elle permettrait de renforcer les moyens financiers de l’État.

Jusque-là, la gestion de la taxe carbone sur les carburants fossiles restait dans le cadre des différentes stratégies nationales de décarbonation. Mais, l’intégration européenne donne désormais la possibilité de passer par un marché.

Une politique nationale ambitieuse au Luxembourg, mais qui manque de visibilité à long terme

Concernant les secteurs dépendants des combustibles fossiles hors ETS-I, le Luxembourg prévoit, dans le PNEC, une augmentation de la taxe carbone[2] de 5 euros par an, pour atteindre 45 euros la tonne de CO2 en 2026, date d’échéance « provisoire » de cette mesure. Sous l’hypothèse de prix du carburant constants dans les pays voisins, cela représenterait une baisse de l’écart des prix des carburants de quelques centimes d’euros, ce qui ne serait évidemment pas suffisant pour baisser significativement le poids du Tanktourismus [3]. Le STATEC a, par ailleurs, montré qu’une hausse prolongée de 5 euros par an jusqu’en 2050 pourrait s’avérer efficace pour tourner le dos au Tanktourismus, surtout si elle est complétée par le développement de l’électromobilité [4]. Ce qui prouve la nécessité de se donner une vision à plus long terme pour la stratégie nationale de décarbonation du transport routier.

Un marché européen d’échange de quotas carbone (ETS-II) qui pourrait comporter certains risques

Si l’objectif du marché est de renchérir le prix des carburants fossiles, il le ferait surtout au détriment des politiques nationales de taxation carbone, qui aboutissent très souvent à des prix unitaires de carbone différenciés ; tandis que le prix dans le cadre d’un marché européen sera le même pour tous les pays. Dans un tel cas, les effets de la taxe carbone européenne seraient mixtes en raison des prix des carburants déjà différents selon les pays. En effet, sous l’hypothèse que les autres taxes (accises et TVA) soient constantes, seuls les pays qui pratiquaient une taxe largement inférieure à 45 euros la tonne verront leurs prix de carburants être significativement renchéris. Parmi les voisins du Luxembourg, seule la Belgique semble être dans ce cas, mais la moyenne des accises ainsi que la TVA sont plus basses au Luxembourg[5]. Le différentiel avec la Belgique s’accroitrait donc avec le marché. Le différentiel de prix avec la France resterait en revanche plus ou moins stable dans la mesure où ces deux pays auraient des niveaux de taxe CO2 sensiblement identiques.

Par ailleurs, d’autres risques seraient inhérents à ce marché, dont celui de l’harmonisation de la fiscalité carbone au niveau européen, ce qui n’est à ce stade pas possible avec les instruments fiscaux plus classiques. Quelle est donc la nécessité d’abandonner sa souveraineté en matière de fiscalité carbone ? Surtout si ce choix ne garantit pas une accélération de la décarbonation dans le secteur du transport. De plus, même si des mécanismes de redistribution sont prévus, il faudrait noter que ce type de marché taxerait de la même manière des ménages (européens) avec des niveaux de revenus très différents.

Si on comprend aisément l’idée d’intégrer les grandes entreprises dans un marché carbone, notamment pour des raisons stratégiques, il est plus difficile de considérer, à ce stade, qu’un mécanisme de marché peut baisser significativement les émissions dans le secteur du transport, particulièrement au Luxembourg.

Un marché européen pour le secteur du transport pourrait s’intéresser dans un premier temps au transport international de marchandises (transport routier de fret) afin d’éviter que les entreprises ne puissent optimiser leurs itinéraires pour s’approvisionner à moindre coût en carburant, avec des impacts encore plus prononcés sur les émissions, dus notamment à un potentiel accroissement des distances. S’il est complété par un mécanisme d’ajustement de la taxe qui prendrait en compte les spécificités de chaque pays, ce marché aurait l’avantage d’harmoniser le prix du carburant vendu aux professionnels dans tous les pays. Il accélèrerait également la transition des entreprises du secteur de la logistique.


[1] Directive 2003/87/CE

[2] La taxe carbone a été introduite au Luxembourg en 2021 au prix de 20 euros la tonne.

[3] Une taxe carbone à 200 euros au Luxembourg ? – IDEA (fondation-idea.lu)

[4] La vente aux non-résidents a baissé de 20,5% entre 2019 et 2021, mais est compensée par une hausse de 15% des ventes aux résidents, en raison de la croissance démographique.

[5] https://www.ccrek.be/docs/2022_06_AccisesProduitsEnergetiques.pdf

Pallier la pénurie de compétences par la formation en entreprise

Cet article a été rédigé pour Entreprises Magazine – Janvier-février 2024.

© photo : Julien Mpia Massa

Pour répondre aux défis liés à la pénurie de compétences, un problème qui touche surtout les petites et moyennes entreprises au Luxembourg[1], 49% des entreprises recrutent des travailleurs peu qualifiés qu’elles forment par la suite (LISER, 2023)[2].

Cette démarche d’upskilling semble offrir une solution au manque de main-d’œuvre qualifiée et pourrait être davantage encouragée par les politiques publiques de formations, notamment en s’inspirant d’exemples étrangers.

Un écosystème luxembourgeois perfectible

Pour (re)hausser les compétences du personnel et bénéficier d’une main-d’œuvre qualifiée, le upskilling ou reskilling en entreprise représenterait un atout en or. Au cours des deux dernières années, 38% des PME au Luxembourg3 ont eu recours à la formation et au reskilling de leur personnel et 14% ont recruté du personnel temporaire ou des indépendants, pour remédier à la pénurie de compétences.

D’ailleurs, pour procéder à la formation de leur personnel, les entreprises s’orientent vers le soutien externe. Pour trouver du personnel qualifié en utilisant un support externe, selon l’Eurobaromètre, 30% des PME4 indiquent avoir eu recours à un soutien pour offrir des formations à leur personnel (comme des programmes de formation financés par une entité externe). Les trois types de soutien externes les plus utiles pour remédier aux pénuries de compétences pour les PME sont les incitations fiscales (telles que des déductions fiscales pour la sécurité sociale, etc.), la collaboration renforcée avec les services publics de l’emploi et les subventions directes, comme une prime ou des subventions allouées à l’entreprise.

En outre, l’Etat luxembourgeois a mis en place plusieurs mesures financières pour développer leurs formations en interne et, par conséquent, venir en aide aux entreprises.  Parmi celles-ci, on retrouve le cofinancement public5 des plans de formation. Celui-ci vise à inciter les entreprises à investir davantage dans la formation de leurs employés, afin de répondre aux besoins croissants en compétences. Cependant, cette aide est insuffisamment sollicitée et largement méconnue par les entreprises 6.

D’autres dispositifs de soutien pour les entreprises sont également disponibles, comme le remboursement de la formation linguistique en langue luxembourgeoise, des indemnités d’apprentissage, des formations sur mesure à la demande de l’employeur en collaboration avec l’ADEM, et des fonds de formation avec une approche sectorielle spécifique (finance, construction, etc.). Pour améliorer leur efficacité, le nouveau gouvernement annonce dans l’accord de coalition 2023-2028 son intention d’évaluer, voire, d’adapter les subventions versées aux entreprises.

Nonobstant l’existence de ces solutions, les investissements dans les formations se heurtent à des limites liées à plusieurs facteurs. Il s’agit, en l’occurrence, de la difficulté à trouver des prestataires de formations adéquates, de la spécificité du secteur, des coûts considérés parfois trop élevés, ou encore, pour les petites entreprises en particulier, de permettre au personnel de quitter le lieu de travail pour suivre une formation formelle 7.

S’inspirer d’ici et d’ailleurs

Il serait alors important de poursuivre la bonne collaboration entre les entreprises, l’ADEM, les chambres et fédérations professionnelles, pour mieux identifier les besoins sur le marché du travail et les métiers en tension. Dans cet élan de collaboration, les différentes entités pourraient s’inspirer du système danois. Au Danemark, un programme de « job rotation » 8,9 permet aux employeurs de recevoir une subvention publique pour l’embauche d’un demandeur d’emploi  de longue durée (de 6 mois ou plus et sélectionné par l’agence pour l’emploi) en remplacement  d’un salarié en formation (doit avoir exercé un emploi dans l’entreprise pendant au moins trois mois et ayant un niveau de diplôme inférieur à un master) et pendant la durée de formation ; le demandeur d’emploi  de substitution travaille au moins dix heures par semaine pendant six mois maximum. La subvention est versée pour chaque heure pendant laquelle le salarié est en formation et qu’un demandeur d’emploi travaille comme substitut. Ce système représenterait un moyen de répondre à un double objectif : augmenter la participation des entreprises à la formation continue et permettre aux demandeurs d’emploi de gagner en expérience professionnelle, facilitant ainsi leur réinsertion sur le marché du travail. 10

Outre le système danois décris ci-dessus, il pourrait s’avérer intéressant de considérer une recommandation, parmi d’autres, du rapport de l’OCDE (2023)11 sur les stratégies de compétences au Luxembourg. Celle-ci reprend un exemple du système américain de « chèques-formation ». Avec l’aide des agences de recrutement, ce système permettrait d’aider les demandeurs d’emploi ou les salariés les moins qualifiés (plus âgés, disposant des niveaux d’éducation inférieurs, moins formés et travaillant dans des secteurs où il y a moins d’offres de formation, voire ont des modalités de travail atypiques comme à temps partiel ou temporaire), à se former davantage dans des domaines de compétences à forte demande. En effet, l’Observatoire de la Formation de l’INFPC (2022)12 montre qu’en 2019 « les cadres captent 19% de l’ensemble des formations alors qu’ils représentent 12,3% de l’effectif salarié et les salariés non qualifiés participent à 6,4% de l’ensemble des formations alors qu’ils représentent 17,3% de l’effectif salarié. »  En guise de remède, les montants de ces chèques seraient déterminés par une coopération entre le gouvernement, les acteurs des centres de formation et les entreprises, et devraient être adaptés en fonction des besoins individuels. Par exemple, les salariés peu qualifiés pourraient disposer de chèques aux montants plus élevés en vue d’acquérir des compétences fortement demandées et donc réhausser leur niveau de qualification. Ce système pourrait s’avérer fructueux dans l’élaboration des stratégies de recrutement plus actif de personnel qualifié pour les postes demandés, surtout pour les PME.


[1],3,4 Lien vers l’Eurobaromètre 2023 : https://europa.eu/eurobarometer/surveys/detail/2961 https://europa.eu/eurobarometer/surveys/detail/2961

[2] LISER, Pénurie de main-d’œuvre dans les métiers ne nécessitant pas de diplôme universitaire : une étude exploratoire sur le rôle joué par les conditions de travail, 9 novembre 2023.

5« Le montant du cofinancement est déterminé par l’investissement en formation professionnelle continue réalisé par l’entreprise à l’intention de ses salariés. L’aide s’élève à 15% imposables du coût de l’investissement en formation réalisé au cours de l’exercice d’exploitation. Une majoration de 20% est prise en compte au niveau du coût salarial des participants n’ayant pas de diplôme reconnu par les autorités publiques et une ancienneté inférieure à 10 ans et pour les salariés âgés de plus de 45 ans à la date du début de mise en œuvre du plan de formation de l’entreprise. L’investissement en formation est plafonné selon la taille de l’entreprise. En 2022, l’INFPC a instruit 1 551 demandes de cofinancement. », INFPC, Rapport annuel 2022.

6 Voir, Eco News Flash 2021/n°3, Quelles aides à la formation pour relever le défi en matière de skills et soutenir une économie compétitive, résiliente et durable ?

7,9,11 OECD, Skills Strategy Luxembourg, 2023.

8 European Commission, Job Rotation Scheme, Denmark, April 2021.

10 Pour rappel, ce système s’intègre dans le modèle danois de « flexicurité », où se combinent une forte mobilité entre les emplois, avec un revenu sécurisé pour les chômeurs, et une politique active du marché du travail.

12 Observatoire de la Formation de l’INFPC, Pratiques de formation, 2022.

Tableau de bord économique et social – Janvier 2024

L’inévitable récession !

Tous les indicateurs semblent indiquer une récession en 2023, malgré l’absence de données du quatrième trimestre.

  • L’activité a encore ralenti à la fin de l’année, mais à un rythme globalement lent, notamment en raison de la baisse de la demande et des conditions de financement qui se sont particulièrement durcies.
  • Le volume de la valeur ajoutée brute totale générée par l’activité économique au Luxembourg a connu une baisse de 0,1 % au 3ème trimestre par rapport au 2ème trimestre 2023. Les secteurs de la finance et du transport ont enregistré de fortes baisses, respectivement -3,4 % et – 6 %, expliquant ainsi la majeure partie de la contraction de la valeur ajoutée.
  • Le secteur de la construction est fortement impacté, notamment avec le nombre de faillites en hausse. Le niveau actuel des taux d’emprunt immobilier semble se stabiliser, mais il ne permet pas de renverser la tendance à la baisse des crédits consentis.
  • Le ralentissement de l’emploi salarié sur le marché du travail luxembourgeois s’accentue. Le stock de postes vacants a diminué de 40 % en un an. Le nombre de chômeurs diplômés du supérieur augmente plus significativement, semblant indiquer un ralentissement dans le secteur des services, mais aussi une certaine inadéquation entre offre et demande de travail.
  • Le STATEC table sur un repli du PIB de 1% en 2023, et sur une croissance de 2% cette année.

Zoom sur l’évolution de la valeur ajoutée dans les principales branches

Au 3ème trimestre 2023, le volume de la valeur ajoutée brute totale générée par l’activité économique au Luxembourg a connu une baisse de 0,1 % par rapport au 2ème trimestre 2023. Les secteurs de la finance et du transport ont enregistré de fortes baisses, respectivement -3,4 % et – 6 %, expliquant ainsi la majeure partie de la contraction de la valeur ajoutée.

L’industrie et les TIC ont affiché de bonnes performances en termes de volume, avec des hausses de valeur ajoutée respectives de 3,2 % et 4,6 % sur un trimestre. En revanche, le secteur de la construction continue de subir les effets de la politique monétaire, en présentant une baisse de valeur ajoutée certes moindre, mais qui vient renforcer la baisse observée le trimestre précédent (- 3,6 % au 2ème trimestre 2023 par rapport au premier trimestre 2023).

Le secteur public a pu dégager une valeur ajoutée positive au cours de ce trimestre (+1 %), tout comme le secteur des loisirs (+1,7%).

Zoom sur l’évolution de la valeur ajoutée dans les principales branches Source : STATEC, comptes nationaux trimestriels, calculs IDEA

Pour télécharger le Tableau de bord

Une taxe carbone à 200 euros au Luxembourg ?

© photo : Julien Mpia Massa

Depuis le 16 novembre, le Luxembourg a un plan de marche pour les cinq années à venir. IDEA propose une série de blogs pour analyser quelques-uns des points saillants de l’accord de coalition 2023-2028. Dernier volet de cette série : quelques réflexions sur le niveau de la taxe carbone au Luxembourg.

Dans son programme de coalition, le gouvernement luxembourgeois s’engage à respecter la trajectoire de la taxe CO2 définie dans le Plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC). Pour rappel, la taxe carbone a été introduite en 2021 et s’établit désormais à 30 euros la tonne de CO2. Afin de réduire davantage les émissions de gaz à effet de serre (GES), le PNEC prévoit une augmentation annuelle de 5 euros au moins jusqu’en 2026, ce qui lui permettra d’atteindre le montant de 45 euros la tonne de CO2 à cette échéance, soit environ 11 centimes de plus sur le litre actuel de diesel. Dans la mise à jour du PNEC, le gouvernement met un accent particulier sur le renforcement des objectifs dans le secteur des transports. La cellule scientifique de la Chambre des Députés [1] reconnaît que le secteur des transports, qui représente 60,9 % des émissions de GES (hors ETS) au Luxembourg, est un secteur clé à considérer afin d’avoir un impact significatif sur la baisse des émissions de CO2. En 2022, deux tiers des émissions de ce secteur provenaient de la vente de carburant, dont environ 70 % peuvent être attribuées à des voitures immatriculées à l’étranger [2]. Ce tourisme à la pompe contribue donc largement à l’intensité apparente des émissions au Grand-Duché.

Une des manières de réduire le bilan CO2 du secteur du transport serait de renoncer au tourisme à la pompe [3]. En supposant, dans un contexte purement fictif, que le gouvernement décide de mettre fin à cet avantage compétitif, il pourrait opter pour un prix du carburant équivalent à celui pratiqué dans les pays frontaliers. Le Luxembourg serait donc moins compétitif sur les ventes de carburants et les non-résidents moins incités à s’y approvisionner. Quel est donc le prix de la taxe carbone qui permettrait d’harmoniser les prix de carburant ? Pour répondre à cette question, posons l’hypothèse que les taxes d’accises sont stables [4] au Luxembourg, ainsi que dans les pays voisins, et que le prix moyen du diesel sur les 5 années précédentes correspond peu ou prou à son prix moyen de long terme [5]. En France, les augmentations de la taxe carbone qu’elle avait prévues ont été suspendues après les manifestations du mouvement des gilets jaunes. Un changement de politique n’y est donc pas à prévoir à court terme. La Belgique, quant à elle, ne dispose pas de taxe carbone et son introduction n’est pas à l’ordre du jour à la lecture de son PNEC [6]. À politiques inchangées, le STATEC estime que chaque augmentation de 5 euros de la taxe carbone au Luxembourg réduit le différentiel de prix du diesel avec les pays voisins d’un peu plus d’un centime.

Dans l’absolu, le différentiel de prix de vente du diesel est plus élevé entre la Belgique et le Luxembourg, soit 45 centimes d’euros, suivi par la France et l’Allemagne. Une taxe carbone au Grand-Duché qui s’élèverait à 211 euros [7], équivalent à 7 fois la taxe carbone actuelle et représentant 51 centimes de plus par litre de diesel, pourrait permettre de réduire significativement le différentiel de prix de vente du diesel avec la Belgique. En ce qui concerne la France et l’Allemagne, la taxe carbone devrait être de 168 euros et 133 euros, respectivement.

Source: STATEC, Direction générale de l’Energie – SPF Economie, DGEC, ADAC; Calculs IDEA

La taxe carbone qui permettrait de réduire significativement les différences de prix de vente du diesel entre le Luxembourg et ses pays frontaliers, toutes choses égales par ailleurs, devrait donc se situer entre un plancher de 168 euros et un plafond de 211 euros [8]. Cette fourchette corrobore les recommandations d’une taxe carbone à 200 euros par tonne de CO2 éq. réclamée par l’Observatoire de la politique climatique et le Klima-Biergerrot.

La mise en place d’une telle taxe permettrait, certes, de faire baisser le bilan CO2 apparent du Grand-Duché, mais pourrait également engendrer un effet d’aubaine dans les pays voisins, plus particulièrement l’Allemagne. En effet, avec ces niveaux de la taxe carbone, le différentiel avec l’Allemagne pourrait s’inverser en faveur de ce dernier, avantageant ainsi les distributeurs de diesel allemands. Une réaction rationnelle des résidents luxembourgeois étant de s’approvisionner en diesel en Allemagne, la taxe CO2 aurait alors un effet sur le comportement des consommateurs qui ne serait pas nécessairement bénéfique pour leur bilan carbone. Ceci aurait certainement un effet négatif sur le secteur de la distribution de carburant au Luxembourg, mais également sur les recettes fiscales (pour mémoire, les recettes des accises sur les carburants représentaient 725,4 millions d’euros en 2022 [9]). À ce stade, il est difficile de se prononcer sur le sens de l’effet de l’introduction de la taxe carbone à ce niveau. Il serait donc nécessaire d’évaluer l’ampleur de la diminution des ventes de carburant, tout comme le potentiel d’une taxe carbone plus élevée à combler cette perte. Ces effets, parfois indésirables, doivent donc être pris en compte dans la détermination de la valeur de la taxe carbone.


[1] Note de recherche scientifique CS-2022-DR-028

[2] PNEC

[3] A noter qu’il s’agirait uniquement d’un transfert d’émissions vers les pays voisins et non pas d’une réduction absolue. L’effet de la réduction des émissions sera amplifié par l’interdiction de l’Union européenne de vendre des voitures neuves à essence et diesel à partir de 2035, encourageant ainsi l’électrification du parc automobile.

[4] La préférence d’agir sur le prix par le biais de la taxe carbone, au lieu des taxes d’accises, vient du fait que les recettes provenant de la taxe carbone sont fléchées. Ainsi, le gouvernement luxembourgeois utilisera les recettes à des fins sociales et environnementales uniquement. Cependant, l’effet sur les émissions de GES est équivalent.

[5] Les 5 années précédentes considérées sont de 2018 à 2022, de façon à lisser les variations de prix et de prendre en compte le choc de prix de 2022, provoqué par la guerre en Ukraine.

[6] L’Allemagne a mis en place un système de quotas national, fixant le prix du carbone au même prix que le Luxembourg en 2023.

[7] Les données utilisées dans nos calculs ont été extraites de différentes bases de données (STATEC, Direction générale de l’Energie – SPF Economie, DGEC, ADAC). Le prix du carbone permettant d’atteindre un différentiel de prix du diesel nul dans la Grande Région a été déterminé grâce à l’utilisation de la moyenne des prix de diesel TTC des clients professionels et résidents.

[8] Le différentiel de prix avec l’Allemagne étant relativement plus faible, nous avons décidé de ne pas la prendre en compte pour ne pas trop élargir la fourchette et perdre en efficacité.

[9] Tableau de situation budgétaire (décembre 2022)

Le pari photovoltaïque

© photo : Julien Mpia Massa

Depuis le 16 novembre, le Luxembourg a un plan de marche pour les cinq années à venir. IDEA propose une série de blogs pour analyser quelques-uns des points saillants de l’accord de coalition 2023-2028. Cinquième volet de cette série : Le pari photovoltaïque.

L’attrait pour les installations photovoltaïques est manifeste en lisant le volet consacré à l’environnement, à la biodiversité, au climat et aux énergies renouvelables du nouveau programme de la coalition gouvernementale. Il est pourtant justifié de considérer que ce choix stratégique poursuit au minimum deux objectifs qui se veulent fondamentaux pour une transition énergétique réussie. Premièrement, augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie, actuellement évaluée à environ 12 % [1]. Deuxièmement, réduire la dépendance du Luxembourg vis-à-vis des importations d’électricité, qui représentaient 85 % selon les données du STATEC en 2021, dont 66 % proviennent d’Allemagne.

Miser sur l’énergie photovoltaïque serait donc à la fois un choix pragmatique et impératif pour accélérer la trajectoire de décarbonation du secteur énergétique luxembourgeois. Un argument qu’on pourrait également retrouver dans le dernier rapport de l’International Energy Agency (IEA) [2], où les auteurs mettent en avant le potentiel élevé de l’énergie photovoltaïque pour réduire de manière rentable les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, parmi toutes les énergies renouvelables.

Au Luxembourg, la production brute d’énergie photovoltaïque a enregistré une croissance significative, progressant de 50 % en seulement 7 ans pour atteindre 160 GWh en 2021 et représentant environ 9,6 % de la production brute totale d’énergie renouvelable. Toutefois, malgré cette progression, force est de constater qu’à ce jour, le photovoltaïque n’est pas la source d’énergie ayant connu la croissance la plus marquée. La production brute d’énergie éolienne a affiché une croissance de 208 % sur la même période pour atteindre un niveau de 314 GWh en 2021.

Face à cette alternative semblant offrir un très bon potentiel, pourquoi donc accorder une attention particulière au photovoltaïque ? Si la réponse à cette question, il faudrait l’avouer, n’est pas simple, il serait néanmoins important de souligner de manière non exhaustive quelques défis inhérents à la concrétisation du projet photovoltaïque tel que souhaité par le gouvernement actuel.

Usage du foncier : Il est crucial de prendre en compte le fait que les espaces appropriés et disponibles pour l’installation des panneaux photovoltaïques sont géographiquement limités. Ainsi, de la même manière que les projets de constructions dans le bâtiment et les éoliennes, le photovoltaïque pourrait éventuellement être confronté au phénomène NIMBY (Not In My Backyard), susceptible de créer des blocages pour son expansion à grande échelle et des conflits d’utilisation des sols. Bien que le gouvernement annonce d’emblée qu’il « examinera la possibilité de supprimer l’exigence de l’autorisation de construire pour les installations photovoltaïques sur les bâtiments résidentiels », la sécurisation des espaces disponibles et propices aux installations des panneaux photovoltaïques devrait constituer une étape préliminaire, voire primordiale.

Orientation des aides : Outre la contrainte foncière, la technologie photovoltaïque est étroitement liée aux conditions météorologiques, ce qui rendrait l’énergie qui en découle intermittente. Ainsi, des investissements considérables dans des technologies de stockage d’énergie (telles que les batteries…) seraient nécessaires pour les accompagner, et garantir la stabilité de la production, en particulier dans les endroits où l’excédent de production ne peut être réinjecté dans le réseau. Des aides devraient être orientées vers cet objectif. L’augmentation actuelle de 25 % des aides Klimabonus pour les installations photovoltaïques est certes nécessaire pour renforcer l’accès à la transition, mais il serait tout aussi nécessaire d’évaluer les aides afin d’identifier les cas où l’investissement se justifie économiquement sans aides. Cela permettrait de dégager encore plus de ressources pour que certains ménages puissent accéder à des installations de haute performance. La mesure qui consiste à introduire le « préfinancement des subventions climatiques » semble aller dans ce sens, car elle permettrait de se focaliser sur la performance sans avoir à débourser un montant important à l’acquisition. Elle mériterait toutefois d’être clarifiée pour permettre un accès à des installations de haute performance. Le gouvernement devra également veiller au dimensionnement des installations, car leur rentabilité est fortement dépendante de celui-ci.

Transfert de dépendance : Bien que les coûts initiaux d’acquisition des installations aient considérablement diminué, il est important de noter que les technologies les plus avancées pour la fabrication de panneaux photovoltaïques et de batteries à moindre coût ne sont pas localisées au Luxembourg ni même en Europe. Dans ce contexte, il est crucial d’évaluer les risques liés à un « transfert de dépendance », sachant que dans ce cas précis, on passerait d’une dépendance à l’importation d’électricité vers une dépendance à l’importation de dispositifs photovoltaïques, dont le marché est nettement dominé par la Chine et l’Asie plus globalement. Cette considération est d’autant plus cruciale que la souveraineté énergétique est une priorité nationale. Une politique énergétique plus efficiente dans le contexte du Luxembourg devrait donc privilégier la recherche de complémentarité entre les différents types d’énergie renouvelable afin de limiter la dépendance potentielle.


[1] STATEC (2021)

[2] World Energy Outlook 2023

Décryptage N°28 : Pour (r)ouvrir le débat : Quelques observations à propos du volet « logement » de l’accord de coalition

© photo : Nathalie Koch

Depuis le 16 novembre, le Luxembourg a un plan de marche pour les cinq années à venir. IDEA propose une série de publications pour analyser quelques-uns des points saillants de l’accord de coalition 2023-2028. Quatrième volet de cette série : Le logement.

Télécharger le Décryptage :

Quelques observations à propos du volet « logement » de l’accord de coalition

Le quantique, « next step » de l’IT luxembourgeois

© photo : Julien Mpia Massa

Depuis le 16 novembre, le Luxembourg a un plan de marche pour les cinq années à venir. IDEA propose une série de blogs pour analyser quelques-uns des points saillants de l’accord de coalition 2023-2028. Troisième volet de cette série : la future stratégie sur l’informatique quantique.

L’accord de coalition 2023-2028[1] a, sans surprise, prôné la continuité en matière de diversification économique. Il indique ainsi que « le Gouvernement stimulera davantage la diversification économique de notre pays afin de créer, voire de renforcer, des écosystèmes intégraux dans les secteurs prioritaires, à savoir la logistique, les technologies de santé, le cleantech, l’espace et l’économie des données y compris le domaine de l’intelligence artificielle. » Le Luxembourg s’est déjà fortement engagé sur le développement de ces secteurs prioritaires, avec pour certains d’entre eux de premiers investissements datant d’il y a deux décennies.

Les initiatives sur l’économie des données sont plus récentes et se sont multipliées ces dernières années. L’objectif ambitieux affiché en juin 2021 par la stratégie « Ons Wirtschaft vu muer – Feuille de route pour une économie compétitive et durable 2025[2] » était de devenir un « leader européen en matière de sécurité et de confiance en la transformation de l’économie axée sur les données dans un environnement géopolitique complexe. » Pour cela, le Luxembourg peut s’appuyer sur le développement du superordinateur Meluxina, le projet de cloud souverain basé sur les technologies de Google et sur des stratégies dédiées à la « data-driven innovation[3] » et à l’intelligence artificielle[4].

L’accord de coalition propose les prochaines étapes du développement de l’économie des données. « Le Gouvernement procédera à une mise à jour de la stratégie d’innovation basée sur la donnée, effectuera une mise à jour de la stratégie IA et veillera à ce que les deux stratégies soient complémentaires. Le Gouvernement se dotera également d’une stratégie dans le domaine de l’informatique quantique », qui serait ainsi le prochain grand domaine visé pour devenir un leader du big data en Europe.

L’informatique quantique, qu’es aquò ?

L’informatique quantique repose sur l’utilisation de la mécanique quantique pour calculer beaucoup plus rapidement et résoudre certains problèmes trop complexes pour des ordinateurs classiques. Cette accélération provient notamment d’un fonctionnement basé sur des bits quantiques, ou qubits, en lieu et place des traditionnels bits informatiques standards. Présentée comme une technologie transformatrice, l’informatique quantique pourrait concrètement faciliter l’invention de nouvelles molécules, l’optimisation des processus logistiques, l’anticipation des mouvements des marchés financiers, l’apprentissage des intelligences artificielles ou encore le décryptage des réseaux sécurisés par des pirates, des problématiques dont la résolution repose sur une très grande complexité sur le plan des calculs. Actuellement, la fabrication d’ordinateurs quantiques rencontre de nombreuses difficultés dues principalement à l’instabilité des qubits qui nécessitent d’être placés dans un environnement proche du zéro ou du vide absolus pour ne pas redevenir de simples bits.

Des acteurs privés internationaux tels que Microsoft, Intel, IBM ou Google, ont investi massivement dans cette technologie, tout comme les principales économies mondiales, la Chine, qui projette d’allouer 10 milliards de dollars à son laboratoire national quantique, étant à la pointe dans ce domaine. L’Union européenne a initié en 2018 le Quantum Technologies Flagship, un programme de recherche doté d’un budget de 1 milliard d’euros, et a pour ambition de disposer d’un premier ordinateur à accélération quantique d’ici à 2025 et être à la pointe des capacités quantiques d’ici à 2030.

Premières étapes du code quantum luxembourgeois

L’informatique quantique est déjà une réalité au Luxembourg. Le LIST vient d’obtenir un financement de 4 millions d’euros dans le cadre du programme PEARL du Fonds National de Recherche pour le projet AQuaTSiC (Advanced Quantum Technologies with Silicon Carbide) qui vise à développer des matériaux plus performants pour l’informatique quantique en utilisant le carbure de silicium. En outre, le groupe Post, Rhea Group, Hitec, le SnT et l’Agence spatiale européenne se sont associés pour mettre en œuvre des cas d’usage internationaux pour la distribution de clés quantiques dans des environnements informatiques opérationnels, avec le secteur financier comme client potentiel pour cette solution innovante en matière de cybersécurité.

Les fondements d’une stratégie réussie

Si la future stratégie luxembourgeoise sur l’informatique quantique ne garantit pas, à elle seule, une spécialisation réussie, ceci d’autant plus sur une technologie en amélioration permanente, la démarche annoncée par l’accord de coalition devrait permettre d’augmenter la maitrise de ces technologies pour les acteurs privés et publics tout en renforçant la souveraineté numérique du pays.

Quelques fondements, basés sur des expériences récentes, seraient susceptibles d’augmenter l’impact d’une telle stratégie. Tout d’abord, le gouvernement devrait s’appuyer sur un comité composé d’experts reconnus au niveau international, comme c’est le cas pour l’initiative sur les ressources spatiales. De plus, la future stratégie devrait identifier des partenariats potentiels européens et internationaux, publics et privés, la complexité du sujet requérant des coopérations entre experts de par le monde. Par ailleurs, une approche bottom-up reposant sur une vaste consultation des entreprises, chercheurs et experts, individuelle et collective, est nécessaire à l’exploration de toutes les potentialités concrètes de telles technologies pour le pays. Cette consultation devrait alimenter, comme cela a été fait pour « The Data-Driven Innovation Strategy for the Development of a Trusted and Sustainable Economy in Luxembourg », les passerelles concrètes avec les spécialisations présentes et en devenir, soit des secteurs d’activité tels que l’industrie des fonds d’investissement ou la logistique.

Les défis d’une telle stratégie sont immenses, au regard de la révolution technologique que pourrait constituer l’informatique quantique et de l’identité des acteurs s’étant fortement engagés dans ce domaine : GAFA, économies à la pointe technologique… Le Luxembourg a beaucoup à gagner de la réussite de cette future stratégie s’il réussit à rassembler des compétences de pointe, à développer des produits et services de niche et, bien entendu, si l’informatique quantique répond aux espoirs qu’elle a fait naître.

 


[1] Accord de coalition 2023-2028 – « Lëtzebuerg fir d’Zukunft stäerken », 2023.

[2] Ons Wirtschaft vu muer – Feuille de route pour une économie compétitive et durable 2025, 2021.

[3] The Data-Driven Innovation Strategy for the Development of a Trusted and Sustainable Economy in Luxembourg, 2019.

[4] Intelligence artificielle : une vision stratégique pour le Luxembourg, 2019.

Continuer à mieux se former

© photo : Julien Mpia Massa

Depuis le 16 novembre, le Luxembourg a un plan de marche pour les cinq années à venir. IDEA propose une série de blogs pour analyser quelques-uns des points saillants de l’accord de coalition 2023-2028. Deuxième volet de cette série : la formation continue.

Lors du Sommet social de Porto en mai 2021, le Luxembourg a défini l’objectif d’atteindre un taux de participation aux formations de 62,5% jusqu’en 2030. Dans cette optique, plusieurs stratégies de formation continue ont été mises en place, telles que l’initiative « Future Skills » de l’ADEM qui cible surtout les demandeurs d’emploi de plus de 45 ans, ou encore la stratégie Life Long Learning. Malgré le ralentissement actuel de l’économie luxembourgeoise et du marché du travail, cette dernière doit faire face à des défis de moyen et long terme comme la transition numérique et environnementale, ainsi qu’au vieillissement de la population, surtout dans les pays voisins, sources importantes de main d’œuvre transfrontalière. À cela s’ajoute une pression supplémentaire ressentie par la main-d’œuvre et qui provient d’une concurrence parmi les travailleurs à l’échelle planétaire. De ce fait, pour se démarquer sur le marché du travail, la formation continue est essentielle pour mettre à jour les connaissances et compétences. Toutefois, certains obstacles du quotidien limitent les capacités à se former, par manque de temps, en raison d’obligations professionnelles, familiales ou de problèmes financiers.

Dans les faits, le manque de main-d’œuvre est mis en évidence par l’identification des métiers très en pénurie par l’ADEM, dans la publication du Journal Officiel du Grand-Duché du Luxembourg, le 27 septembre 2023[1], tels que les psychologues, assistants sociaux, éducateurs/éducatrices de jeunes enfants, infirmiers, aides-soignants, techniciens de maintenance en électronique, agents de maintenance industrielle, etc.

Le nouveau gouvernement évoque dans l’accord de coalition plusieurs pistes d’amélioration de la formation continue, comme une initiative globale pour réduire le gap intergénérationnel de connaissances et compétences numériques. Il prévoit également d’instaurer un système de financement pour les formations continues, comprenant des bons de formation, afin de promouvoir la mise à niveau et la reconversion professionnelle. La formation continue est considérée comme un élément essentiel d’un service public efficace. Pour cela, l’Institut national d’administration publique (INAP) veillera à répondre à ces nouveaux défis, avec pour objectif de renforcer les compétences techniques des agents de l’Etat. Pour répondre aux besoins des métiers très en pénurie, l’accord de coalition prévoit d’étudier la possibilité de mettre en place des formations continues pour certains métiers concernés et adaptées selon les besoins du secteur, comme les infirmiers et les aides-soignants, parmi d’autres. De plus, le nouvel accord de coalition prévoit de suivre les recommandations du rapport de l’OCDE (2023) sur les stratégies de compétences au Luxembourg, en termes de formation continue, comme, entre autres, le fait d’élargir les services sur mesure, les offres de formation sur le long terme aux chômeurs et particuliers en besoin de reconversion, avoir recours à une révision stratégique des programmes de formation continue, ou encore développer une vision prospective stratégique pour l’apprentissage des adultes.

Il sera alors important de poursuivre la bonne collaboration entre l’ADEM, les chambres et fédérations professionnelles, pour mieux identifier les besoins sur le marché du travail et les métiers en tension afin de trouver des solutions lors de l’orientation (formation initiale), et lors du reskilling / upskilling (formation continue), et d’évaluer les politiques déjà mises en place au Luxembourg. De cette manière, les disparités en termes de compétences pourront se réduire afin de favoriser la compétitivité et la productivité du Luxembourg. Par ailleurs, le gouvernement pourrait s’inspirer de la stratégie nationale décennale irlandaise, axée sur l’amélioration des compétences à l’horizon 2025. Elle stipule six objectifs, avec des acteurs, indicateurs de progression et actions spécifiques, qui incluent une offre de formation adaptée aux besoins des apprenants, une participation active de la part des employeurs à l’élaboration des programmes, une amélioration de la qualité de l’enseignement, une promotion de l’engagement dans l’apprentissage tout au long de la vie et un soutien à l’inclusion active et au renforcement de l’offre de compétences.


[1] La liste complète des 30 métiers ROME très en pénurie se trouve ici : https://adem.public.lu/dam-assets/fr/publications/adem/metiers-penurie.pdf

Aménagement du territoire : la vision reste à préciser

© photo : Julien Mpia Massa

Depuis le 16 novembre, le Luxembourg a un plan de marche pour les cinq années à venir. IDEA propose une série de blogs pour analyser quelques-uns des points saillants de l’accord de coalition 2023-2028. Premier volet de cette série : l’aménagement du territoire.

Si le programme de coalition est par définition un accord qui (ne) donne (que) les grandes lignes directrices dans les principales politiques publiques à mettre en œuvre, certaines considérations importantes pour la stratégie d’aménagement du territoire restent encore à préciser.

En l’espace de 30 ans, le Luxembourg a multiplié son PIB par 2,6, créé près de 290.000 emplois (x2,5), vu le nombre de frontaliers augmenter de 170.000 (x6) et connu une poussée démographique de près de 250.000 personnes (+65%). Ces évolutions, bien que mal anticipées, ont pour partie été possibles parce que le pays disposait de « réserves » diverses (main d’œuvre frontalière, logements, infrastructures, etc.) qui ont considérablement diminué depuis. La poursuite de l’expansion économique du pays, dont on comprend qu’il s’agit d’un scénario privilégié par la nouvelle majorité, ne pourra pas se limiter au renforcement des avantages compétitifs « traditionnels » du site Luxembourg (fiscalité, éducation, R&D, protection sociale, simplification administrative, etc.). Elle nécessitera également d’opérer certains changements profonds dans le domaine de l’aménagement du territoire avec une stratégie qui devra être mise en œuvre de manière cohérente dans l’ensemble du pays et autour de ses frontières.

Dans l’accord, l’annonce d’une révision du tout nouveau programme directeur d’aménagement du territoire (PDAT) avec pour priorité de « respecter l’autonomie communale » pose question. En effet, le caractère « peu opérant » des dernières stratégies d’aménagement du territoire, pourtant bien pensées, s’explique en partie par les écarts entre les grandes lignes directrices nationales et les pratiques communales en la matière. Dans le scénario d’un Luxembourg à plus d’un million d’habitants, une diminution du caractère contraignant (ou incitatif, pour rester réalistes) de l’aménagement du territoire pourrait contribuer à rendre la croissance démographique encore plus riche en externalités négatives (étalement urbain, allongement des trajets, inefficacité des réseaux publics de transport, défiguration des espaces villageois, etc.). Un modèle territorial qui « fonctionne » à 650.000 habitants ne fonctionne pas nécessairement à plus d’un million.

Si le nouveau ministre veut prendre en considération les contributions à la consultation effectuée dans le cadre du PDAT comme l’annonce l’accord de coalition, il pourrait s’inspirer des propositions concrètes formulées dans la « Vision territoriale pour le Luxembourg à long terme » publié en février dernier [1], avec des suggestions de réformes visant à accroître l’efficacité des politiques d’aménagement du territoire.

Dans les champs de compétences du ministre, un équilibre subtil devra également être trouvé entre l’absolue nécessité de construire plus (de logements) et l’incontournable contrainte de les construire aux bons endroits. Les trois principales agglomérations du pays devront opérer une importante mutation, des nouvelles centralités urbaines devront émerger et la plupart des espaces ruraux devront limiter leur croissance démographique. Une lueur d’espoir ressort d’une récente étude du STATEC, de l’Université et du LISER qui montre que l’évolution démographique de la dernière décennie ne s’est pas manifestée par un étalement urbain disproportionné. Cette évolution encourageante ne devrait pas être interprétée comme une invitation à lâcher la bride en matière de planification territoriale, bien au contraire.


[1] Voir également : https://www.fondation-idea.lu/2023/02/27/document-de-travail-n21-quelques-reflexions-sur-le-projet-de-programme-directeur-damenagement-du-territoire-pdat-2023/.

Une incitation fiscale à la mobilité durable

Cet article a été rédigé pour le magazine Merkur de novembre-décembre 2023.

 

© photo : Julien Mpia Massa

Le Plan National de Mobilité 2035 (PNM2035) présenté par le ministre de la Mobilité et des Travaux publics en avril 2022 dessine une stratégie ambitieuse qui repose sur des changements profonds dans les habitudes de mobilité des résidents et frontaliers. Les déplacements entre le domicile et le lieu de travail joueront un rôle non-négligeable dans ce domaine et l’outil de la fiscalité pourrait être mobilisé pour y contribuer.

Favoriser la mobilité durable est une politique visant à s’attaquer à (au moins) deux problèmes cruciaux dans le cas luxembourgeois. En premier lieu, il s’agit de contribuer à l’atteinte des engagements climatiques du pays, à savoir une baisse des émissions de gaz à effet de serre de 55% en 2030 en comparaison aux niveaux de 2005 pour les secteurs qui ne sont pas concernés par le marché européen du carbone. Entre 2021 et 2030, le plan national intégré en matière d’énergie et de climat du Luxembourg (PNEC) planifie pour cela une baisse de 42% des émissions dans le secteur des transports. Le projet de révision du PNEC déposé en juillet 2023 prévoit même de rehausser cet objectif à 52%. En deuxième lieu, il s’agit de réduire la pression croissante sur les infrastructures de transport dans un contexte de développement économique et démographique continu. En effet, sur la décennie 2020-2030, le pays pourrait compter 133.000 habitants (+21%), 137.000 emplois (+28%), dont 90.000 frontaliers (+40%), supplémentaires selon un scénario « au fil de l’eau » dans lequel la croissance se maintiendrait au même niveau que les trois décennies précédentes [1]. Réduire la congestion permettrait d’améliorer de nombreux aspects en faveur de la qualité de vie, de la protection de l’environnement, de l’attractivité et de la performance économique du pays.

De nombreux leviers à activer

Afin de contribuer à ces deux objectifs, de nombreux leviers sont activables pour favoriser un report modal de « l’autosolisme » (prendre sa voiture seul) vers la mobilité douce, les transports en commun et le covoiturage. Les marges de manœuvre sont conséquentes quand on sait qu’en 2017, un tiers des déplacements inférieurs à 1km et deux tiers des déplacements compris entre 1 et 5km étaient effectués en voiture [2] ! Le PNM2035 pose des objectifs chiffrés : les déplacements en voiture (seul) devraient passer de 51% en 2017 à 31% en 2035, à la faveur du covoiturage (de 19% à 22%), des transports en commun (de 16% à 22%) et de la mobilité douce (à pied ou à vélo, de 14% à 25%). Les déplacements entre le domicile et le lieu de travail ne sont pas les seuls concernés, mais leur part dans les déplacements totaux est prépondérante aux heures de pointe.

Rendre ce report modal possible passera tout d’abord par la mise en place d’infrastructures de transport en commun en adéquation avec les flux et la qualité de service attendus. Il sera également nécessaire de jouer sur la réduction relative de la mobilité sur le long terme par des politiques d’aménagement du territoire favorisant la mixité fonctionnelle (c’est-à-dire rapprochant les différents centres d’intérêts des habitants comme les services publics, les commerces, les loisirs, les équipements éducatifs, les activités économiques de leur lieu de vie) et en accompagnant le déploiement de solutions de travail à distance. D’autres mesures complémentaires s’imposeront comme le renchérissement progressif des énergies fossiles (via la taxe CO2 notamment), les politiques d’urbanisme (politiques de stationnement, sécurisation des modes doux, filtrage de l’accès aux centres urbains, etc.), des plateformes et équipements de covoiturage permettant d’atteindre des masses critiques dans les quartiers de vie et de travail, etc.

Inciter à l’achat de voiture de fonction électriques : nécessaire, mais pas suffisant

Fin juillet 2023, il y avait 452.673 voitures en circulation au Luxembourg, dont 47.074 en leasing opérationnel [3], soit 10,4% du parc, faisant du leasing de fonction un levier d’action non-négligeable des politiques de mobilité. Lorsque les voitures professionnelles sont utilisables par le salarié à des fins privées, cela représente un avantage en nature soumis à une fiscalité pouvant rendre – selon les cas – cette pratique d’attractivité et de fidélisation des salariés intéressante pour les employeurs comme pour les employés. Depuis 2017, l’avantage en nature soumis aux cotisations sociales et à l’impôt sur le revenu est calculé en fonction du type de motorisation et des émissions de CO2. Des changements de mode de calcul intervenus en 2021, puis des barèmes de calcul en 2023 ont considérablement renforcé le caractère incitatif du dispositif en direction des voitures de fonction à faibles émissions, voire à émissions nulles. Comme l’indique le PNEC, à partir de 2025, « le régime forfaitaire sera simplifié et particulièrement favorable aux voitures à zéro émission de roulement en CO2 ». Dans les faits, le leasing de voitures de fonction ne représentera un véritable avantage fiscal que dans le cas des voitures électriques, avec une « prime » pour les moins énergivores (lourdes) d’entre elles [4].

Si cette évolution permet de jouer sur l’objectif de réduction des émissions de CO2 des transports et peut créer un réel effet de levier pour l’électrification du parc automobile national, elle ne constitue en rien une incitation au report modal vers les transports en communs, le covoiturage ou la mobilité douce.

Une prime mobilité durable pour les salariés

La politique fiscale est un levier largement plébiscité pour inciter les agents économiques à des comportements « souhaités ». Elle est ainsi largement mobilisée pour favoriser l’investissement, la prévoyance, l’épargne, la consommation locale, la protection de l’environnement, la santé, la nuptialité, la natalité, … Le législateur a par ailleurs défiscalisé certains avantages en nature octroyés aux salariés comme les chèques repas, la bonification d’intérêts hypothécaires, les régimes complémentaires de pension ou la prime participative.

Le plébiscite de l’octroi de voitures de fonction comme avantage en nature au Luxembourg crée cependant une forme de discrimination à l’égard des salariés pratiquant la mobilité « durable » au quotidien pour lesquels aucun avantage en nature défiscalisé n’est prévu.

Dès lors, pour corriger cette « anomalie », la fiscalité des personnes physiques pourrait faire l’objet d’une révision incitant à la mobilité durable en donnant la possibilité aux entreprises de verser à leurs salariés des primes de mobilité défiscalisées et exonérées de cotisations pour favoriser tous les autres modes de déplacement que « l’autosolisme ». Cette prime pourrait dépasser les montants réellement engagés par le salarié pour sa mobilité (pour tenir compte du fait que la mobilité durable est souvent moins coûteuse pour le salarié que l’autosolisme, mais qu’elle génère beaucoup moins d’externalités négatives). Elle pourrait englober des primes « covoitureurs, vélotafeurs et/ou utilisateurs de transports en communs » pour les salariés justifiant d’un minimum de trajets domicile-travail (à définir) ainsi que les avantages en nature que les entreprises mettraient à disposition des salariés tels que la « garantie de retour » en cas d’imprévu (mise à disposition d’une flotte de carsharing, taxi, etc.), la mise à disposition d’un parking pour covoitureurs, la location de vélos, trottinettes, etc.

Cela permettrait de mieux orienter les dépenses fiscales en faveur de la mobilité durable, mais aussi d’impliquer les entreprises dans leur responsabilité sociale et environnementale tout en leur offrant un nouvel outil pour attirer et fidéliser les talents.


[1] Voir : Fondation IDEA asbl, « Une Vision Territoriale pour le Luxembourg à long terme, Fir eng kohärent Entwécklung vum Land », février 2023.

[2] Voir : PNM2035.

[3] Données SNCA.

[4] Au-delà d’une consommation de 18kWh/100km, l’avantage diminuera.

Tableau de bord économique et social – Novembre 2023

Le Tableau de bord économique et social d’IDEA offre un nouvel indicateur permettant de mieux appréhender les efforts du Luxembourg en matière de protection de l’environnement : les émissions de CO2 par combustion d’énergie.

Ralentissement de l’inflation… et de l’économie !

  • La baisse de l’activité touche tous les grands secteurs. En particulier, le secteur de la construction, affecté par le durcissement des conditions de crédit et la baisse des carnets de commandes, est en régression depuis plusieurs mois.
  • Le montant des crédits immobiliers consentis aux ménages résidents pour des immeubles situés au Luxembourg a diminué de 15,7% au deuxième trimestre 2023 par rapport au trimestre précèdent, 48,8 % sur un an et 60 % par rapport à son niveau record du 1er trimestre 2021.
  • Sur un an, la croissance de l’emploi salarié intérieur est de 1,5 % contre 3,3 % en 2019. Le rythme de croissance des emplois salariés ralentit sensiblement et les perspectives d’évolution de l’emploi à court terme ne sont pas très encourageantes.
  • Au deuxième trimestre de 2023, le PIB se contracte (-0,1 % par rapport au trimestre précédent). En variation annuelle, cela fait trois trimestres consécutifs que le PIB recule. Pour atteindre une croissance de 1,5 % en 2023, le PIB au 2ème semestre 2023 devrait croître de 5,3 % par rapport au 1er semestre 2023. Selon les prévisions du FMI, le risque de récession est plus probable pour le Luxembourg cette année.
  • En septembre 2023, le nombre de demandeurs d’emploi résidents âgés de moins de 25 ans augmente de 28,1 %.

Zoom sur l’évolution de la valeur ajoutée dans les principales branches

Au 1er semestre 2023, la valeur ajoutée brute totale générée par l’activité économique au Luxembourg a diminué de 1,8 % par rapport au 2ème semestre 2022. La plupart des secteurs ont également observé une baisse de valeur ajoutée. C’est le cas notamment du secteur des transports, commerce, Horeca (-4,9%) et du secteur des TIC (-6,8 %). Le secteur des spectacles et loisirs enregistre la plus forte baisse (-9,5 %) sur la même période, mais son poids dans l’économie est relativement faible. L’activité dans les services publics a permis de dégager une valeur ajoutée positive (+3,2%) au 1er semestre par rapport au semestre précédent. C’est le cas aussi dans le secteur de l’industrie, mais dans une moindre mesure.

 Source : STATEC, comptes nationaux trimestriels, calculs IDEA

Pour télécharger le Tableau de bord

Document de travail N°23 : De la réforme fiscale !

© photo : Julien Mpia Massa

Une réforme fiscale, pourquoi faire ? 

Le système fiscal luxembourgeois, indiscutablement redistributif, incitatif, pro-croissance et complexe, n’a pas connu de modifications (se voulant) de grande ampleur depuis la loi du 23 décembre 2016 portant mise en œuvre de la réforme fiscale ; par conséquent, il s’avère quelque peu dépassé par l’apparition de nouveaux défis (e.g. forte inflation, hausse des déficits publics, dégradation des comptes sociaux, hausse des taux d’intérêt, dérèglements climatiques, triple crise du logement, de la construction et de l’immobilier, etc.) et dans une position concurrentielle relativement moins favorable compte tenu de modifications fiscales intervenues dans d’autres pays.

L’analyse de la situation actuelle de l’économie grand-ducale conduit néanmoins à considérer que la future réforme fiscale ne devrait pas viser prioritairement à diminuer significativement et de façon indiscriminée la pression fiscale. Une approche pragmatique serait d’envisager/d’assumer de modestes adaptations centrées sur la recherche d’efficience, n’affectant pas le niveau global des prélèvements obligatoires et s’efforçant de contribuer – dans la mesure du possible – au nécessaire renouvellement du pacte productif.

Le Document de travail propose un survol d’améliorations possibles du système fiscal luxembourgeois à l’aune de certains défis prioritaires.

Consulter en ligne le Document de travail

Pour télécharger le Document de travail :

Document de travail N°23 : De la réforme fiscale !

L’ère de l’IA : Opportunités et défis

Pour Commander un exemplaire imprimé du recueil :

 

© photo : Julien Mpia Massa

La Fondation IDEA asbl a le plaisir de vous présenter son recueil « L’ère de l’IA : opportunités et défis » faisant écho à un atelier sur le thème « Place financière au Luxembourg et l’intelligence artificielle : fantasme ou réalité ? ».

Dans cet ouvrage, Emilie Allaert, Prof. Dr. Pascal Bouvry, Prof. Dr. Michèle Finck, Dr. Emmanuel Kieffer, Thierry Kremser, Hoai Thu Nguyen Doan, Laurent Probst et Jean-Jacques Rommes, des auteurs aux profils très divers apportent des élements de réflexion sur les opportunités, défis et menaces autour de l’utilisation de l’IA dans nos sociétés.

Édition

Vincent Hein ¦ Ioana Pop

Consulter en ligne le recueil

Pour télécharger le recueil :

Les adolescents, trop peu considérés dans la lutte contre la pauvreté ?

© photo : Julien Mpia Massa

Ce mardi 17 octobre a été à nouveau consacré à la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté. Comme de tradition, le STATEC a publié en cette occasion l’édition 2023 de son « Rapport travail et cohésion sociale »[1]. Celui-ci était fortement attendu en raison des conséquences potentielles de la crise qui sévit sur les exclusions sociales, et de la place importante accordée à la lutte contre la pauvreté parmi les réflexions en cours sur les lignes d’actions du prochain gouvernement, et donc du futur accord de coalition. S’agissant du premier point, les statistiques, portant sur les années 2021 et 2022, sont pour le moment plutôt rassurantes, avec une diminution du taux de risque de pauvreté[2], une baisse du pourcentage de ménages ayant des difficultés à joindre les deux bouts, du fait notamment de l’épargne accumulée durant le Covid, et une précarité énergétique seulement estimée à 1,9% en 2023 grâce aux mesures tripartites de contrôle des prix de l’énergie. Concernant les politiques de lutte contre la pauvreté qui seront mises en œuvre par le prochain gouvernement, les chiffres du STATEC de ces dernières années montrent toute l’importance que devront prendre les mesures ciblées sur les adolescents vivant dans des ménages modestes.

Les familles monoparentales et nombreuses, premières concernées par le risque de pauvreté

Les familles monoparentales et celles constituées d’un couple ayant trois enfants et plus ont un risque de pauvreté, égal respectivement à 31,9% et 35,5%, bien supérieur à la moyenne nationale de 17,4% pour 2022. En effet, ces ménages ont un revenu global qui n’est pas suffisamment supérieur à celui des autres ménages, malgré des aides financières telles que les allocations familiales, pour compenser le coût estimé des dépenses supplémentaires engendrées par la présence d’un ou plusieurs enfants. Ces catégories de ménages considèrent aussi plus fréquemment « avoir des difficultés à joindre les deux bouts », notamment de grandes difficultés pour les familles nombreuses. Ce sont peut-être les chiffres portant sur les travailleurs pauvres qui illustrent les plus grandes difficultés de ces catégories de ménage. Alors que le taux de risque de pauvreté des travailleurs est de 12,9%, il atteint 19,6% pour les ménages constitués d’un couple et deux enfants, 29,5% pour les ménages de deux adultes et de trois enfants et plus, et 26,8 % pour les ménages monoparentaux. Cette situation est largement abordée dans le débat public et de nouvelles mesures de soutien aux familles modestes ont été instaurées ces dernières années. Toutefois, l’hétérogénéité des problématiques, notamment financières, rencontrées par les familles en fonction de l’âge de leur enfant est, dans l’ensemble, sous-considérée.

Le coût d’un enfant augmente avec l’âge

Traiter indifféremment des enfants de 0 à 17 ans dans les statistiques sur la pauvreté masque l’évolution de leur manière de vivre et des coûts inhérents. Un travail passionnant du STATEC publié dans le rapport « Travail et cohésion sociale » de l’an passé[3], estimait le budget direct mensuel des enfants nécessaire pour vivre une vie décente[4] à 411 euros pour un enfant de 11 mois, 407 euros pour un garçon de 8 ans, 487 euros pour une fille de 12 ans, 539 euros pour un garçon de 15 ans et 744 euros pour une fille de 17 ans. De fait, les dépenses nécessaires augmentent conséquemment avec l’âge des enfants, à l’exception de la toute-petite-enfance qui requiert l’achat régulier de produits spécifiques tels que les couches ou aliments pour bébé. Les différences notables de coût mensuel des enfants portent sur la vie sociale, plus active durant l’adolescence, le multimédia avec l’achat du smartphone et l’abonnement à un forfait mobile, une progression des frais d’alimentation et le financement du permis de conduire à 17 ans[5].

Si le montant des allocations familiales progresse avec l’âge, de 22,67 euros pour les enfants de plus de 6 ans et de 56,57 euros pour ceux de plus de 12 ans, ces majorations ne couvrent que partiellement l’augmentation du coût du passage de l’enfance à l’adolescence. Ainsi, en 2022, le STATEC estimait que les allocations directes aux familles[6] correspondaient à 100 % des besoins d’un enfant de 6 mois et seulement 46% de ceux d’une fille de 17 ans. Le coût plus élevé des adolescents pourrait être compensé par la progression des revenus des parents au cours du temps, favorisée au Luxembourg par le mécanisme d’indexation. Les statistiques d’Eurostat montrent que cet ajustement n’est, au mieux, que partiel. En effet, le taux de risque de pauvreté, qui intègre dans la pondération du niveau de vie des ménages le plus grand coût des enfants après 14 ans[7], est notablement plus élevé pour les enfants de 15 à 19 ans (29,9%) que ceux de 6 à 11 ans (23,6%) et de moins de 6 ans (21,0%). Si l’on peut retrouver des différences similaires dans certains autres pays de l’Union européenne, ce n’est par exemple pas le cas en France, au Danemark ou en Finlande. Il serait intéressant d’étudier ce qui limite, dans ces pays, l’impact de la présence d’adolescents dans le ménage sur le risque de pauvreté. Par ailleurs, la privation matérielle spécifique aux enfants[8] suit la même tendance que le risque de pauvreté. En 2021, cette privation concerne au Luxembourg 6,7% des enfants de 1 à 6 ans, 8,2% de ceux de 6 à 11 ans et 9,5% des adolescents de 12 à 15 ans.

Permis de conduire, outils numériques et culture ou comment aider concrètement les adolescents modestes

Le Luxembourg a su mettre en place de nombreux dispositifs pour aider les parents à répondre aux besoins de leurs enfants : chèque service-accueil, gratuité des maisons relais et de la cantine scolaire, allocations de naissance ou de rentrée scolaire… La focalisation de certaines de ces mesures sur la petite enfance a pour avantage de favoriser l’inclusion des parents sur le marché du travail. Il demeure que le passage à l’adolescence occasionne l’ajout de nouveaux coûts pour les familles, qui peuvent peser dans le budget des ménages les plus modestes. Limiter ces coûts pour ces familles est un point crucial pour améliorer leur niveau de vie. Des progrès ont été accomplis en ce sens récemment, avec la gratuité des manuels obligatoires aux élèves de l’enseignement secondaire et aux jeunes en formation professionnelle depuis la rentrée scolaire 2018 ou le remboursement des moyens de contraception à 100% et sans limite d’âge depuis le 1er avril 2023[9]. D’autres postes de dépenses des familles modestes pourraient être ciblés par le prochain gouvernement.

Malgré la gratuité des transports publics, le permis de conduire est quasi-indispensable à l’inclusion des jeunes adultes sur le marché du travail et dans la vie sociale au Luxembourg. Il peut concerner les jeunes dès 17 ans, avec la conduite accompagnée, et avait un coût minimum de 1.200 euros estimé par le STATEC en 2022. Des aides au financement du permis de conduite, sous forme de prêt à taux zéro ou de prime, ont notamment été introduites en France, et pourrait, au Luxembourg, viser les adolescents et jeunes adultes vivant dans des familles au revenu modeste.

Par ailleurs, les outils numériques et les compétences digitales sont au cœur de la plupart des métiers d’aujourd’hui et encore plus de demain. Leur accès est ainsi essentiel à la réussite éducative et professionnelle de tous. Une grande partie du besoin en la matière est couvert par le programme « one2one » qui fournit à tous les lycéens un Ipad accompagné des logiciels indispensables à leur formation. Dans un souci d’égalité des chances, un programme pourrait être mis en place pour le soutien financier à l’acquisition d’appareils numériques ou software par des adolescents qui souhaitent, sur leur temps libre, développer des compétences en codage, montage vidéo ou la composition musicale par exemple. La réussite professionnelle sur ces métiers part souvent d’une passion développée à l’adolescence.

Enfin, les sorties, au cinéma ou pour assister à un concert, font partie des activités qui se développent avec le passage à l’adolescence. Le Kulturpass permet, de manière indifférenciée selon l’âge, à des personnes aux revenus modestes de participer à des événements culturels au prix très réduit de 1,5 euros. Il constitue un progrès certain pour l’accès à la culture pour ces personnes. Toutefois, il ne concerne pas toujours les concerts ou séances de cinéma les plus prisés par les adolescents. Il pourrait ainsi se voir adjoindre un « Pass » destiné aux jeunes qui rembourserait des sorties culturelles annuelles non couvertes actuellement par le Kulturpass pour un montant de 100 euros. Il s’agit d’un aspect important de l’inclusion sociale des adolescents de pouvoir aller au cinéma en compagnie de leurs amis.


[1] STATEC, Rapport travail et cohésion sociale 2023 – Digitalisation, inégalités et risque de pauvreté.

[2] Le taux de risque de pauvreté correspond au pourcentage de personnes disposant d’un revenu dit équivalent (considérant la composition du ménage) inférieur à 60% du revenu équivalent médian.

[3] STATEC, Rapport travail et cohésion sociale 2022 – D’une crise à l’autre la cohésion sociale sous pression.

[4] Ces chiffres n’incluent pas les coûts indirects auxquels les familles avec enfants sont confrontées, tels que le besoin d’un logement plus spacieux, une consommation électrique plus importante ou la nécessité d’une voiture plus grande. Voir le Cahier économique N° 122- Un budget de référence pour le Luxembourg du STATEC pour plus de détails.

[5] L’autre différence majeure entre le garçon de 15 ans et la fille de 17 ans est le coût de la cantine, sachant que le garçon de 15 ans bénéficiait de la cantine gratuite en 2022 et non la fille de 17 ans car l’obligation scolaire est de 16 ans. Le passage de l’obligation scolaire de 16 à 18 ans devrait avoir lieu en 2026.

[6] Allocations familiales, de rentrée scolaire et de naissance.

[7] La mesure du risque de pauvreté dépend du revenu disponible équivalent, qui est calculé comme le revenu disponible total du ménage divisé par sa taille équivalente. Eurostat attribue une pondération supérieure aux membres du ménage de 14 ans et plus, dans les faits un coefficient 1 au premier adulte, de 0,5 à chaque membre âgé de 14 ans et plus et de 0,3 aux enfants de moins de 14 ans. Ainsi, le revenu total d’une famille de deux adultes et deux enfants de moins de 14 ans sera divisé par 1,6 pour obtenir le revenu disponible équivalent, celui d’un ménage de deux adultes et deux adolescents de plus de 14 ans par deux.

[8] Un enfant est dit en privation matérielle lorsqu’il vit dans un ménage subissant aux moins trois privations parmi une liste de quinze. Pouvoir partir au moins une semaine par an en vacances, acheter des vêtements neufs, disposer d’un endroit adapté pour faire ses devoirs, avoir accès à des jeux d’extérieur, sont quelques-unes des privations prises en compte. L’indicateur porte sur les enfants de moins de 16 ans.

[9] Contre 80% de remboursement auparavant pour les moins de 30 ans.

Pour (r)ouvrir le débat

© photo : Julien Mpia Massa

A la question « Quel est selon vous le nombre maximal de logements pouvant être construits par an au Luxembourg ? » :

Max Leners (pour le LSAP) a répondu « Aux alentours de 3.500 » ;

Marc Lies (pour le CSV) a répondu « On a la possibilité de construire 5.000 logements » ;

Semiray Ahmedova (pour déi Gréng) a répondu « Nous avons une capacité maximale qui est probablement atteinte mais qui peut, peut-être, être encore améliorée un tout petit peu » ;

Lou Linster (pour le DP) a répondu « Il faudrait arriver à moyen terme à 5 voire 6.000 ».

Il ressort de ces différentes réponses émanant de spécialistes logement des principaux partis représentés à la Chambre des Députés qu’il est considéré que, dans le meilleur des cas, jusqu’à 5.000 logements/an pourraient être achevés au Luxembourg. Or, les principales projections démographiques indiquent que la population devrait (continuer à) croître de l’ordre de 7.000 ménages/an dans un horizon prévisible.

La politique du logement ne devant pas être guidée par les cycles du marché immobilier mais par les défis qui se poseront à moyen terme, que (faudra-t-il) faire pour – significativement – augmenter la capacité maximale de production de logements ou réduire les perspectives d’immigration dans le pays s’avère par conséquent être une question qui devra(it) être tranchée dans le programme de coalition ; car à l’exception notable de ceux qui parviennent à demeurer indifférents face à d’évidents problèmes de dissonance cognitive, nul ne peut considérer comme non-problématique un écart persistant entre le nombre de logements (pouvant être) construits et le nombre de ménages (devant être) logés.

La démocratie de propriétaires est en grand danger

© photo : Julien Mpia Massa

Le Grand-Duché de Luxembourg est ce qu’il convient d’appeler une « démocratie de propriétaires ». Faire l’acquisition de sa résidence principale y est devenu un marqueur social déterminant du sentiment de pleine et entière appartenance à la « classe moyenne ». Dès lors, tout résident du pays qui estime faire partie de la classe moyenne a une pierre dans le ventre et s’il n’est pas encore propriétaire aspire – tout rationnellement – à le devenir au même titre que ses parents, ses amis, ses collègues de bureau, etc.

Mais alors que près de 70% des ménages sont propriétaires (47% des familles monoparentales, 56% des ménages unipersonnels, 80% des Luxembourgeois, 50% des résidents étrangers), la proportion parmi les nouveaux ménages de la classe moyenne (immigrés, expatriés, jeunes désireux de quitter le domicile familial, Luxembourgeois retournant dans leur pays après avoir fait des études à l’étranger, divorcés) en capacité de rejoindre les rangs de la démocratie de propriétaires s’avère relativement restreinte dans les conditions (prix immobiliers, taux d’intérêt, revenus des ménages, aides fiscales) actuelles.

Ainsi, un couple avec le projet de fonder une famille avec enfant souhaitant faire l’acquisition d’un logement disposant de deux chambres devra(it) débourser en moyenne 700.000 euros. Avec 10% d’apport, un crédit contracté sur 25 ans à 5% et en fixant le taux d’effort du couple à 40%, il lui faudra disposer d’au moins 110.000 euros de revenus nets par an ; or moins de 25% des ménages imposés collectivement sont dans cette situation.

Contraint de devenir un territoire sensiblement plus locatif que par le passé récent -alors que le logement demeure l’investissement rêvé de la classe moyenne et que la démocratisation du propriétariat va de pair avec certains avantages socio-économiques non-négligeables-, le Grand-Duché, où il est projeté une croissance démographique soutenue, risque de devoir affronter de nombreux nouveaux défis liés à l’offre de logements en direction de sa classe moyenne ; puisqu’à chaque locataire devra correspondre un bailleur, disposer d’investisseurs locatifs en nombre suffisant sera(it) l’un d’entre eux. Trois éléments ont de quoi inquiéter à cet égard :

1. Le rendement locatif apparent (loyers demandés / prix immobiliers affichés) ne s’élevait qu’à 3,5% au 2ème trimestre 2023 ;

2. Au premier semestre 2023, les ventes en état futur d’achèvement à des investisseurs locatifs ont reculé de 70% par rapport au 1er semestre 2022 ;

3. D’après un relevé de l’Observatoire de l’habitat, le nombre de logements existants proposés à la location s’inscrit en retrait et était 30% inférieur au deuxième trimestre 2023 par rapport à son niveau du premier trimestre 2021.

Bref, en plus de parvenir à donner un nouvel élan à l’activité de construction résidentielle, les Ministres (des finances, de l’intérieur, du logement, de l’attractivité) qui façonnent la politique du logement auront la lourde tâche de préserver la démocratie de propriétaires ou d’acter sa fin ! Bonne volonté, bon courage et bonne chance à eux car assurément il leur en faudra – beaucoup – des trois.

Les grands défis du prochain gouvernement

© photo : Julien Mpia Massa

Pendant la dernière mandature législative, marquée par les incertitudes radicales et qui a vu émerger le terme de « polycrises », la situation économique et sociale du pays a relativement bien résisté. Mais le Luxembourg fait face à de grands défis pour lesquels il serait bienvenu que le nouveau gouvernement aborde, dans son programme de travail, au moins cinq chantiers majeurs afin de sauvegarder la prospérité du pays : la préservation du tissu productif, l’aménagement du territoire, une redéfinition des politiques de coopération transfrontalière, la préparation au vieillissement de la population et le maintien de finances publiques saines.

Attractivité, productivité, compétitivité : préserver le tissu productif

Malgré le Brexit, la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, l’économie luxembourgeoise continue de bénéficier d’une prospérité remarquable et affiche de hauts niveaux d’attractivité, de compétitivité et de productivité. Pourtant, ces performances pourraient être remises en cause par de nombreux paramètres défavorables (règlementation et concurrence affectant la place financière, faible diversification économique, externalités négatives de la croissance, inflation normative, difficulté d’accès au logement, faibles gains de productivité, etc.) qui appellent à une certaine vigilance.

Au chapitre de l’attractivité du Luxembourg, il sera tout d’abord nécessaire de garantir de meilleures capacités à se loger. Pour cela, une redéfinition des priorités de la politique du logement devrait davantage mettre en avant le double impératif d’augmenter fortement le stock de logements et de compléter la stratégie nationale du logement abordable, quitte à « rétrograder » l’objectif historique de favoriser la propriété occupante. Face aux nombreuses réformes internationales la préservation de l’attrait fiscal gagnerait également être mieux « pensée », que ce soit à travers un renforcement de l’expertise sur les enjeux économiques portés par ces évolutions ou une adaptation de la taxation des entreprises. Enfin, en matière d’attractivité, la question de l’accueil de la main-d’œuvre qualifiée étrangère devrait faire l’objet d’une stratégie nationale d’attraction et de rétention.

La stagnation de la productivité apparente du travail est un sujet de préoccupation pour la prospérité du pays à long terme. Différents leviers pourraient être actionnés pour contribuer à son redressement comme la création de conditions propices au développement des activités de R&D, le soutien aux entreprises de croissance ainsi que des mesures garantissant la préservation du secteur financier luxembourgeois.

La compétitivité, enfin, est une condition-clé du maintien de la prospérité d’une petite économie ouverte à la concurrence internationale. Son amélioration pourrait passer par une modernisation du secteur public (efficacité des dépenses publiques, évaluation, ouverture des emplois publics, digitalisation…), une amélioration des performances du système éducatif dans un contexte sociolinguistique complexe (ainsi que du système de formation continue face aux mutations du monde du travail) et, enfin, par une modernisation du régime de modération salariale en temps de crise visant à préserver à la fois la compétitivité-coût, le pouvoir d’achat et les finances publiques.

Améliorer l’aménagement du territoire

Le développement éco-démographique ininterrompu de ces dernières décennies a mis en lumière des goulets d’étranglements (problèmes de disponibilité foncière, saturation des infrastructures, difficultés de recrutement…) mais aussi des externalités (artificialisation, pollution, modifications du cadre de vie, ségrégation socio-spatiale…) qui pourraient mettre à mal la capacité du pays à poursuivre une telle trajectoire sans de profonds changements en matière d’aménagement du territoire. Selon un scénario de développement économique et démographique « au fil de l’eau » le Luxembourg pourrait accueillir en 2050 une population de l’ordre de 1,1 million d’habitants et compter quelque 950.000 emplois (dont plus de 500.000 frontaliers).

Une telle dynamique ne pourra pas se réaliser sans la mise en œuvre de certains principes de l’aménagement du territoire comme la densification des trois principales agglomérations du pays (Luxembourg, Sud et Nord) et de certaines communes prioritaires, le développement de nouvelles centralités urbaines dans ces espaces, le ralentissement du développement démographique des espaces ruraux, le renforcement de la mixité fonctionnelle sur l’ensemble du territoire et le déploiement de nouvelles infrastructures de mobilité. Mais pour concrétiser ces concepts d’aménagement, il sera indispensable de penser des outils au service d’une politique d’aménagement du territoire plus efficace. Il faudra ainsi mener des réformes pour mieux aligner les pratiques communales et les stratégies nationales en matière d’aménagement du territoire, renforcer la capacité des pouvoirs publics à débloquer le potentiel foncier constructible, encourager la mixité urbaine et inciter à la mobilité durable.

Consolider la métropole transfrontalière

Avec la croissance très soutenue de l’emploi, le Luxembourg est progressivement devenu dépendant d’un territoire qui dépasse ses frontières. Le développement d’une métropole transfrontalière a créé des dépendances réciproques, et amène avec lui des aubaines et des risques qui évoluent au fil des années et que la politique de coopération transfrontalière peine à suivre, conduisant à une situation où il n’existe pas de véritable projet ni de gouvernance propre pour cette métropole.

La coopération transfrontalière pourrait prendre une importance toujours plus stratégique pour la prospérité du Grand-Duché et son approche pourrait être amenée à évoluer dans plusieurs domaines et à dépasser la « traditionnelle » problématique de la mobilité des frontaliers. Le pays devra s’appuyer à l’avenir sur de nouvelles formes de coopération pour accompagner les nouvelles contraintes que pose sa croissance en matière d’aménagement du territoire (création d’un projet de territoire partagé), de développement économique, d’attractivité, de formation, et pourrait être amené à mettre en œuvre de nouveaux outils de gouvernance et de financement pour rendre le modèle de développement transfrontalier, vital pour la prospérité à long terme du Luxembourg, plus soutenable.

Se préparer au vieillissement de la population

Selon des simulations démographiques « au fil de l’eau », le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus passerait de 98 000 en 2023 à 222 000 en 2050. La population des plus de 80 ans serait quant à elle pratiquement multipliée par 3. Les incidences du vieillissement sur la sécurité sociale pourraient être significatives, en particulier sur les dépenses de pensions, de santé et de dépendance. Des contraintes nouvelles devraient également se poser en matière de structures d’accueil, de besoin en personnel aidant et soignant (dans un contexte où le Luxembourg ne sera pas le seul concerné), de déploiement des nouvelles technologies, de cohésion sociale, de formation professionnelle, de logement…

Si les systèmes de pension se caractérisent actuellement par d’importants surplus, les prestations pourraient commencer à excéder les cotisations avant 2030, impliquant un « fonte » progressive des actuelles réserves et appelant à une réforme conciliant rigueur et équité. Bien anticiper le vieillissement nécessiterait également de renforcer les études de médecine dans le pays et d’une manière générale, d’élaborer un plan intégré « vieillissement » transversal et proactif, qui permettrait au Luxembourg de gérer dans les meilleures conditions, sur le plan économique mais également (et surtout) du point de vue social, ce défi majeur qui constitue un véritable « impératif catégorique » à l’égard de nos aînés.

Maintenir des finances publiques saines

En dépit d’une situation actuelle a priori enviable par les autres pays de la zone euro, les finances publiques luxembourgeoises font face à des éléments défavorables comme le fort besoin en croissance (non garantie et volatile), le vieillissement, la fragilité de diverses recettes (le « tanktourismus » par exemple), les besoins en investissements en faveur des transitions écologique, énergétique et numérique, une progression de la dette suite aux crises récentes, qui appellent à une certaine vigilance en la matière.

Il serait ainsi opportun d’instaurer au Luxembourg une « règle des 30% d’endettement » revisitée dans l’esprit du projet de révision du cadre européen de surveillance multilatérale et dont l’application serait évaluée par le Conseil national des finances publiques (CNFP). Il pourrait également être envisagé de gérer de manière plus dynamique et intégrée les actifs financiers de l’Etat, d’instituer une Commission nationale des infrastructures identifiant les besoins en investissements publics sur une vingtaine d’années, de mettre en place un taux de déduction « social » des avantages fiscaux et de prendre le temps de bien évaluer l’opportunité d’adapter (ou non) les barèmes fiscaux à l’inflation.

Des visions territoriales à concrétiser !

© photo : Julien Mpia Massa

Parmi les nombreux sujets qui devraient idéalement alimenter les débats dans cette période électorale figure la nécessité de redéfinir en profondeur les stratégies de développement spatial du pays et de sa région proche. Pendant cette mandature, IDEA a activement participé à faire émerger ou à consolider des concepts et idées nouvelles dans le domaine de l’aménagement du territoire (« Métropole transfrontalière du Luxembourg », « codéveloppement », « Vision territoriale », « coopétition », « scénario fil de l’eau » …), dont on peut raisonnablement penser qu’il s’agira d’un champ politique toujours plus crucial pour assurer un avenir durable au pays. A(ux) côté(s) d’autres initiatives prospectives (Luxembourg in Transition, Vision Eco2050) et démarches de planification (PDAT, PNEC, SDTGR), un laboratoire d’idées a priori très polarisé sur les questions économiques a donc jugé utile d’investir du temps pour intégrer dans ses réflexions une dimension pluridisciplinaire (géographique) et transfrontalière. Cet investissement est fondé sur la conviction que les politiques d’aménagement du territoire et de coopération transfrontalière sont au Luxembourg des politiques économiques « comme les autres ».

Dans la « Vision territoriale pour le Luxembourg à long terme », des réflexions ont été développées pour rendre possible la poursuite du développement économique et démographique soutenu tout en évitant le « black-out » territorial : changement de ligue des trois principales agglomérations du pays, ralentissement du développement démographique des espaces ruraux, renforcement de la mixité fonctionnelle sur l’ensemble du territoire, déploiement de nouvelles infrastructures de mobilité, mise en œuvre d’un projet de territoire commun avec les régions limitrophes… Pour concrétiser ces concepts, il pourrait être nécessaire dans la prochaine mandature de mener des réformes courageuses, faute de quoi cette vision et les stratégies nationales d’aménagement du territoire (par ailleurs bien pensées depuis longtemps), finiront par s’empiler sans se réaliser… Que le scénario du million d’habitants soit désiré ou non, de nombreux arguments plaident pour s’y préparer sérieusement.

Un important avis du CES, adopté à l’unanimité en 2022 et auquel IDEA a activement participé, formulait également 23 recommandations concrètes pour rendre plus cohérent le développement de la métropole transfrontalière du Luxembourg et appelait à faire de cet objectif le nouveau leitmotiv des politiques de coopération transfrontalières du Grand-Duché. Cette autre vision, sans doute encore moins porteuse électoralement que le « scénario du million », sera pourtant elle aussi une clé pour ne pas démultiplier les effets négatifs de la croissance économique et démographique perçus par les habitants du pays. Gageons que le prochain gouvernement y pêchera quelques idées !

Recueil d’IDEA : Face aux Grands Défis

Pour Commander un exemplaire imprimé du recueil :

 

© photo : Julien Mpia Massa

Ce recueil fait écho à la publication « Grand Défis » de la Fondation IDEA asbl, qui formule une cinquantaine de recommandations en vue des élections législatives d’octobre 2023 .

Dans cet ouvrage, 22 auteurs aux profils très divers ont été invités à répondre à des questions majeures qui devraient – idéalement – alimenter le débat dans la perspective des élections législatives du 8 octobre 2023 et, au-delà, nous éclairer sur les grands défis du pays.

Dr Serge Allegrezza, Sahar Azari, Aurélien Biscaut, Flora Castellani, Christel Chatelain, Norry Dondelinger, Christian Ensch, Caroline Faber, Robert Goebbels, Jean Hamilius, Georges Heinrich, Sylvain Hoffmann, Pierre Hurt, Jean-Marc Lambotte, Stephanie Law, Frédéric Meys, Jean-Jacques Rommes, Julien Schmitz, Christophe Serredszum, Robert Urbé, Michaël Vollot et Michel Wurth.

Le lecteur y trouvera des réflexions sur le maintien du tissu productif du pays, avec une attention particulière portée sur la capacité à répondre aux défis du logement et de la crise immobilière, sur le besoin de repenser la manière d’aménager le territoire, y compris dans une perspective qui dépasse les frontières nationales ainsi que sur le système de pensions, le vieillissement démographique, la gestion des finances publiques ou encore le coût de la transition bas carbone.

Édition

Muriel Bouchet ¦ Vincent Hein ¦ Michel-Edouard Ruben

Consulter en ligne le recueil

Pour télécharger le recueil :

Cover Face aux Grands Défis - IDEA - Credit: Julien Mpia Massa

« Août of the box 2023 » : Revigorer la terre de cultures commune

Ce blog est issu de la série « Août of the box 2023  », réalisé en partenariat avec Paperjam  

© photo : Julien Mpia Massa

Chaque semaine de ce mois d’août, les économistes de la Fondation Idea se penchent sur les grands défis auxquels le prochain gouvernement devra faire face. Le sujet abordé aujourd’hui : faire vivre-ensemble la société interculturelle luxembourgeoise.

En 2021, au moment d’établir son image de marque, le Luxembourg a décidé de valoriser sa diversité, ainsi que sa créativité et sa durabilité, en invoquant la notion de « terre de cultures commune ». Comme le dit la stratégie dédiée à cette image de marque, « People from all over the world find common ground in Luxembourg » et l’opportunité de cultiver sa réussite. Cette mise en avant à l’extérieur de l’atout que constituerait la multiculturalité est aussi un défi interne dans un pays où 47% de la population résidente est de nationalité étrangère, où une partie de la population de nationalité luxembourgeoise est née ou a des parents nés sur des horizons plus lointains, qui a accueilli 130.500 personnes au cours des 5 dernières années, aux profils de plus en plus diversifiés, a vu 77.600 résidents quitter son territoire sur la même période et où 200.000 frontaliers viennent travailler quotidiennement.

Le Luxembourg est bien ce territoire attractif qui a su regrouper diversité et richesse des cultures parmi les personnes qui y résident ou y travaillent, un territoire qui doit sa prospérité à cette attractivité. Les immigrés, récents ou arrivés depuis bien des années, intégrés dans la société luxembourgeoise ou davantage inscrits dans les cercles d’expatriés, qui ambitionnent de construire leur vie ici ou s’imaginent de passage après avoir saisi une opportunité professionnelle, ont tendance à valoriser la qualité de vie offerte par le Luxembourg. C’est notamment le cas pour le cadre favorable au développement de la famille (allocations, congés parentaux…).

Toutefois, ce cadre de vie apprécié est-il suffisant pour que s’épanouissent sur un territoire commun les différentes populations résidant ou travaillant au Luxembourg ? L’enjeu est aussi que naisse le sentiment de partager ensemble ce territoire commun et l’envie de participer à l’avenir du Luxembourg. En effet, si des temps plus difficiles venaient à arriver, il y a tout à gagner à renforcer ce sentiment d’un territoire commun pour éviter que des tensions apparaissent au sein d’un vivre-ensemble aujourd’hui paisible. Ce sentiment participe aussi positivement à l’attractivité du site économique luxembourgeois pour les talents.

Mettre en œuvre la loi sur le vivre-ensemble interculturel

L’accord de coalition 2018-2023 affichait l’objectif que « le vivre-ensemble entre tous les résidents du Grand-Duché de Luxembourg constitue un atout qui sera promu activement. » Cette ambition a pris forme, en toute fin de mandat de l’actuel gouvernement, par le vote le 20 juillet dernier de la loi sur le vivre-ensemble interculturel, qui n’entrera en vigueur que le 1er janvier 2024. Il sera donc de la responsabilité du prochain gouvernement d’appliquer, et de réussir, cette nouvelle politique du vivre-ensemble.

La loi du 20 juillet 2023 remplace l’approche d’intégration par celle du vivre-ensemble interculturel. La différence entre ces deux notions apparait plutôt claire, le vivre-ensemble impliquant davantage un effort bidirectionnel des résidents en place et des nouveaux arrivants que l’intégration, qui suggère une adaptation unidirectionnelle des nouveaux arrivants pour s’intégrer. Le vivre-ensemble ne peut reposer sur des cultures qui s’ignorent et doit inclure un sentiment d’appartenance commun.

Ce lien entre les cultures prend notamment la forme d’un pacte citoyen du vivre-ensemble interculturel, qui s’adresse à tous : réfugié, nouvel arrivant, résident étranger de longue date, Luxembourgeois ou travailleur frontalier. Le nouveau pacte citoyen est un engagement moral à participer à la démarche du vivre-ensemble interculturel et à promouvoir les valeurs y associées. La signature du pacte permet d’accéder au programme du vivre-ensemble interculturel, avant tout des modules d’information et de formations encore à définir. A ce stade, bien difficile de voir l’intérêt pour un Luxembourgeois de participer à des modules présentant son propre pays.

Ainsi, tout reste à faire. Pacte citoyen et programme du vivre-ensemble culturel sont l’occasion de ne pas seulement proclamer le vivre-ensemble, mais de l’animer tout au long de l’année. Il est prévu que la loi sur le vivre-ensemble interculturel ait un coût supplémentaire de 6,2 millions d’euros par an par rapport aux politiques d’intégration précédentes. Les moyens sont disponibles pour développer une politique du vivre-ensemble à la hauteur. Dans cette optique, il serait tout naturel de prendre exemple sur des événements qui sont aujourd’hui des réussites de la fraternité au sein de la diversité luxembourgeoise, en premier lieu le Festival des migrations, des cultures et de la Citoyenneté. Si la loi conforte la vision d’une intégration et d’un vivre-ensemble avant tout présentés comme un enjeu communal, ce sont ces événements d’ampleur national, symboliques et populaires, qui insufflent le plus efficacement l’esprit du vivre-ensemble.

Un Bureau du Citoyen pour réanimer la participation des étrangers à la vie démocratique

L’autre disposition symbolique de la loi du 20 juillet 2023 est la suppression du Conseil National pour Etrangers (l’auteur est actuellement membre effectif de ce conseil), remplacé par un Conseil supérieur du vivre-ensemble interculturel à la fonction bien plus technique que politique. Disparait ainsi l’organe le plus à même de se revendiquer comme un représentant des résidents étrangers, voire frontaliers, actif au sein de la vie démocratique luxembourgeoise. Le prochain gouvernement devra faire preuve de volonté et de créativité pour faire de cette probable disparition l’opportunité d’un renouveau de la participation démocratique des étrangers.

Ce sujet fait l’objet d’une grande prudence depuis le refus en 2015 par une majorité écrasante de 78% des électeurs luxembourgeois d’accorder le droit de vote aux résidents étrangers (rappelons que ce droit de vote concernait potentiellement les résidents non-luxembourgeois ayant la double condition particulière d’avoir résidé pendant au moins dix ans au Luxembourg et d’avoir préalablement participé aux élections communales ou européennes). Il importe pourtant de souligner l’important progrès constitué en 2022 par l’accès favorisé des étrangers au vote, sans conditions de résidence de 5 ans, et à la candidature aux élections communales. 19,8% des électeurs étrangers potentiels se sont inscrits sur les listes pour les élections communales de juin dernier, en retrait par rapport aux 22,8% des communales de 2017 dans le contexte d’une population concernée élargie. Ce relatif faible taux d’inscription (qui correspond tout de même à 50.000 électeurs étrangers inscrits) a pu faire dire que les résidents étrangers étaient peu intéressés à une participation dans la vie démocratique luxembourgeoise.

Or, la question est moins de juger de l’intérêt actuel des étrangers pour la démocratie nationale et locale que de favoriser leur désir de demeurer dans un pays dont ils participent à la prospérité. A ce titre, le Klima-Biergerrot (Bureau du Citoyen pour le Climat) ne serait-il pas une réussite sous-estimée et une source d’inspiration des plus prometteuses ? Cet organe de participation ad hoc a réussi à émettre en quelques mois, selon un processus démocratique et participatif, 56 propositions pour accélérer et intensifier la lutte contre le réchauffement climatique au Luxembourg. Ses 100 membres, résidents Luxembourgeois et étrangers ainsi que frontaliers, ont été sélectionnés sur la base du volontariat et traduisent le souhait d’assurer une représentativité maximale de la réalité démographique luxembourgeoise.

Si une telle initiative ne remplace pas des lieux pérennes de participation des étrangers à la vie démocratique, renouveler cette expérience permettrait à nouveau à des résidents étrangers de contribuer à un débat essentiel du Luxembourg, sur la transition numérique ou la biodiversité par exemple. Surtout, il serait opportun de confier à un tel bureau du citoyen, composé de résidents nationaux et étrangers, la mission de trouver les idées qui revigoreront la terre de cultures commune. Vie démocratique, accueil des nouveaux arrivants, éducation, apprentissage des langues, événements culturels du vivre-ensemble, valeurs citoyennes partagées, accès et rapport à la nationalité… sont autant de thèmes qui pourraient y être discutés.

« Août of the box 2023 » : Repenser la formation professionnelle continue pour les seniors

Ce blog est issu de la série « Août of the box 2023  », réalisé en partenariat avec Paperjam  

© photo : Julien Mpia Massa

Chaque semaine de ce mois d’août, les économistes de la Fondation IDEA se penchent sur les grands défis auxquels le prochain gouvernement devra faire face. Troisième sujet abordé, l’élaboration d’une stratégie nationale de compétences des seniors, permettant notamment de faire face aux avancées technologiques rapides dans le monde du travail.

Lors du Sommet social de Porto en mai 2021, la Commission européenne a présenté son plan d’action pour une Europe plus sociale, dont l’un des objectifs est d’atteindre, d’ici 2030, 78% de taux d’emploi dans l’UE pour une population âgée de 20 à 64 ans et un deuxième consistant à parvenir à une part d’au moins 60% de la population adulte qui participe chaque année à des formations. Au Luxembourg, ces deux objectifs s’élèvent respectivement à 77,6% et 62,5%. En 2022, selon Eurostat, le taux d’emploi au Grand-Duché atteignait 74,8%, légèrement au-dessus de la moyenne de l’UE. Toutefois, il n’était que de 46,6% pour les 55-64 ans, plaçant le pays au dernier rang pour cette catégorie d’âge.  Le taux d’emploi des 55-64 ans s’élevait à 62,3% en moyenne dans l’UE, 56,9% en France et 73,3% en Allemagne pour cette même année. Afin d’atteindre l’objectif européen du taux d’emploi, parmi d’autres mesures, l’UE a décidé de faire de 2023 l’année européenne des compétences. La formation continue, en particulier pour l’adaptation aux évolutions technologiques, jouera ici un rôle clé. Au Luxembourg, de nombreuses stratégies ont été élaborées pour approfondir les compétences numériques, comme dans le Plan de reprise et de résilience du Luxembourg (2021) où figure, entre autres, l’initiative « Future Skills » lancée par l’ADEM qui cible surtout les demandeurs d’emploi de plus de 45 ans.

En effet, tant au Luxembourg que dans l’UE, le taux de participation à la formation et à l’éducation dans la population totale, décroît très fortement avec l’âge.

Source : Eurostat.

« L’atout senior » en entreprise 

Les seniors possèdent une expérience professionnelle riche et une connaissance approfondie de leur secteur d’activité et il est essentiel de veiller à ce qu’ils restent à jour sur les nouvelles technologies, les tendances et l’évolution des compétences nécessaires. Les avancées technologiques touchent tous les secteurs d’activité et peuvent transformer fondamentalement les méthodes de travail. Les entreprises doivent donc mettre en place des programmes de formation adaptés. Cela peut également contribuer à renforcer la satisfaction au travail, à réduire les risques de désengagement et de départ prématuré à la retraite et à favoriser la transmission des connaissances aux jeunes générations. S’ajoute à cela le fait qu’avec le vieillissement de la population, les seniors représenteront une part toujours plus importante des actifs.

Malgré le fait que les seniors soient un atout indéniable dans l’entreprise, selon une récente étude de l’OCDE [i], il est montré qu’ils ont plus de difficultés à utiliser les outils numériques. Une étude du LISER[ii] suggère également que les seniors sont plus représentés parmi les résidents qui indiquent qu’Internet leur rend la vie plus compliquée et est une source de stress.

L’importance d’une stratégie nationale des compétences pour seniors

Selon l’Observatoire de la Formation[iii], les seniors ont suivi en moyenne 4,4 formations professionnelles continues dans les entreprises en 2019 (contre 3,8 en moyenne en 2015), dont 30% portaient sur le thème Techniques/Métiers (liées à l’activité principale), 25% sur le thème de la Qualité/ISO/Sécurité et 22% en Finance, comptabilité et droit. Seulement 8% des formations suivies par les seniors portaient sur l’informatique et la bureautique.

Afin de permettre aux seniors de poursuivre leur activité économique sans se sentir à l’écart en raison des mutations du travail, quelques pistes d’une stratégie nationale des compétences pour seniors peuvent être esquissées. En s’inspirant du Plan de mise en œuvre de la Garantie pour la Jeunesse, dans un premier temps, il s’agirait de mettre en place une « Garantie pour seniors », où l’idée serait alors de ne laisser aucun senior sans une mise à jour de ses connaissances et compétences numériques. Ensuite, plusieurs programmes pourraient composer cette « Garantie pour seniors », comme un outil de matchmaking sous la forme d’un bilan de compétences « systémique » dès l’âge de 45 ans, afin de mieux cibler les compétences nécessaires, ou encore la création de dispositifs incitant à la collaboration intergénérationnelle. Par ailleurs, pour les seniors en âge de travailler qui ne sont ni en emploi, ni en retraite, ni en formation (NERF[iv]), il conviendrait d’instaurer des programmes d’accompagnement adaptés à leurs besoins spécifiques et de leur offrir un soutien continu pour les aider à réintégrer le marché du travail. Dans ce cas de figure, il peut s’agir de programmes de reconversion professionnelle, qui pourraient intégrer l’intervention d’entreprises innovantes pour rester à jour avec les avancées technologiques.

Cette « Garantie pour seniors » permettra de créer un environnement plus inclusif où les générations plus expérimentées d’actifs pourront davantage contribuer à la réussite économique du pays.


[i] OECD (2023), OECD Skills Strategy Luxembourg : Assessment and Recommendations, OECD Skills Studies, OECD Publishing, Paris, , https://doi.org/10.1787/92d891a4-en

[ii] LISER (2023), Inclusion numérique, Une identification des facteurs à l’origine de la fracture numérique.

[iii] Observatoire de la Formation de l’INFPC (2022), Pratiques de formation.

[iv] Le terme NERF, i.e ni en emploi, ni en retraite, ni en formation, et la « Garantie pour seniors » apparaissent dans la partie « Préserver le tissu productif » issue du Recueil Grands Défis et rédigée par la Fondation Idea asbl.

« Août of the box 2023 » : Préparer le Luxembourg au million d’habitants

Ce blog est issu de la série « Août of the box 2023  », réalisé en partenariat avec Paperjam  

© photo : Julien Mpia Massa

Chaque semaine de ce mois d’août, les économistes de la Fondation IDEA se penchent sur les grands défis auxquels le prochain gouvernement devra faire face. Premier sujet abordé : comment préparer le pays à répondre à ses besoins de croissance démographique.

En trente ans, le PIB luxembourgeois a été multiplié par 2,6, le nombre d’emplois par 2,5, la population par 1,7 et le nombre de frontaliers par 7. Avant de se projeter dans les décennies qui viennent, il peut être instructif de réaliser l’exercice mental de se replacer dans le contexte de la fin des années 1980, marquées par la crise sidérurgique et de se demander quelle aurait été la réaction des autorités face à un expert qui aurait élaboré un tel scénario.

Depuis, toutes les projections démographiques de long terme se sont avérées considérablement sous-estimées au Grand-Duché et l’avenir nous dira ce qu’il en est de celles élaborées plus récemment. Mais malgré les légitimes débats sur les scénarios désirés et les scénarios redoutés, plusieurs arguments plaident pour une approche de planification territoriale qui se base sur des évolutions au fil de l’eau selon lesquelles en 2050, le pays pourrait accueillir environ 1,1 million d’habitants et plus de 900.000 emplois dont plus de la moitié de frontaliers.

Les paris risqués du « soft landing » et du découplage

La crainte d’une incapacité du territoire à absorber une telle croissance pendant encore trente ans est compréhensible. Elle se base sur l’expérience vécue d’effets négatifs (artificialisation, pollution, modifications du cadre de vie, ségrégation socio-spatiale…) et de goulets d’étranglement (problèmes de disponibilité foncière, saturation des infrastructures, difficultés de recrutement…). Pour autant, il ne faut pas négliger le rôle que la sous-estimation chronique des évolutions démographiques (certes difficiles à anticiper), couplée à la difficulté de concrétiser les différentes stratégies d’aménagement du territoire (pourtant bien pensées depuis longtemps), a pu jouer sur la démultiplication de ces problèmes.

Dit autrement, il n’est pas interdit de se demander si vivre plus nombreux et plus riches au Luxembourg n’aurait pas pu se faire avec moins de conséquences négatives si tout cela avait été mieux anticipé et planifié. Car gouverner, c’est prévoir. Et une sous-estimation de la croissance future pourrait bien amplifier ces problèmes si les agents et les ressources économiques continuaient à être attirés par un Grand-Duché qui ne se serait toujours pas préparé à les accueillir…

De surcroît, miser sur un « soft landing » de la croissance reviendrait pour tout décideur politique cohérent à mettre en œuvre une politique de baisse de l’attractivité du pays. Un pari risqué.

Il pourrait être tentant, pour s’éviter de choisir entre développement économique et planification territoriale, de se contenter de miser sur une croissance plus intensive qui renoue avec les gains de productivité. Les simulations disponibles montrent que cela atténuerait la croissance de l’emploi et (donc) démographique, avec un certain découplage. Mais il est un phénomène que les prises de recul historiques confirment dans le cas du Luxembourg : les chocs de productivité positifs (révolution industrielle, décollage de la place financière) coïncident avec (pour ne pas dire provoquent) des phénomènes d’attractivité du capital et du travail par le truchement des rémunérations de ces facteurs plus attrayants ainsi que via des effets de diffusion sur d’autres secteurs de l’économie moins productifs. A long terme, il y a donc à la fois une relation négative et positive entre productivité et démographie.

Les politiques publiques devront bien entendu chercher à orienter l’économie vers des activités moins demandeuses en ressources humaines et environnementales, mais cela ne suffira pas à se dédouaner de politiques d’aménagement du territoire plus ambitieuses.

La croissance ne sera plus « gratuite »

Si la croissance des dernières décennies a pu se « matérialiser » dans les faits malgré des projections sous-estimées, cela s’explique en partie par des caractéristiques (disponibilité de logements, de main-d’œuvre transfrontalière, surdimensionnement de certaines infrastructures, …) qui disparaissent progressivement et qui seront davantage contraintes par les impératifs environnementaux à l’avenir. Le scénario « du million » ne sera donc pas compatible avec un scénario dans lequel les dynamiques de développement spatial n’évolueraient pas en profondeur. Ainsi, le prochain gouvernement devrait considérer les politiques d’aménagement du territoire au sens large (au même titre que celle du logement) comme des outils à part entière de la stratégie de développement socio-économique à long terme.

Concrètement, accueillir 1,1 million d’habitants et plus de 900.000 emplois d’ici 2050 appellera la mise en œuvre de certains principes de l’aménagement du territoire comme la densification (et le changement d’échelle) des trois principales agglomérations du pays (Luxembourg, Sud et Nord) et de certaines communes prioritaires, le développement de nouvelles centralités urbaines dans ces espaces, le ralentissement du développement démographique des espaces ruraux, le renforcement de la mixité fonctionnelle (emplois services, logements, etc.) dans chaque région, le déploiement de nouvelles infrastructures (et de nouvelles habitudes) de mobilité, la création d’un projet de développement territorial partagé avec les régions voisines et de nombreux investissements, planifiés efficacement et longtemps à l’avance.

A la rencontre des politiques

Dans le cadre de sa mission de susciter et d’alimenter un débat public de qualité par des propositions constructives et conscient des défis socioéconomiques d’envergure qui attendent le Luxembourg, IDEA a élaboré un Recueil des « Grands Défis » principalement destiné aux partis, candidats et futurs élus, avec une cinquantaine de propositions concrètes dont ils pourraient, selon nous, s’inspirer dans leurs programmes électoraux.

L’équipe d’IDEA est partie à la rencontre des différentes sensibilités politiques afin de présenter ses propositions dans le cadre des élections législatives qui se tiendront en octobre.

Ces rencontres ont permis d’échanger sur les défis du logement et de la construction, de la diversification économique, de l’aménagement du territoire et de la coopération transfrontalière, des finances publiques et sur les orientations des politiques publiques dans ces domaines.

Pour en savoir plus, (re)découvrez les propositions d’IDEA :

IA et place financière : retour sur la réunion conjointe du Conseil d’Administration, du Conseil Scientifique et de l’Équipe opérationnelle d’IDEA

Compte-rendu de Ioana Pop, Economiste IDEA

© photo : Julien Mpia Massa

Le 5 juillet 2023 a eu lieu la réunion conjointe du Conseil d’Administration, du Conseil Scientifique et de l’équipe opérationnelle de la Fondation IDEA asbl où le sujet du déploiement de l’intelligence artificielle (IA) dans le secteur financier au Luxembourg, mais aussi dans la société en général, a été discuté. À cette occasion, six intervenants dont quatre experts invités ont présenté plusieurs points de ce thème.

Jean-Jacques Rommes, Président du Conseil Scientifique, a présenté les questions éthiques liées à l’IA. Il a notamment mis en exergue le fait que pour l’IA, « la fin justifie les moyens », ce qui est contraire à la notion même d’éthique. Quelques faits et chiffres-clés pour mieux comprendre l’IA, ont ensuite été abordés par Hoai Thu Nguyen Doan Senior Economist à la Chambre de Commerce ; mettant en avant la progression spectaculaire de la « datasphère » (+21% par an au niveau mondial). Ensuite, la Prof. Dr. Michèle Finck, de l’Université de Tübingen, a exposé les avancés du règlement européen sur l’IA ; la proposition finale devrait être adoptée d’ici la fin de l’année. Elle détaillera les diverses obligations en fonction du degré de risque des applications d’IA. Puis, Laurent Probst, Partner, Economic Development, Digital transformation and Innovation à PwC, a montré les résultats d’une étude de 2023 intitulée « Use of Data Analytics and AI in Luxembourg » ; il a présenté une analyse sectorielle des niveaux d’investissement IA – qui paraissent insuffisants, comme plus généralement la prise de conscience dans le secteur privé. Le Prof. Dr. Pascal Bouvry, de l’Université du Luxembourg, a développé un exemple d’optimisation des fonds. Il a insisté sur l’énorme capacité de calcul des superordinateurs, permettant de construire des fonctions d’optimisation de portefeuilles. Enfin, l’importance des Fintechs, start-ups dans la finance, a été mise en valeur par Emilie Allaert, fondatrice et CEO de Digital Minds, en évoquant un certain nombre d’applications : gestion des e-mails, credit scoring, scrapping Internet et Intranet, ajustement des primes d’assurance, language processing, Regtech[1] et « compliance » face à un tsunami réglementaire, etc.

Après des présentations riches en informations, le débat a permis de constater à quel point l’IA avait le potentiel de transformer de nombreux secteurs de la société, notamment celui de la finance. Les avancées technologiques remodèlent les métiers des institutions financières et bancaires. Mais avec toutes ces évolutions, viennent aussi deux grands défis identifiés lors de la discussion qui s’est ensuivie, à savoir : d’une part un besoin en compétences humaines et techniques, et d’autre part le positionnement stratégique du Luxembourg et de sa place financière face à cette révolution technologique.

Le premier pose la question de l’éducation et de l’attraction des talents. Il est nécessaire de former et de recruter des professionnels capables de comprendre et d’appliquer l’IA dans le secteur financier. Cela passe notamment par le renforcement de l’attractivité des matières scientifiques dès le plus jeune âge (les mathématiques en particulier). Certaines initiatives participent au développement des compétences dans le domaine, comme l’institut Digital Learning Hub (DLH) à Belval, créé en mai 2022 à l’initiative du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, intégré dans le Service de la Formation professionnelle. Le DLH a la spécificité de proposer des cours de codage et d’enseignement sur la thématique du digital. De plus, l’école 42, une école de programmation lancée à Paris en 2013, présente dans 29 pays et qui partage les locaux au sein du DLH, pourrait permettre prochainement aux élèves d’apprendre à coder de manière autodidacte au Luxembourg. Des moyens récents ont été mis en place pour favoriser l’émergence de nouveaux talents, mais il faut aussi savoir les attirer, dans un contexte où le logement est souvent perçu comme inabordable par les étudiants étrangers. Pour résumer ce point en quelques mots, la solution est l’éducation.

Le second défi à relever porte sur le positionnement du Grand-Duché et de sa place financière face à la révolution de l’IA. Plusieurs aspects ont été soulignés par les participants, comme le Luxembourg en tant que carrefour de législations applicables, qui pourrait avoir un intérêt particulier à développer les Regtech, ou encore un important besoin d’attirer des centres de développement de l’IA pour faire émerger ainsi de nouvelles niches. Cela devra néanmoins se faire dans un contexte où les centres de décisions des institutions financières sont souvent localisés à l’étranger et nécessiterait une meilleure coordination des stratégies nationales en matière de transformation numérique. En outre, il serait utile de renforcer les incitations financières pour les entreprises souhaitant améliorer leur développement informatique (crédit d’impôt et aides directes, par exemple).

Grâce à leur compétence de faciliter l’accès aux services financiers, lequel historiquement était lié uniquement aux grandes institutions financières et bancaires, les Fintechs proposent des solutions accessibles à tous, grâce à des plateformes en ligne ou à des applications mobiles. De ce fait, elles ont révolutionné les paiements et les transferts d’argent, et ont rendu les transactions plus rapides, plus pratiques et moins coûteuses. Les algorithmes et l’IA utilisées par les Fintechs permettent d’analyser les données en temps réel, de fournir des recommandations personnalisées et d’automatiser certaines tâches, offrant ainsi une expérience d’investissement plus efficace. Afin de se démarquer et s’améliorer sur le marché, les business models des Fintechs incluent des combinaisons de différentes technologies, dont l’IA. De cette manière, les partenariats entre les Fintechs et les banques traditionnelles ainsi que les fonds ont également émergé, permettant ainsi une combinaison de l’expertise et de l’expérience des deux parties pour offrir les meilleurs services aux clients. Le développement de ces partenariats jouera un rôle crucial pour maintenir la compétitivité de la place financière luxembourgeoise.

Ces défis nécessitent une attention et des actions continues (comme la poursuite de développement des projets pilotes) pour garantir que l’IA soit utilisée de manière efficace et responsable dans le secteur financier au Luxembourg et ailleurs…


[1] Une Regtech ou Regulatory Technology est une entreprise (start-up) ou une technologie qui proposent des solutions pour aider les institutions financières et leurs clients à se conformer aux réglementations et aux exigences réglementaires en utilisant l’intelligence artificielle pour optimiser les analyses de données et ainsi offrir des solutions innovantes pour gérer des défis liés à la conformité réglementaire, telles que la détection de fraudes ou la conformité fiscale.

Retour sur la table ronde d’IDEA « Pensions au Luxembourg : que faire ? »

Compte-rendu de Muriel Bouchet, Directeur IDEA

© photo : Julien Mpia Massa

Table Ronde « Pensions au Luxembourg : que faire ? »

Une table ronde sur les régimes de pension au Luxembourg, troisième et dernière étape du cycle IDEA de conférences liées aux Grand Défis (en vue des élections législatives du 8 octobre 2023), a eu lieu ce mardi 13 juin. L’événement a débuté par un mot de bienvenue de Jean-Jacques Rommes (Président du Conseil Scientifique d’IDEA) et une présentation de Muriel Bouchet (Directeur d’IDEA) qui ont tous deux mis en relief le défi des retraites au Luxembourg, Muriel Bouchet avançant par ailleurs quelques propositions de réforme concrètes en la matière – notamment une modération graduelle des pensions les plus élevées afin de ralentir la progression des dépenses et un ciblage social renforcé de ces dernières.

Il s’est ensuivi un débat, auquel ont pris part Christel Chatelain, Director Economic Affairs de la Chambre de Commerce, Thomas Dominique, Directeur de l’Inspection Générale de la Sécurité Sociale, Sylvain Hoffmann, Directeur de la Chambre des Salariés Luxembourg et Muriel Bouchet. L’événement était animé par Thierry Nelissen.

La table ronde ainsi que la séance de questions et réponses avec le public ont mis en évidence les multiples facettes du sujet traité, à savoir la problématique de l’âge effectif de la retraite et le lien entre le niveau des pensions et l’espérance de vie, l’éventuel recours accru à des régimes de capitalisation, la position particulière du Luxembourg (avec des prestations généreuses en comparaison internationale et une importante main-d’œuvre frontalière, notamment), les pensions d’invalidité et leur réforme ces dernières années, les difficultés inhérentes à toute réforme des pensions, l’encadrement financier basé sur des périodes de couverture, la réforme de décembre 2012, le financement alternatif des retraites ou encore la pertinence d’une hausse des cotisations et de leur éventuel déplafonnement.
Il est également apparu que la problématique des pensions doit être abordée de manière large, le financement des prestations dépendant intimement de la croissance future de l’emploi, donc de la capacité du Luxembourg à maintenir une croissance économique durable en évitant tout « goulet d’étranglement » dans les domaines du logement, de la mobilité, de la disponibilité de main-d’œuvre ou encore de l’environnement. Le tout avec des outils adaptés : si les projections à long terme sont utiles, elles doivent être élaborées de manière rigoureuse et accompagnées de méthodes complémentaires car elles sont par nature incertaines.

 Pour télécharger la présentation  :

Retour sur la table-ronde d’IDEA consacrée aux Pensions au Luxembourg .

 

Retour sur la table ronde d’IDEA consacrée à la crise du logement

Compte-rendu de Ioana Pop, Economiste IDEA

© photo : Julien Mpia Massa

Logement, construction, immobilier, c’est la crise : que faire ?

Mardi 23 mai a eu lieu le deuxième volet des tables-rondes organisées par IDEA, consacrées aux Grands Défis dans le cadre des élections législatives de 2023. La soirée visait à entretenir la réflexion sur les crises du logement et de la construction qui touchent le Luxembourg.

En guise de présentation introductive, l’économiste de la Fondation IDEA, Michel-Edouard Ruben, a exposé la réalité immobilière du pays (démocraties de propriétaires, prix élevés, besoins en logements important, activité de construction en berne) et avancé qu’une bonne réponse à la question « c’est la crise : que faire ? » était potentiellement « ça dépend » tant les alternatives étaient nombreuses et les coûts d’opportunité de chaque décision potentiellement significatifs.

Durant la table-ronde qui a suivi, les différents intervenants ont précisé leur point de vue sur les difficultés et contraintes en présence, sur l’importance du logement pour l’attractivité du territoire et la poursuite d’une vie décente, sur les mesures qui pourraient/devraient être mises en place afin d’augmenter l’offre de logements et ont notamment insisté sur le fait qu’il était primordial que tous les acteurs (État, promoteurs privés et publics, communes, banques, etc.) dont les actions ont un impact sur la politique du logement travaillent ensemble pour atteindre l’objectif partagé qui est de rendre le logement accessible.

Retour sur la table ronde d’IDEA consacrée à la Vision territoriale à long terme

Compte-rendu de Ioana Pop, Economiste IDEA

© photo : Julien Mpia Massa

Comment l’aménagement du territoire du pays doit-il évoluer pour accueillir plus d’un million d’habitants dans moins de 30 ans ?

Mercredi 3 mai a eu lieu le premier volet des tables-rondes organisées par IDEA, consacrées aux Grands Défis dans le cadre des élections législatives de 2023. La thématique de la soirée avait pour objectif d’entretenir la réflexion sur un thème essentiel pour le Luxembourg : l’aménagement de son territoire pour répondre aux défis d’une économie en pleine croissance avec un fort développement démographique. Romain Diederich, géographe, Vincent Hein, senior economist, et Muriel Bouchet, Directeur d’IDEA, ont travaillé pendant deux ans sur une étude intitulée Une vision territoriale pour le Luxembourg, qui doit être vue comme un outil pour l’élaboration des stratégies de développement économique du pays à l’horizon 2050.

En guise d’introduction à la table-ronde, Vincent Hein a présenté l’étude et notamment, l’hypothèse « au fil de l’eau », selon laquelle dans moins de 30 ans, la population luxembourgeoise atteindra 1,1 million d’habitants, avec 955.000 emplois (dont plus de 500.000 frontaliers), un scénario qui pose naturellement de nombreuses questions. L’objectif de cette première table-ronde consistait à trouver des réponses à la question : le pays sera-t-il capable, dans cette optique, d’accueillir cette importante augmentation de population et d’activité économique ?

Les cinq spécialistes invités, dont Vincent Hein, Romain Diederich, Marie-Josée Vidal, coordinatrice générale du Département de l’Aménagement du Territoire, au ministère de l’Énergie et de l’Aménagement du Territoire, Michelle Friederici, architecte et présidente de l’Ordre des Architectes et Ingénieurs-conseils, et Gérard Koob, secrétaire du Syndicat des Villes et Communes Luxembourgeoises, ont tous tout d’abord souligné l’importance d’une bonne communication et de relations suffisamment étroites entre le monde économique et celui du développement territorial. Pour citer Romain Diederich « le développement démographique du Luxembourg a découlé à 80% du développement économique. Ce sont les faits. »

Les spécialistes ont ensuite répondu à trois questions centrales :

 La première question portait sur les espaces à développer et les espaces à préserver :

Parler de l’aménagement du territoire luxembourgeois sans parler du Projet de Programme directeur d’aménagement du territoire (PDAT) n’est pas concevable. Marie-Josée Vidal tient à préciser que ce projet, dont le contenu est assez proche de la Vision territoriale d’IDEA, est en effet la stratégie portée par l’ensemble du gouvernement et qu’il se base sur 4 objectifs politiques :

1. La concentration du développement territorial
2. La nécessité de la réduction de l’artificialisation des sols
3. La coopération transfrontalière
4. La gouvernance

Sur le dernier point, elle explique la nécessité de mieux coopérer avec les communes, les politiques sectorielles, le monde économique, mais aussi les citoyens ; point sur lequel Gérard Koob a également insisté, notamment sur le fait d’associer davantage les communes dans les travaux d’aménagement du territoire.

A côté de ces 4 objectifs, le PDAT définit également des stratégies territoriales pour les zones à développer et pour les zones à préserver. La nouveauté par rapport au PDAT de 2003 consiste en la proposition de différents instruments, qui pourraient permettre de mettre en œuvre ces objectifs et stratégies territoriales. De plus, le nouveau programme directeur 2023 doit mieux prendre en compte le réchauffement climatique. Les projections et statistiques utilisées sont celles du STATEC, qui diffèrent parfois (en ce qui concerne la productivité, en particulier) des projections d’IDEA plus récentes.

Michelle Friederici, en tant qu’architecte, évoque le fait que la surcharge des normes entrave le bon développement des constructions et leur simplification pourrait être un atout dans l’aménagement du territoire.

 Le cadre de vie de demain

Dans ses chapitres, l’étude sur la vision territoriale d’IDEA souhaite aussi sensibiliser à la future qualité de vie des habitants du Grand-Duché. À plus d’un million d’habitants, le cadre de vie changerait à coup sûr. En effet, l’étude dit que ce scénario « au fil de l’eau » ne signifie pas à politique inchangée. À ce propos, les 5 invités spécialistes sont tous tombés d’accord ; Romain Diederich ajoute que la qualité de vie dépend de l’attractivité. Avec un flux de population important, il va falloir réussir à développer de nouveaux quartiers avec de nouvelles infrastructures pour avoir la qualité de vie requise ; il ne faut pas croire que nous pourrons accueillir plus d’un million d’habitants sans penser à la qualité de vie.

 Quelles seraient les réformes nécessaires pour accueillir 1,1 million d’habitants ?

Pour cette dernière question, une complémentarité est ressortie parmi les 5 spécialistes. Pour Marie-Josée Vidal, il est primordial d’avoir une gouvernance bien définie et qui inclut une participation citoyenne. De plus, elle insiste sur le fait qu’il va falloir commencer à expérimenter, à mener des projets pilotes pour tester les nouvelles formes d’urbanisme, comme le font d’autres pays européens, par exemple l’Allemagne. À cette idée de réforme s’ajoute celle de Gérard Koob, lequel exprime à son tour l’importance de mettre l’accent sur le financement des communes, qui doit être sécurisé.

Michelle Friederici revient quant à elle sur la question des normes liées à la qualité de vie. Elle indique qu’une grande partie du temps de travail des architectes est consacré aux normes et qu’une simplification de ces dernières serait bienvenue.

Pour Vincent Hein, la planification territoriale doit dépasser les frontières. L’aspect transfrontalier a été moins évoqué lors de cette table-ronde, alors qu’il fait aussi partie des évolutions des outils politiques, administratifs et de la culture de développement qui devront évoluer considérablement pour réaliser ces scénarios. Pour le citer « il doit y avoir un projet de territoire qui doit être contractualisé avec les régions, les collectivités voisines pour déterminer les objectifs de développement et les moyens ; c’est quelque chose de nécessaire et il faut le faire concrètement. »

A son tour, Romain Diederich prend de la hauteur par rapport aux réformes proposées et son message porte surtout sur l’accélération des réalisations ; mais accélérer signifie entre autres que l’Etat doit aussi pouvoir se donner les moyens, non seulement légaux, mais aussi humains, pour bien mettre en œuvre tous les changements préconisés. Dans ce cadre, il faudra donner plus de poids à la mise en œuvre du plan de l’aménagement du territoire et même aller jusqu’à réhabiliter certains projets. Il ajoute en disant que « la discipline de l’aménagement du territoire est frustrante car les résultats viennent plus tard. »

 Pour télécharger la présentation  :

Retour sur la table-ronde d’IDEA consacrée à la Vision territoriale à long terme.

 

Recueil d’IDEA : Grands Défis : Propositions en vue des élections législatives 2023

Pour Commander un exemplaire imprimé du recueil :

 

© photo : Julien Mpia Massa

Grands défis : propositions en vue des élections législatives 2023.

Dans la perspective des élections législatives du 8 octobre 2023, IDEA a élaboré un Recueil des « Grands Défis » principalement destiné aux partis, candidats et futurs élus, avec une cinquantaine de propositions concrètes dont ils pourraient, selon nous, s’inspirer dans leurs programmes.

Le recueil approfondit cinq problématiques auxquelles est confrontée depuis de longues années la société luxembourgeoise :

– La préservation du tissu productif,
– L’aménagement du territoire,
– La coopération transfrontalière,
– Le vieillissement de la population,
– Les finances publiques.

Pour chacun de ces domaines, un état des lieux sans concessions est dressé et des propositions se voulant aussi concrètes que possible sont formulées. Une originalité du recueil est la présence, pour chaque Grand Défi traité, d’une liste de « questions majeures » pouvant (très) utilement alimenter le débat pré-électoral. L’objectif ultime étant de contribuer par ce biais, avec humilité et de manière aussi constructive que possible, à la cohésion et à la prospérité de la société luxembourgeoise ainsi que des zones frontalières environnantes.

Les auteurs

Muriel Bouchet ¦ Vincent Hein ¦ Michel-Edouard Ruben

Consulter en ligne le recueil

 Trois tables rondes ont été organisées pour débattre des propositions d’IDEA et de ces questions majeures :
Le 3 mai 2023, sur le thème de l’aménagement du territoire,
Le 23 mai 2023, sur le thème du logement,
Le 13 juin 2023, sur le thème du vieillissement.

Par la suite, un deuxième recueil a été publié, intitulé « Face aux Grands Défis »’, donnant la parole à divers acteurs impliqués dans les enjeux luxembourgeois.

Pour télécharger le recueil :

Hausse du nombre de chômeurs diplômés : comment l’expliquer ?

© photo : Julien Mpia Massa

Une hausse de 22% du nombre de chômeurs diplômés du supérieur[1] est l’un des éléments marquants de la Rétrospective économique 2018-2022[2], d’autant que cette évolution s’opère dans un contexte général assez favorable. Après un épisode de pandémie de coronavirus, suivi de tensions géopolitiques croissantes, le marché du travail a très bien résisté aux crises et cela s’observe à travers la création de plus de 70 000 emplois (en valeur absolue), ainsi que la baisse du nombre de demandeurs d’emplois inscrits à l’ADEM en 4 ans. Au Grand-Duché, le taux d’emploi des personnes diplômées du supérieur et âgées de 15 à 64 ans, a d’ailleurs augmenté entre 2018 et 2022, passant de 83,7 % à 84,1 % en 2021[3].

Ce paradoxe apparent requiert une analyse plus fine des facteurs pouvant expliquer la hausse constatée du nombre de chômeurs diplômés du supérieur de 654 personnes (+22%). Il convient de proposer une description de leur profil et de prendre cette hausse avec des pincettes.

En premier lieu, le nombre de demandeurs d’emplois diplômés du supérieur a explosé à partir de 2020, au plus fort de la crise COVID. Leur part dans le nombre total de sans-emplois résidents, disponibles inscrits à l’ADEM est passée de 18% en 2018 à 24% en 2020, puis à 25% en 2022, même si pour tous on remarque une baisse des effectifs moyens en 2022. Dans le courant de l’année 2020, la part de 24% concerne surtout les 30 à 44 ans ; par genre, le nombre de femmes a augmenté de 29,3%, contre 13,7% pour les hommes, sur la période observée (2018-2022).

Deuxième élément à considérer : la durée d’inscription à l’ADEM. Selon leurs données, les diplômés du supérieur de toutes les catégories d’âge ont vu leur durée d’inscription augmenter entre 2018 et 2022 ; ce sont surtout les personnes de 30 à 44 ans sans-emploi depuis un an ou plus qui ont connu une hausse marquée. En particulier, il s’avère que les femmes sont surtout plus exposées au chômage de longue durée que les hommes. Par ailleurs, en 2022, une autre catégorie d’âge se démarque pour le chômage de longue durée : les seniors diplômés du supérieur et âgés de 45 ans et plus, avec en moyenne 269 femmes et 282 hommes, soit 551 personnes au total.

Enfin et en troisième lieu, quelques facteurs peuvent d’ores et déjà être identifiés :

–  La population des diplômés du supérieur a augmenté : à première vue, la hausse du nombre de chômeurs diplômés du supérieur peut effrayer, mais il faut mettre cette hausse en parallèle avec celle de la population concernée. En ayant recours à un calcul d’un taux de chômage hypothétique des diplômés du supérieur, en comparant 2018 à 2022, ce taux a baissé. Selon les chiffres d’Eurostat, le nombre de personnes en emploi et diplômées du supérieur a en effet significativement augmenté au Luxembourg, passant de 127 000 personnes en 2018 à 169 000 en 2022. La population active (chômeurs inclus) des diplômés du supérieur a dès lors augmenté de 32,8% entre les 2 années.

–  Un problème d’appariement entre l’offre et la demande sur le marché du travail pourrait aussi expliquer en partie la hausse : d’abord, les types de diplômes recherchés dans les offres d’emploi ne correspondent pas ou très peu aux diplômes dont disposent ces chômeurs ; surtout en 2020, où selon le rapport annuel de l’ADEM, la hausse du nombre de chômeurs diplômés du supérieur aurait été dû à un manque d’opportunités sur le marché du travail, plutôt qu’à des licenciements. Au total il y avait en moyenne à l’ADEM pour les diplômés du supérieur 2,7 fois plus de demandeurs que d’offres d’emploi. Les plus fortes différences se démarquaient pour le commerce (8,3 fois plus de demandeurs), le transport et logistique (7,1 fois plus), et l’HORECA (6,3 fois plus de demandeurs). Ensuite, une autre explication possible serait l’obsolescence des compétences en raison des avancées technologiques et des nouvelles aptitudes demandées par le marché du travail, surtout depuis la mise en place accrue du télétravail en 2020. Surtout, les seniors sont plus souvent confrontés à des difficultés d’adaptation, dans un nouveau monde du travail en pleines mutations digitales.

–  Enfin, les développements de stratégies personnelles de réorientation peuvent également avoir un effet, étant donné la hausse de durée d’inscription à l’ADEM des demandeurs d’emploi diplômés du supérieur entre 30 et 44 ans. Il s’agit souvent de personnes se trouvant au milieu de leur carrière, s’interrogeant sur leur avenir professionnel, qui pourraient avoir recours à une reconversion professionnelle à travers des formations autres que via les mesures de l’ADEM.

Avec l’avancement de la digitalisation et pour pallier le risque d’augmentation du chômage de longue durée, des formations bien ciblées, privées ou publiques, seraient plus que nécessaires pour concilier les connaissances et compétences technologiques demandées, surtout pour les seniors.


[1] Les demandeurs d’emploi diplômés du supérieur, disponibles et résidents ici concernent tous les individus ayant terminé des études supérieures, et qui « à la date du relevé statistique ne sont ni en emploi, ni affectés à une mesure pour l’emploi, ni en congé de maladie ou de maternité », tout en habitant au Luxembourg, selon la définition de l’ADEM.

[2] Voir : Fondation IDEA asbl, Rétrospective Economique 2018-2022, mars 2023.

[3] Données STATEC.

Document de travail N°22 : Rétrospective économique 2018-2022

© photo : Julien Mpia Massa

La rétrospective économique des cinq années écoulées est largement dominée par l’analyse des effets d’une succession de deux chocs, sanitaire, puis géopolitique, face auxquels l’économie luxembourgeoise semble avoir plié (un peu) mais pas rompu. Si la période observée correspond à la mandature politique qui s’achève, il n’est pas possible pour autant de considérer cet exercice comme un « bilan économique » complet et définitif de la coalition au pouvoir.

Il n’en demeure pas moins qu’avec l’éclatement des crises, les réorientations de la politique budgétaire et économique ont tranché avec la conduite adoptée au moment de la crise des dettes souveraines, au Luxembourg comme au niveau européen. Avec une succession de plans de soutien aux entreprises et aux ménages, l’État a apporté une forme de stabilité dans un contexte dominé par l’urgence et l’incertitude radicale. Il s’est à la fois positionné en assureur en dernier ressort des agents économiques et en animateur du dialogue social, remettant au goût du jour le néocorporatisme luxembourgeois né d’autres crises passées.

Cette rétrospective économique 2018-2022 est l’occasion d’aborder la bonne résistance aux chocs de l’économie luxembourgeoise, visible en particulier sur le marché du travail. Le pays a continué à attirer de nombreux résidents et frontaliers et a pu limiter la casse sur le plan social, malgré des inquiétudes exacerbées par le retour de l’inflation et la remontée des taux d’intérêts. L’analyse met en avant un certain nombre de « décrochages » latents qui ont été accentués par le double choc pandémique et énergétique et revient sur les évolutions des finances publiques ainsi que sur des indicateurs de consommation énergétique et du bilan CO2 « en trompe l’œil ».

Taux de croissance annuel moyen de quelques indicateurs macroéconomiques du Luxembourg sur les périodes 2007-2017 et 2017-2022 (* = 2017-2021)
Sources : STATEC, Agence Européenne de l’Energie

Consulter en ligne le Document de travail

Pour télécharger le Document de travail :

Document de travail N°22 : Rétrospective économique 2018-2022

Visite de S. A. R. le Grand-Duc Héritier

© photo : Petit Charly / Cellule AV Chambre de Commerce

Ce lundi 20 mars 2023, la Fondation IDEA asbl a eu l’honneur de recevoir S. A. R. le Grand-Duc Héritier.

La rencontre s’est déroulée en présence de Michel Wurth, Président du Conseil d’Administration d’IDEA, Muriel Bouchet, Directeur d’IDEA, Carlo Thelen, Erna Hennicot-Schoepges et Pierre Ahlborn, membres du Conseil D’Administration d’IDEA et de l’équipe opérationnelle d’IDEA composée de Vincent Hein, Michel-Edouard Ruben, sénior économistes, Ioana Pop, économiste et Julien Massa, chargé de Communication.

Michel Wurth et Muriel Bouchet ont présenté à S. A. R. le Grand-Duc Héritier les principales missions et activités d’IDEA. Cette discussion fut l’occasion de revenir sur les valeurs de rigueur, d’ouverture, de transparence et d’agilité, sur la vision (« penser un avenir durable pour le Luxembourg ») et les objectifs du laboratoire d’idées : « identifier les grands défis, produire des connaissances et des idées nouvelles, alimenter et participer au débat public ». Michel Wurth a également insisté sur la gouvernance autonome d’IDEA, articulée autour de son Conseil d’Administration et de son Conseil Scientifique et a rappelé que l’organisation fêtera bientôt ses 10 ans d’existence.

Par la suite, l’équipe est revenue sur les sujets phares abordés par IDEA récemment et a esquissé le programme de travail des prochains mois.

Vincent Hein a présenté la dernière étude d’IDEA en date, « Une vision territoriale pour le Luxembourg à long terme – Fir eng kohärent Entwécklung vum Land », fruit d’un travail multidisciplinaire d’envergure mené par l’équipe, avec pour objectif de proposer une vision territoriale à long terme pour le Luxembourg à l’horizon 2050. La présentation fut l’occasion d’aborder l’importance des politiques d’aménagement du territoire pour garantir la prospérité économique, sociale et environnementale du Luxembourg à long terme et de discuter de certains aspects qu’implique un tel constat, en particulier en matière de transformation urbaine, de coopération transfrontalière et de gouvernance publique.

Enfin, Michel-Edouard Ruben a proposé une analyse du marché immobilier luxembourgeois. Revenant notamment sur les précédentes publications à ce sujet (« Recueil d’IDEA : La politique du logement : Entre bons motifs et gros montants ! » ; « Document de travail N°20 : Contribution aux Assises – anticipées – du Logement »), il a abordé l’importance économique du logement au Grand-Duché et a évoqué la situation actuelle du marché, marquée par la récente hausse des taux d’intérêt après plusieurs années de forte progression des prix. s’est ensuivie une discussion sur la définition des objectifs que doit chercher à atteindre la politique du logement au Luxembourg.

La Fondation IDEA asbl remercie vivement S. A. R. le Grand-Duc Héritier pour son intérêt porté aux travaux du laboratoire d’idées et les riches échanges à l’occasion de cette venue.

Retrouvez les photos de la rencontre :

 

Étude IDEA : Une vision territoriale pour le Luxembourg à long terme – Fir eng kohärent Entwécklung vum Land

Une vision territoriale pour le Luxembourg à long terme

Fir eng kohärent Entwécklung vum Land

Cette étude est le fruit d’un travail multidisciplinaire d’envergure mené par la Fondation IDEA asbl, avec pour objectif de proposer une vision territoriale à long terme pour le Luxembourg.

Les développements démographiques et économiques des dernières décennies, bien qu’ils aient eu d’incontestables retombées positives, ont en effet été systématiquement sous-estimés par les différentes vagues de projections et ont modifié de nombreuses caractéristiques territoriales du pays. Dans les prochaines décennies, les stratégies d’aménagement du territoire (au sens large) et leurs concrétisations joueront un rôle toujours plus crucial pour rendre possible et soutenable le développement socio-économique du Luxembourg.

La présente étude propose ainsi de répondre à certaines questions comme : combien d’habitants, d’emplois et de frontaliers le Luxembourg pourrait-il compter en 2050 dans un scénario de développement « au fil de l’eau » ? Cette croissance est-elle compatible avec les caractéristiques territoriales du pays ? Sous quelles conditions ? Quels seront les changements à opérer en matière d’aménagement du territoire, d’urbanisme, de mobilité, de coopération transfrontalière et quelles réformes seront nécessaires pour y parvenir ?

Consulter en ligne : 

la Synthèse

Partie 1/4 : Etat des lieux : les évolutions territoriales du Luxembourg

Partie 2/4 : Scénario de développement économique et démographique à l’horizon 2050

Partie 3/4 : Scenario de développement territorial dans une perspective de croissance « au fil de l’eau »

Partie 4/4 : Une nécessaire évolution des outils au service de la politique d’aménagement du territoire

 

Auteurs :

Muriel Bouchet, Romain Diederich, Vincent Hein.

Steering Committee :

Nicolas Buck, Michèle Finck, Georges Heinrich, Erna Hennicot-Schoepges, Isabelle Lentz, Rolf Tarrach, Michel Wurth.

Illustration de couverture :

Julien Mpia Massa

Pour télécharger la Synthèse :

Document de travail N°21 : Quelques réflexions sur le projet de Programme directeur d’aménagement du territoire (PDAT) 2023

© photo : Julien Mpia Massa

Les réflexions sur le développement socio-économique du Luxembourg à moyen et long terme ne peuvent pas, compte tenu de certaines caractéristiques géographiques et économiques du pays , faire l’impasse sur les questions liées au développement spatial et à l’aménagement du territoire. Si les précédents exercices de programmation spatiale (en particulier le PDAT 2003 et l’IVL de 2004 ) avaient bien identifié la nécessité de mieux « organiser » la croissance économique et démographique sur le territoire, les concepts qu’ils ont appelés de leurs vœux, au premier rang desquels la « déconcentration concentrée », peinent toujours à se concrétiser dans les faits. La difficulté à mettre en œuvre les stratégies d’aménagement, couplée à une sous-estimation chronique de la croissance, ont contribué à renforcer ses effets indésirables : étalement urbain, prix du foncier, rareté du logement, saturation des infrastructures de mobilité, pollution, qualité de vie, attractivité, déséquilibres transfrontaliers… Les goulots d’étranglement se manifestent peu à peu et pourraient représenter, en l’absence de changements significatifs dans l’organisation territoriale, une menace pour la prospérité économique, sociale et écologique du pays.

Le projet de Programme directeur d’aménagement du territoire 2023 (PDAT), publié en septembre 2022, constitue dans ce contexte une mise à jour bienvenue des précédents documents de planification. Le présent Document de Travail vise à nourrir les débats autour de la consultation sur le projet de PDAT 2023 en s’appuyant sur quelques constats majeurs issus de l’étude « Une vision territoriale pour le Luxembourg à long terme – Fir eng kohärent Entwécklung vum Land » publiée par la Fondation IDEA asbl en février 2023.

Il est l’occasion d’aborder les projections économiques et démographiques nécessaires à l’élaboration d’une vision territoriale de long terme, les implications d’une ambition pour une nouvelle armature urbaine visant à stopper l’étalement urbain et le morcellement territorial, la nécessité de penser le développement spatial dans un contexte transfrontalier, les grands défis pour la mobilité à l’horizon 2050, les transformations à penser en matière d’urbanisation ainsi que plusieurs pistes permettant de rendre plus opérationnelle la politique d’aménagement du territoire au sens large.

Consulter en ligne le Document de travail

Pour télécharger le Document de travail :

Quelques réflexions sur le projet de Programme directeur d’aménagement du territoire (PDAT) 2023

Décryptage N°26 : Place financière : combien d’emplois ?

© photo : Julien Mpia Massa

Diverses mesures de l’emploi dans le secteur financier circulent, mais elles répondent à des définitions à géométrie (très) variable, ce qui entretient une confusion certaine. Ce décryptage vise à pallier cette lacune. Il part de l’emploi « direct » et y ajoute les effets indirects (jouant par le truchement des différents fournisseurs du secteur financier, voire même les « fournisseurs des fournisseurs ») et induits (opérant par l’intermédiaire de la consommation et des investissements générés par le secteur financier). L’emploi « au sens large », qui intègre ces effets, excéderait en 2021 135 000 postes, soit l’équivalent de 30% des emplois au Grand-Duché.

Télécharger le Décryptage :

Place financière : combien d’emplois ?

Document de travail N°20 : Contribution aux Assises – anticipées – du Logement

© photo : Julien Mpia Massa

« La crise du logement » sans cesse évoquée dans les médias et les discours politiques ces dix dernières années – alors que le marché immobilier connaissait un cycle d’une ampleur exceptionnelle marqué par la flambée des prix et l’envolée de l’endettement des ménages – est (enfin) là, précipitée par la remontée des taux d’intérêt.

Le recul prononcé (-28%) du nombre d’autorisations de bâtir délivrées sur les 9 premiers mois de l’année 2022 et l’effondrement des ventes de logements en état futur d’achèvement (-36% au troisième trimestre 2022 en glissement annuel) semblent ainsi annoncer un net ralentissement à venir de l’activité dans le secteur de la construction résidentielle .

Dans un tel contexte, la politique du logement, dont l’un des objectifs principaux (jamais atteint) a un temps été de stabiliser/maîtriser les prix immobiliers , doit s’atteler, compte tenu des perspectives démographiques et de l’importance économique du secteur de la construction (près de 15% des emplois avec les effets indirects et induits) , à relancer la production de logements neufs afin d’éviter au Grand-Duché, où le parc immobilier est relativement sous-dimensionné (387 logements pour 1.000 habitants contre 468 logements pour 1.000 habitants dans les pays de l’OCDE), de sombrer dans une crise de mal logement et/ou de perte d’attractivité causée par une situation de pénurie de logements.

Empêcher que l’activité de construction résidentielle ne connaisse un important trou d’air c’est également éviter au secteur une perte définitive de potentiel de croissance qui pourrait advenir à cause de faillites d’entreprises et/ou de difficultés de reconstitution de la main-d’œuvre  et serait synonyme d’affaiblissement durable du nombre de logements (pouvant être) construits chaque année.

Consulter en ligne le Document de travail

Pour télécharger le Document de travail :

Décryptage N°25: Paradoxale politique (budgétaire) du logement

© photo : Julien Mpia Massa

La crise du logement régulièrement évoquée au Luxembourg – et qui jusque-là se trouvait davantage dans les discours qu’elle ne se voyait dans les chiffres du taux de propriété, d’activité du secteur de la construction, de délai moyen des ventes ou d’incidents de commercialisation – semble (véritablement) rentrer dans une phase concrète. L’annexe 10 du Projet de loi relatif à la programmation financière pluriannuelle pour la période 2022-2026 qui renseigne les dépenses fiscales et leur impact sur les recettes projette ainsi que le Bëllegen Akt – réduction sur les droits d’enregistrement qui bénéficie principalement aux primo-accédants – ne coûterait que 180 millions d’euros en 2023, en baisse de 12% par rapport aux 205 millions d’euros qui étaient projetés (en 2021) pour 2022.

Télécharger le Décryptage :

Paradoxale politique (budgétaire) du logement

Prix de l’énergie : concilier des objectifs contradictoires

© photo : Julien Mpia Massa

Les mécanismes visant à limiter la hausse des prix de l’énergie décidés notamment dans le cadre de l’accord tripartite de septembre 2022 (plafonnement de la progression du prix du gaz à 15%, gel du prix de l’électricité, subvention du mazout et des pellets de bois de chauffage) ont envoyé un signal salutaire pour le pouvoir d’achat, la confiance et contribuent à mettre à l’abri de potentielles situations financières délicates les ménages les plus vulnérables. Si l’objectif de pallier « l’urgence » est rempli, ce choix de politique économique risque d’envoyer des signaux contradictoires et pourrait s’avérer très coûteux si bien qu’il est dès à présent nécessaire d’envisager de nouvelles orientations pour un scénario où la crise énergétique durerait.

Un soutien contradictoire avec l’impératif de sobriété énergétique

A moyen terme, le système choisi (logique du « Präisdeckel » ou « bouclier tarifaire ») entre en contradiction avec d’autres objectifs non moins essentiels. Tout d’abord, il pourrait brouiller le signal-prix, pourtant utile à la modération de la consommation énergétique (« Zesumme spueren, zesummenhalen »), à la fois dans un contexte d’offre énergétique limitée (risque de pénuries), mais aussi pour inciter les ménages à adopter des comportements en phase avec la transition énergétique.

En cas de poursuite de la crise énergétique, cette intervention publique pourrait également s’avérer très « coûteuse » et renforcer les déséquilibres budgétaires de l’Etat. En effet, d’après le projet de Budget de l’Etat pour 2023, le « Präisdeckel » se chiffrerait à 616 millions d’euros[1]. Il serait préférable de privilégier dans une nouvelle phase les dépenses d’investissement par le soutien aux équipements des ménages dans la transition énergétique, comme cela d’ailleurs a été amorcé dans plusieurs mesures découlant de la tripartite (augmentation du Klimabonus pour le remplacement du système de chauffage, les installations photovoltaïques, la rénovation énergétique, baisse de la TVA sur les installations photovoltaïques, etc.).

Enfin, à l’instar de la subvention des produits pétroliers, le « Präisdeckel » subventionne aussi les consommations énergétiques dépassant les consommations de première nécessité et – parce qu’appliqué de manière non discriminée – bénéficie davantage (en valeur absolue) aux ménages aisés[2].

Concilier protection des ménages vulnérables, finances publiques et transition énergétique : une nouvelle approche envisageable

Dans ce contexte, il serait opportun de prévoir dès à présent une clause de rendez-vous pour se tenir prêt si la nécessité de poursuivre le « Präisdeckel » au-delà du 31 décembre 2023 se faisait ressentir à l’approche de l’hiver 2023-2024. Un « phasing out » au-delà de 2023 est d’ailleurs évoqué dans le Solidaritéitspack 2.0.

Une des manières d’atténuer les « contradictions » qu’apportent les subventions non ciblées aux énergies fossiles tout en maintenant un soutien aux ménages serait de ne subventionner qu’une quantité d’énergie limitée et de laisser jouer les nécessaires mécanismes de signal-prix au-delà de ce seuil. En plus de l’électricité et du gaz, le mécanisme de subvention d’un minimum énergétique garanti devrait également concerner les autres sources énergétiques (mazout, bois…) pour couvrir l’ensemble des modes utilisés par les ménages selon la même logique.

Ce type de dispositif devra néanmoins faire l’objet de certains paramétrages importants. Le seuil maximal subventionné pourrait par exemple être fixé selon la consommation énergétique moyenne exprimée en Kilowatt-heure (kWh) du premier ou du deuxième quintile des revenus (les ménages les plus modestes). En outre, le mécanisme pourrait prévoir une « enveloppe énergétique globale » comprenant les différentes sources d’énergie disponibles afin qu’il ne soit pas possible d’augmenter le montant de subvention perçue en multipliant les sources.

Pour mettre en œuvre ce principe, une mesure qui mériterait d’être étudiée est celle des « Preisbremsen » que le gouvernement allemand prévoit d’appliquer sur le prix du gaz et de l’électricité à partir du 1er mars 2023[3]. Le dispositif envisage ainsi de ne subventionner les prix que sur un volume de consommation équivalent à 80% des consommations enregistrées l’année passée. S’il ne prévoit pas de définir une quantité énergétique « de base » commune à tous les ménages comme proposé ci-dessus, il pourrait être utile d’observer les conditions de sa mise en œuvre dans les mois qui viennent.

La moins mauvaise des options ?

Si la crise énergétique se poursuivait, au moins deux autres options pourraient être envisagées pour atténuer les contradictions inhérentes aux subventions énergétiques. La première consisterait à mettre fin purement et simplement au « Präisdeckel ». Cela permettrait de stopper la logique de subvention à des énergies dont on espère justement que la consommation diminue mais aussi de préserver les finances publiques. Néanmoins, compte tenu de la nécessité de maintenir un niveau de soutien minimum aux plus vulnérables, cette suppression devrait être compensée par des dispositifs de soutien indirect comme celui de la « prime énergie » ou du crédit d’impôt énergie, par exemple. Mettre fin au bouclier tarifaire entraînerait également des conséquences sur l’indice des prix à la consommation.

A l’opposé, il pourrait être envisagé de maintenir pleinement le « Präisdeckel ». Cela permettrait de contenir la hausse de l’indice des prix à la consommation, mais il serait nécessaire, pour chercher à rétablir les finances publiques et pour corriger les effets anti-redistributifs et/ou incitatifs du « Präisdeckel » de relever la fiscalité sur les ménages les plus aisés et/ou énergivores. Cette hausse de la fiscalité devrait être ponctuelle et explicitement destinée à financer le bouclier tarifaire, mais du point de vue des ménages elle interviendrait dans un deuxième temps et ne serait pas forcément intégrée comme un « signal-prix » visant à modérer la consommation énergétique.

Une mise en perspective des options sur la table montre qu’il n’existe pas de solution parfaite. Bien que potentiellement complexe à mettre en œuvre sur le plan technique, l’option qui viserait à ne subventionner qu’une quantité équivalente à la consommation énergétique « de base » cumule pourtant plusieurs avantages. Elle permettrait de concilier différents objectifs comme une maîtrise (certes relative) du niveau d’inflation, le maintien d’une aide publique pour les besoins énergétiques « de première nécessité », l’incitation à la sobriété énergétique directement par le signal-prix pour les consommations « non-essentielles »… ainsi que l’absence de toute modification de la fiscalité des ménages.


[1] 470 millions d’euros pour le plafonnement du prix du gaz, 110 millions pour la stabilisation des prix de l’électricité, 35 millions pour la subvention du prix du gasoil de chauffage et 1 million pour celle des pellets de bois.

[2] Voir STATEC, Note de conjoncture 2-2022, décembre 2022, p96.

[3] https://www.bundesregierung.de/breg-de/themen/entlastung-fuer-deutschland/strompreisbremse-2125002.

Décryptage N°24: Apostille au Document de travail n°19 sur le Budget 2023

© photo : Julien Mpia Massa

L’économie luxembourgeoise est en proie, après le Grand Confinement, à une crise énergético-inflationniste causée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Tel qu’il ressort des documents budgétaires publiés en octobre 2022, cette crise a(ura), entre autres, des impacts sensibles sur les finances publiques, le pouvoir d’achat immobilier et la faculté de certains ménages vulnérables à joindre les deux bouts.

Télécharger le Décryptage :

Apostille au Document de travail n°19 sur le Budget 2023

Document de travail N°19 : Quelques réflexions sur le budget 2023 !

© photo : Julien Mpia Massa

Après le « Grand Confinement » qui a obligé les gouvernements du monde entier, et singulièrement ceux de l’UE, à s’adonner à des politiques budgétaires – de compensation des pertes de salaires et de chiffres d’affaires – qualifiées de « socialisme pandémique  », l’année 2021 a été celle d’une forte reprise qui a offert la perspective d’une crise (sanitaro)économique qui ne serait qu’un trou d’air. Hélas, l’invasion de l’Ukraine par la Russie début 2022 a douché cet espoir. L’orientation prospective de la politique budgétaire du Luxembourg – exposée dans le Projet de Budget 2023 et dans le Projet de loi de programmation financière pluriannuelle pour la période 2023– 2026 – s’en trouve engagée dans un complexe exercice contraint par une « tragédie des horizons », des « perspectives dégradées » et un « haut degré d’incertitude » concernant l’évolution future des prix, des salaires et des taux d’intérêt.

Dans ce nouveau Document de travail, IDEA propose des amendements concernant le renforcement du pouvoir d’achat, la compétitivité, le logement et l’énergie qui pourraient utilement compléter les dispositions fiscales les plus emblématiques du projet de Budget 2023. 

Une vue d’hélicoptère des finances publiques est également présentée, sur une période de 25 ans. Il s’agit d’éclairer le projet de budget à la lumière du passé, au moyen de dix graphiques.

Consulter en ligne le Document de travail

Pour télécharger le Document de travail :

La budgétisation verte : un outil prometteur

Retrouvez également cet article dans l’édition de novembre/decembre 2022 d’Entreprise Magazine portant sur L’ambition environnementale.

© photo : Julien Mpia Massa

L’Etat luxembourgeois a présenté son projet de budget 2023 à la Chambre des Députés, le 12 octobre 2022. Un budget conforme à la tradition, mais qui comporte des marges d’amélioration en matière de « budgétisation verte » ou « Green Budgeting ». Le présent article fait le point sur cette dernière et sur l’état des lieux en la matière au Luxembourg.

La « budgétisation verte » : de quoi s’agit-il ?

Le budget vert ou « Green Budgeting » consiste à évaluer de manière systématique l’impact environnemental des budgets publics, en considérant idéalement un champ assez large couvrant les impôts, taxes et redevances, les dépenses budgétaires et les différentes « dépenses fiscales ».

La France est en pointe en la matière. Les autorités budgétaires y ont en effet déposé, en octobre 2020, une annexe au projet de loi de finances 2021 (PLF) où est passée au crible l’incidence environnementale des crédits budgétaires et des dépenses fiscales de l’Etat, sur la base de 6 objectifs environnementaux. Sont isolés parmi les agrégats budgétaires les postes présentant un lien avec au moins l’un des 6 objectifs. Ces postes se voient ensuite assigner, par objectif, une cotation « favorable », « défavorable » ou « neutre ». Les dépenses budgétaires et les dépenses fiscales de l’Etat ayant fait l’objet d’une évaluation dans le cadre du « Budget vert » hexagonal se sont montées à 574 milliards d’euros, dont 53 milliards présentant un lien avec l’environnement. Ce dernier montant se décompose en 38 milliards ayant des retombées environnementales favorables, près de 5 milliards affichant un bilan neutre et 10 milliards accusant une incidence environnementale négative. Les « dépenses fiscales » représenteraient à elles seules un peu plus de 70% de cette dernière catégorie (voir https://www.budget.gouv.fr/files/uploads/extract/2021/PLF_2021/rapport_IEE.PDF).

Figure : les 6 axes environnementaux du « Budget vert » français

les 6 axes environnementaux du « Budget vert » français

Source : Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance (France).

Que pourrait faire le Luxembourg en la matière ?

Sur le plan luxembourgeois et au vu de l’expérience française, IDEA avait à l’occasion du projet de budget 2020 de l’Etat proposé que dans un premier temps et dans le cadre d’une stratégie graduelle et évolutive, la mise en place de la budgétisation verte se focalise sur la liste « officielle » des dépenses fiscales (reprise à l’annexe 10 du projet de budget pluriannuel 2023-2026, « Indications sur les dépenses fiscales et leur impact sur les recettes »).

Cette liste, qui renferme surtout des « niches fiscales » en relation avec l’immobilier, devrait être élargie à des aspects présentant un enjeu environnemental, comme le leasing. L’impact environnemental de chaque « dépense fiscale » relevant de cette liste élargie serait désormais évalué (neutre, positif, négatif) à l’instar de la pratique française, en se concentrant le cas échéant (du moins au départ) sur la neutralité carbone. Afin d’améliorer son évaluation environnementale, le crédit d’impôt logement se rapportant aux droits d’enregistrement et de transcription (« Bëllegen Akt »), qui pour 2023 porterait sur quelque 180 millions d’euros, pourrait faire l’objet d’une modulation en fonction des performances énergétiques des bâtiments concernés.

La mise en œuvre de la budgétisation verte devrait être précédée par un approfondissement méthodologique d’envergure – c’est la raison pour laquelle les impulsions doivent être données sans tarder. Les défis méthodologiques risquent d’ailleurs d’être exacerbés, au Luxembourg, par le « Tanktourismus » qui va de pair avec de plantureuses recettes sur les énergies fossiles. Cette « performance » n’est cependant qu’un effet d’optique, associé aux achats de carburants par des non-résidents. Elle n’est nullement le reflet d’une fiscalité particulièrement incisive en matière d’énergies fossiles, ce dont toute « cotation environnementale » des recettes devra tenir compte.

Où en est le Luxembourg en matière de budgétisation verte ?

Le Luxembourg n’a à ce jour pas intégré de manière « systémique » la budgétisation verte au projet de budget ou même aux annexes budgétaires (les dépenses fiscales par exemple), à rebours donc de la pratique française.

Cependant, le Grand-Duché ne part nullement d’une page blanche en matière de budgétisation environnementale. Les projets de budget successifs comprennent en effet une annexe sur les « fonds spéciaux », par où transite une bonne part des investissements publics ou des moyens alloués à d’autres projets se prêtant à une forme de planification pluriannuelle. Or au moins trois de ces fonds présentent un lien direct avec l’environnement, à savoir le Fonds pour la gestion de l’eau, le Fonds pour la protection de l’environnement (lutte contre la pollution, déchets, protection de la nature, utilisation rationnelle de l’énergie et promotion du renouvelable, notamment) et le Fonds climat et énergie (réduction des émissions de gaz à effet de serre et adaptation au changement climatique, promotion de l’habitat durable et des véhicules propres, principalement). Pour l’année 2023, ces trois fonds devraient au total dépenser 540 millions d’euros, soit l’équivalent de 2,2% du budget global de l’Etat. En outre, l’annexe ventile ces dépenses en fonction des différents projets, sur l’horizon 2023-2026.

Le projet de budget déposé le 12 octobre 2022 renferme par ailleurs une innovation bienvenue, à savoir la ventilation des investissements publics par domaine thématique y compris une catégorie « environnement et climat », et ce dans une perspective pluriannuelle (2022 à 2026 en l’occurrence). Il convient de noter également le suivi poussé des investissements réalisés dans le cadre de l’émission obligataire du « Sustainability Bond » en 2020, ainsi que des efforts réalisés pour atteindre les objectifs du « Plan national intégré en matière d’énergie et de climat » (PNEC) du Luxembourg. Autant de bonnes pratiques sur le plan environnemental, même si elles ne relèvent pas du « Green Budgeting » au sens strict du terme.

Enfin, le Luxembourg participe depuis peu aux travaux du « Paris Collaborative on Green Budgeting » de l’OCDE (PCGB), ce que recommandait d’ailleurs IDEA dans ses contributions de 2020 suite au dépôt du projet de budget 2021. Le PCGB est une initiative lancée le 12 décembre 2017, à l’occasion du « One Planet Summit » (voir https://www.oecd.org/environment/green-budgeting/) afin de favoriser les échanges de bonnes pratiques en matière de budgétisation verte et l’élaboration de standards méthodologiques performants. Cette initiative, qui est à l’origine du « budget vert » français, permettra au Luxembourg de tisser des liens en la matière et d’accéder par ce biais aux méthodologies mises en œuvre dans les pays participants, un avantage appréciable dans ce domaine éminemment complexe.

La philosophie d’ensemble présidant à l’introduction de la budgétisation verte a été présentée explicitement dans la plus récente actualisation du Programme de Stabilité du Luxembourg : « À moyen terme, la méthodologie sous-jacente à la budgétisation verte évoluera en fonction des expériences acquises sur le terrain et à travers les efforts réalisés au niveau européen pour développer les outils en question. Dans le même ordre d’idées, le Gouvernement entend renforcer le suivi et l’évaluation de l’impact des politiques sur le développement durable au moment de l’élaboration des actes législatifs et réglementaires par le biais du « Nohaltegkeetscheck ».

Une évolution prometteuse, donc, même si beaucoup reste à faire. Le but ultime du « Green Budgeting » devant consister à identifier de manière transparente les points faibles du Luxembourg en matière de développement durable et à élaborer en conséquence des mesures concrètes. Mieux évaluer pour mieux agir, en quelque sorte.

Quel Luxembourg à l’horizon 2050 ? Pour une vision territoriale globale

Retrouvez également cet article dans l’édition de novembre/decembre 2022 du magazine Merkur portant sur le Luxembourg du futur.

© photo : Julien Mpia Massa

Le Luxembourg détonne assurément au sein de l’Union européenne (UE). Il se caractérise par une progression soutenue de sa population résidente, qui atteint près de 2% par an en vitesse de croisière contre 0,2% dans l’ensemble de l’UE, par une croissance économique demeurant envers et contre tout assez appréciable, ainsi que par un emploi toujours extrêmement dynamique en dépit des stigmates de la crise sanitaire et des répercussions du conflit en Ukraine. De 1992 à 2022, le nombre de résidents est passé de 390 000 à 645 000, le PIB en volume a été multiplié par 2,6 et l’emploi par un facteur de 2,5.

IDEA a récemment élaboré, au confluent de la démographie et de l’économie et à côté des projections réalisées par d’autres institutions (le Statec et la Commission européenne, notamment) un outil de simulation à long terme. Un scénario « fil de l’eau » a été développé à partir de cet outil. Il consiste peu ou prou à prolonger d’ici 2050 les tendances précitées de l’activité, de l’emploi et de ses déterminants ainsi que de la productivité, tout en veillant scrupuleusement à la cohérence d’ensemble de ces évolutions. Le tout débouche sur le fameux « Luxembourg à 1 million d’habitants » en 2050, qui compterait plus précisément 1 090 000 résidents avec un franchissement dès 2045 du seuil du million. En 2030 déjà, le Grand-Duché compterait 760 000 habitants contre 645 000 actuellement, à la faveur d’une immigration nette demeurant des plus soutenues. Une telle évolution peut a priori sembler fantaisiste, mais il convient de rappeler que quasiment toutes les projections démographiques effectuées depuis 1950 ont systématiquement et dans une large mesure sous-estimé la population future du Luxembourg, en raison essentiellement d’hypothèses de mortalité et d’immigration s’avérant beaucoup trop mesurées[1].

Toujours dans cette perspective « fil de l’eau » en définitive assez disruptive en termes de résultats, le PIB en volume du Luxembourg serait multiplié par 2,1 de 2022 à 2050, à la faveur d’une croissance moyenne de 2,8% l’an en termes réels. En 2030, il dépasserait déjà son niveau de 2022 à raison de 26%. Toujours dans une optique relevant largement du « prolongement cohérent de courbes », à rebours donc d’une démarche prospective accomplie ou d’un exercice de prévision, le secteur financier verrait sa part dans la valeur ajoutée se réduire quelque peu d’ici 2050 (passant de 27 à 20% environ), même s’il resterait intrinsèquement dynamique. La branche « Information et communication » occuperait quant à elle dans trois décennies une plus grande place qu’actuellement au sein de l’économie luxembourgeoise, de même que les activités de support aux entreprises.

Afin d’alimenter une croissance aussi manifeste de l’activité globale compte tenu d’une productivité peu dynamique (en vertu toujours de cette idée d’un « fil de l’eau », la productivité ayant progressé à la vitesse d’un escargot ou de la procession d’Echternach au cours des trois dernières décennies), les besoins en emplois exploseraient au cours des décennies à venir. Ainsi, l’emploi total requis s’établirait à 620 000 en 2030 et à 955 000 en 2050 (c’est en quelque sorte l’autre « Luxembourg à 1 million »), à comparer à environ 500 000 « seulement » à l’heure actuelle. Cette augmentation de quelque 110 000 postes d’ici 2030 et de 440 000 à l’horizon 2050 serait alimentée tant par l’immigration nette que par une flambée du nombre de frontaliers. Le Luxembourg compterait en effet 290 000 et 500 000 travailleurs non-résidents en 2030 et en 2050, respectivement. Leur nombre s’accroîtrait donc d’environ 280 000 personnes en l’espace de 30 ans, soit bien davantage encore que durant les 30 dernières années (+ 180 000 personnes pour rappel), pourtant caractérisées par l’explosion du phénomène frontalier et ses multiples incidences (souvent positives…) tant sur le Luxembourg que sur les régions limitrophes.

On peut a priori se réjouir d’un tel dynamisme grand-ducal, qui faciliterait (sans nécessairement le garantir, mais c’est une tout autre histoire) le financement du modèle social luxembourgeois en général et de la sécurité sociale en particulier et permettrait plus généralement de maintenir la traditionnelle prospérité luxembourgeoise. Cependant, une telle expansion nécessite la mobilisation de toute une panoplie de politiques d’accompagnement et de petits leviers, devant impérativement constituer un tout cohérent. En l’absence d’une telle démarche d’ensemble, la cohésion sociale et territoriale du Luxembourg sera mise à mal, nos infrastructures de transport seront rapidement saturées voire même complètement dépassées et le Grand-Duché ne sera plus en mesure de loger dans de bonnes conditions et à un prix abordable une population résolument croissante – ce qui ne manquerait pas d’enrayer in fine la croissance. Enfin, l’expansion économique doit s’accompagner du respect d’objectifs environnementaux ambitieux, en termes d’émission de CO2 et d’artificialisation des sols notamment.

Ces derniers mois, IDEA a planché sur une « Vision territoriale » du Luxembourg permettant de mieux concilier ces divers impératifs, de faire en sorte que le Luxembourg maintienne sa prospérité économique et sociale et ce de manière durable en termes de transports, de logements, d’aménagement spatial et en termes de consommation des ressources naturelles (ou autres) ou d’artificialisation des sols. La valeur ajoutée de la Vision ne repose pas tant sur la « prévision du futur » que sur la capacité à fournir des éléments d’analyse concrets sur les conséquences que pourrait avoir la poursuite d’un scénario économique « dynamique » sur ces divers paramètres. Il existe assurément peu d’autres outils permettant de modéliser les interactions complexes entre les dynamiques économiques et démographiques au Luxembourg, pays singulier à nombre d’égards.

IDEA présentera sa « Vision territoriale » au grand public au début de l’année 2023.


[1] Voir par exemple la contribution « Août of the box – La projection démographique, un exercice difficile », par Muriel Bouchet, 30 août 2021, https://www.fondation-idea.lu/2021/08/30/aout-of-the-box-la-projection-demographique-un-exercice-difficile/.

Podcast : « La politique du logement au Grand-Duché de Luxembourg »

Michel-Edouard Ruben a participé le 18 septembre à une table ronde au salon régional de l’immobilier de Metz sur le thème « la nouvelle donne immobilière dans un contexte transfrontalier ». À cette occasion, il a été interrogé à la radio RCF Lorraine par Roger Cayzelle sur la politique du logement au Grand-Duché de Luxembourg.

Pour écouter l’émission :

Podcast : M-E. Ruben a été interrogé à la radio RCF Lorraine par Roger Cayzelle sur La politique du logement au Grand Duché du Luxembourg.

Penser le télétravail transfrontalier

Le développement du télétravail à grande échelle est une tendance qui porte en elle de multiples bouleversements obligeant à le penser de manière globale, en particulier dans le contexte transfrontalier.

Les fameux « seuils » fiscaux sont très régulièrement l’objet de discussions, y compris récemment entre la France et le Luxembourg. Du point de vue des salariés résidant en France et de leurs employeurs luxembourgeois, le seuil des 29 jours ne pose pas tant des problèmes de niveaux d’imposition[1] que des problèmes liés aux modalités de prélèvement de l’impôt, si bien que de nombreux employeurs demandent à leurs salariés de se limiter strictement à ce seuil fiscal[2], qui n’est pourtant pas un plafond strict en théorie. Sur la frontière franco-luxembourgeoise, il est donc surtout dans l’intérêt des salariés et des entreprises que les modalités de prélèvement de l’impôt évoluent, ce qui pourrait être en bonne voie d’après les récents échos de la presse.

Les conditions de prélèvement telles qu’elles ont été établies avec les fiscs belge et allemand ne semblent pas poser les mêmes soucis administratifs (sur le mode de prélèvement), mais le dépassement des seuils pourrait avoir des conséquences sur le niveau d’imposition des revenus des salariés, ce qui tend à renforcer les revendications d’une hausse de ces seuils de « tolérance » des salariés frontaliers. Enfin, au niveau administratif, de nombreux sujets devront être clarifiés dans les mois qui viennent (proratisation du temps partiel, modalités de preuve de présence physique, astreintes, démissions/embauches en cours d’année, etc.). Une fois ces « détails » réglés se posera très vite la limitation liée à la borne européenne de 25% qui conditionne l’affiliation à la sécurité sociale dont le dépassement entraîne des conséquences nettement plus dissuasives. Bien que mise entre parenthèses jusqu’au 31 décembre, il sera nécessaire d’avancer sur la reconnaissance du statut de travailleur frontalier pour y déroger. Le Parlement (… français) a adopté une résolution en ce sens dès 2021. Sur le plan des limitations règlementaires, il ne faudra pas négliger non plus les questions relatives au « risque » d’établissement stable et aux complexités qui pourraient aboutir à l’application du droit du travail du pays de résidence.

Mais derrière ces questions, pourtant cruciales, se posent des enjeux de moyen et long termes bien plus importants encore. Un récent Avis du CES explique que les projections économiques et démographiques luxembourgeoises soulignent la nécessité pour le Grand-Duché de s’investir davantage, pour renforcer l’attractivité et le développement cohérent des régions frontalières en coopérant dans le domaine de l’aménagement du territoire, des infrastructures de mobilité, de la formation des actifs, etc. Il ne servira pas à grand-chose de créer de parfaites conditions de télétravail pour les frontaliers éligibles si la situation en matière de mobilité, de logement et si la qualité de vie au sens large dans la métropole transfrontalière du Luxembourg continue de se dégrader et n’attire pas suffisamment de talents venus d’autres régions. L’essor du télétravail pourra contribuer à certains de ces objectifs, mais il ne sera pas suffisant et il pourrait même créer certains effets ambivalents[3]. Une proposition pour concilier le développement du télétravail et celui du territoire transfrontalier serait que la fiscalité du télétravail qui reviendrait normalement aux Etats des pays voisins soit collectée pour financer des projets de développement transfrontaliers. Cela pourrait être proposé aux autorités des pays voisins en l’échange de leur accord pour relever les seuils de tolérance fiscaux, mais le sujet ne semble pas présent dans les débats actuels, malgré la recommandation du CES. Des précédents de rétrocession fiscale prélevée sur la fiscalité des revenus et fléchés vers les collectivités locales transfrontalières (et non le budget général de l’Etat) existent pourtant déjà, comme dans le Grand Genève où le canton suisse a par exemple versé 295 millions d’euros en 2020[4]. D’après le Canton de Genève, cette somme importante a contribué à financer des projets de mobilité, de valorisation de zones d’activités, de logement social, de véloroutes, de collèges… intégralement situés dans le bassin de vie du Grand Genève. Le développement de ces projets est dans l’intérêt direct et évident des travailleurs frontaliers, de leurs employeurs et du territoire pris dans son ensemble. Une telle situation serait largement plus favorable à l’intérêt du Luxembourg qu’une contribution au budget général des Etats voisins.


[1] Le niveau de fiscalité ne concerne pas l’employeur et une rapide comparaison des barèmes d’imposition des revenus suggère un avantage pour la plupart des salariés à se faire imposer ses revenus en France, bien que ceci doit être analysé en fonction de la configuration des revenus des ménages, très variable.

[2] Voir : https://frontaliers-grandest.eu/pourquoi-votre-employeur-vous-limite-votre-teletravail/.

[3] Pour le Luxembourg, cela pourrait engendrer une perte d’activité dans les services (restaurants, commerce, etc.) en raison de la baisse de la consommation des frontaliers, ainsi que des pertes fiscales potentielles. Pour les régions limitrophes, l’attractivité des emplois luxembourgeois pourrait confronter les entreprises locales à une concurrence accrue en matière de recrutements alors que l’offre de travail est déjà relativement tendue.

[4] 69 millions ont alimenté le budget des collectivités du Département de l’Ain et 226 millions en Haute-Savoie, les Départements reversant ensuite une partie aux Communes concernées par le phénomène frontalier.

Repenser la coopération transfrontalière

Photo by Jeremy Bishop on Unsplash

La Fondation IDEA a été associée aux travaux du Conseil économique et social (CES) à l’occasion de la préparation d’un Avis intitulé « Pour un développement cohérent de la métropole transfrontalière du Luxembourg dans la Grande Région » et voté à l’unanimité le 29 juin 2022. La parution de cet Avis est l’occasion de revenir sur les enjeux que pose l’émergence d’une métropole transfrontalière autour du Luxembourg. Au fil des décennies, la multiplication des interactions économiques et sociales dans ce territoire a en effet créé des aubaines, mais aussi des défis qui appellent à de nouvelles approches en matière de coopération transfrontalière.

La plupart des 220.000 travailleurs non-résidents (qui représentent près de la moitié des actifs en emploi) vivent dans un territoire qui dépasse les frontières grand-ducales de plusieurs dizaines de km, dessinant un « Grand Luxembourg » de près de 2 millions d’habitants. Le marché du travail transfrontalier est l’aspect le plus visible de l’intégration économique entre le Luxembourg et les régions limitrophes, mais il n’est pas le seul. Dans le sillage de son développement, d’autres phénomènes contribuent à rendre le Grand-duché et ses voisins toujours plus dépendants les uns des autres comme les flux de consommateurs, le développement des entreprises luxembourgeoises dans la Grande Région (et vice-versa), les besoins en infrastructures, en logements, en formation, en services publics… Avec une croissance très soutenue de l’économie et de la population s’est peu à peu constituée une métropole transfrontalière autour du Luxembourg. Cette dernière affiche des défis communs, sans pour autant disposer à ce stade de véritables outils de gouvernance, ni de projet propre à ce territoire bien spécifique.

Pourtant, la perspective d’une poursuite de l’expansion économique et démographique de cet espace pourrait bien révéler de sérieux goulets d’étranglement, qu’une approche coopérative permettrait d’envisager plus sereinement. Le manque de disponibilité de main-d’œuvre qualifiée, la rareté et le prix du logement, la saturation des infrastructures de transport, la faible disponibilité foncière pour les activités économiques et les incontournables contraintes environnementales sont des paramètres toujours plus contraignants de l’équation du développement luxembourgeois dont la clef se trouve en partie de l’autre côté des frontières nationales.

A mesure que ces défis se précisent, l’opportunité de faire émerger un projet de territoire partagé avec les régions (et les Etats) limitrophes grandit. Il consisterait à élaborer une vision commune pour un développement dynamique, cohérent et soutenable de la métropole transfrontalière du Luxembourg dans les deux ou trois prochaines décennies. Cette vision, qui serait naturellement à décliner en projets concrets, permettrait au Luxembourg d’aborder certains sujets stratégiques pour son développement mais pour lesquels il n’a pas forcément de possibilités d’agir directement, tandis qu’elle permettrait aux régions voisines de trouver des moyens de mieux bénéficier du dynamisme économique grand-ducal et d’aider à assurer la pérennité de ce moteur économique.

Un cadre de coopération à repenser face à un contexte qui évolue

Si les aubaines permises par le modèle transfrontalier restent nombreuses, l’intégration transfrontalière ne débouche toutefois pas uniquement sur des relations d’intérêt « gagnant-gagnant » dans tous les domaines. L’actualité autour des difficultés de recrutement dans certains secteurs (comme la santé) est un exemple illustrant que les politiques de coopération cherchant une meilleure mobilité à l’intérieur de la région sont une condition certes nécessaire mais pas suffisante à un bon équilibre du marché du travail pris dans son ensemble. Compte tenu des projections démographiques défavorables dans la Grande Région, elles pourraient utilement être complétées à la fois par des politiques visant à renforcer l’attractivité de l’ensemble du territoire transfrontalier pour de nouveaux actifs, mais aussi par la mise en commun de certains dispositifs de formation, voire la création de nouveaux projets, en particulier dans les métiers les plus en tension.

Rendre la métropole transfrontalière du Luxembourg plus attractive et plus soutenable nécessiterait également une meilleure coordination en matière d’aménagement du territoire, d’urbanisme et de mobilité. Il importerait par exemple de viser une densification des territoires frontaliers proches des infrastructures. En outre, il serait nécessaire d’améliorer les liaisons ferroviaires transfrontalières et de mettre en œuvre une intégration plus poussée de la gestion transports en commun (lignes, tarification, sociétés d’exploitation, etc.).

Un tel projet pourrait mener à créer de nouveaux organes de coordination et de décision transfrontaliers qui se superposent mieux au territoire, mais aussi des mécanismes de financement à la hauteur des enjeux et encadrés dans des conventions bilatérales.

Vers la coopétition économique transfrontalière

En matière de coopération économique, il pourrait être opportun de réfléchir à de nouvelles actions qui permettraient d’adresser à la fois la « saturation territoriale » luxembourgeoise, la poursuite d’une croissance économique soutenue et la convergence économique des régions limitrophes, tout en exploitant les aubaines liées au contexte transfrontalier de la métropole.

Il pourrait dès lors être intéressant de s’inspirer concept de « coopétition ». La fonction objective des autorités publiques de tout territoire est d’y attirer et d’y développer des activités afin de créer de la valeur ajoutée, de l’emploi, des revenus et des recettes publiques. Il paraît difficile de renverser une telle logique de concurrence « naturelle » entre les territoires. Pour autant, les spécificités de la métropole transfrontalière du Luxembourg offrent des opportunités d’aller plus loin en matière de coopération économique et permettraient de renforcer son attractivité et sa compétitivité d’ensemble. Des acteurs en situation de concurrence dans un domaine peuvent tout à fait s’engager dans une logique de « coopération de circonstance » pour mettre en avant les forces et opportunités du territoire et pour jouer sur des effets de synergie et d’échelle. Quelques propositions concrètes qui répondent à cette logique mériteraient d’être étudiées.

Il serait par exemple utile de promouvoir avec les partenaires voisins un « modèle d’entreprise transfrontalière » qui joue sur les avantages comparatifs du territoire dans son ensemble avec l’objectif d’encourager des investisseurs à développer des activités sur plusieurs pays tout en restant proches géographiquement. Pour mettre en œuvre cette idée, des agences de développement économique transfrontalières pourraient être établies sur la base d’une coopération renforcée entre les acteurs existants qui remplissent cette fonction dans leurs pays respectifs. L’aménagement de zones d’activités transfrontalières pourrait également faciliter la concrétisation de tels projets. Le développement de plateformes logistiques d’intérêt commun avec des accords fiscaux et douaniers transfrontaliers aurait du sens compte tenu des potentiels du territoire transfrontalier. Le modèle de l’aéroport Bâle-Mulhouse pourrait servir de base à ces accords. Enfin, les politiques de recherche et d’innovation et les outils associés (clusters, équipements de recherche, etc.) pourraient également gagner à être davantage intégrées à l’échelle transfrontalière.

Consulter en ligne l’Avis

Pour télécharger l’Avis :

couverture Avis CES 2022

Tableau de bord économique et social – Juin 2022

Le Tableau de bord économique et social d’IDEA offre deux nouveaux indicateurs permettant de mieux appréhender la situation du Luxembourg dans le contexte actuel : la décomposition de l’indice des prix à la consommation selon 4 grandes catégories (énergie, alimentation, services et biens industriels) et les encours des crédits aux entreprises non financières luxembourgeoises.

L’ombre d’un doute

Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février dernier, la principale conséquence dans le paysage conjoncturel luxembourgeois est l’accélération de l’inflation. Mais les effets potentiels du prolongement de la guerre, l’installation de la dynamique inflationniste et l’environnement de hausse des taux font planer un doute sur le scénario économique et social pour la deuxième moitié de 2022.

Au 1er trimestre, le PIB a marqué une progression de 1,2% (+4% en glissement annuel), plaçant l’acquis de croissance pour 2022 à 2,7%. Les comptes nationaux montrent une hausse du solde extérieur du pays (+10,5%) et de la consommation intérieure (+1%), mais un recul de l’investissement (-6,2%) par rapport au trimestre précédent. Le STATEC a présenté trois scénarios d’évolution du PIB pour 2022, allant d’une récession de -1,1% à un scénario central à +2%.

Les principaux indicateurs d’activité restent orientés favorablement dans la construction et les services non-financiers. Ils sont repartis à la hausse dans l’industrie, mais marquent légèrement le pas dans le commerce. Le niveau des faillites et des liquidations judiciaires est en baisse. Les actifs des fonds luxembourgeois sont en recul depuis le début de l’année en raison de la situation dégradée des marchés financiers qui affecte la place financière. Sur les 4 premiers mois de l’année, le total des nouveaux crédits octroyés aux sociétés non financières par les banques luxembourgeoises ainsi que le total de l’encours de crédit des entreprises luxembourgeoises sont en baisse.

Le marché du travail reste très dynamique. 5.319 emplois salariés supplémentaires ont été créés sur les 4 premiers mois de l’année, dont 60% concernent des frontaliers. Le chômage continue de reculer et s’établit à 4,7% en avril, son niveau le plus bas depuis décembre 2008 et le stock d’offre d’emplois disponibles déclarés à l’ADEM continue de battre des records (12.684 postes).

L’inflation et ses composantes

La hausse des prix à la consommation s’est accélérée depuis février et atteint 6,8% sur un an au mois de mai. Depuis le début de l’année, la composante énergétique explique 38% de l’inflation. Les services contribuent désormais à hauteur de 30%, suivis des biens industriels (19%) et de l’alimentation (13%). Les anticipations de prix de vente pour les mois à venir sont fortement orientées à la hausse, laissant présager une poursuite de la tendance. Dans les différents scénarios proposés par le STATEC, l’inflation annuelle se situerait autour de 6%.

 Source : STATEC, Calculs IDEA

Pour télécharger le Tableau de bord

Décryptage N°23: Inflation énergétique, quel impact sur le budget des ménages en 2022 ?

Les prix énergétiques ont littéralement pris l’ascenseur à partir de septembre 2021, dans un premier temps dans le contexte de la crise sanitaire, des ruptures corrélatives de chaînes d’approvisionnement et du fort rebond économique qu’elle a occasionné en 2021 après le « creux » manifeste de 2020. Ce renchérissement de l’énergie, qui aurait pu n’être qu’un « feu follet », s’est ensuite cristallisé et même renforcé suite à l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022. En l’espace de quelques mois, le coût pondéré de l’énergie pour un ménage « moyen » a connu une augmentation de l’ordre de 40%. Le présent décryptage vise à cerner l’impact de cette dernière sur les ménages, compte tenu également des mesures mises en œuvre par les autorités suite à l’accord « tripartite » du 31 mars 2022.

Télécharger le Décryptage :

Inflation énergétique

Télécharger le communiqué de presse (synthèse des conclusions) :

Communiqué de presse Décryptage_N23_Inflation énergétique

De l’avenir du prix et de la quantité de logements !

Premier poste de dépenses, à l’origine de près d’un milliard d’euros d’interventions publiques sous forme d’aides directes (subvention de loyer, aides à l’acquisition de la résidence principale, dépenses pour les constructions d’ensemble, etc.) et indirectes (bëllegen akt, déductibilité des intérêts d’emprunts, amortissement pour les logements donnés en location, déduction d’assurance solde restant dû, TVA logement, etc.), principale classe d’actifs investis par les ménages, auréolé de valeurs sentimentalo-patrimoniales, vecteur de sociabilité et déterminant du parcours scolaire, le logement est un bien nécessaire à une vie décente et un déterminant majeur du bien-être des familles.

Est-il donc normal que la « crise du logement » soit en tête des préoccupations des résidents du Luxembourg qui constatent, pantois et inquiets, que le prix du m2 évolue plus vite que leurs revenus et que le nombre de ménages évolue plus rapidement que le stock de logements.

Les solutions « théoriques » à ces problèmes de cherté et de quantité sont évidentes. Il faudrait une modération de la hausse des prix immobiliers – voire un recul des prix pour qu’ils redeviennent des multiples moins élevés des revenus moyens – et construire plus de logements.

Mais tout cela est bien plus facile à souhaiter qu’à atteindre !

Dans un Luxembourg où s’acheter un logement est à la fois une espérance et un saint graal, près de 70% des ménages sont propriétaires. Il est dès lors évident que – fort logiquement – la majorité de la population ne gouterait que peu que la hausse des prix immobiliers, symbole de la crise du logement, soit remplacée par un recul des prix, synonyme de crise immobilière et d’appauvrissement patrimonial. S’agissant de la simple « modération de la hausse », elle est certes plus souhaitable et admissible mais ne se décrète pas ni ne se pilote. Le Luxembourg étant un petit pays riche/ouvert/ attractif/en forte croissance où l’épargne est abondante, les infrastructures de qualité et la règlementation urbanistique et immobilière sophistiquée, les prix ont tendance à suivre la loi de l’offre et de la demande. La capacité des Ministres du logement à influencer l’évolution des prix immobiliers y est donc factuellement plutôt limitée et tant qu’il existera des investisseurs (bailleurs ou propriétaires occupants) capables de payer les prix de plus en plus élevés demandés, y compris dans des zones inondables, de tels prix seront demandés et la hausse se poursuivra sans qu’il ne soit possible de décréter – ni même d’anticiper – la magnitude, la durée ni le maximum atteignable.

Source : STATEC, CHD, BRI

S’agissant du noble objectif de « construire plus et plus vite » afin d’éviter que le parc de logements ne soit sous-dimensionné, il est contraint, comme généralement évoqué, par la rétention foncière, par l’autonomie communale et par la règlementation (étude environnementale stratégique, législation en matière de commodo-incommodo, loi sur les sites et monuments classés, etc.) ; mais, et cela est moins souvent dit, la disponibilité de la main-d’œuvre est un facteur de frein à l’activité qu’il ne faut pas sous-estimer. Le secteur de la construction – qui emploie 10% des salariés au Luxembourg contre 6% en moyenne au sein de l’UE – se plaint depuis de nombreuses années de problèmes liés au manque de main-d’œuvre qui serait, nécessairement, exacerbé si la production de logements devait progresser de 50% pour atteindre les 6.000 unités par an, ce qui permet de douter de la possibilité d’atteindre de façon pérenne un tel niveau de construction.

En somme, il n’est pas impossible que les prix immobiliers continueront de grimper au Luxembourg et que le pays continuera de craindre une pénurie de logements dans un horizon prévisible[1] !


[1] Voir à ce sujet : Michel-Edouard Ruben (2019), Logement au Luxembourg : le pire serait-il à venir ?

Document de travail N°18 : Crise du logement : Persistance, faux-semblants, vrais enjeux, Et cetera !

À bien y regarder, le Luxembourg a « toujours » été en prise avec une « crise du logement », tout en ayant été relativement épargné par les épisodes de « crise immobilière ». Le Document de Travail N°18 revient sur cet état de fait et formule 24 recommandations pour un renouveau de la politique luxembourgeoise du logement.

Ces propositions et tout ce qui pourrait (utilement) les compléter (e.g. politique familiale, éducation à la pérennité de la vie en couple, tombola immobilière pour les travailleurs essentiels, etc.) n’ont pas pour vocation première de faire baisser les prix immobiliers.

La politique du logement devrait plutôt avoir au centre de sa fonction objective la réduction des coûts d’accès à un logement décent pour ceux qui sont véritablement contraints financièrement, la protection des intérêts du fisc, la réduction des rentes, la récupération par la voie fiscale d’une partie des aides versées au cours des décennies précédentes, l’augmentation du nombre de transactions (portant notamment sur des terrains non-bâtis et des logements inoccupés ou sous-occupés), une politique de vente de logements par la main publique moins porteuse d’injustice et qui n’entend pas figer la mobilité sociale intergénérationnelle, un meilleur ciblage des aides à la personne, davantage de construction et d’acquisition de logements par le secteur public… sans tourner le dos à l’objectif que le Luxembourg demeure une démocratie de propriétaires.

Pour télécharger le Document de travail :

Podcast : « Le Luxembourg, si loin, si proche »

Vincent Hein était l’invité de la radio RCF Lorraine jeudi 10 février. Interrogé par Roger Cayzelle et Arlette Pergent, il est principalement intervenu sur les travaux d’IDEA en matière de coopération transfrontalière et les défis du développement du Luxembourg à long terme. L’émission fut également l’occasion d’aborder diverses contributions d’IDEA au débat public sur le logement et la crise Covid, notamment.

Pour écouter l’émission :

Tableau de bord économique et social – Janvier 2022

Du bon, Omicron et des tensions !

Malgré la forte reprise épidémique, les opinions des entreprises concernant l’activité étaient plutôt positives au Grand-Duché en décembre, laissant entrevoir des effets économiques limités. Elles restent bien orientées pour les prochains mois dans la construction, les services non-financiers et l’industrie, avec toutefois une anticipation de hausse des prix. En revanche, les perspectives pour les prochains mois se dégradent dans le commerce.

Dans sa dernière note de conjoncture, le STATEC estimait la croissance pour 2021 à 7%, avec un acquis de croissance encourageant de 6,9% au troisième trimestre.

L’inflation en base annuelle se stabilise en décembre grâce, notamment au repli des prix des produits pétroliers, mais elle reste élevée (+4,1%). En revanche, le constat n’est pas le même pour la zone euro où elle poursuit sa hausse et se situe à 5% en décembre.

Le chômage continue sa décrue dans la zone euro à l’instar du Luxembourg, où il se situe à son niveau d’avant crise.

Le solde budgétaire de l’Administration centrale est redevenu positif pour la période de janvier à novembre 2021.

Grâce aux mesures de soutien, la vague de faillites redoutée n’a pas vu le jour et le nombre de faillites a baissé de 1,5% en 2021. Cependant, les liquidations judiciaires sont en hausse, passant de 965 en 2020 à 1.016 en 2021. Les sociétés holding et fonds de placement ainsi que les commerces restent particulièrement touchés par ces phénomènes.

Face à une déferlante de cas positifs de Covid, plusieurs pays, dont le Luxembourg, ont dû à nouveau mettre en place des mesures de restriction. Le secteur de l’HORECA, notamment, pourrait être affecté par les fermetures des bars et restaurants à 23h. Les demandes de chômage partiel ont donc naturellement augmenté. Le chiffre de décembre reste toutefois assez provisoire, car les délais pour déposer une demande d’un plan de maintien dans l’emploi ont été allongés suite à la tripartite du 13 décembre 2021. En outre, en raison de la multiplication des infections et de l’isolement des personnes cas contacts et infectées, l’activité de certaines entreprises pourrait être perturbée dans les prochaines semaines.

Côté consommateurs, l’indicateur synthétique de confiance poursuit sa tendance à la baisse. Leurs perspectives concernant l’évolution de l’emploi sur les prochains mois sont de plus en plus pessimistes

Pour télécharger le Tableau de bord :

Pour télécharger le Tableau de bord

Pour la création d’un Fonds de Codéveloppement transfrontalier

Le Luxembourg est sorti plus rapidement de la récession pandémique que la plupart des pays de la zone euro et les mesures de stabilisation tout comme les dispositifs d’aide à la reprise semblent avoir pleinement joué leur rôle, limitant les pertes de revenus des entreprises et des ménages. Cette phase de reprise est néanmoins marquée par une accumulation d’incertitudes et de défis pour l’avenir. En complément des principales mesures annoncées dans le cadre de la présentation de la loi budgétaire pour 2022 visant à renforcer les investissements publics, accompagner la transition énergétique, rendre le logement plus abordable et soutenir la formation ainsi que la transition digitale, plusieurs mesures complémentaires pourraient être prises dans le but d’améliorer la protection des ménages les plus vulnérables, de soutenir les entreprises, de limiter la pression sur le marché de l’immobilier et de ne pas injurier l’avenir du pays. Ces propositions font l’objet de 9 amendements.

Le neuvième amendement proposé dans le Document de Travail N°17 vise la création d’un Fonds de Codéveloppement transfrontalier .

Pour la création d’un Fonds de Codéveloppement transfrontalier

Le modèle de développement économique et social luxembourgeois repose en partie sur une interdépendance croissante avec ses territoires transfrontaliers[1]. La « métropole transfrontalière » qui émerge de cette dynamique ne dispose pas pour autant d’organes de coopération à cette échelle, alors qu’il s’agit d’un territoire hautement stratégique pour le Luxembourg.

Le « territoire économique et social » du pays dépasse en effet ses frontières nationales, mais il est plus restreint que celui de la Grande Région, ce qui a pour conséquence qu’il n’existe pas d’outils de gouvernance adaptés à cet espace.

Si certains phénomènes continuaient de s’amplifier au rythme actuel (distorsions sur le marché du logement, pénuries de personnel, congestion des infrastructures, etc.) cela pourrait représenter un réel risque pour l’économie luxembourgeoise. Ce constat plaide ainsi pour un renforcement de la coopération transfrontalière selon un objectif de codéveloppement. Cela impliquerait notamment d’aller bien au-delà de la logique de financements ponctuels de projets bilatéraux (principalement dans la mobilité) mais aussi de celle de « compensation » (transferts financiers aux communes voisines sans visibilité sur leur objet et sans évaluation des investissements publics) afin d’entrer progressivement dans une logique développement plus équilibré, comme cela se pratique par exemple déjà dans le Grand Genève[2].

Cela nécessiterait de construire avec les partenaires transfrontaliers une stratégie d’aménagement du territoire avec des priorités partagées, mais également de mettre des moyens en commun pour y parvenir.

Afin d’appuyer cette démarche, la création d’un fonds de codéveloppement pourrait être actée. Ce fonds pourrait servir à lancer des appels à projets pour co-financer avec les collectivités et/ou les Etats voisins des infrastructures de mobilité, des projets de formation communs, des équipements sociaux, culturels, environnementaux… Ces projets pourraient être indifféremment développés du côté luxembourgeois ou étranger, l’important étant qu’ils aient une plus-value transfrontalière, c’est à dire qu’ils contribuent à renforcer la fluidité, la cohérence, l’attractivité et la durabilité du territoire transfrontalier pris dans son ensemble. Le bon fonctionnement du système territorial transfrontalier et une plus grande « adhésion » des responsables politico-économiques frontaliers à ce projet de territoire bénéficieraient au Luxembourg sur le long terme.

 


[1] Voir : Vincent Hein, Fondation IDEA asbl, Document de travail n°13 : Le codéveloppement dans l’aire métropolitaine transfrontalière du Luxembourg. Vers un modèle plus soutenable ? Novembre 2019.

[2] Voir : https://www.grand-geneve.org/agglomeration-transfrontaliere.

Pour la création d’un Fonds des Calamités au Luxembourg

Le Luxembourg est sorti plus rapidement de la récession pandémique que la plupart des pays de la zone euro et les mesures de stabilisation tout comme les dispositifs d’aide à la reprise semblent avoir pleinement joué leur rôle, limitant les pertes de revenus des entreprises et des ménages. Cette phase de reprise est néanmoins marquée par une accumulation d’incertitudes et de défis pour l’avenir. En complément des principales mesures annoncées dans le cadre de la présentation de la loi budgétaire pour 2022 visant à renforcer les investissements publics, accompagner la transition énergétique, rendre le logement plus abordable et soutenir la formation ainsi que la transition digitale, plusieurs mesures complémentaires pourraient être prises dans le but d’améliorer la protection des ménages les plus vulnérables, de soutenir les entreprises, de limiter la pression sur le marché de l’immobilier et de ne pas injurier l’avenir du pays. Ces propositions font l’objet de 9 amendements.

Le huitième amendement proposé dans le Document de Travail N°17 vise la création d’un Fonds des Calamités au Luxembourg.

Pour la création d’un Fonds des Calamités au Luxembourg

Selon un rapport du Ministère de l’environnement, du Climat et du Développement durable[1], « il faut s’attendre à une baisse des précipitations pendant les mois d’été et une hausse des précipitations hivernales. Reliées à des températures de l’air plus élevées (…), ces évolutions font baisser la probabilité de chute de neige et augmenter simultanément le risque d’inondation. » La tornade d’août 2019 et les inondations de juillet 2021 ont en effet montré à quel point les catastrophes naturelles peuvent être traumatiques, inattendues, onéreuses et récurrentes[2].

Dans un tel contexte, le Luxembourg pourrait se doter d’un Fonds pour les calamités naturelles. Celui-ci permettrait de garantir des réserves mobilisables rapidement en cas d’événements climatiques graves. L’idée serait ainsi de capitaliser sur les excédents budgétaires pour palier les conséquences dramatiques d’un évènement futur dont les dégâts pourraient potentiellement se chiffrer à plusieurs dizaines voire centaines de millions d’euros. Dans son avis sur le projet de loi concernant le budget de l’Etat pour l’exercice 2022[3], la Cour des comptes a par ailleurs fait le même constat et recommande aussi  la création d’un « fonds spécial dédié au financement des dommages occasionnés par les catastrophes naturelles susceptible de renforcer la capacité d’absorption de notre économie face à des événements liés au changement climatique. »

Dans son objet, ce nouveau Fonds pourrait s’inspirer du Fonds wallon des Calamités, qui prévoit une aide à la réparation aux sinistrés. Le but de ce dernier n’est pas « de remplacer ou de compléter les indemnités octroyées par les compagnies d’assurance » mais plutôt « (…) de permettre aux sinistrés de retrouver une vie normale et de recouvrer des biens de première nécessité.[4] » Le budget du Fonds wallon des Calamités était de l’ordre de 29,7 millions d’euros en 2021[5]. 200 millions d’euros supplémentaires ont toutefois été alloués au cours de l’année après les innondations de juillet[6].

En Belgique « seuls les dommages directs, matériels et certains aux biens corporels, meubles ou immeubles (…) sont indemnisables ». Avec des montants maximums imposés, il s’agit notamment d’immeubles extérieurs (abri de jardin, terrasse…), de meubles extérieurs (mobilier de jardin, jeux d’enfants…), certains types de véhicules, vélos, des biens corporels affectés à une activité professionnelle, établissement public, fondation ou ASBL (matériel de bureau), des biens agricoles et horticoles (bétail, récoltes…), des peuplements forestiers et des biens relevant du domaine public. En revanche, les aides ne concernent pas les bâtiments et leur contenu, et certains biens sont exclus des remboursements.

En cas de besoin, ce Fonds pourrait également intervenir pour octroyer des avances remboursables aux compagnies d’assurances. Il permettrait également de centraliser les lignes budgétaires des Ministères concernés[7].

Neuf types de catastrophes naturelles seraient pris en compte : inondation par ruissellement et par débordement, tempête, tornade, grêle, accumulation de neige, séisme, affaissement et glissement de terrain et éboulement rocheux. Finalement, un remboursement plus généreux, dans le périmètre d’aide et/ou dans les plafonds, pourrait être attribué aux personnes à faibles revenus.

 


[1]Voir : Le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg (2018) : Stratégie et plan d’action pour l’adaptation aux effets du changement climatique au Luxembourg 2018-2023

[2]Selon l’Association des Compagnies d’Assurances (ACA), la tornade et les inondations ont respectivement coûté 100 millions d’euros en 2019 et 125 millions d’euros en 2021. Voir : ACA (2019): 100 millions d’euros : le montant d’indemnisation (…) & (2021): inondations de juillet 2021, Communiqués de Presse

[3]Voir : Cour des comptes (2021): Avis sur le projet de loi 7878 concernant le budget des recettes et des dépenses de l’Etat pour l’exercice 2022 et le projet de loi 7879 relatif à la programmation financière pluriannuelle pour la période 2021 à 2025, Page 21

[4]Voir : Wallonie Service Public (2021) : Calamités Naturelles Publiques – Guide à destination des pouvoirs locaux

[5]Voir : Parlement Wallon (2020):  Projet de décret – contenant le budget général des dépenses de la Région wallonne pour l’année budgétaire 2021, Session 2020-2021

[6]Voir : Wallonie (2021) : [Inondations] La Wallonie dégage des aides aux sinistrés, Aides et soutiens, Catastrophes et calamités

[7]A titre d’illustration, lors des inondations de juillet 2021, ont été mobilisés le Ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région (aide financière pour les ménages privés), le Ministère de l’Economie (aide financière pour les entreprises sinistrées suite aux inondations), le Ministère du Travail (chômage partiel en cas de force majeure applicable aux entreprises sinistrées), le Ministère de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural (aide financière pour les exploitations agricoles) et enfin le Ministère de l’Intérieur (aides aux communes).

Pour la création d’une Commission nationale des infrastructures

Le Luxembourg est sorti plus rapidement de la récession pandémique que la plupart des pays de la zone euro et les mesures de stabilisation tout comme les dispositifs d’aide à la reprise semblent avoir pleinement joué leur rôle, limitant les pertes de revenus des entreprises et des ménages. Cette phase de reprise est néanmoins marquée par une accumulation d’incertitudes et de défis pour l’avenir. En complément des principales mesures annoncées dans le cadre de la présentation de la loi budgétaire pour 2022 visant à renforcer les investissements publics, accompagner la transition énergétique, rendre le logement plus abordable et soutenir la formation ainsi que la transition digitale, plusieurs mesures complémentaires pourraient être prises dans le but d’améliorer la protection des ménages les plus vulnérables, de soutenir les entreprises, de limiter la pression sur le marché de l’immobilier et de ne pas injurier l’avenir du pays. Ces propositions font l’objet de 9 amendements.

Particulièrement au Luxembourg, les infrastructures publiques doivent être sélectionnées avec soin et dans une perspective de long terme. Il est proposé à cette fin de créer, sur l’exemple britannique mais en tenant compte des spécificités du Luxembourg, une Commission nationale des infrastructures. Autonome, elle déposerait annuellement un rapport détaillé à la Chambre des Députés.

Pour la création d’une Commission nationale des infrastructures

Une planification rigoureuse et à long terme des infrastructures publiques revêt une énorme importance au Luxembourg, pays se caractérisant par une étroite imbrication avec les Etats environnants et par une progression tendancielle de la population de 2% l’an, contre à peine 0,5% en moyenne dans les pays voisins. Divers « obstacles à la croissance » se manifestent en outre d’ores et déjà, en matière notamment de mobilité et de logement. Une réflexion transversale sur les besoins en infrastructures à long terme, à tous les stades du « cycle de vie » d’un citoyen ou d’un frontalier (crèches, éducation, transports, infrastructures culturelles et sportives, hôpitaux et centres médicaux, logements, maisons de repos, etc.) s’impose dès lors, dans une démarche résolument holistique et proactive associant les infrastructures, l’environnement, le processus de croissance et les aspects sociaux voire sociologiques.

Le Luxembourg est loin de partir d’une page blanche en la matière. Les projets publics d’infrastructure (mobilité, santé, éducation, logement, etc.) sont en effet détaillés dans les projets de loi successifs, mais sur un horizon se cantonnant à 5 années (soit de 2021 à 2025 dans le projet de budget pluriannuel déposé en octobre dernier)[1]. Les infrastructures font également l’objet d’une préparation et d’une planification à plus long terme au sein des divers ministères et des autorités concernées, comme l’atteste par exemple la volonté gouvernementale de présenter en 2022 un Plan National de Mobilité 2035, qui sera précisé par des études régionales. Une vision d’ensemble à moyen terme, intégrant l’ensemble des infrastructures ainsi que les variables socio-économiques et démographiques, viendrait utilement compléter ce cadre existant, de manière pleinement transparente voire participative et en associant à toutes les étapes l’expertise disponible au Grand-Duché.

A cette fin, il serait opportun de créer au Luxembourg, selon l’exemple du Royaume-Uni[2] mais en tenant compte des spécificités nationales, une Commission Nationale des Infrastructures. Elle bénéficierait d’une grande indépendance fonctionnelle[3] et serait composée d’experts reconnus et de représentants des ministères, administrations et pouvoirs locaux concernés, ce qui permettrait de lui conférer une dimension réellement pluridisciplinaire.

Sa principale – sinon unique – tâche consisterait à identifier les besoins en infrastructures sur un horizon d’une vingtaine d’années au moins, soit une génération, en fonction des différentes stratégies d’aménagement du territoire existantes et d’établir une liste de projets par ordre de priorité. Elle serait amenée à consulter en permanence la « société civile » (académiques et experts, Conseil Supérieur de l’Aménagement du Territoire, Conseil supérieur pour un développement durable, partenaires sociaux, différents segments de la population en fonction du revenu, de la classe, de l’âge, les frontaliers, etc.), ainsi que des représentants de la Grande Région du fait de la forte imbrication du Luxembourg avec les espaces transfrontaliers environnants.

Les rapports de la Commission, qui outre les aspects techniques des projets détailleraient notamment la philosophie inhérente aux choix opérés et les hypothèses socio-économiques et démographiques, seraient présentés à la Chambre des Députés bien en amont de la procédure budgétaire. Les documents budgétaires devraient spécifier explicitement comment les recommandations de la Commission ont été (ou non) prises en compte lors de l’établissement du projet de budget, selon le principe « comply or explain ». La Commission pourrait également publier, en marge de la procédure budgétaire, des recommandations aux autorités et des avis et évaluations dans ses divers domaines d’expertise[4].


[1] Dans son rapport sur le projet de budget 2022, la Commission des Finances et du Budget de la Chambre des Députés reconnaît d’ailleurs ces insuffisances, puisqu’elle préconise « l’établissement d’une vue exhaustive des investissements, éventuellement sous forme d’un tableau, qui permet de renseigner la cible et le montant inscrit en vue de faciliter le suivi de l’évolution des dépenses d’investissement au fil des exercices budgétaires successifs » (page 95 ; voir ).

[2] Voir le site https://nic.org.uk/ pour plus de détails. La Commission britannique évalue actuellement les besoins en infrastructures d’ici 2050 (horizon de 30 années environ).

[3] C’est le cas de la Commission britannique, même si cette dernière est administrativement une agence dépendant du Trésor (« HM Treasury »).

[4] Ainsi et à titre d’exemple, la Commission britannique a déjà publié des recommandations concernant les risques d’inondations (liées au réchauffement climatique et/ou au débordement des cours d’eau), données statistiques historiques à la clef (voir https://nic.org.uk/themes/water-floods/).

Pour un réexamen de la contribution de l’Etat à l’Université du Luxembourg

Le Luxembourg est sorti plus rapidement de la récession pandémique que la plupart des pays de la zone euro et les mesures de stabilisation tout comme les dispositifs d’aide à la reprise semblent avoir pleinement joué leur rôle, limitant les pertes de revenus des entreprises et des ménages. Cette phase de reprise est néanmoins marquée par une accumulation d’incertitudes et de défis pour l’avenir. En complément des principales mesures annoncées dans le cadre de la présentation de la loi budgétaire pour 2022 visant à renforcer les investissements publics, accompagner la transition énergétique, rendre le logement plus abordable et soutenir la formation ainsi que la transition digitale, plusieurs mesures complémentaires pourraient être prises dans le but d’améliorer la protection des ménages les plus vulnérables, de soutenir les entreprises, de limiter la pression sur le marché de l’immobilier et de ne pas injurier l’avenir du pays. Ces propositions font l’objet de 9 amendements.

L’évaluation de la contribution de l’Etat à l’Université du Luxembourg semble peu réaliste au sein du projet de budget pluriannuel déposé en octobre, où ce poste budgétaire n’augmente qu’à raison de 2% l’an de 2021 à 2025. Une telle évolution ne comporte aucune marge pour la revalorisation des rémunérations, en faveur d’un renforcement du personnel ou en vue du financement de nouvelles missions éventuelles – comme un master en médecine ou un pôle de développement durable.

Pour un réexamen de la contribution de l’Etat à l’Université du Luxembourg

Selon le projet de budget pluriannuel, la principale contribution de l’Etat à l’Université du Luxembourg, soit un crédit non limitatif qui représentait en 2020 74% des recettes totales de l’institution, ne progresserait que de l’ordre de 2% l’an de 2021 à 2025 – passant de 215,6 à 234,9 millions d’euros. Ce rythme d’augmentation pour le moins tempéré, à peine supérieur à l’inflation anticipée sur cet horizon temporel, pose la question générale du réalisme du projet de budget pluriannuel.

Tout d’abord, ce projet va à rebours de l’ambition affichée de miser sur l’économie de la connaissance et sur la diversification économique, en faveur d’un écosystème de la santé notamment. Une extension des études de médecine (en direction d’un master) d’ici 2025 constituerait déjà une source additionnelle de coûts, éminemment souhaitable d’ailleurs afin de favoriser l’ancrage au Luxembourg des professions de santé et de pallier de la sorte tout risque de future pénurie médicale.

Un volant financier additionnel pourrait par ailleurs être nécessaire, en vue de l’émergence d’un 4ème pôle interdisciplinaire « développement durable » à l’Université. Ce dernier est tout sauf chimérique. Il a en effet été explicitement annoncé par le Gouvernement dans le discours du 12 octobre sur « l’état de la Nation ». Des synergies avec des institutions existantes (le LIST, par exemple) permettraient certes de « limiter la facture », sans pour autant la réduire à néant.

En outre, le plus récent rapport d’activité de l’Université mentionne des frais de personnel[1] s’élevant à 57% des dépenses totales de l’institution. Dans une optique de prévisibilité et de gestion budgétaire « saine et réaliste », il conviendrait dès lors de prévoir (au prorata) une marge d’augmentation des crédits incorporant l’augmentation prévisible des salaires moyens – y compris l’incidence « mécanique » des progressions barémiques.

L’estimation « réaliste » du crédit présuppose également la prise en compte de la vraisemblable augmentation du nombre d’étudiants d’ici 2025 – et par voie de conséquence d’une hausse minimale de l’encadrement. Pour rappel, de l’année académique 2010/2011 à l’année 2020/2021 – soit en l’espace de dix années – le nombre d’étudiants s’est accru de quelque 2,7% l’an en moyenne, ce qui s’explique en partie par la relative « jeunesse » de l’Université du Luxembourg dont la création date de 2003.

Dans ce contexte, il conviendrait d’établir un budget pluriannuel plus réaliste. A titre d’exemple et faute d’informations plus précises, il est supposé pour les besoins de ce blog que les rémunérations moyennes vont augmenter de 1% par an en termes réels d’ici 2025. Par ailleurs, les effectifs vont par hypothèse progresser de 1,5% l’an, soit la moitié environ de la hausse moyenne du nombre d’étudiants observée sur les dix dernières années (ce qui revient à incorporer, en quelque sorte, une augmentation tendancielle de l’« efficience » de l’institution).

Conditionnellement à une évolution des autres dépenses (hors personnel) strictement parallèle à celle de l’indice des prix à la consommation, la dotation à l’Université s’établirait à 244,4 millions d’euros en 2025. Ce montant doit être comparé aux 234,9 millions actuellement prévus dans le budget pluriannuel, ce qui équivaut à une augmentation de 9 millions du crédit budgétaire concerné et ce sur un horizon de quatre années.

Il pourrait par ailleurs s’avérer nécessaire de prévoir une marge budgétaire additionnelle, certes difficilement chiffrable à ce stade, qui soit en phase avec les missions nouvelles (éventuelles ou déjà annoncées) que pourrait se voir confier l’Université du Luxembourg dans les années à venir.

A politique inchangée, le projet de budget pluriannuel paraît donc peu réaliste. Sauf mise en œuvre résolue d’une pratique davantage orientée vers les résultats (« outputs et outcomes »[2]), mais une telle orientation exige une minutieuse préparation et ses résultats à court terme ne sont nullement garantis dans un contexte où les rémunérations (difficilement compressibles en une poignée d’années) représentent l’essentiel des dépenses.


[1] Hors paiement des fonctionnaires, qui fait l’objet d’un crédit budgétaire spécifique.

[2] Le projet de budget mentionne certes, mais de manière peu détaillée, une telle stratégie : « Le Gouvernement est en train d’établir, en concertation avec les acteurs concernés, les conventions de mise en œuvre des activités d’enseignement supérieur et de recherche pour les années 2022-2025. Conformément à la philosophie de ces conventions pluriannuelles, l’Université du Luxembourg, le Fonds national de la recherche et les Centres de recherche publics Luxembourg Institute of Health (LIH), Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER) et Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST) s’engagent à atteindre un certain nombre d’objectifs concrétisés par des indicateurs et des résultats d’output en contrepartie de la dotation financière de l’État ».

Trois propositions concrètes en matière de fiscalité foncière

Le Luxembourg est sorti plus rapidement de la récession pandémique que la plupart des pays de la zone euro et les mesures de stabilisation tout comme les dispositifs d’aide à la reprise semblent avoir pleinement joué leur rôle, limitant les pertes de revenus des entreprises et des ménages. Cette phase de reprise est néanmoins marquée par une accumulation d’incertitudes et de défis pour l’avenir. En complément des principales mesures annoncées dans le cadre de la présentation de la loi budgétaire pour 2022 visant à renforcer les investissements publics, accompagner la transition énergétique, rendre le logement plus abordable et soutenir la formation ainsi que la transition digitale, plusieurs mesures complémentaires pourraient être prises dans le but d’améliorer la protection des ménages les plus vulnérables, de soutenir les entreprises, de limiter la pression sur le marché de l’immobilier et de ne pas injurier l’avenir du pays. Ces propositions font l’objet de 9 amendements.

Centré sur la lutte contre la rétention immobilière et foncière dans le cadre d’une réforme globale de l’impôt foncier, cet amendement « tricéphale » (proposé dans le Document de Travail N°17 ) vise à réactiver l’impôt foncier dit « B6 » en introduisant un niveau plancher (« corridor »), à réfléchir à une « bedroom tax » à la luxembourgeoise et à mettre en place une évaluation plus objective de la valeur unitaire.

Trois propositions concrètes en matière de fiscalité foncière

Au Grand-Duché, l’impôt foncier ne pèse actuellement que 0,05% du PIB. Un montant infime, tant par rapport à son niveau enregistré au Grand-Duché en 1970 – soit 0,3% du PIB – qu’à l’aune du ratio de 1,2% du PIB observé en 2020 au sein de l’Union européenne. Cette défaillance de l’impôt foncier grand-ducal s’explique surtout par le fait que la valeur unitaire, soit la pierre angulaire de la détermination de cet impôt, n’a été révisée que de manière ponctuelle et parcellaire depuis 1941.

Les autorités ont certes pris conscience de la situation. Dans sa déclaration du 12 octobre sur la situation économique, sociale et financière du pays, le Premier Ministre s’est engagé à déposer dans les 12 mois un projet de loi portant réforme de l’impôt foncier. Il importe selon lui de taxer davantage les terrains constructibles vides et les logements non occupés et ce dans le contexte d’une « réforme générale de l’impôt foncier ».

Sans préjudice de l’aboutissement de la discussion en cours, trois « sous-propositions » pragmatiques sont avancées.

En premier lieu, une application plus homogène des outils existants mis à la disposition des communes s’impose, afin de lutter contre la rétention foncière. Ainsi, le levier de l’impôt foncier spécifique dit « B6 », portant sur les terrains à bâtir à des fins d’habitation et désignés comme tels depuis au moins trois ans, est ignoré par environ un quart des communes. De surcroît, les pouvoirs locaux osant recourir à cet instrument présentent des taux de taxation foncière pour le moins disparates.  Afin de pallier cette situation, il est proposé de définir un « corridor » de taux au titre de l’impôt foncier B6. Il ne s’agirait nullement d’une inqualifiable atteinte au principe de l’autonomie communale, puisqu’un corridor de ce type encadre le taux de l’impôt commercial communal depuis janvier 2017, date d’entrée en vigueur de la plus récente réforme des finances communales. La pénurie foncière n’est pas uniquement l’affaire d’un nombre restreint de communes. C’est à l’inverse et par essence un problème d’envergure nationale.

Il conviendrait en second lieu, dans une même perspective de lutte contre les espaces vides (ou du moins peu occupés), de réfléchir à l’adaptation au contexte luxembourgeois de la « bedroom tax » britannique[1]. Un tel prélèvement frapperait en clair les propriétaires en situation de sous-occupation de leur logement. Loin de tout « dirigisme » étatique, de toute ingérence « big-brotherienne » dans la vie intime des individus, il s’agirait de redresser (à la marge) la structure des incitants économiques. Cette « taxe » (ou « juste tarif » ?) pourrait « simplement » relever de la réforme générale de l’impôt foncier. Elle pourrait alternativement être défalquée d’aides existantes, comme la déductibilité des intérêts hypothécaires ou encore le « Bëllegen Akt ». Rappelons que les « dépenses fiscales » immobilières se montent actuellement à quelque 900 millions d’euros.

Enfin, les autorités devraient réévaluer d’urgence les valeurs unitaires servant de base à l’établissement de l’impôt foncier, en s’étayant sur des modèles hédoniques des prix immobiliers. Un exemple concret est la « mass appraisal technique » ou calcul des prix automatisé, utilisée notamment au Canada et aux Etats-Unis. Il s’agit concrètement de déterminer la base taxable mathématiquement et sur la base des prix figurant dans les actes notariés (prix enregistrés), en fonction de diverses caractéristiques telles que la superficie du logement, le nombre de chambres, la disponibilité d’un parking, d’une cuisine équipée, l’étage, la localisation du logement, son année de construction, etc. Le modèle statistique sous-jacent serait transparent, objectif et il pourrait être recalibré périodiquement et de manière aisée – sans devoir chaque fois « réinventer la roue », tous les 5 ans par exemple. Il est d’ailleurs vraisemblable qu’un tel modèle (ou du moins un embryon) existe déjà, comme l’atteste l’établissement par l’Observatoire de l’Habitat d’un indice hédonique des prix immobiliers.

Un tel mécanisme « automatisé » de calcul des valeurs unitaires permettrait d’éviter 80 nouvelles années de « congélation » de la valeur unitaire. Une simple question d’efficacité économique et de cohérence, de transparence fiscale et de justice sociale élémentaire. Avec aussi à la clef d’importantes ressources additionnelles pour les communes.

 


[1] Pour plus de détails, voir la publication IDEA https://www.fondation-idea.lu/2018/04/26/cahier-thematique-n1-5-logement-idea-apporte-pierre-a-ledifice/.

Réembarquer dans la lutte contre la vacance

Le Luxembourg est sorti plus rapidement de la récession pandémique que la plupart des pays de la zone euro et les mesures de stabilisation tout comme les dispositifs d’aide à la reprise semblent avoir pleinement joué leur rôle, limitant les pertes de revenus des entreprises et des ménages. Cette phase de reprise est néanmoins marquée par une accumulation d’incertitudes et de défis pour l’avenir. En complément des principales mesures annoncées dans le cadre de la présentation de la loi budgétaire pour 2022 visant à renforcer les investissements publics, accompagner la transition énergétique, rendre le logement plus abordable et soutenir la formation ainsi que la transition digitale, plusieurs mesures complémentaires pourraient être prises dans le but d’améliorer la protection des ménages les plus vulnérables, de soutenir les entreprises, de limiter la pression sur le marché de l’immobilier et de ne pas injurier l’avenir du pays. Ces propositions font l’objet de 9 amendements.

Le quatrième amendement proposé dans le Document de Travail N°17 vise à augmenter l’offre de logements locatifs et à lutter contre la vacance résidentielle.

Réembarquer dans la lutte contre la vacance

Le logement est une priorité du Gouvernement qui doit composer avec une hausse des prix immobiliers de plus de 60% depuis 2014. Dans l’optique d’aider les ménages à faire face aux difficultés qu’ils peuvent rencontrer en la matière, il a été décidé de lancer un nouveau pacte logement (pacte logement 2.0), d’inscrire le droit au logement dans la constitution (dans le cadre de la révision constitutionnelle[1]), de réformer l’impôt foncier afin de lutter contre la rétention et la spéculation foncière (annonce faite lors du discours sur l’état de la Nation), de réformer la loi sur le bail à usage d’habitation et de faire du Fonds de soutien et de développement au logement un acteur central du marché immobilier à même d’augmenter l’offre de logements à loyer modéré et vendus à prix abordable.

Si ces mesures forment un tout cohérent qui sert utilement la politique du logement, leurs premiers effets ne devraient toutefois pas se matérialiser avant plusieurs années.

D’ici là, une mesure à impact immédiat et destiné à (tenter d’) augmenter l’offre de logements à destination des locataires, qui sont ceux qui ont le plus de difficultés en termes d’accessibilité au logement, serait de « réactiver » la lutte contre la vacance.

Actuellement, en vertu de l’article 27 de la loi modifiée du 21 septembre 2006 sur le bail à usage d’habitation « le conseil communal peut, par règlement communal, obliger les propriétaires des immeubles et parties d’immeubles non occupés destinés à servir de logement sis sur le territoire de la commune à les déclarer à l’administration communale dans le délai fixé par ledit conseil. Les infractions aux dispositions de l’alinéa précédent sont punies d’une peine d’amende comprise entre 1 et 250 euros ». Le montant de la peine en cas d’infraction de non-déclaration, qui dans sa version initiale était entre 251 et 25.000 euros, avait été réduit en 2015 ; il pourrait, compte tenu de la tension sur le marché immobilier qui justifie de connaître la réalité de la vacance et de lutter contre elle, être réadapté à la hausse comme premier étage de la fusée « Mobilisation des logements vacants et des terrains non construits » appelée à décoller avec la future réforme globale de la fiscalité immobilière.


[1] « L’Etat veille à ce que toute personne puisse vivre dignement et disposer d’un logement approprié. »

Flécher l’épargne excédentaire vers les entreprises

Le Luxembourg est sorti plus rapidement de la récession pandémique que la plupart des pays de la zone euro et les mesures de stabilisation tout comme les dispositifs d’aide à la reprise semblent avoir pleinement joué leur rôle, limitant les pertes de revenus des entreprises et des ménages. Cette phase de reprise est néanmoins marquée par une accumulation d’incertitudes et de défis pour l’avenir. En complément des principales mesures annoncées dans le cadre de la présentation de la loi budgétaire pour 2022 visant à renforcer les investissements publics, accompagner la transition énergétique, rendre le logement plus abordable et soutenir la formation ainsi que la transition digitale, plusieurs mesures complémentaires pourraient être prises dans le but d’améliorer la protection des ménages les plus vulnérables, de soutenir les entreprises, de limiter la pression sur le marché de l’immobilier et de ne pas injurier l’avenir du pays. Ces propositions font l’objet de 9 amendements.

Le troisième amendement proposé dans le Document de Travail N°17 vise à encourager par la voie fiscale l’investissement des particuliers dans les entreprises.

Flécher l’épargne excédentaire vers les entreprises

Dans l’écosystème luxembourgeois de start-up nation constitué en un continuum qui va de la SARL-simplifiée à l’existence de Houses of (start-ups, entrepreneurship, fintech) et d’incubateurs en passant par des aides à la création d’entreprises et le mentorat, il manque une mesure fiscale incitative pour les apporteurs de fonds propres[1] qui est pourtant un élément commun aux pays les plus dynamiques et performants en termes d’entrepreneuriat. C’est que la préférence luxembourgeoise va traditionnellement aux investisseurs dans l’immobilier qui bénéficient d’une très longue – et coûteuse pour les finances publiques – liste de frais d’obtention déductibles (intérêts d’emprunt non plafonnés, amortissement pour usure, impôts fonciers, frais de gérance, etc.).

Dans le contexte actuel d’une épargne excédentaire de l’ordre de 4 milliards d’euros au titre des années 2020 et 2021, de dépenses de consommation des ménages encore quelque peu déprimées, de craintes de nouveaux variants et de restrictions sanitaires qui pèsent sur les possibilités de dépenser, de déformation du bilan de certaines entreprises sous l’effet de la crise, d’un potentiel moindre appétit pour le risque entrepreneurial dû aux incertitudes liées à la crise et alors que la (très compliquée) bonification d’impôt pour investissement en capital-risque a été abrogée le 1er janvier 2021, décider d’une fiscalité favorable à ceux qui investissent dans des entreprises est une voie à emprunter, d’autant plus que cela viendrait, en plus de renforcer le bilan des entreprises et d’accompagner le nécessaire rebond de l’investissement des sociétés non-financières, utilement concurrencer la boulimie pour la pierre.

Concrètement, cette mesure, qui reviendrait à ressusciter l’esprit des lois du 27 avril 1984 visant à favoriser les investissements productifs des entreprises au moyen de la promotion de l’épargne mobilière et du 3 avril 1989 instaurant un régime fiscal temporaire pour les certificats d’investissement en capital-risque, pourrait s’inspirer du tax-shelter scale-up belge, de l’IR PME français, ou du dispositif « Invest » allemand[2] et consister en un abattement d’impôt sur le revenu fixé entre 25 et 30% du montant investi dans une entreprise éligible sans que l’abattement en question ne puisse dépasser un certain seuil (par exemple 20% du revenu imposable).


[1] Business angels, venture capital, corporate venture capital.

[2] Voir à ce sujet : Michel-Edouard Ruben (2017), Start-up nation : vers un young business act et Michel-Edouard Ruben (2018), Elections législatives 2018 – Cahier thématique n°5/5.

Tableau de bord économique et social – Décembre 2021

De la croissance et des vents contraires !

Selon les premières estimations du STATEC, le PIB luxembourgeois aurait augmenté de 0,9% au 3ème trimestre de 2021. L’acquis de croissance serait donc de 6,9% pour l’année 2021.

Les premières estimations d’activité sont également encourageantes pour le 4ème trimestre. En novembre, elles repartent légèrement à la hausse dans l’industrie et restent positives dans les services non financiers. Les perspectives d’emploi restent quant à elles globalement favorables et rebondissent dans l’industrie. Avec une hausse de 22% sur un an de ses actifs, l’industrie des fonds continue d’afficher de belles performances.

Le marché du travail est resté très dynamique en octobre. Depuis le début de l’année, 12.530 postes supplémentaires ont été créés (+3,3% en rythme annuel) et le taux de chômage est désormais revenu à son niveau d’avant crise, avec 5,4% de la population active. Le stock d’offres disponibles à l’ADEM (11.076) n’a jamais été aussi élevé. La proportion des demandeurs d’emploi inscrits depuis 12 mois et plus s’est légèrement réduite, mais reste supérieure à son niveau d’avant crise.

Face à la recrudescence des cas de COVID-19 et à l’apparition du variant Omicron, les ménages pourraient avoir tendance à limiter leur consommation de services, faisant peser de nouvelles incertitudes sur le secteur de l’Horeca, de l’événementiel, des voyages, voire du commerce. En témoignent d’ailleurs le recul des indicateurs de confiance des consommateurs et leur intérêt à l’égard d’achats importants, ainsi que les demandes de chômage partiel qui concernent encore près de 11.000 équivalents temps plein. Pour les secteurs les plus vulnérables, certaines mesures de soutien pourraient être maintenues, voire réactivées de manière ciblée.

Le choc d’offre négatif, causé entre autres par les difficultés de recrutement, les pénuries, les goulets d’étranglement et la hausse des cours des matières premières, continue de pénaliser l’économie et pèse sur l’indice général des prix. Au-delà des conséquences possibles sur la stabilité financière, une hausse continue de l’inflation pourrait aussi réveiller les divergences de vue européennes sur l’orientation des politiques macroéconomiques. Dans ses dernières prévisions, la Commission européenne table toutefois sur une inflation temporaire (et modérée), avec des niveaux de 2,4% pour l’année 2021, de 2,2% pour 2022 et de 1,4% pour 2023 pour la zone euro. L’évolution des prix sur les prochains mois devra être scrutée attentivement.

Pour télécharger le Tableau de bord :

Pour télécharger le Tableau de bord

Main d’œuvre étrangère qualifiée au Luxembourg : le rôle de la politique d’immigration

Avec plus de 11.000 postes vacants disponibles fin octobre 2021, la problématique du recrutement au Luxembourg est plus que jamais d’actualité. La population résidente ne suffisant pas à combler le manque de main d’œuvre nécessaire depuis longtemps, l’attraction de talents au Grand-Duché reste un enjeu majeur pour le pays. En particulier, la politique d’immigration doit être suffisamment attrayante pour faciliter l’accueil des profils recherchés sur le territoire.

Dans ce cadre, et afin d’appréhender le contexte de l’immigration au Luxembourg d’une main-d’œuvre qualifiée, quelques chiffres concernant la démographie du Grand-Duché ainsi que de son marché du travail méritent d’être mis en avant.

Michel Beine, Professeur d’économie internationale à l’Université du Luxembourg et membre du Conseil Scientifique d’IDEA propose, dans une contribution « Hors-Série », une réflexion sur le rôle de la politique d’immigration luxembourgeoise et la dépendance du Grand-Duché à la présence d’une main d’œuvre qualifiée provenant de l’étranger.

Main d’œuvre étrangère qualifiée au Luxembourg : le rôle de la politique d’immigration

Par Michel Beine, Professeur d’économie internationale à l’Université du Luxembourg et membre du Conseil Scientifique d’IDEA.

Du fait de sa structure de production et compte tenu du dynamisme de son économie, le Luxembourg est fortement dépendant de la présence d’une main-d’œuvre qualifiée et en particulier de travailleurs provenant de l’étranger. De nombreux secteurs dans lesquels l’économie luxembourgeoise s’est spécialisée comme la gestion de fonds, les services financiers aux entreprises ou encore la logistique pour n’en citer que quelques-uns doivent sans cesse recruter des travailleurs aux connaissances pointues pour assurer leur pérennité et leur développement.

Pour télécharger la contribution de Michel Beine :

Main d’oeuvre étrangère qualifiée au Luxembourg : le rôle de la politique d’immigration

Pour télécharger la contribution de Michel Beine :

Main d’œuvre étrangère qualifiée au Luxembourg : le rôle de la politique d’immigration

Document de travail N°17 : Quelques réflexions sur le budget 2022 !

Dans un contexte de reprise économique, le projet de budget 2022 et le projet relatif à la programmation financière pluriannuelle pour la période 2021-2025 ont été présentés le 13 octobre 2021. Avec des performances bien meilleures que celles anticipées, le Luxembourg confirme sa résilience face à cette crise et ses conséquences.

En complément des principales mesures annoncées dans le cadre de la présentation de la loi budgétaire pour renforcer les investissements publics, accompagner la transition énergétique, rendre le logement plus abordable et soutenir la formation ainsi que la transition digitale, plusieurs mesures pourraient utilement compléter le budget dans le but d’améliorer la protection des ménages les plus vulnérables, de soutenir les entreprises, de limiter la pression sur le marché de l’immobilier et de ne pas injurier l’avenir du pays.

Ces propositions font l’objet de 9 amendements :

1. Attribution automatique et revalorisation du crédit d’impôt monoparental

2. Elargissement de l’amortissement spécial pour les investissements climatiques des entreprises

3. Flécher l’épargne vers les entreprises

4. Réembarquer dans la lutte contre la vacance

5. Trois propositions concrètes en matière de fiscalité foncière

6. Revalorisation de la contribution de l’Etat à l’Université du Luxembourg

7. Création d’une Commission des infrastructures

8. Création d’un fonds des calamités au Luxembourg

9. Création d’un fonds de codéveloppement transfrontalier

Depuis octobre 2014, les autorités luxembourgeoises déposent, en même temps que le projet de budget proprement dit un budget pluriannuel renfermant notamment le détail des recettes et des crédits budgétaires par ministère et ce sur un horizon de cinq années. Ce Document de travail apporte une analyse des comptes de l’administration centrale afin de savoir si l’estimation de ses recettes dans les projets de lois budgétaires successifs s’est avérée fiable.

Pour télécharger le Document de travail :

Décryptage N°22: Regards sur le secteur de l’assurance au Luxembourg

Grand bénéficiaire du Brexit, le secteur de l’assurance a su progressivement s’imposer vers les marchés étrangers depuis les années 1980 dans un pays traditionnellement connu pour ses banques. Toutefois, le Luxembourg fait face à une vague réglementaire de plus en plus contraignante qui pourrait affecter ce secteur si stratégique. Simultanément, de nouveaux défis et de nouvelles opportunités se dessinent et pourraient également déterminer l’avenir du secteur.

Assurances luxembourgeoises

Entretien avec le Rapporteur du Budget 2022

Jeudi 11 novembre, Muriel Bouchet, Narimène Dahmani et Vincent Hein ont eu un entretien avec Dan Biancalana, Rapporteur du Budget 2022 à la Chambre des Députés. Le Rapporteur a affirmé vouloir mettre l’accent cette année sur la « sécurité personnelle » (du point de vue social, notamment).

La rencontre fut l’occasion d’échanger sur les éléments clés du contexte économique et social du Luxembourg, certes marqué par une bonne résilience du pays à la crise COVID, mais aussi par des défis qui persistent. En effet, la reprise économique actuelle est marquée par des interrogations comme le devenir du surplus d’épargne généré pendant les périodes de restrictions sanitaires, les effets du développement du télétravail, les écarts de performance entre les secteurs économiques ou encore la situation précaire de certaines catégories sociales.

Dans ce contexte, des propositions concrètes d’amendements budgétaires ont été présentées et discutées avec le Rapporteur et son équipe. Elles visent à accompagner les ménages les plus précaires, à soutenir les entreprises, à renforcer la politique du logement et à préparer le pays face aux grands défis d’avenir.

Ces réflexions seront publiées très prochainement dans un document de travail.

En attendant, nous vous proposons de (re)découvrir les propositions formulées en novembre 2020 dans le Document de travail N°16.

Stay tuned !

 

Tableau de bord économique et social – octobre 2021

Une reprise moins vigoureuse mais toujours riche en emplois !

Si l’économie luxembourgeoise a été relativement épargnée par la crise, la forte reprise économique qui s’est ensuivie n’est pas exempte de risques baissiers. En témoigne le léger recul du PIB (-0,5%) au 2ème trimestre de 2021, selon les premières estimations du STATEC, qui implique tout de même un acquis de croissance de l’ordre de 5,7% pour l’ensemble de l’année 2021.

Concernant le troisième trimestre, les estimations d’activité repartent à la baisse dans l’industrie et le commerce, mais progressent toujours dans les services non-financiers. Le secteur des fonds affiche quant à lui de bonnes performances. Malgré des tensions sur l’offre comme les difficultés de recrutement, les perspectives d’emploi continuent de s’améliorer dans les enquêtes de conjoncture de toutes les branches économiques.

Le marché du travail est resté très dynamique en août. 1.009 postes supplémentaires ont été créés et le taux de chômage se stabilise à 5,5%. Alors que l’ADEM recense 16.123 demandeurs d’emploi, le stock d’offres disponibles (9.914) n’a jamais été aussi élevé. En revanche, la proportion des demandeurs d’emploi inscrits depuis 12 mois et plus s’est grandement accrue depuis le début de la crise, passant de 41,5% à 52,4%.

L’indicateur de confiance des consommateurs reste inférieur à son niveau d’avant la crise sanitaire. Dans l’ensemble, ces derniers restent optimistes quant aux perspectives d’évolution du chômage, mais leur volonté de faire des achats importants reste toujours en retrait.

En septembre, les déplacements vers les lieux de consommation et de travail étaient en augmentation. En outre, la sortie de crise est visible dans les finances publiques qui se redressent, le chômage partiel qui diminue fortement et le nombre de faillites qui reste stable.

La BCE a récemment relevé ses prévisions de croissance dans la zone euro à 5% pour 2021, contre 4,6% dans son estimation de juin. Le chômage poursuit sa baisse, mais les disparités entre les pays membres et les classes d’âge sont légion. La BCE a également réhaussé ses anticipations d’inflation à 2,2% pour cette année, contre 1,9% précédemment. Cette révision est due à des ruptures d’approvisionnement, l’amélioration des perspectives de demande, les effets liés à la hausse des prix des matières premières pétrolières et non-pétrolières ainsi qu’à la récente dépréciation du taux de change de l’euro.

Zoom : Un rattrapage progressif au niveau d’avant-crise de l’emploi salarié

                                                        Source : Statec et calculs d’IDEA

L’emploi salarié au Luxembourg ne cesse d’augmenter, avec 9 094 salariés supplémentaires depuis le début de l’année. Cette hausse de l’emploi aura bénéficié à autant de résidents (49%) que de frontaliers (51%).

Bien que très dynamique, le marché du travail n’a cependant pas retrouvé le niveau qu’il aurait pu atteindre sans la crise sanitaire. Au mois d’août 2021, le nombre de salariés s’élevait à 458 768 alors que sa tendance « hors crise » aurait débouché sur plus de 465 000 emplois. Dès lors, l’impact de la pandémie sur le marché du travail serait de l’ordre de 6 000 emplois.

Pour télécharger le Tableau de bord :

Pour télécharger le Tableau de bord

Décryptage N°21: De l’épargne des ménages durant la crise Covid

La question du devenir de l’épargne forcée accumulée par les résidents depuis le début de la crise sanitaire dans un contexte de décrochage des dépenses de consommation tandis que les niveaux de revenus ont été globalement préservés occupe de nombreux esprits. C’est probablement en pensant à ce confortable matelas que certains évoquent l’opportunité, voire la nécessité, de mettre en place un impôt Covid-19 sur les ménages qui, « gagnants de la crise », se retrouvent avec un excédent d’épargne et – donc – une plus grande capacité contributive.

De l'épargne des ménages depuis la crise Covid

« Août of the box » : De la surchauffe des prix immobiliers luxembourgeois

Ce blog est issu de la série « Août of the box », réalisé en partenariat avec Paperjam

Depuis 2019, les prix immobiliers luxembourgeois croissent à un rythme à 2 chiffres et la hausse a même dépassé les 15% ! En d’autres termes, si la tendance se poursuivait, les prix feraient plus que doubler tous les 5 ans. Alors que les fondamentaux économiques structurels (croissance, démographie, emploi, revenus, loyers, etc.) du pays n’ont pas vraiment changé, cette accélération soudaine et a fortiori insoutenable des prix intrigue et conduit à se demander si le Luxembourg ne couverait pas une bulle immobilière.

Graphique : Evolution des prix trimestriels annualisés du marché résidentiel luxembourgeois, du 1er trimestre 2008 au 1er trimestre 2021

Source : Eurostat

Il n’est pas inhabituel d’entendre que les prix des logements luxembourgeois « seraient justifiés et ne pourraient que monter à terme », avec pour cause toute trouvée le déséquilibre entre l’offre et la demande qui résulte de la croissance économique, du solde migratoire soutenu, des incitations fiscales, du déficit de foncier disponible, des taux d’intérêt bas, de la demande latente provenant des travailleurs frontaliers et même de la solvabilité du pays avec son triple A. Toutefois, même de solides fondamentaux économiques n’impliquent pas une disparition brutale du risque et ne peuvent a priori justifier des progressions de prix qui ont soudainement doublé voire triplé. Dès lors, cette croyance dominante et largement relayée, de façon quasiment virale, mérite une attention particulière. Elle pourrait résulter d’une certaine irrationalité.

Importante hausse de l’endettement privé et des encours de prêts hypothécaires par rapport au PIB, allongement de la durée des prêts, hausse importante et accélérée des prix des logements et des terrains, déconnexion du prix réel des logements avec les salaires réels et les loyers réels, hausse notable du coût de remplacement, achats des primo-accédants par peur de ne plus jamais pouvoir accéder au marché, comportements spéculatifs, mises en garde par le Conseil européen du risque systémique, rapports de la Commission européenne, du FMI, de la BCE et BCL qui concluaient déjà à des surévaluations avant même les fortes progressions récentes des prix… sont autant de signaux économiques qui illustrent le risque d’une importante surchauffe des prix des logements au Grand-Duché. D’un point de vue de la soutenabilité de la demande, un rapport du FMI datant de 2019 soulignait déjà l’extrême fragilité financière de 32% des ménages, qui avaient un ratio service de la dette sur revenu supérieur à 45%. Avec une moitié des prêts hypothécaires à taux variable dans les nouveaux prêts, certains ménages étaient déjà vulnérables face à un relèvement des taux d’intérêt.

D’aucuns diront que les marchés immobiliers réagissent principalement aux conditions d’offre et de demande. Toutefois, les particularités de l’immobilier sont telles que ce marché comporte des biais cognitifs, qu’il est illiquide et inclut des coûts de transaction élevés, une non-transparence des informations, une importante hétérogénéité des biens et une impossibilité d’échanger des parts de ces actifs. Il est aussi composé d’un grand nombre de participants non-professionnels qui peuvent être conduits par des motivations qui sont d’ordre financières, personnelles ou émotionnelles. Dès lors, les prix des logements peuvent avoir tendance à dévier de leurs fondamentaux. C’est très probablement ce qui est en train de se passer au Luxembourg.

« Août of the box » : La projection démographique, un exercice difficile

Ce blog est issu de la série « Août of the box », réalisé en partenariat avec Paperjam

Les projections de population ne constituent certes pas le principal sujet de conversation au jour le jour de nos concitoyens. Elles n’en sont pas moins incontournables, pour des pouvoirs publics désireux de mieux appréhender l’évolution future des dépenses de santé et de pension ou les besoins en termes d’assurance dépendance ou de maisons de repos, pour des entreprises voulant cerner les débouchés futurs de leurs produits respectifs, ou encore pour un individu s’interrogeant sur l’opportunité d’acquérir un bien immobilier. Sans compter les enjeux du point de vue de l’aménagement du territoire au sens large, en ce qui concerne notamment les infrastructures d’éducation, de transport, de logement ou les aires d’activité, le tout sous contrainte d’émissions CO2 (également tributaires de la population) maîtrisées.

Se pose dès lors la question cruciale de la fiabilité des projections démographiques. Qu’en est-il au Luxembourg depuis 1950 ? Le graphique suivant, confrontant (sur la base de données du STATEC) l’évolution effective de la population (en bleu) et les différentes vagues de projections démographiques, délivre déjà un message d’une clarté aveuglante, qui surprend dans une discipline où prévalent le plus souvent les messages complexes, contrastés et tout en nuances.

Graphique : Projections démographiques luxembourgeoises : les « erreurs » de prévision à 15 années de la population totale

Source : STATEC et calculs IDEA.

Comme le montre le graphique, les projections considérées ont toutes donné lieu à une nette sous-estimation de la population – à l’exception peut-être de la projection de 1974. Ainsi, le taux total de sous-estimation sur 15 années a atteint plus de 10% dans 6 vagues de prévision sur 8, y compris les cinq plus récentes. A titre d’exemple, le scénario central de 2005 laissait augurer une population de l’ordre de 510 000 personnes en 2019, année au cours de laquelle le Luxembourg a excédé la barre des 600 000 résidents. Ce scénario n’envisageait une population supérieure au niveau actuel qu’en 2045, ce qui constitue un décalage d’un quart de siècle.

Les projections de 1975, renfermées dans le rapport dit « Calot », sont encore plus emblématiques de la sous-estimation (quasi) systématique de la population future dans les projections démographiques. Selon ce rapport, certes publié en 1978 soit en pleine crise sidérurgique, le Grand-Duché aurait dû compter 351 000 résidents en 2011, un chiffre en léger reflux par rapport à 1975. Or la population effective s’est élevée à 511 000 personnes en cette même année 2011, soit 160 000 personnes de plus qu’escompté 36 années plus tôt. Il s’agit de l’équivalent de la population cumulée (en 1975) des communes de Luxembourg, Esch-sur-Alzette, Differdange, Dudelange, Pétange et Sanem…

La principale source de sous-estimation de la population a été une bien trop grande « timidité » en matière d’immigration nette. Durant cette période, le Luxembourg s’est il est vrai caractérisé par une immigration résolument croissante. Il était objectivement difficile sinon impossible d’anticiper une telle évolution. Ainsi, l’immigration nette était de 1 091 personnes en 1970, de 3 942 en 1990, de 7 660 en 2010 et de 11 075 en 2019. Soit une multiplication par dix de 1970 à 2019. S’il est aisé de gloser sur de telles évolutions ex post, il est à l’évidence difficile de les appréhender ex ante.

La sous-estimation (quasi) systématique de la population luxembourgeoise depuis 1950 s’explique également par la hausse prononcée de l’espérance de vie, qui a été systématiquement minimisée. Ce fut particulièrement le cas en 1950, 1975, 1980 et 1995.

Même si toute projection porte la marque du contexte qui préside à sa gestation, il importera à l’avenir de pallier ces biais, pouvant s’avérer particulièrement problématiques lorsqu’il s’agit d’anticiper et par conséquent de satisfaire les besoins d’infrastructures de transport, de logement, de garderies ou d’enseignement – pour ne citer que quelques exemples.

« Août of the box » : La menace de la vague de faillites

Ce blog est issu de la série « Août of the box », réalisé en partenariat avec Paperjam

Quand adviendra la vague de faillites ? Cette question plane depuis le début de la crise avec tout son lot d’incertitudes.

Factuellement, cette potentielle vague de faillites n’a pas (encore ?) pointé le bout de son nez : entre 2019 et 2020 les faillites ont diminué de 3,6%. Depuis le début de l’année 2021, elles repartent à la hausse. Elles sont 8% plus nombreuses sur le premier semestre que celles enregistrées en moyenne au cours des premiers semestres des deux années précédant la crise sanitaire. Cependant, cette progression mérite d’être mise en perspective avec l’augmentation beaucoup plus marquée observée lors de la précédente récession à la suite de laquelle elles avaient augmenté de 21% en 2009, puis de 33% en 2010.

Peut-être que le pire est à venir et que, comme pressenti par le consensus d’IDEA réalisé au mois de février, la vague déferlera au second semestre ; à moins que la question pertinente ne soit plus « quand adviendra la vague de faillites ? » mais « et si la vague de faillites n’arrivait pas ? » Cette nouvelle interrogation n’est pas aussi saugrenue qu’elle aurait été au début de la pandémie et il n’y a, pour le moment, pas de raisons d’anticiper une explosion des faillites. A moins que les aides accordées à certains secteurs d’activités (comme l’Horeca par exemple) ne soient subitement stoppées, ce qui poserait de réels problèmes de trésorerie et/ou de liquidité pour des entreprises qui étaient viables et ne connaissaient pas de difficultés majeures avant la crise. Les fermetures successives ainsi que les restrictions d’accès ont en effet fragilisé les acteurs de manière inégale et le regain d’activité constaté ces derniers mois pourrait ne pas avoir été suffisant pour rétablir pleinement toutes les « trésoreries ». La clé de leur survie résidera donc dans le bon dosage des aides mais surtout dans la progressivité de l’arrêt de ces dernières.

De l’autre côté du spectre se trouvent aussi des entreprises qui connaissaient déjà des difficultés financières avant la pandémie et qui sans les dispositifs d’aides exceptionnelles leur ayant permis de garder la tête hors de l’eau pendant plusieurs mois auraient probablement déposé le bilan. Il faut bien garder à l’esprit que les faillites contribuent à un processus d’assainissement de l’économie ou, comme l’aurait dit Schumpeter, une sorte de destruction créatrice permettant notamment un renouvellement de l’offre sur le marché. Elles ont également le mérite de « clarifier » des situations parfois complexes vis-à-vis des créanciers.

Face à la diversité des situations, il faudra donc observer les (probables) hausses de faillites des prochains mois avec un certain discernement et garder à l’esprit qu’en adoptant un mix des visions de Schumpeter et de Keynes, la vague tant redoutée ne verra peut-être pas le jour.

« Août of the box » : Réunion Gaichel et CIG, investir à l’étranger pour son propre potentiel de croissance !

Ce blog est issu de la série « Août of the box », réalisé en partenariat avec Paperjam

Au mois de juillet, deux rendez-vous importants pour les relations bilatérales avec la Belgique et la France ont été reportés : la réunion commune des gouvernements belge et luxembourgeois dite « Gaichel » et la conférence intergouvernementale franco-luxembourgeoise (CIG). Ces réunions qui permettent de faire le point sur les sujets d’actualité et les projets communs avec les Etats voisins ne sont pas exclusivement consacrées aux questions transfrontalières, mais les attentes en la matière sont en général très grandes pour les acteurs concernés.

Les thèmes à débattre ne manquent pas : mobilité, formation, télétravail, fiscalité, santé, sécurité, environnement… Les négociations sur la fiscalité appliquée aux frontaliers pendant les jours de télétravail figureront probablement à l’ordre du jour. L’idée parfois avancée dans le débat public luxembourgeois qui consisterait à demander aux Etats voisins de revoir les seuils d’exonération à la hausse sans compensation une fois la pandémie terminée n’est pas réaliste, dans la mesure où ces derniers ont fait preuve d’une forme de solidarité fiscale pendant cette période exceptionnelle (solidarité qui a sans nul doute été chiffrée par les services compétents depuis).

Pour autant, de nouveaux compromis « gagnant-gagnant » ne sont pas impossibles, ils permettraient même d’éviter que d’éventuelles contreparties ne soient vécues comme des concessions. Une manière intelligente (en plus d’être élégante, mais ce n’est pas le sujet) de renvoyer l’ascenseur aux pays voisins serait de reverser une partie de la fiscalité prélevée sur les télétravailleurs frontaliers dans des fonds de coopération bilatéraux qui seraient aussi alimentés par les autorités voisines. Avec ces fonds, il serait possible de lancer des appels à projets pour financer des infrastructures de mobilité, des projets de formation communs, des équipements sociaux, culturels, environnementaux… Ces projets pourraient indifféremment être développés du côté luxembourgeois ou étranger, l’important étant qu’ils aient une plus-value transfrontalière, c’est à dire qu’ils contribuent à renforcer la fluidité, la cohérence, l’attractivité et la durabilité du territoire transfrontalier pris dans son ensemble. Le « territoire économique et social » du Luxembourg dépasse d’une certaine manière ses frontières nationales, mais il est plus restreint que celui de la Grande Région, ce qui a pour conséquence qu’il n’existe toujours pas d’outils « politiques » adaptés : de tels fonds (un avec chaque pays voisin) seraient une excellente amorce.

Car il y a urgence à agir. Si certains phénomènes continuaient de s’amplifier au rythme actuel (distorsions sur le marché du logement, pénuries de personnel, congestion des infrastructures, etc.) cela pourrait représenter un réel risque pour l’économie luxembourgeoise. Une nouvelle phase doit donc s’ouvrir en matière de coopération transfrontalière. Il faudra notamment aller bien au-delà de la logique de « saupoudrage » (financement au compte-goutte de projets -uniquement dans la mobilité-) et de celle de « compensation » (transferts financiers aux communes voisines sans visibilité sur leur objet et sans évaluation) pour entrer progressivement dans une logique de vision et de construction communes, comme cela se pratique déjà depuis des années dans le Grand Genève (certes sans fonds de codéveloppement, mais avec des outils de gouvernance et de financement bien plus avancés que ceux en place ici). Définir ensemble une vision, une stratégie d’aménagement du territoire avec des priorités partagées, mettre des moyens en commun pour y parvenir ainsi qu’un mécanisme de sélection de projets… cela n’est pas vraiment une idée « out of the box » !

Certes, il faudra du temps, du courage politique et un effort d’organisation, mais il faut bien se rendre à l’évidence que dans ce domaine le Luxembourg en tant qu’Etat a davantage d’intérêts communs avec les régions voisines qu’avec les Etats centraux auxquels elles appartiennent.

Tableau de bord économique et social – août 2021

La reprise économique se poursuit

Le cycle expansionniste progresse et il s’accompagne d’estimations records d’activité, notamment dans l’industrie. La confiance des entreprises est dans l’ensemble à un niveau élevé et les problématiques liées aux difficultés de recrutement refont surface. Cette embellie pourrait toutefois se voir freinée par le développement imprévisible des nouveaux variants, qui pourraient nécessiter de nouvelles mesures restrictives.

Une légère augmentation des faillites (+8%) mais de façon plus notable encore des liquidations (+80%) sur le premier semestre 2021, comparé à la moyenne du premier semestre de 2018 et 2019, est également à constater. Si les sociétés holding et les fonds de placements sont particulièrement concernés, le commerce, la construction et les activités spécialisées, scientifiques, techniques, administratives et de soutien sont des secteurs aussi affectés.

Le marché du travail est resté très dynamique en juin. 1.855 postes supplémentaires ont été créés et le taux de chômage se stabilise à 5,7%. Alors que l’ADEM recense 16.402 demandeurs d’emploi, le stock d’offres disponibles (9.735) n’a jamais été aussi élevé. En revanche, la proportion des demandeurs d’emploi inscrits depuis 12 mois et plus s’est grandement accrue depuis le début de la crise, passant de 41,5% à 50,8% du total des demandeurs d’emplois.

L’indicateur de confiance des consommateurs luxembourgeois se replie légèrement en juillet, probablement en raison des nouvelles incertitudes sur le front sanitaire, mais il reste à un niveau proche de celui d’avant crise. Dans l’ensemble, ces derniers restent optimistes quant à l’évolution du chômage au cours des 12 prochains mois, mais leur volonté de faire des achats importants fléchit faiblement. En juillet, les déplacements vers les commerces et loisirs ont retrouvé pour la première fois leur niveau d’avant crise.

Sur les 6 premiers mois de l’année 2021, le solde budgétaire de l’administration centrale est redevenu positif (+101 millions d’euros). Avec la progression des marchés financiers, les rentrées de taxe d’abonnement ont atteint 611 millions d’euros au premier semestre, un niveau record. Le maintien du triple A du Luxembourg a de nouveau été confirmé.

Zoom :  Part des entreprises jugeant le manque de main-d’œuvre comme un frein

                                                        Source : Commission européenne et calculs d’IDEA

Les entreprises industrielles et de construction au Luxembourg indiquent de nouveau le manque de main-d’œuvre comme un facteur limitant leurs activités.

En moyenne, 15% des entreprises industrielles estiment le manque de main-d’œuvre comme un frein à leurs activités depuis le début de l’année, alors qu’elles étaient aux alentours de 12% en 2020 et 6,5% en 2019.

Pour les entreprises de construction, le constat est encore plus frappant. Une entreprise sur deux perçoit le manque de main-d’œuvre comme un frein à son activité pour les mois de juin et juillet. Ce seuil avait par ailleurs déjà été atteint au premier trimestre 2020, avant de plonger brutalement avec la crise sanitaire. En moyenne, 31% de ces entreprises estimaient que ce facteur limitait leurs activités en 2020, contre 19% en 2019.

Pour télécharger le Tableau de bord :

Pour télécharger le Tableau de bord

Idée du mois N°25 – Dette COVID : soutenable ?

La crise sanitaire a eu de funestes retombées sur le plan économique et par ricochet en termes de finances publiques. Ainsi, le déficit public s’est établi en 2020 à quelque 11% du PIB en Espagne, à environ 9% du PIB en France et en Italie et il a été de l’ordre de 4% du PIB en Allemagne et au Luxembourg. Avec à la clef une sensible augmentation des ratios d’endettement dans les cinq pays de la zone euro étudiés dans l’Idée du Mois, à savoir la France, l’Italie, l’Allemagne, le Luxembourg et l’Espagne.

Les besoins de financement ayant été durablement affectés par la crise, la dynamique d’endettement devrait, selon diverses simulations réalisées par l’auteur et décrites dans l’IDM, continuer à s’emballer d’ici 2040 – du moins à pression fiscale constante et en supposant que les dépenses publiques évoluent en fonction de la croissance tendancielle. D’autant que le vieillissement démographique et le financement de l’indispensable transition énergétique et climatique pourraient également peser dans la balance. Par ailleurs, les ratios d’endettement sont extrêmement sensibles à une éventuelle remontée des taux d’intérêt.

La dynamique d’endettement doit donc être examinée de près au sein de la zone euro. Si la vigilance s’impose, la rigueur budgétaire (en termes de dépenses ou de perceptions additionnelles) ne peut constituer le seul remède contre l’emballement des dettes, car un important effort serait requis afin de stabiliser (sans plus) les ratios d’endettement alors même que surgissent de nombreux besoins de « biens publics » (dans le domaine de la santé, notamment). Pour les mêmes raisons, une application mécanique et indifférenciée du Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) est à exclure. Mieux vaudrait privilégier une sélection plus « qualitative » des dépenses publiques, privilégiant les meilleurs leviers de croissance. Une telle sélection requiert cependant une analyse approfondie et ne peut par conséquent être mise en œuvre « du jour au lendemain ».

Dans l’état actuel des choses, une combinaison de plusieurs leviers doit être envisagée, à savoir la mise en œuvre d’un cadre global de surveillance de la soutenabilité à terme des finances publiques, le lancement de processus d’évaluation des dépenses publiques ou même un réagencement de la « dette COVID ». Il convient également de privilégier une « sortie par le haut » de la spirale d’endettement, consistant à favoriser les investissements publics présentant une grande capacité d’entraînement économique, et plus généralement toute politique susceptible de rehausser la croissance économique potentielle – cette dernière étant très efficace en termes de capacité de réduction des ratios d’endettement public. Les investissements publics indispensables à la transition énergétique et climatique répondraient d’ailleurs à cette logique. En revanche, le recours au « pouvoir édulcorant » de l’inflation et une annulation pure et simple des dette publiques doivent, du fait de leurs nombreux effets collatéraux potentiels, être envisagés avec prudence.

Retour sur la Matinale – « Réforme fiscale, un concept à la com’ ? » – 07 juillet 2021

Mercredi 7 juillet IDEA a tenu une Matinale sur le thème « Réforme fiscale, un concept à la com ? », avec Sylvain Hoffmann, Directeur de la Chambre des Salariés, Jean-Paul Olinger, Directeur de l’Union des Entreprises Luxembourgeoises (UEL) et Alain Steichen, Professeur associé à l’Université du Luxembourg, Managing partner à Bonn Steichen & Partners.

Lors d’une discussion animée par Michel-Edouard Ruben, Senior Economiste à la Fondation IDEA, les trois invités ont eu l’occasion de développer leurs contributions au recueil d’IDEA « Inventaire avant sortie de crise ! » paru le 17 juin dernier et d’aborder diverses questions comme la possibilité de « réformer la fiscalité », les notions de « justice fiscale » et de fiscalité « internationale » des entreprises, ou encore l’importance de la fiscalité dans la lutte contre les inégalités et dans la construction d’un « après » soutenable.

Compte-rendu de la matinale

Michel Wurth, Président du Conseil d’Administration d’IDEA, prononce le mot de bienvenue, en évoquant le danger de confrontation associé au concept de justice fiscale si cela veut dire que certains doivent payer pour que d’autres puissent recevoir. Une telle situation ne correspondrait pas au modèle luxembourgeois, qui doit être consensuel et non émotionnel. Il souligne également l’importance de l’efficience de la dépense publique, qui représente dans les pays développés de 45 à 55% du PIB environ. C’est là le premier élément de réflexion en vue d’une réforme fiscale. Il conviendrait d’ailleurs d’étudier précisément qui paie et qui reçoit. Il apparaîtrait alors que notre modèle est moins injuste qu’il n’y paraît de prime abord. C’est sur un modèle d’efficience que repose notre régime social et la redistribution associée et il faut faire en sorte que toutes les personnes vivant au Luxembourg se sentent à l’aise et profitent de transferts sociaux leur permettant d’avoir une vie digne de notre modèle économique.  La fiscalité a un rôle à jouer, mais ce n’est pas en prenant simplement davantage là où il y a de l’argent que l’on va trouver la solution. Les pays qui pratiquent plus de justice fiscale qu’au Luxembourg affichent d’ailleurs des performances économiques moindres, le revenu national par habitant étant moins élevé, le salaire minimum et les prestations sociales bien moins généreux.

Vient ensuite la discussion en panel. Michel-Edouard Ruben, qui anime le débat, a d’emblée demandé aux intervenants de définir le concept de « réforme fiscale ». Jean-Paul Olinger (Directeur de l’Union des Entreprises Luxembourgeoises (UEL) évoque la « quadrature du cercle » consistant à concilier la cohésion économique, l’efficience, les « caisses de l’Etat » et l’entrepreneuriat/innovation. Sylvain Hoffmann, Directeur de la Chambre des Salariés (CSL) ramène pour sa part l’apport d’une réforme fiscale sur le terrain de la justice fiscale et de la lutte contre les inégalités, les finances publiques ne constituant pas un réel problème actuellement au Luxembourg en dépit de la crise sanitaire. Des déséquilibres se manifestent actuellement en termes de grands agrégats, notamment l’érosion continue de la part de l’imposition des sociétés dans l’imposition totale et la concentration de l’impôt des personnes physiques sur les classes moyennes et les salariés. Il regrette enfin le manque endémique de données. Selon Alain Steichen, Professeur associé à l’Université du Luxembourg et Managing partner à Bonn Steichen & Partners, une réforme fiscale consiste à « re-former » l’existant, ce qui présuppose un changement structurel profond. A cette aune, seules les réformes de 1967 et 1990 (et encore…) seraient des réformes fiscales à part entière. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose : selon Montesquieu, il convient de changer les lois « les mains tremblantes ».

Mentionnant le récent accord du G7 sur une fiscalité internationale des sociétés (répartition d’une partie des bénéfices et taux minimum d’imposition, Jean-Paul Olinger souligne les risques associés au fait de bousculer un « état stable » existant. Il évoque notamment les nouvelles règles envisagées en ce qui concerne la répartition d’une partie des bénéfices entre les pays d’établissement et les pays de consommation finale. Sylvain Hoffmann considère pour sa part qu’il était temps de stopper une évolution conduisant à une disparité croissante dans l’imposition des sociétés sur le plan international. L’accord du G7 (et dans le cadre de l’OCDE) constitue en théorie une menace pour l’activité économique au Grand-Duché, mais après tout « Dieu est Luxembourgeois » et le Luxembourg a fait preuve de résilience face à divers aménagements précédents de la fiscalité internationale. Il convient par ailleurs de tenir compte d’autres facteurs d’attractivité (écosystème).

Alain Steichen différencie pour sa part sa réponse en fonction des deux piliers des récents accords du G7. Le pilier « répartition des bénéfices » (en direction des pays où se localise la consommation) constitue une évolution marquante. Il concerne les grands groupes, dont le chiffre d’affaires consolidé dépasse les 20 milliards de dollars. Pas plus de 5 sociétés seraient concernées au Luxembourg, avec un impact potentiel a priori assez réduit sur les finances publiques. Le 2ème pilier (taux minimum) ne devrait pas non plus affecter considérablement les finances publiques, car il ne s’applique qu’à des sociétés dont le chiffre d’affaires excède 750 millions de dollars. Mais « le diable sera dans les détails » (voir la définition des bases, notamment).

Michel-Edouard Ruben se demande ensuite ce que pourrait être une réforme fiscale au Luxembourg. Jean-Paul Olinger affirme que le Luxembourg ne s’est pas trop mal sorti de la crise sanitaire, mais compte tenu de l’évolution des contraintes internationales, il doit veiller à maintenir son attractivité en ce qui concerne les talents, l’innovation et la fiscalité. Sans oublier la nécessité d’investir sans attendre afin d’amorcer avec succès la transition digitale et environnementale.

Sylvain Hoffmann met en avant la nécessité d’améliorer la situation des titulaires de faibles revenus, ce qui exige cependant d’importants travaux préparatoires. La non-adaptation actuelle des barèmes à l’inflation constitue déjà en soi une réforme « automatique » (comprimant la progressivité de l’imposition au fil du temps).

Alain Steichen affirme enfin que l’équilibre budgétaire reviendra de lui-même, à la faveur du rebond économique. La pandémie n’en constitue pas moins un choc, qui obligera à remettre en question certains réflexes et à se poser les bonnes questions : « où veut-on être dans 5 à 10 ans ? ». Il convient d’arbitrer, de pondérer, de lancer le débat en exploitant l’actuelle fenêtre d’opportunité. En n’oubliant pas néanmoins que la création de richesses précède la distribution, sinon « on aura tout faux ».

Michel-Edouard Ruben évoque ensuite les propositions de réforme de Dan Kersch (« faire payer les gagnants de la crise »). Quid d’une contribution de crise ? Sylvain Hoffmann affirme qu’une telle contribution ne serait plus nécessaire en cas de mise en place d’un système fiscal plus juste. Par le passé, certaines contributions de crise (comme l’IEBT) ont d’ailleurs été à rebours de la justice fiscale. Jean-Paul Olinger souligne quant à lui qu’il est extrêmement difficile d’identifier les « gagnants de la crise », car tout dépend de la période considérée, de l’activité (par exemple un magasin d’ameublement peut être gagnant pendant la crise et reperdre du chiffre d’affaires par la suite, avec une situation inversée pour les agences de voyage) ou encore du statut considéré (personnes physiques ou morales ?). Pour Alain Steichen également, la plus grande prudence s’impose. Le système fiscal actuel comporte déjà une forme de taxation des « gagnants » de la crise. Par ailleurs, imposer les seuls effets d’aubaine financiers ne serait pas cohérent si les effets d’aubaine immobiliers sont pour leur part préservés. Une contribution ne frappant que les sociétés, avec des critères peu clairs de surcroît, ne serait pas du tout justifiée.

Abordant l’impôt foncier, Michel-Edouard Ruben demande s’il ne s’imposerait pas de relever ce dernier, qui représente 0,1% du PIB au Luxembourg contre 1% environ dans l’ensemble de l’Union européenne. Sylvain Hoffmann considère qu’un ajustement de cet impôt se justifierait en principe, mais comment le mettre en œuvre ? Un cadastre des propriétés serait nécessaire. Il s’imposerait surtout de lutter contre la spéculation immobilière, de prévoir une imposition additionnelle des terrains vides. Cela n’a pas été fait, la complexité de la situation étant souvent évoquée. Il se demande cependant s’il n’existe pas une tendance à « se cacher derrière cet argument ». Jean-Paul Olinger n’est pas non plus opposé à une refonte de la fiscalité foncière. L’objectif ultime n’étant cependant pas l’alimentation des caisses de l’Etat. Il conviendrait d’ailleurs de ne pas modifier l’imposition globale, un éventuel relèvement de l’impôt foncier devant dès lors faire partie d’un « tax shift » plus global. Il évoque également une surtaxe des surfaces vides et se demande s’il ne conviendrait pas de se limiter aux terrains. Il souligne enfin l’importance de l’autonomie communale au Luxembourg. Enfin, Alain Steichen insiste sur le but recherché. S’il s’agit de s’orienter vers une fiscalité plus contributive, un impôt sur le capital global (et non sur la seule composante immobilière) serait plus approprié. Via par exemple une réintroduction de l’impôt sur la fortune des ménages au Luxembourg ?

S’il s’agit de fluidifier le marché immobilier (favoriser l’offre, éviter que des propriétaires ne se reposent sur leurs terrains), un réaménagement de l’impôt foncier lui semble plus approprié.

Michel-Edouard Ruben pose une dernière question sur l’aménagement de l’imposition des entreprises, en termes d’impôts directs sur les sociétés mais aussi de cotisations sociales. Alain Steichen rétorque qu’il importe d’opérer une distinction entre les deux prélèvements. L’impôt des sociétés n’est in fine que partiellement supporté par les sociétés, car il se répercute sur les salariés, les consommateurs ou les fournisseurs. Les Soparfi ne pouvant pour leur part répercuter cet impôt que sur leurs actionnaires (souvent étrangers), l’impôt associé est au final pris en charge par un agent sur lequel le Gouvernement luxembourgeois n’a guère prise. Opposer l’imposition des ménages à celle des sociétés n’a dès lors guère de sens. En ce qui concerne les cotisations sociales, un déplafonnement des cotisations du régime général devrait s’accompagner d’un déplafonnement des pensions futures, faute de quoi nous nous orienterions vers une fiscalisation accrue. Mais un tel déplafonnement serait exclu dans le domaine de la santé, le système actuel étant déjà très redistributif en dépit du plafonnement.

Jean-Paul OIinger est d’accord avec Maître Steichen : on ne peut imposer ce qui n’existe pas et l’impôt sur les sociétés réduit la capacité des entreprises à investir et innover. La question de l’utilité même de l’imposition des sociétés se pose d’ailleurs, ces dernières étant déjà taxées en amont. Au Luxembourg, une remise en question de cet impôt ne s’impose cependant pas. Les cotisations sociales sont quant à elles doublement redistributives, avec la prise en charge (pour les pensions) d’un tiers des cotisations par l’Etat et le système de plafonnement. Un déplafonnement asymétrique serait quant à lui synonyme de fiscalisation accrue de la sécurité sociale, à l’instar du système américain par exemple. Un déplafonnement symétrique (pensions et cotisations) induirait quant à lui d’importantes charges nettes de pension futures car comme l’a montré une étude d’IDEA, le rendement des cotisations en termes de pensions futures est très élevé au Grand-Duché.

Sylvain Hoffmann attire enfin l’attention sur une étude de la Banque mondiale où a été calculée l’imposition globale des sociétés. Il apparaît que le Luxembourg se situe « vers le bas » à cette enseigne. Il affirme enfin que davantage de données fiscales seraient nécessaires et qu’il conviendrait de tenir compte de l’espérance de vie moyenne des divers groupes sociaux avant de procéder à une évaluation d’ensemble. En France, le système fiscal considéré dans sa globalité serait régressif, en raison notamment de la TVA et du plafonnement des cotisations sociales. Il invite par ailleurs à envisager une imposition accrue des dividendes.

Lors de la (riche) session de questions et réponses, il a été question notamment de la situation des ménages monoparentaux (une approche globale est nécessaire en la matière selon Alain Steichen, en considérant notamment les allocations familiales), la taxation des droits de succession en ligne directe ou encore l’imposition de l’immobilier (question de l’adaptation de l’impôt foncier, notamment).

Retrouvez un extrait des échanges de la Matinale :

Extrait de la Matinale :

Une petite douzaine de biais liés au marché immobilier résidentiel

Avec des taux de croissance annualisés des prix immobiliers résidentiels luxembourgeois qui ont plus que doublé depuis le deuxième trimestre de 2019[1], sans pour autant que les fondamentaux ne changent et ne puissent réellement justifier de telles évolutions, il peut être utile de rappeler les biais cognitifs dont les primo-accédants et investisseurs peuvent parfois être victimes lorsqu’ils achètent un bien immobilier. D’autant qu’une partie de l’épargne forcée, constituée par les ménages les plus aisés lors de la crise du COVID-19, pourrait bel et bien précipiter un afflux supplémentaire de liquidité dans la pierre.

Les particularités de l’immobilier résidentiel sont telles que ce marché comporte toute une série de biais cognitifs. Non seulement celui-ci est illiquide, mais il inclut aussi des coûts de transaction élevés, une non-transparence des informations, une importante hétérogénéité des biens et une impossibilité pour les participants d’échanger sur un marché des parts de ces actifs et de les vendre à découvert[2]. Les prix immobiliers résidentiels ont ainsi une tendance à dévier plus facilement de leurs fondamentaux, du moins à court et moyen terme. Par ailleurs, ce marché comporte également un grand nombre de participants non-professionnels qui sont conduits par des motivations qui peuvent être d’ordre financières, personnelles ou encore émotionnelles[3].

Le biais de confiance excessive

La majorité des participants au marché immobilier résidentiel sont novices et inexpérimentés. Ils sont ainsi plus enclins à prendre des décisions imprudentes, en associant prématurément les succès aux compétences et les échecs à la malchance[4]. Une étude a montré qu’ils sont parfois même plus confiants que les investisseurs institutionnels, ce qui semble suggérer une relation inverse entre la confiance et l’expérience[5]. Les individus inexpérimentés qui ont dégagé une plus-value latente ou réalisée sont plus susceptibles de jouir d’une confiance excessive et de surpayer l’acquisition d’un autre bien.

Le biais de conservatisme

A la différence des marchés financiers où les prix s’ajustent rapidement avec l’arrivée quotidienne de nouvelles informations, les prix immobiliers changent quant à eux plus lentement et de façon graduelle avec les nouvelles données économiques. Le biais de conservatisme incite les individus à sous-estimer les informations et à être plus lent pour changer leurs croyances dans les prix des biens immobiliers.

Le biais de la comptabilité mentale

Les investisseurs et particuliers ont tendance à considérer leurs actifs séparément plutôt que conjointement et ne perçoivent pas les interactions entre les différentes classes d’actifs[6]. La comptabilité mentale peut conduire à des portefeuilles fortement biaisés localement. Les salaires et l’immobilier peuvent en effet dépendre de mêmes facteurs locaux. La comptabilité mentale peut aussi modifier les décisions d’investissement sur l’opportunité de vendre ou d’acheter un actif inclus dans leur portefeuille, quelle que soit la performance attendue de l’un ou de tous les autres actifs. Ce biais est particulièrement répandu en matière d’immobilier car il représente souvent une part importante de la richesse et beaucoup attachent une valeur subjective et sentimentale à cette partie du patrimoine.

Le biais de familiarité

Alors que les marchés financiers permettent aux participants de jouir d’informations transparentes et disponibles publiquement, le marché immobilier est quant à lui caractérisé par une certaine opacité. Les barrières à l’information favorisent les participants locaux au détriment des étrangers. Cette asymétrie d’information aboutit à ce que les acquéreurs concentrent leurs achats dans le voisinage, ce qui accentue d’autant plus le biais de familiarité[7] et les problématiques liées à la non-diversification.

Les biais de faux points de référence, d’illusion monétaire et d’ancrage

Les vendeurs d’un bien immobilier ont tendance à fixer un prix basé sur un faux point de référence, comme par exemple le prix d’achat ou encore le prix récent de vente d’un bien jugé semblable dans le voisinage. Cela est d’autant plus erroné que la plupart du temps les vendeurs raisonnent en prix nominaux et non ajustés de l’inflation[8]. Ils sont ainsi victimes de l’illusion monétaire et ce d’autant plus en période de grande inflation. Le biais d’ancrage désigne quant à lui la difficulté que les agents économiques ont à se détacher de la première impression ou du premier prix annoncé. Ce biais joue un rôle non des moindres dans la volonté des acheteurs de payer un supplément pour un bien immobilier[9].

Le biais de cadrage

S’il est parfois tentant de reformuler une question pour faciliter la résolution d’un problème, cette approche de pensée systémique peut toutefois largement influencer la réponse qui est apportée[10]. Pour le marché immobilier, les erreurs de ce type sont commises lorsque les biens immobiliers sont catégorisés par les types d’habitation ou comparés avec d’autres villes ou quartiers pour faciliter les valorisations. Cela reviendrait à dire que tous les biens sont homogènes et que les profils de risque et de rendement sont les mêmes. Par exemple, le prix d’un immeuble n’évoluera peut être pas de la même façon que l’évolution des prix de l’immobilier de la ville dans lequel le bien se situe.

Le biais de l’aversion à la perte  

Les individus éprouvent plus d’importance à une perte qu’à un gain. Le mal-être provenant d’une perte est deux fois plus important que le plaisir issu d’un gain pour un même montant[11]. Pour cette raison, un vendeur faisant face à une perte imminente est plus susceptible d’exiger un prix minimum de vente supérieur par rapport à un autre vendeur qui lui ne ferait pas de perte. Une étude a par ailleurs montré que les propriétaires sont encore plus victimes de ce biais que les investisseurs[12].

Le biais de l’aversion à la dépossession

La décision d’acheter ou de louer un bien devrait être basée sur une analyse financière des flux de trésorerie, en comparant la valeur actualisée du paiement des loyers futurs avec celle de tous les coûts associés à l’achat d’un bien similaire. Toutefois, un achat peut être motivé pour des raisons personnelles, émotionnelles ou financières. Beaucoup de particuliers considèrent l’accession à la propriété comme une amélioration de la richesse, un moyen d’améliorer son statut social ou de « protection pour les vieux jours ». Néanmoins, peu d’entre eux prennent en compte les avantages monétaires de la location[13].

Le biais de conformité  

Dans des conditions d’incertitude, de complexité, d’informations incomplètes et d’opportunisme, certains agents pensent qu’il est préférable de suivre la décision d’autres acteurs du marché, pensant qu’ils bénéficient eux même de meilleures informations. Il s’agit du principe de la cascade informationnelle[14]. Enfin, il a aussi été démontré à plusieurs reprises que le comportement moutonnier serait une des caractéristiques du comportement humain[15].

En définitive, le marché immobilier ne sera jamais efficient. A vrai dire, il affiche plutôt des niveaux élevés de prévisibilité des prix d’un trimestre à un autre. Toutefois, les biais cognitifs sont souvent présents dans les bulles des actifs et le sont d’autant plus lorsqu’une « épidémie sociale » s’installe, et ce lorsque le logement est considéré comme une opportunité d’investissement en raison des attentes extravagantes dans l’avenir, elles-mêmes alimentées par des progressions irrésistibles des prix[16].

[1]Voir OCDE (2021): Analytical house prices indicators

[2] La vente à découvert consiste à vendre un titre que l’on ne détient pas mais dont on suppose qu’il va baisser, afin de réaliser une plus-value. Cette pratique peut participer à faire chuter un cours, à cause du volume de vente.

[3]Beracha & Skiba (2014): Real Estate Investment Decision-Making in Behavioral Financial, Wiley

[4]Gervais & Odean (2001): Learning to Be Overconfident, The Review of Financial Studies

[5]Bloomfield, Libby & Nelson (1999): Confidence and the welfare of less-informed investors, Accounting Organizations and Society

[6]Thaler (1999): Mental Accounting Matters, Journal of Behavioral Decision Making

[7]Garmaise & Moskowitz (2004): Confronting Information Asymmetries: Evidence from Real Estate Markets, Review of Financial Studies

[8]Stephens & Tyran (2012): At least I didn’t lose money, Discussion Papers, University of Copenhagen

[9]Lambson, McQueen & Slade (2004): Do Out-of-State Buyers Pay More for Real Estate? An Examination of Anchoring-Induced Bias and Search Costs, Real Estate Economics

[10]Kahneman & Tversky (1981): The Framing of Decisions and the Psychology of Choice, Science

[11]Kahneman & Tversky (1979): Prospect Theory: An Analysis of Decision under Risk, Econometrica

[12]Genesove & Mayer (2001): Loss Aversion and Seller Behavior: Evidence from the Housing Market, The Quarterly Journal of Economics

[13]Beracha & Skiba (2014): Real Estate Investment Decision-Making in Behavioral Financial, Wiley

[14]Bikhchandani, Hirshleifer & Welch (1992): A Theory of Fads, Fashion, Custom, and Cultural Change as Informational Cascades, Journal of Political Economy

[15]Shleifer & Summers (1990): “The noise trader approach to finance”, Journal of Economic Perspectives

[16]Shiller (2019): Narrative Economics, Princeton University Press

Décryptage N°20: Une économie luxembourgeoise résiliente en 2020, mais toujours convalescente

A en croire les différentes prévisions macroéconomiques ayant émaillé 2020, le PIB luxembourgeois allait connaître un déclin de 4 à 6% au cours de cette même année. Or selon les nouveaux comptes nationaux publiés par le STATEC en mars, le PIB n’aurait en définitive diminué « que » de 1,3% en 2020. Le Luxembourg a par ailleurs nettement mieux résisté à la crise que la zone euro et les trois pays limitrophes. Cette bonne résilience d’ensemble dissimule cependant des performances très disparates d’une branche de l’économie à l’autre et elle n’est que très partiellement le reflet de la structure sectorielle « favorable » de l’économie luxembourgeoise. Plus fondamentalement, il convient de suivre de près l’évolution de l’économie luxembourgeoise en 2021 et 2022 dans un contexte toujours incertain voire précaire, certains atouts traditionnels du Luxembourg pouvant même se muer en handicaps.

Une économie luxembourgeoise résiliente en 2020, mais toujours convalescente

Décryptage N°19: Construction, un secteur de poids au Luxembourg

Le présent décryptage porte sur un secteur essentiel pour l’économie luxembourgeoise, à savoir la construction. Il s’agit de répondre à une question simple : quel est le poids exact de cette branche en termes d’activité et d’emploi ? Cette évaluation se base sur la construction – secteur multiforme s’il en est – telle qu’elle est définie dans les comptes nationaux. Cette « prise de poids » sera effectuée de manière directe dans un premier stade. Sera rajoutée dans une deuxième étape l’incidence indirecte de la construction sur la valeur ajoutée et l’emploi, qui reflète les effets d’entraînement de ce secteur sur toutes les autres branches de l’économie, via les différents fournisseurs successifs. Le tout sera « bouclé » par la prise en compte des effets induits, restituant le surcroît d’activité et d’emplois alimenté par la rémunération des employés de la construction (et de ses fournisseurs) ainsi que par les dépenses d’investissement de ces mêmes branches.

Précarité menstruelle : Dignité mensuelle ?

Photo by Laure Lefranc

Le sujet des règles a toujours été tabou bien qu’il soit en train de se briser et qu’il se retrouve de plus en plus sur la place publique. Le phénomène de précarité menstruelle qui correspond au fait qu’on ne puisse accéder à des protections hygiéniques (et donc à une hygiène décente) lors de ses règles, par manque de moyen fait partie de ces phénomènes sociétaux qui méritent d’y accorder une attention particulière notamment en cette journée internationale des droits des femmes.

Il n’existe pas, au Luxembourg, et pour le Luxembourg, de statistiques portant sur le nombre de femmes ne pouvant accéder à des protections intimes. Cependant, il existe des chiffres sur les publics en situation de précarité voire de pauvreté. Dans une approche globale, le taux de risque de pauvreté, bien qu’il ne s’agisse pas d’un indicateur de pauvreté absolu, ne cesse d’augmenter au Luxembourg (14,5% en 2010 contre 17,5% en 2019). Si l’on se focalise sur le taux de risque de pauvreté par type de ménage, 40,3% des familles monoparentales sont touchées par le risque de pauvreté soit le taux le plus important dans cette catégorie. Or ces familles sont dans 8 cas sur 10 composées d’une femme et de ses enfants. Cet exemple, parmi d’autres, montre que les femmes ont plus de risque d’être en situation de précarité voire même de pauvreté, ce qui amène à réfléchir sur leur potentielle situation de précarité menstruelle et donc des possibles recours face à cela.

Au Luxembourg, la question de la précarité menstruelle a, dans un premier temps, été abordée sous l’angle fiscal. Jusqu’en mai 2019, les produits d’hygiènes intimes étaient taxés à 17% soit un taux de TVA normal correspondant à celui appliqué … au vin. A la suite de différentes mobilisations, la TVA appliquée sur les protections hygiéniques féminines est passée à 3% (taux de TVA super réduit) au 1er mai 2019. Une baisse des prix des produits hygiéniques de l’ordre de 6,1% entre 2017 et 2019 a été constatée, mais l’ampleur de cette baisse n’équivaut pas à celle de la baisse de la TVA.

Toujours dans une optique de lutte contre la précarité menstruelle, le Planning familial a lancé une campagne « SANG VOUS ! » en 2020 afin de récolter des dons de serviettes et de tampons car « le prix des serviettes et des tampons hygiéniques reste trop élevé pour une partie de la population ».

En dehors du Luxembourg, plusieurs initiatives sont à mentionner, notamment celle de l’Ecosse qui, en 2020, a été le premier territoire à rendre gratuit l’accès à des protections hygiéniques.

En France, en février 2021, la ministre de l’enseignement supérieur a annoncé qu’à partir de la rentrée universitaire 2021, des distributeurs de protections hygiéniques seront installés dans les résidences universitaires et dans les services de santé universitaires.

Sans aller jusqu’à recommander la gratuité pour toutes et pour tous les produits hygiéniques au Luxembourg (cela aurait pour conséquence de restreindre le choix des références disponibles), l’accessibilité à titre gratuit dans certains endroits stratégiques, sur le modèle de la gratuité du papier dans les toilettes publiques, ferait sens. Ainsi, dans les foyers d’hébergement, les prisons pour femmes, l’université, les établissements scolaires, voire les entreprises, les produits hygiéniques devraient être gratuitement mis à disposition.

Le débat ne devrait pas résider dans le fait de rendre gratuit l’accès à ces produits ou non, mais plutôt porter sur l’évolution des mentalités face à ce sujet.

Décryptage N°17: Les inégalités, séquelles (à traiter) de la Covid-19

Le 21 décembre dernier, la Commission européenne a donné son premier feu vert pour la mise sur le marché d’un vaccin contre le coronavirus. Au Luxembourg, la campagne de vaccination a débuté le 28 décembre, ce qui offre une lueur d’espoir dans la lutte contre cette pandémie apparue il y a un an. Cependant, plusieurs économistes alertent sur un risque émergent, à l’instar de Thomas Piketty qui avance que « la planète est traversée par de multiples fractures inégalitaires, que la pandémie va encore aggraver ».

Dans ce contexte, il est important de s’intéresser aux conséquences socio-économiques de cette crise majeure sans précédent. De premières pistes de réflexion peuvent en effet être avancées quant aux multiples aspects des inégalités inter et intra-nationales causées et/ou accentuées par la maladie. Dans son ensemble, le Luxembourg semble plus tenace face à la crise que ses voisins européens, grâce à son économie reposant fortement sur les activités financières mais aussi à ses finances publiques plus saines qui lui permettent d’être plus résilient. En revanche, les personnes issues de milieux sociaux défavorisés y sont plus susceptibles que d’autres d’être atteintes par le coronavirus, les jeunes sont beaucoup plus touchés par le chômage depuis le premier confinement de mars et la crise ne touche pas tous les secteurs de manière uniforme.

Bien qu’il s’agisse d’un état des lieux non-exhaustif, appelant à être complété au gré des publications de nouveaux indicateurs, il apparaît que les gouvernements devront continuer à mener des politiques d’assistance et d’assurance sur un horizon temporel assez long, afin de pallier l’accentuation des inégalités socio-économiques.

Entreprises familiales luxembourgeoises & Intelligence économique

Face aux difficultés que les entreprises familiales luxembourgeoises (EFL) sont amenées à rencontrer[1], un usage (plus courant) de l’intelligence économique (IE) pourrait contribuer de façon non négligeable à leur performance et permettre de renforcer leur résilience. Ingrédient essentiel pour soutenir une stratégie durable et créatrice de valeur, ce mode de gouvernance[2] peut contribuer à les rendre plus compétitives et les aider à se relancer à la suite de la perte d’activité causée par la crise sanitaire du COVID-19. Quels sont les attributs qui peuvent conférer une résilience aux entreprises ? Quelles sont les contraintes des EFL et comment l’IE peut répondre à certaines de leurs problématiques ?

La résilience des entreprises 

Au regard de l’importance du poids des entreprises familiales dans le tissu économique luxembourgeois, il importe de ne pas négliger ces types de structure[3]. Malgré que ces organisations aient de nombreuses contraintes, il n’en demeure pas moins qu’elles peuvent aussi faire preuve d’une certaine résilience, pouvant leur permettre de rebondir face à des imprévus. Cette résilience, plus ou moins forte selon l’entreprise et le secteur d’activité, se distingue principalement dans «la capacité : d’absorption du choc, de renouvellement et d’appropriation» [4].

Toute chose égale par ailleurs, cette crise sera d’autant plus absorbée par les entreprises dont la structure financière était saine dès le début. Celles qui ont ou qui ont pu conserver des liquidités[5], détenaient moins ou pas de dettes financières, bénéficiaient d’un patrimoine important -et d’une bonne réputation acquise à travers le temps- en souffriront a priori moins. En outre, les entreprises qui, dans cette période de grande incertitude, sauront se renouveler rapidement et faire preuve d’agilité organisationnelle d’ingéniosité, de pragmatisme et d’audace dans la conquête de nouveaux marchés et le développement de nouveaux produits et services seront celles les plus à même à survivre. Enfin, les entreprises qui auront appris des chocs précédents et pour lesquelles les équipes partagent des valeurs communes auront également plus de chance d’éviter la faillite[6].

Les contraintes des EFL

Bien que ces attributs diffèrent pour chaque EFL, la majorité (73%) d’entre elles exprimaient déjà, et ce bien avant l’arrivée de la crise sanitaire, leur inquiétude à rester compétitives face à l’intensité concurrentielle. C’est donc sans surprise que le rapport de PwC Luxembourg révélait que le «contrôle de la profitabilité était également devenu une de leurs priorités». En toute logique, le tiers d’entre elles faisaient état de difficultés à contrôler leurs profitabilité, coûts et trésorerie. Les EFL éprouvaient également de grandes difficultés à recruter du personnel compétent, le motiver et le fidéliser. Au même moment pourtant, 79% d’entre elles exerçaient leurs activités pratiquement uniquement sur le marché luxembourgeois. Bien que souhaitant garder une proximité auprès de leurs clients pour conserver un service de qualité et une certaine flexibilité, une autre étude de PwC Luxembourg[7] révélait que ces entreprises avaient déjà des craintes à conquérir des parts de marché au sein de la Grande Région.

L’IE : dynamique d’intelligence stratégique

Souvent confondu à tort avec l’espionnage économique, l’IE est fortement recommandée par de nombreuses études économiques. Son usage permet de faire un état des lieux et de se rendre plus facilement compte de ses forces, faiblesses, opportunités et menaces[8] et de comprendre les climats économiques, sociaux et politiques des pays dans lesquels les entreprises souhaitent s’implanter[9].

En épluchant les rapports et documents publics des autres acteurs économiques, des journaux et revues spécialisées et en effectuant des investigations (légales), les EFL peuvent collecter, selon des délais et coûts précis, un ensemble de données comptant différents degrés de fiabilité. Elles peuvent ensuite les recouper pour les transformer en informations plus ou moins robustes et pertinentes. Ces dernières peuvent alors être étudiées afin de comprendre et prédire les agissements de leurs fournisseurs, clients, compétiteurs actuels et potentiels, analyser les produits et services substituables[10] ainsi qu’assurer un meilleur suivi des risques politiques, naturels et industriels et des évolutions technologiques. Au-delà des travaux de veille, l’IE peut également s’articuler autour de la sécurité économique et/ou de l’influence. L’entreprise pourra ainsi protéger son image et patrimoine informationnel et veiller au bon fonctionnement de ses outils de gestion. Elle sera aussi en mesure de s’orienter vers des techniques d’opération d’influence[11] pour accroître ses parts de marché, si l’entreprise choisit une approche plus offensive.

Si l’IE est davantage pratiquée par les grandes entreprises, elle n’en reste pas pour autant leur apanage[12]. Les TPE-PME (familiales)[13] peuvent aussi tirer grandement profit de son application. En centralisant la collecte des données et l’interprétation de l’information et en veillant à ce que les renseignements circulent efficacement, les résultats peuvent, après un certain temps d’adaptation, être largement bénéfiques[14]. L’IE participerait à : «augmenter la qualité de l’information, accélérer la prise de décision, favoriser systématiquement le processus organisationnel, améliorer l’efficacité, réduire les coûts, accroître le savoir, perfectionner le flux et la diffusion de l’information, identifier les opportunités et les menaces, faire gagner du temps, (…), conduire à une découverte de clients inconnus, une meilleure planification stratégique et une vision plus large des connaissances cachées au sein de l’organisation, aider à une collecte systématique d’informations (…) et finalement entraîner une augmentation du chiffre d’affaires annuel[15]».

Dès lors, un recours (plus courant) à l’IE permettrait aux EFL d’être a priori plus compétitives, d’augmenter leur part de marché à l’international et donc d’accroître leur profitabilité et résilience. Les risques liés au développement de nouveaux produits et services et à la conquête de nouveaux marchés seraient ainsi diminués car des études approfondies de renseignement auront en amont été effectuées. Davantage de liquidité pourrait ainsi être gardée au sein des bilans tandis que les salariés pourraient être plus justement rémunérés à la hauteur de leurs performances. Les EFL deviendraient ainsi plus attractives pour recruter des salariés compétents. Enfin, les problématiques concernant la gestion de trésorerie et de qualité des marchandises pourraient se réduire car l’intégrité et les critères financiers -minimum exigés de profitabilité, solvabilité et liquidité- des clients et fournisseurs auront auparavant été analysés. Toute chose égale par ailleurs, le besoin en fonds de roulement et les factures impayées des EFL pourraient ainsi diminuer.

Si le concept de l’IE peut paraître farfelu, rappelons au lecteur que le Luxembourg dispose d’un modèle phare en la matière. La véritable toile de réseau d’information tissée par Emile Mayrisch, fondateur et directeur de l’Arbed, à l’aide de sa cinquantaine de succursales (Columeta) installées à travers le monde à la fin des années 1930, fut l’une des raisons du grand succès de l’entreprise sidérurgique. Les renseignements ont en effet permis de garantir approvisionnements et débouchés[16].

[1]Voir : PwC Luxembourg (2007): Les entreprises familiales luxembourgeoises

[2] L’IE n’est pas un outil de compétitivité mais s’assimile à la définition d’intelligence stratégique d’Edgar Morin

[3] 70% des entreprises luxembourgeoises seraient de type familial

[4]Voir: Bégin & Chabaud (2010): La résilience des organisations – Le cas d’une entreprise familiale, Lavoisier

[5]La détention de cash n’est toutefois pas homogène. Elle tend à être positive lors des trois premières années de la crise mais elle est négative sur six ans. Voir: Lozano & Yaman (2020): The European Financial Crisis and Firm’s Cash Holding Policy, Global Policy Volume

[6]Voir: Coutu (2002): How Resilience Works, Harvard Business Review

[7]Voir : PwC Luxembourg (2007): L’entreprise transfrontalière ou l’émergence d’un modèle hybride

[8]SWOT: Strengths, Weaknesses, Opportunities and Threats (outil stratégique)

[9]Voir: Muñoz-Cañavate & Alves Alvero (2017): Competitive intelligence in Spain: A study of a sample of firms, Business Information Review

[10]Voir: Porter (1985): The Competitive Advantage: Creating and Sustaining Superior Performance, Free Press

[11]Les plus citées sont : la construction de réseaux d’influence (décideurs politiques/économiques), les opérations de lobbying et le financement d’études

[12]Voir : Carayon (2003) : Intelligence Economique, Compétitivité et Cohésion Sociale, Rapport Carayon, La Documentation française

[13] 2/3 des entreprises familiales luxembourgeois seraient des PME

[14]Voir: Galvin (1997): Competitive Intelligence at Motorola, Wiley

[15]Voir: Oraee et al. (2020): The competitive intelligence diamond model with the approach to standing on the shoulders of giants, Library & Information Science Research

[16]Voir: Arboit (2016): Les réseaux du fer – Information, renseignement économique et sidérurgie luxembourgeoise entre France, Belgique et Allemagne 1911-1940, Peter Lang

D.ieu, ce Luxembourgeois !

Par Muriel Bouchet et Michel-Edouard Ruben

Alors que 2020 touche à sa fin, il est possible de faire un rapide bilan (économique) du « Grand confinement » qui a vu des entreprises cesser/réduire leurs activités pour raison impérieuse de distanciation physique et de lutte contre la propagation du coronavirus. Puisque les pas très bonnes (voire carrément mauvaises) nouvelles ne manquent pas, il est bon de s’étonner, dans cette année de malheur, que le PIB et le marché du travail du Luxembourg aient relativement bien résisté.

Alors que les chiffres du deuxième trimestre mettaient déjà en évidence la relative bonne résistance de l’économie luxembourgeoise, les estimations du STATEC portant sur le PIB au 3ème trimestre, qui ont été publiées ce 14 décembre, renforcent encore ce constat. Au cours des 9 premiers mois de 2020, période pour laquelle des données « officielles » (certes susceptibles d’être révisées) sont désormais connues, le PIB luxembourgeois en volume aurait diminué de « seulement » 2% par rapport à la même période de l’année 2019. Selon Eurostat, le recul mesuré pour la même période s’est établi à 5,8% en Allemagne, à 6,8% en Belgique et à 9,5% en France.

Le regain de l’épidémie au 4ème trimestre aura-t-il raison de cette résilience en 2020? Probablement pas. La BNB et l’Ifo Institute ont tous deux estimé le déclin du PIB réel (en Belgique et en Allemagne) à 1% environ au 4ème trimestre de 2020 par rapport aux trois mois précédents. Si un recul trimestriel du PIB similaire était observé au Grand-Duché, l’« annus horribilis » 2020 se solderait in fine par une récession de 1,7%. Un résultat « objectivement mauvais », mais « bizarrement » pas tant que cela puisqu’en 2009 le PIB du Luxembourg avait reculé de 4,4%.

Le marché du travail grand-ducal est également emblématique de cette relative bonne résistance. Au 3ème trimestre de 2020, l’économie du Luxembourg comptait ainsi 9.000 emplois de plus qu’au 3ème trimestre 2019 (+2%), contre -4 millions au sein de l’UE (-2%), -18.000 en Belgique (-0,4%), -654.000 en Allemagne (-1,4%), -754.000 en France (-2,6%). Il est à signaler que 74% des 9.000 emplois supplémentaires qui ont été créés au Luxembourg l’ont été dans les secteurs de la construction (+1.800), de l’administration publique (+1.600), de l’éducation (+1.200), et de la santé et action sociale (+2.100) qui pèsent 32% de l’emploi total. D’un côté (cas des emplois dans la construction), cela est « encourageant » puisque la demande en logements reste forte et que le manque de main-d’œuvre est traditionnellement la principale raison avancée par les entreprises du secteur comme contrainte pour le développement de leurs activités. De l’autre (cas des emplois dans les secteurs principalement non-marchands), il est permis d’y voir la traduction concrète de ce que l’économie luxembourgeoise a été dans une situation de « socialisme pandémique » durant l’année 2020.

Hélas, ces deux constats relativement positifs (à savoir l’apparente bonne tenue du PIB et la progression de l’emploi (certes tirée principalement par les secteurs non-marchands)) ne suffisent pas à faire oublier les nombreuses difficultés encore en présence (circulation du virus, questionnement sur l’efficacité des vaccins, devenir de l’organisation du travail, hausse des prix immobiliers alimentés par l’épargne forcée due à la crise, zombification/mise en hibernation de certaines entreprises, questionnement de certains sur la soutenabilité de la dette publique luxembourgeoise, etc.) qui interdisent de croire que 2021, toute proche, s’annonce sous de bons auspices.

Décryptage N°16: Comprendre l’intelligence économique

IDEA tient à remercier Madame Sara Bouchon et Monsieur Niels Dickens qui ont accepté d’échanger leurs connaissances et leurs points de vue dans le cadre de l’élaboration de ce Décryptage. 

L’intelligence économique n’est pas une forme d’espionnage industriel. Son utilisation est même fortement recommandée par de nombreuses études pour renforcer la compétitivité et la résilience des entreprises. Qu’est-ce que l’intelligence économique ? Pourquoi le Luxembourg devrait en faire un usage accru et quels systèmes d’intelligence économique sont utilisés dans d’autres pays ?

Pour un budget vert « à la luxembourgeoise »

Le budget vert ou « Green Budgeting » consiste à évaluer de manière systématique l’impact environnemental des budgets publics, en considérant idéalement les impôts, taxes et redevances, les dépenses budgétaires et les différentes « dépenses fiscales ».

La France est en pointe en la matière. Les autorités budgétaires y ont en effet déposé, en octobre 2020, une annexe au projet de loi de finances 2021 (PLF) où est passée au crible l’incidence environnementale des crédits budgétaires et des dépenses fiscales de l’Etat, sur la base de 6 objectifs environnementaux inspirés d’une taxonomie européenne (voir la figure ci-jointe). Sont isolés parmi les agrégats budgétaires les postes présentant un lien avec au moins l’un des 6 objectifs. Ces postes se voient ensuite assigner, à l’aune de chacun des objectifs, une cotation « favorable », « défavorable » ou « neutre ».

Le « Budget vert » français a été préparé par un groupe de travail interministériel et ce bien en amont du dépôt du PLF.  Les dépenses budgétaires et les dépenses fiscales de l’Etat ayant fait l’objet d’une évaluation dans le cadre du « Budget vert » hexagonal se sont montées à 574 milliards d’euros, dont 53 milliards présentant un lien avec l’environnement. Ce dernier montant se décompose en 38 milliards ayant des retombées environnementales favorables, près de 5 milliards affichant un bilan neutre et 10 milliards accusant une incidence environnementale négative. Les « dépenses fiscales » représenteraient à elles seules un peu plus de 70% de cette dernière catégorie[1].

Figure : les 6 axes environnementaux du « Budget vert » français

budget vert

Source : Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance (France).

Sur le plan luxembourgeois et au vu de cette dernière constatation (tirée de l’expérience française, certes), il serait opportun dans un premier temps de mettre en place un « Green Budgeting » se focalisant sur la liste « officielle » des dépenses fiscales (reprise à l’annexe 10 du projet de budget pluriannuel 2020-2024, « Indications sur les dépenses fiscales et leur impact sur les recettes »). Cette liste renferme surtout des « niches fiscales » en relation avec l’immobilier, le Bëllegen Akt notamment. Elle devrait être élargie au plus grand nombre de « dépenses fiscales » possible, le coût budgétaire du leasing, par exemple (la France a quant à elle évalué quelque 475 dépenses fiscales dans le cadre de son « Budget vert »). L’impact environnemental de chaque « dépense fiscale » relevant de cette liste élargie serait désormais évalué (neutre, positif, négatif), à l’instar de la pratique française – le cas échéant en se concentrant (du moins au départ) sur la neutralité carbone. Afin d’améliorer son évaluation environnementale, le Bëllegen Akt, qui porte sur quelque 202 millions d’euros dans sa forme actuelle, pourrait en outre faire l’objet d’une modulation en fonction des performances énergétiques des bâtiments concernés.

Par ailleurs, il serait intéressant que le Luxembourg devienne dans les meilleurs délais membre du « Paris Collaborative on Green Budgeting » de l’OCDE, une initiative lancée le 12 décembre 2017, à l’occasion du « One Planet Summit »[2] aux côtés de la Grèce, du Mexique, des Pays-Bas, de la Norvège, de la Suisse, de La France et de l’Irlande. Cette initiative, qui est à l’origine du « budget vert » français, permettrait au Luxembourg de tisser des liens en la matière et d’accéder par ce biais aux méthodologies mises en œuvre dans les pays participants, évitant de « partir de zéro » dans ce domaine éminemment complexe.

Les défis méthodologiques risquent d’ailleurs d’être exacerbés, au Luxembourg, par le « Tanktourismus » qui va de pair avec de plantureuses recettes sur les énergies fossile (près de 2% du PIB en 2019 pour les seules accises). Ces recettes élevées constituent a priori un « bon point » dans le cadre du Green Budgeting.  Cette « performance » n’est cependant qu’un effet d’optique, associé aux achats de carburants par des non-résidents. Elle n’est nullement le reflet d’une fiscalité particulièrement incisive en matière d’énergies fossiles, ce dont toute « cotation environnementale » des recettes se doit de tenir compte.

Le but ultime du Green Budgeting est bien entendu d’identifier de manière transparente les points faibles du Luxembourg en matière de développement durable et d’élaborer en conséquence des mesures concrètes. Mieux évaluer pour mieux agir, en quelque sorte…


[1] Voir https://www.budget.gouv.fr/files/uploads/extract/2021/PLF_2021/rapport_IEE.PDF.

[2] Voir https://www.oecd.org/environment/green-budgeting/.

Document de travail N°16 : Quelques réflexions sur le budget 2021 !

Le projet de budget pour 2021 et le projet de loi relatif à la programmation financière pluriannuelle pour la période 2020-2024 présentés le 14 octobre 2020 sont sans surprise – compte tenu de la crise exceptionnelle en cours – très surprenants et marquent une nette rupture avec les budgets antérieurs. Un chiffre suffit à illustrer cet état de fait : en 2020, les dépenses publiques pèseront 53% du PIB.

Dans ce contexte où le Gouvernement s’efforce de « soutenir autant que possible et de sauver autant que nécessaire », un ensemble de dispositions – articulées autour du triptyque justice fiscale – logement – soutenabilité – qui visent à accompagner le rebond de l’économie et à conforter sa résilience, à éviter une envolée des inégalités, et à assurer que le Luxembourg soit armé pour atteindre ses ambitieux engagements climatiques, sont contenues dans le budget. Bienvenues, certaines de ces mesures pourraient toutefois être amendées et/ou complétées dans le but d’augmenter les retombées sur le triptyque susmentionné.

Aussi, la programmation budgétaire devrait concilier une approche conjoncturelle, consistant à favoriser un rebond économique en 2021, à une approche résolument structurelle orientée vers la préservation de la durabilité du modèle socio-économique…  Concrètement, cela suppose la mise en place et la communication -dès à présent – d’une trajectoire CO2 ambitieuse, et une architecture budgétaire qui soit davantage en phase avec cette ambition et qui permettrait un pilotage « dans le sens d’un développement durable » des finances publiques.

Pour télécharger le Document de travail :

Tableau de bord économique et social – Novembre 2020

Tenir sur la durée

Après les premiers signes rassurants sur l’économie luxembourgeoise au 2ème trimestre (baisse plus modérée du PIB et de l’emploi que la moyenne européenne) et un été montrant des signes d’une reprise claire (bien que contrastée selon les secteurs), les nouvelles incertitudes provoquées par la deuxième vague de COVID font redouter un coup de frein à cette dynamique de retour « à la normale ».

Les principaux indicateurs économiques de ce Tableau de bord qui portent sur le mois d’octobre ne reflètent pas encore l’impact de cette dernière. Mais l’incertitude se lit à tous les niveaux, aussi bien dans les entreprises que chez les ménages.

Le contraste entre les secteurs continue lui aussi de ressortir. Bien que les estimations d’activité au cours des trois derniers mois affichent à nouveau un solde d’opinions positif dans le secteur du commerce, les perspectives de l’activité économique pour les trois prochains mois reviennent en territoire négatif. L’activité industrielle semble résister dans l’ensemble, avec des fortunes diverses selon les sous-secteurs. L’activité des services non-financiers se redresse, mais les perspectives de la demande se détériorent. L’insuffisance de la demande reste le facteur contraignant le plus mentionné dans cette branche, devant le manque de main d’œuvre. Le produit bancaire des établissements de crédits luxembourgeois continue de progresser, grâce aux commissions et marges sur intérêts. La crise n’a par ailleurs pas eu d’effets visibles sur les faillites d’entreprises à ce stade (nouvel indicateur).

Signes avant-coureurs de l’essoufflement ? Bien que le niveau d’emploi d’avant crise ait été retrouvé cet été, le mois de septembre a vu l’emploi salarié intérieur reculer de 59 postes (-188 frontaliers et +135 résidents). Le gouvernement a accordé un délai supplémentaire aux entreprises pour déposer leurs demandes de chômage partiel pour le mois de novembre. Le nombre de salariés concernés avait augmenté en octobre.

La confiance des consommateurs, encore fragile, s’améliorait légèrement en octobre, mais leurs préoccupations quant à la situation économique générale et l’évolution du chômage au cours des douze prochains mois se détériorent. Ces derniers auraient aussi moins tendance à faire des achats importants.

[Zoom] La future nécessaire restructuration des bilans à la suite de la crise du COVID-19

Après avoir subi un impact négatif sur leurs taux de profitabilité et bilans, les entreprises luxembourgeoises auront nécessairement besoin de liquidités pour financer leur besoin en fonds de roulement lorsque l’activité économique reprendra. Dans le Baromètre de l’Economie du 2ème semestre de la Chambre de Commerce, 42% des entreprises répondantes estiment en effet que le remboursement de la « dette COVID-19 » sera un défi pour leur développement en 2021.

Bien que les banques luxembourgeoises aient une exposition à 15% des crédits octroyés dans « des secteurs directement impactés par la crise contre 22% dans l’UE » (STATEC), il est possible que certaines de ces entreprises ne puissent honorer leurs obligations. L’indicateur des faillites sera alors à surveiller de près.

Pour contrer ce risque, des mécanismes de conversion de dettes financières en capitaux propres pourraient être envisagés pour ne pas pénaliser la reprise économique. Ces nouvelles parts de capitaux propres pourraient ensuite être rachetées progressivement.

Pour télécharger le Tableau de bord économique et social de novembre :

Pour télécharger le Tableau de bord économique et social de novembre :

Investissements publics : un budget prometteur mais à concrétiser

Dans d’autres contributions, rédigées en plein cœur du « Grand confinement », j’en ai appelé au maintien des investissements publics à un niveau élevé en 2020, et à un effort additionnel de l’ordre de 1% du PIB à partir de 2021. L’idée était de consolider une reprise économique certes appréciable au vu de la hausse du PIB en volume attendue pour 2021, mais qui plus fondamentalement surviendrait sur la toile de fond d’une économie toujours fragile – avec une activité à peine supérieure en 2021 à son niveau « pré-crise » de 2019. Or des investissements publics accrus constituent un instrument anticyclique efficace – en période de basse conjoncture en particulier, lorsqu’il s’agit de pallier la faiblesse de la demande privée. Ils ont d’ailleurs un tel effet d’entraînement économique qu’ils ne coûtent in fine pratiquement rien en termes de ratio d’endettement (voir le blog https://www.fondation-idea.lu/2020/04/23/investissements-publics-a-free-lunch-peut-etre/; le faible niveau actuel des taux d’intérêt renforce encore cette conjecture). Fameuse cerise sur le gâteau : correctement sélectionnés, les investissements publics sont de nature à relever durablement le potentiel de croissance de l’économie comme l’a montré le FMI, notamment, dans diverses publications.

Le budget 2021 et son complément pluriannuel ont été déposés le 14 octobre dernier. Qu’en est-il de l’effort d’investissement annoncé ? Sera-t-il en phase avec les recommandations que j’ai formulées en avril ?

C’est indubitablement le cas sur le papier – ce qu’il convient déjà de saluer. Comme le montre le graphique ci-joint, les investissements publics des Administrations publiques (de l’Etat, des fonds spéciaux et des communes, principalement) tels qu’ils sont appréhendés dans le cadre de la comptabilité standardisée européenne (« SEC 2010 ») ont en moyenne été de l’ordre de 4% du PIB sur la période 2000 à 2019[1].

Graphique : Investissements publics (formation brute de capital) en % du PIB

Investissements publics (formation brute de capital) en % du PIB

Sources : STATEC, base de données AMECO de la Commission européenne.

Or selon le projet de budget, ils dépasseraient nettement ce seuil des 4% de 2020 à 2024. Cette année, ils attendraient quelque 5,9% du PIB ce qui révèle en apparence un considérable effort par rapport au niveau « ordinaire » de 4%. Mais ce chiffre est gonflé par le niveau particulièrement faible du PIB en 2020 (qui accroît mécaniquement le ratio), par certains investissements « one-shot » (heureusement d’ailleurs…) liés à la COVID et par la prise en compte de l’avion militaire A400M (avec un impact de quelque 200 millions d’euros).

Plus fondamentalement, l’effort d’investissement mesuré sur la base des documents budgétaires demeurerait fort appréciable bien au-delà de la seule (et bien singulière…) année 2020, puisqu’il oscillerait autour de 5% sur la période 2021 à 2024. Par rapport au niveau d’étiage observé depuis 2000, il s’agirait donc bien d’un surcroît d’investissements publics de l’ordre de 1% du PIB. Autre enseignement du graphique : si on en croit les projections macroéconomiques de mai 2020 de la Commission européenne, le ratio des investissements publics serait nettement moindre dans les pays limitrophes et aux Pays-Bas en 2021. Une telle situation est d’ailleurs logique : un pays à croissance tendanciellement plus soutenue, soumis de ce fait à de plus fortes pressions sur ses infrastructures (de transport, de logement, etc.) se doit d’investir davantage.

Deux réserves s’imposent, cependant. En premier lieu, il reste à voir si cet effort va réellement se matérialiser. Tant en 2018 qu’en 2019, le taux de mise en œuvre des investissements des Administrations publiques a été remarquablement élevé, puisqu’il a atteint respectivement 99 et 98%. Il reste à espérer qu’il en sera de même sur la période 2020-2024, faute de quoi l’effort d’investissement annoncé ne serait qu’un tigre de papier.

En deuxième lieu, l’incidence socio-économique de ces investissements accrus dépend de leur composition. De nombreuses annonces sont faites à ce propos dans le projet de budget (voir l’annexe sur les fonds spéciaux, par exemple, dont les dépenses ne sont cependant pas toutes des investissements), mais il est difficile sur cette base de ventiler nos chiffres globaux d’investissements publics en fonction des domaines d’activité. Cette ventilation est fournie annuellement dans les comptes nationaux, comme le montre le graphique ci-dessous pour l’année 2019. Les documents budgétaires devraient incorporer un tel exercice (en le désagrégeant davantage, surtout pour les services généraux et les « affaires et services économiques ») et ce pour les différentes années de l’horizon de temps considéré (idéalement 2019-2024, en l’occurrence). Ce qui permettrait de mieux cerner les efforts consentis en faveur de la santé et du logement, par exemple.

Graphique 2 : Composition par fonction des investissements publics au Luxembourg en 2019 (en %)

Composition par fonction des investissements publics au Luxembourg en 2019 (en %)Source : STATEC.

Un dossier à suivre, donc…

 


[1] Le chiffre exact est 4,32%. Il s’agit de 4,08% sur la période (plus courte et post « Grande Récession ») 2010-2019 et de 4,04% en 2019. De sorte que 4% apparaît comme un niveau de référence approprié.

C’est graphe docteur ? Un « décrochage » économique amorti en 2020

L’année 2019 s’est clôturée avec un taux « headline » de croissance du PIB de 2,3% au Luxembourg, qui peut être qualifié d’honorable dans une perspective européenne. Les projections macroéconomiques publiées par diverses organisations nationales et internationales avant que la COVID ne déboule dans nos vies laissaient généralement augurer une croissance au moins équivalente en 2020. C’était cependant compter sans ce trouble-fête. En plein cœur du confinement, de nouvelles prévisions ont commencé à circuler avec une célérité quasiment « virale », postulant notamment un décrochage de l’activité de l’ordre de 30% durant sa phase la plus aigüe suivi d’un déconfinement nécessairement progressif, lié à la « distanciation sociale ». Sans compter les stigmates à moyen terme de l’enlisement dans la COVID (faillites, épargne accumulée, incidence sur les chaînes de valeur et le commerce international, décrochage des investissements publics et privés, etc.). Un tableau plus déprimant qu’une pièce de Franz Kafka, avec à la clef un recul du PIB de l’ordre de 6% en 2020 (avec certaines variantes encore plus préoccupantes).

La COVID hante toujours nos vies, mais nous disposons désormais d’un certain recul sur le plan statistique, le STATEC ayant publié le 18 septembre dernier sa première estimation du PIB en volume du 2ème trimestre de 2020.

Source : STATEC et calculs IDEA.

Ces données doivent être appréhendées avec prudence, surtout dans le contexte actuel. Elles sont susceptibles d’être révisées de manière très significative. Au-delà de cet indispensable message de prudence, que nous enseignent-elles ?

– Que le PIB décroche subitement au 2ème trimestre de 2020, comme anticipé par les prévisionnistes. Ainsi, le PIB trimestriel désaisonnalisé plonge de quelque 7,8% par rapport au trimestre correspondant de 2019 (T2, courbe jaune continue par rapport à la courbe bleue).

– Qu’il convient de ne pas se cantonner à cette première impression un peu trompeuse. Le PIB s’avère en effet bien plus résilient qu’anticipé, comme l’attestent les deux trimestres successifs. Ainsi, le PIB du 1er trimestre serait plus élevé en 2020 qu’en 2019, en dépit d’un confinement ayant débuté vers la mi-mars. En outre, le recul de près de 8% au 2ème trimestre est relativement modéré par rapport aux attentes initiales (guidées par l’hypothèse d’un recul de l’activité de l’ordre de 30% au cœur même du confinement, et d’un déconfinement graduel ensuite).

– Les prévisions macroéconomiques les plus courantes, tablant sur une décroissance annuelle du PIB de l’ordre de 6% en 2020 au Luxembourg, ne se concrétiseront que si au cours des deux derniers trimestres de 2020, le PIB demeurait rivé à l’étiage mécaniquement très bas constaté au 2ème trimestre (voir la ligne rouge du graphique), en l’absence donc de tout frémissement de reprise. La décroissance serait de 5,8% pour l’ensemble de 2020 dans ce cas de figure.

– Un rattrapage partiel de l’activité au cours du second semestre de 2020 se traduirait bien entendu par des taux de « croissance » annuels plus favorables. Est simulé au graphique (courbe jaune) un scénario qui correspond peu ou prou à l’évolution trimestrielle du PIB mondial postulée par l’OCDE dans ses perspectives publiées en septembre 2020, à savoir +5%[1] (par rapport au trimestre précédent) au 3ème trimestre et +2% le trimestre suivant. Dans un tel cas de figure certes illustratif, le PIB annuel de 2020 reculerait toujours par rapport à 2019, mais de « seulement » 3%. Pour rappel, le PIB avait diminué de 4,4% en 2009, soit au cœur de la « Grande Récession ». Au Luxembourg, la « crise COVID » ne serait donc pas exceptionnelle à cette aune, du moins si les chiffres du STATEC se confirment et si l’évolution trimestrielle postulée par l’OCDE lors du second semestre de 2020 se vérifie au Luxembourg.

Ce « réchauffement » du climat ambiant n’est pas isolé : il semble corroboré par l’évolution relativement favorable (compte tenu du contexte en tout cas…) de divers indicateurs repris dans le Tableau de Bord mensuel d’IDEA (voir https://www.fondation-idea.lu/2020/09/07/tableau-de-bord-economique-et-social-septembre-2020/). Par exemple l’activité dans les services non financiers, les nouvelles créations d’emplois enregistrées depuis mai ou encore un recours au chômage partiel ayant baissé sans discontinuer en été.

Des évolutions à saluer, en espérant cependant que la COVID ne nous réservera pas de nouvelles surprises…


[1] L’OCDE postule en fait 6% au 3ème trimestre pour le PIB mondial.

Quid des incitations fiscales en faveur des « ménages riches » ?

Cette contribution a été réalisée par Muriel Bouchet pour le magazine Forum.lu

« Les incitations fiscales destinées à motiver les personnes très fortunées à s’installer au Luxembourg doivent être abandonnées. Les ménages riches causent d’énormes problèmes à l’économie et à la société dans son ensemble (notamment des distorsions sur le marché de l’immobilier). Leur consommation disproportionnée d’énergie, d’infrastructures et de logements n’est compensée que par de très faibles contreparties fiscales, car ces personnes s’arrangent souvent pour minimiser leurs revenus imposables. »

Le sujet abordé dans le propos ci-dessus est des plus pertinents, tout en étant difficile à cerner à divers égards. Les concepts de « personnes très fortunées » ou de « ménages riches » peuvent en effet recouvrir de multiples réalités bien distinctes. Ainsi, une personne « très fortunée » peut apporter au Luxembourg d’indiscutables talents, des compétences constituant autant de catalyseurs de la croissance économique – avec à la clé in fine d’appréciables retombées sociales (le système de pension, par exemple, dépend intimement de la prospérité économique grand-ducale). A l’inverse, les « personnes très fortunées » voulant s’installer au Luxembourg peuvent être guidées par des préoccupations moins directement productives. Le propos vise sans doute dans une large mesure cette dernière catégorie, qui ne peut cependant être analysée avec précision (notamment ses émissions de CO2 ou son comportement de consommation ou d’investissement), faute de données statistiques suffisamment désagrégées.

L’image d’Epinal de « ménages riches » est tout aussi floue lorsqu’il s’agit de définir concrètement le concept même de richesse. Elle peut en effet s’exprimer en termes de capital social, culturel, financier, de pouvoir politique ou judiciaire, de revenus, etc. Une jeune personne tout juste issue de l’université peut être d’emblée favorisée en termes de revenu, tout en étant totalement démunie sur le plan immobilier (cela peut faire une fameuse différence au Luxembourg de nos jours…) ou financier (le patrimoine financier n’étant au demeurant pas toujours synonyme de plantureux revenus dans un monde où les taux d’intérêt sont plus que réduits). La Comédie humaine de Balzac, « riche » de plus de 2 500 personnages, restitue avec finesse toutes les gradations de la « richesse » avec ses nobles châtelains désargentés, ses jeunes premiers prometteurs « montant à Paris » (avec un grand potentiel, mais aussi un manque endémique d’« argent », qui constitue d’ailleurs l’un des principaux moteurs de l’intrigue balzacienne), le monde politique, la magistrature, la banque, l’économie souterraine ou le commerce. En résumé, le « monde des riches » est difficile à appréhender, car il est aussi composite qu’un fromage d’Emmental.

Des allégations à apprécier avec prudence

Il convient aussi d’examiner à tête reposée diverses allégations souvent entendues à propos des « riches ». Par exemple les distorsions qu’ils occasionneraient sur le marché de l’immobilier, alors qu’à l’évidence les high net worth individuals ne représentent qu’une faible part de la demande de biens immobiliers (ou de l’immigration nette) au Luxembourg, sur un segment bien particulier en prime.

Les « riches » se livreraient par ailleurs à une consommation ostentatoire, avec à la clé tout un florilège de catastrophes environnementales, dont une émission élevée de CO2. Notons tout d’abord que c’est souvent le reproche inverse qui leur est adressé : du fait de leur faible propension à consommer, les plus nantis feraient plutôt obstacle à l’effort de relance économique. Ces messages discordants s’expliquent surtout par la confusion entre la consommation absolue (exprimée en euros par an) et la consommation relative (par unité de revenu), cette confusion valant également en ce qui concerne les émissions de CO2. Ainsi, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques, en France, une personne bénéficiant d’un revenu élevé (premier décile) émet de manière directe et indirecte 40,4 tonnes de CO2 par an, contre 15,2 pour ses concitoyens les moins aisés (dernier décile). Cependant, les mêmes données (jointes à celles de l’Institut national de la statistique et des études économiques sur les revenus disponibles) suggèrent qu’une hausse du revenu de 1 % ne se traduit en moyenne que par une augmentation de 0,37 % des émissions de CO2. Un accroissement du revenu se traduit donc bel et bien par des émissions plus élevées, mais de manière moins que proportionnelle. Le constat final dépend donc intimement de l’indicateur utilisé…

Enfin, l’argument parfois évoqué de faibles contreparties fiscales mérite d’être reconsidéré, comme l’attestent notamment les données publiées par le Conseil économique et social dans sa plus récente analyse des données fiscales au Luxembourg. Ainsi, en 2017, 0,8 % des contribuables ont alimenté les recettes de l’impôt sur le revenu des personnes physiques à hauteur de 50 % (sans prise en compte de la retenue sur les traitements et salaires, certes). Cette situation s’’explique par la progressivité des taux d’imposition, les revenus plus élevés se voyant assortis de prélèvements proportionnellement plus importants.

Des « riches » mis à contribution, mais sans perdre de vue les personnes hautement qualifiées

Que l’on ne s’y méprenne pas : le modèle social luxembourgeois présuppose un système de redistribution développé permettant d’atténuer les « disparités et aspérités » économiques – il y va de la sauvegarde de la cohésion sociale et de la stabilité politique du Grand-Duché. Les personnes les plus favorisées doivent être mises à contribution en fonction de leurs moyens et ce, de manière transparente.

Cependant, un pays comme le Luxembourg, où des services à haute productivité représentent une part considérable de l’économie, ne peut oublier que certaines « personnes à qualification élevée » constituent un facteur de production essentiel. Que ce dernier fasse défaut ou soit en pénurie et c’est tout le potentiel de croissance économique grand-ducal qui marque le pas. D’où la nécessité d’aménager des dispositifs fiscaux, sociaux, administratifs ou réglementaires sur les « talents » utiles à notre économie (en termes de capital intellectuel et de recherche également). Mais ces mesures doivent être correctement ciblées, en d’autres termes il est essentiel que les « talents » en question soient bien identifiés et ne servent pas de paravents à des mesures de « redistribution à l’envers », préjudiciables à l’indispensable cohésion sociale.

Epargne forcée et télétravail : les grains de sable de la relance de l’économie présentielle du Luxembourg

Tandis que le déconfinement graduel se poursuit et bien que des restrictions sanitaires sont toujours possibles (voire probables), le moral et le comportement des consommateurs font partie des indicateurs clés à scruter dès cet été, car ils pourraient avoir un impact sur la reprise économique, en particulier dans les secteurs d’activité les plus affectés par le confinement (hôtellerie, restauration, commerce d’habillement, de biens d’équipements, loisirs, événementiel, etc.) et dans lesquels de nombreuses entreprises se trouvent aujourd’hui sur le fil du rasoir. Si les dépenses de consommation finale des ménages pèsent moins dans l’économie luxembourgeoise qu’ailleurs (28% du PIB contre 52% dans la zone euro), il n’en demeure pas moins qu’elles s’adressent à tout un pan de l’économie locale déjà fortement éprouvé par les décisions de fermetures de ce printemps.

Comme ailleurs, l’économie du pays n’a pas été frappée de manière homogène par les mesures sanitaires. Au plus fort du confinement, le STATEC estimait par exemple la baisse de l’activité à 90% dans le secteur de l’Horeca et à 10% dans celui des activités financières.

Les « deux Luxembourg »

Il ne faut certes pas se cacher du fait que la profondeur de la récession au Luxembourg dépendra davantage de l’évolution de la demande extérieure (principalement européenne) en services financiers et en biens manufacturés que de l’évolution de la demande intérieure. Sur ces deux pôles économiques qui dépendent de la dynamique « étrangère », les mesures de soutien à l’économie du gouvernement changeront probablement moins la donne que les mesures monétaires et budgétaires prises à l’échelle européenne. A ce stade, le Tableau de bord économique et social d’IDEA montre que la place financière, qui reste de loin le principal moteur du pays, semble plutôt épargnée par les effets économiques de la crise sanitaire, bien que les annonces de restructurations dans le secteur bancaire se poursuivent. Le secteur industriel était entré dans une phase de ralentissement avant l’apparition de la COVID-19, mais regagne (timidement) quelques couleurs. Le secteur de la construction semble quant à lui davantage souffrir de délais de livraisons rallongés que d’une chute des carnets de commande.

En revanche, certains aspects ne doivent pas être négligés sur l’importance de maintenir à flot les secteurs d’activité présentiels qui dépendent davantage de la demande intérieure et pour lesquels le gouvernement a un rôle à jouer. Ce n’est certes pas « grâce à eux » que le PIB par habitant du Luxembourg est 3,3 fois plus important que la moyenne européenne, mais il s’agit de branches souvent constituées d’entreprises de taille modeste qui font vivre de nombreux travailleurs indépendants (parfois endettés sur leurs deniers personnels), qui emploient des salariés moins diplômés. Ils contribuent à un maillage économique très fin du territoire national, contribuant à l’image et à la qualité de vie des quartiers et communes dans lesquels ils sont présents. Bref, ils représentent une économie « palpable », « visible » à tout un chacun, dont on peut mesurer l’importance à l’émotion provoquée dès lors que les pancartes « local commercial à louer » apparaissent dans certains quartiers.

« Déconfiner » l’épargne forcée 

Au-delà des craintes (sérieuses) qui demeurent sur la circulation du virus et des mesures de stabilisation du gouvernement qui continuent à jouer leur rôle d’amortisseur, le plan de relance de l’économie présentielle du pays ne saurait se baser uniquement sur un appel de fonds publics, il passera aussi et surtout par une mobilisation des consommateurs eux-mêmes.

D’après l’enquête mensuelle réalisée par la Banque Centrale du Luxembourg, l’indicateur de confiance des consommateurs a marqué un net redressement au mois de juin, avec en particulier un retour progressif de l’intérêt à faire des achats importants, qui avait logiquement chuté pendant le confinement. Mais les ménages continuent de juger que l’épargne est opportune par les temps qui courent. Les niveaux de rémunération relativement élevés et l’importance du poste « logement » au Luxembourg peuvent en partie expliquer, voire légitimer, cette opinion qui varie finalement assez peu dans les enquêtes, quel que soit le climat économique et social.

Ce printemps, le confinement a eu un impact très concret sur le budget des ménages : en limitant leurs possibilités de consommer, il les a forcés à épargner. Dans les banques luxembourgeoises, les dépôts à vue des ménages résidant au Luxembourg ont augmenté de 1,4 milliard d’euros entre mars et mai, soit 850 millions de plus « que la normale », si l’on considère la tendance moyenne constatée sur les 12 mois précédant le confinement. Une donnée certes imparfaite, mais qui semble en phase avec l’estimation du STATEC « d’une épargne supplémentaire contrainte d’environ 1Mia EUR qui s’accumulerait en 2020 »[1].

A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ?

Transformer le regain de moral des consommateurs en actes, afin qu’ils décident de dépenser ces 850 millions d’euros plutôt que de les épargner par précaution devra donc être un objectif de la politique de relance économique du gouvernement.

Des mesures incitatives sont déjà prises dans ce sens comme le bon d’achat de 50 euros pour les clients de l’hôtellerie ou encore les multiples initiatives prises par les communes pour faire revenir des clients dans les commerces. Les données disponibles montrent que la propension à consommer des ménages est inversement proportionnelle à leur revenu (plus on gagne, plus on épargne… et inversement). Des mesures temporaires pourraient dès lors être prises en fonction du niveau de vie des ménages comme verser du « cash » aux ménages les plus précaires (qui vont le consommer) et transformer une partie des salaires les plus élevés en bons de consommation. Une manière de procéder pourrait être de mettre en place un impôt de crise temporaire sur les hauts revenus et de le rétrocéder sans délai en bons de consommation ayant une durée limitée.

Une autre idée serait de raccourcir temporairement la durée de validité des chèques repas et de limiter leur usage à la seule consommation dans les restaurants (y compris pour la vente à emporter, voire la petite épicerie qui pourrait être un autre bon relais de développement pour le secteur en cas de poursuite de l’épidémie), la grande distribution ayant été relativement épargnée par la crise[2].

Le télétravail, un grain de sable

Un autre sujet qui va rapidement émerger est celui de l’impact du télétravail sur l’activité du commerce, des services à la personne et de la restauration dans les quartiers d’affaires ou administratifs du pays. En effet, la concentration des emplois tertiaires pour lesquels le télétravail est possible (et massivement pratiqué depuis mars) au sein de quelques espaces très spécialisés est un autre élément discriminant pour la fortune économique des activités présentielles. Une généralisation du travail à distance, même un jour par semaine, pourrait redistribuer les cartes de ce secteur, transférant de l’activité dans les zones résidentielles (au Luxembourg et dans la Grande Région), voire détruisant une partie de la valeur ajoutée (cuisine à la maison, repassage des chemises, etc.).

Si une mutation de ce type peut être indolore économiquement, voire salutaire car répondant à une aspiration sociétale et redynamisant les « cités dortoirs », cela n’est possible que lorsqu’elle s’opère sur des longues périodes et qu’elle est accompagnée par des politiques publiques et des décisions d’entrepreneurs capables d’anticiper et d’accompagner le changement. Mais il n’en n’est strictement rien dans la situation actuelle. Le changement a été brutal et le risque de transformer la récession en dépression si des « clusters » de faillites en cascades apparaissaient est grand. Cela doit nous inviter à mettre entre parenthèses les enseignements de Schumpeter sur les bienfaits de la destruction créatrice[3]. Dans cette situation, la seule intervention qui pourrait en théorie inciter à la relance par les consommateurs serait de limiter le télétravail, mais elle apparait comme hasardeuse, voire dangereuse, à mettre en œuvre dans la situation sanitaire actuelle. Des mesures de soutien aux entreprises adaptées et ciblées devront vraisemblablement encore être imaginées pour ces cas précis.

 

Photo by Ibrahim Rifath on Unsplash

 


[1] STATEC, Note de conjoncture 1-2020, juin 2020.

[2] Sarah Mellouet, Fondation IDEA, Durcir les conditions d’utilisation des chèques repas pour soutenir le secteur de l’HORECA ? juin 2020.

[3] Michel-Edouard Ruben, Fondation IDEA, Soutenir autant que possible, sauver autant que nécessaire ! Décryptage N°11, juin 2020.

Tableau de bord économique et social – juillet 2020

Entre sortie du brouillard et vents contraires

Les indicateurs de ce Tableau de bord dessinent un tableau très contrasté de la situation économique et sociale en ce début d’été.

Les dernières prévisions du STATEC tablent sur une récession de 6,0% en 2020, suivie d’une croissance de 7,0% en 2021. La Commission européenne, qui vient de mettre à jour ses prévisions, projette de son côté un recul du PIB de 6,2% cette année, suivi d’un rebond plus modeste en 2021 (+5,4%). Au premier trimestre, le PIB se serait replié de 0,2% par rapport au premier trimestre 2019 d’après la première estimation du STATEC.

Si la reprise économique est encore difficile à qualifier et si le retour à la normale risque d’être long, certains indicateurs montrent tout de même des signes encourageants. Sur le marché du travail tout d’abord : alors qu’en mars et avril, le pays avait vu 8.900 emplois salariés détruits, le retour des créations d’emplois en mai, avec un niveau non-négligeable (+4.500 postes), est une bonne nouvelle. L’envolée du nombre de demandeurs d’emplois a été stoppée (-0,2% entre avril et mai) et le taux de chômage s’est stabilisé à 7%. Le déconfinement a également été propice au moral des consommateurs qui se redresse sensiblement en juin. La bonne tenue des marchés financiers a permis aux actifs des fonds de la place financière de poursuivre leur ascension. Enfin, la plupart des enquêtes sectorielles montre une amélioration des soldes d’opinion des entreprises quant à leur niveau d’activité, bien qu’ils restent en territoire négatif.

Mais des vents contraires peuvent encore souffler sur cette dynamique. La confiance en l’avenir pour les consommateurs et les investisseurs, l’absence de salariés (toujours en télétravail) pour les restaurateurs et les commerces, et bien sûr le virus, qui continue à circuler, et qui reste le premier risque…

En outre, le caractère « asymétrique » des conséquences de cette crise est de plus en plus visible, entre les secteurs, leurs salariés, mais aussi entre les pays et régions de l’UE.

Pour la reprise, il reste donc encore à transformer l’essai. Et, plus que jamais, à rester attentif à tous les signaux qui obligeraient des interventions publiques sur mesure et aussi fortes que nécessaires.

Pour télécharger le Tableau de bord économique et social

Pour télécharger le Tableau de bord économique et social

L’évaluation des politiques publiques : un ingrédient indispensable à la qualité de la gouvernance publique et à notre capacité à surmonter la crise

Auteur :

Dr. François-Xavier Borsi
Administrateur, SOLEP asbl
Economiste et Senior Manager, KPMG Luxembourg

Avant-propos

La crise sanitaire que connaissent actuellement le Luxembourg et quasiment toute la communauté internationale est exceptionnelle par sa nature, son ampleur, sa vitesse de propagation et l’intensité des réponses apportées par les pouvoirs publics. Au Grand-Duché comme ailleurs, il s’est agi de mettre en place, dans l’urgence, un stratégie sanitaire inédite (de confinement strict / déconfinement) assortie d’un programme massif de stabilisation de l’économie nationale : pour sauver un grand nombre de vies, « il aura ainsi fallu en passer par des mesures déclenchant une crise économique majeure »[1]. Nul ne sait encore quand ou comment la communauté internationale, singulièrement les membres de l’Union européenne (dont le Luxembourg) en sortira, ni comment les économies vont pouvoir concrètement et durablement redémarrer, ni si les conditions de ce redémarrage seront soutenables au sens du développement durable.

A l’instar de beaucoup d’observateurs, nous pouvons imaginer que le choc de la crise sanitaire et économique constituera une épreuve, sans doute au moins à court et moyen termes, pour nos appareils de production et nos modèles de développement, pour nos institutions et nos politiques publiques. Et comme toute crise conduit nécessairement à s’adapter, à changer et à (se) transformer, il est légitime de s’interroger sur la manière dont ces politiques publiques (et, partant, les décideurs) vont devoir faire face et évoluer pour en tirer un maximum les leçons de manière constructive pour l’avenir et de futures interventions publiques. Et pour décliner une telle réflexion sur ce qu’il devient galvaudé d’appeler « l’après-crise » ou « l’après-Covid », peut-être pourrait-on envisager au moins deux types de questionnements.

D’abord peut-on continuer comme avant ; n’est-il pas temps de modifier en profondeur notre référentiel en matière de politiques publiques…changer de paradigme compte-tenu des risques globaux que nos communautés perçoivent et/ou évaluent et dont on sait maintenant qu’ils peuvent se matérialiser à tout moment sous la forme d’accidents collectifs et de crises induites majeurs, que ce soit en matière énergétique, migratoire ou environnementale pour ne citer que ces exemples ?

Ensuite, dans un contexte si incertain (pour ne pas dire particulièrement anxiogène), où les objectifs économiques, sociaux, environnementaux, démocratiques paraissent souvent contradictoires, comment dessiner le futur sans prendre le risque de se tromper lourdement ? Comment également mettre en œuvre, comme il le faut et pas autrement (certains diraient de manière optimale), des politiques publiques dont le rôle et l’impact, on le ressent et on le mesure par exemple en matière de santé en ces temps de difficultés sanitaires aigues, sont majeurs pour le bien-être des populations et pour faire tenir nos sociétés ?

La SOLEP asbl pense que l’une des réponses réside dans notre capacité à opérer un saut qualitatif sensible en matière de qualité et d’efficience de la gouvernance publique au service de l’intérêt général. Un tel saut passe notamment, à ses yeux, par un renforcement de notre capacité collective à éclairer, concevoir, adapter, optimiser et mettre en œuvre de manière appropriée des politiques publiques de qualité. Et l’une des conditions de ce renforcement est une bonne pratique (une pratique éclairée) de l’évaluation des politiques publiques, laquelle exige que l’on puisse à la fois parfaitement démystifier, comprendre et expliciter ce qu’il y a derrière cette notion-même.

Quelques rappels-clés sur l’évaluation des politiques publiques.

Fondamentalement une évaluation consiste à apporter un éclairage sur une action publique en en mesurant et en en qualifiant les effets à la lumière de principes d’analyse et de critères définis et pris en compte pour l’exercice de jugement visé. La boîte à outils de l’évaluation permet d’identifier et expliciter la logique d’intervention de l’action considérée, en partant des éléments intrants (ressources, moyens) qui sont « injectés » dans cette action et en déclinant les éléments de réalisations, de résultats et d’impact (intermédiaires ou globaux) qui en découlent.

Le schéma ci-après décrit de manière concise en quoi une bonne lecture de la logique d’intervention permet de comprendre au mieux la nature des travaux d’évaluation qui nous intéressent (audit, contrôle, monitoring, évaluation) selon le focus de compréhension que l’on souhaite avoir à travers l’exercice (s’intéresser seulement aux outputs, ou n’apprécier que les outcomes, etc.). Il permet aussi de mettre en exergue quelques-uns des critères-clés des approches évaluatives que la littérature met en évidence et qui permettent aux évaluateurs et aux décideurs d’objectiver (de manière certes imparfaite) les effets et les impacts de l’action en question en mettant en regard les objectifs visés et les résultats atteints. On cite souvent la pertinence, l’efficacité et l’efficience comme critères-clés communément admis par les praticiens. L’émergence d’une nouvelle génération d’évaluateurs et les discussions internationales récentes amènent à considérer avec de plus en plus d’importance des critères de soutenabilité/durabilité (en particulier en lien aux « Objectifs du développement durable » (ODD) énoncés dans le Programme 2030 et l’Accord de Paris) et des critères d’éthique dans les analyses[2].

Schéma : approche cartographique du concept d’évaluation

Source : présentation SOLEP (2019)

Evaluer les politiques publiques pour un saut qualitatif en matière de qualité de la gouvernance publique

– Des enjeux relatifs à l’évaluation des politiques publiques…

S’agissant de la pratique au Luxembourg, la taille du pays n’a pas forcément aidé à historiquement prioriser sur la structuration et la coordination administrative autour des questions d’évaluation. Le Luxembourg n’est pas encore reconnu en Europe comme un pays où les pratiques évaluatives sont systématiques et relèvent d’une culture publique profondément ancrée. Pour autant, sous l’impulsion de quelques acteurs sensibles à l’intérêt des démarches et logiques sous-jacentes, la SOLEP a commencé à la fin des années 2000 un travail de sensibilisation progressif (conférences, ateliers, échanges au sein de l’écosystème national) qui la conduit à faire le constat d’une certaine maturité pour envisager des initiatives plus marquées à l’adresse d’un public de plus en plus large, avec pour cibles, entre autres, les fonctionnaires de l’administration gouvernementale ainsi que le législateur luxembourgeois. Car au-delà des principes mêmes de l’évaluation, plusieurs enjeux sont en effet de nature à particulièrement intéresser les acteurs nationaux, et plus encore s’il s’agit de vivre un saut qualitatif en matière de gouvernance publique suite à une crise comme celle que nous vivons actuellement au niveau mondial. L’évaluation des politiques publiques, sans aller nécessairement jusqu’à sa généralisation, pose des questions en lien avec la compétitivité de l’économie, la soutenabilité de ses finances publiques, le développement durable, la santé, le secteur social, mais aussi l’optimisation de l’action publique, l’efficacité de l’appareil administratif, l’augmentation des capacités des structures existantes ou encore du tissu associatif.

En tant qu’économie dynamique de la donnée et face à l’enjeu précité des compétences évaluatives, le Luxembourg peut aussi capitaliser sur les opportunités qu’offrent le développement rapide des outils d’analyse dits « Big Data », avec la perspective de favoriser un enrichissement des analyses quantitatives et qualitatives[3].

– …aux enjeux du renforcement de la gouvernance publique…

L’évaluation a connu, notamment en Europe (Allemagne, France, Royaume-Uni, Suède), un mouvement d’institutionnalisation progressive de la pratique marquée en faveur des pouvoirs exécutifs et des structures administratives ou juridictionnelles (Cour des comptes et institutions de contrôle de la dépense publique, services d’évaluation dans les ministères) davantage que d’autres acteurs (institutions parlementaires, organismes de recherche, think tanks, bureaux d’études…). En dehors des questions de coopération et d’aide au développement, l’évaluation est finalement assez peu ancrée dans l’élaboration et la conduite des politiques publiques, restant prioritairement perçue comme un instrument au service de la réforme de l’État et de la performance des organisations publiques.

Or la crise risque de fortement et durablement ébranler et fragiliser nos sociétés ainsi que nos institutions et systèmes démocratiques. Elle peut aussi abîmer (durablement) la qualité de nos politiques publiques en créant des rigidités cognitives et de l’aveuglement stratégique pour les décideurs trop concentrés par le très court terme. Il importe donc, au-delà du traitement de l’urgence sanitaire et économique à laquelle il a fallu immédiatement répondre[4], de favoriser la mise en place d’un cadre de réflexion, d’analyse et de prise de décision qui se prête à penser au mieux l’après-crise en s’appuyant utilement sur les leçons à tirer.

Parmi les enseignements sur lesquels nous pourrons bâtir l’après-crise, sans doute doit-on évoquer la nécessité, plus que jamais, de nous doter d’une gouvernance publique propice à mieux anticiper les menaces et les disruptions, mais aussi à favoriser et renforcer notre capacité collective à changer, corriger innover, nous adapter, améliorer l’agilité stratégique des pouvoirs publics.

La gouvernance publique, et plus précisément son efficience, est un ingrédient incontournable du développement durable d’un territoire[5]. Elément de souveraineté des pouvoirs publics qui affecte directement potentiellement les conditions générales de compétitivité dudit territoire, les conditions de développement qualitatif de ses ressources et les conditions de bien-être de sa population et de ses forces vives, elle en garantit l’attractivité en établissant toute une série d’avantages (économiques, institutionnels, sociaux et démocratiques…) précieux aux yeux des acteurs du territoire et dont la qualité se mesure à l’aune de leur caractère soutenable. Elle revêt autant de dimensions nécessaires à une prise de décision optimale, vertueuse et qualitative que l’analyse de la situation et des enjeux (ce qui est nécessaire au développement), la justesse de l’intuition et de la volonté d’agir (ou de réagir) ou encore la prise de risque indispensable à la conduite du changement. Sur toutes ces dimensions, l’évaluation des politiques publiques peut s’avérer utile et décisive, en raison notamment de sa grille de lecture (les critères) et des méthodologies crédibles (tableaux de bord, prospectives et analyses ex ante, analyses économétriques d’impact…) sur lesquelles elle s’appuie.

Comment concrètement appréhender et mieux réfléchir et agir vis-à-vis des impératifs à la fois de soutenabilité, d’efficacité et de pertinence des politiques publiques ? En octobre 2015, la SOLEP a livré au Gouvernement et à la société civile un rapport de prospective territoriale baptisé « Luxembourg 2030 », lequel s’était appuyé sur un exercice de prospective citoyenne méthodique, participatif et impliquant tant des experts que des citoyens. Et de ce point de vue, l’initiative prise au début de l’année 2020 par France Stratégie sur les « Soutenabilités » semble des plus inspirantes[6]. Partant du constat des fragilités, des vulnérabilités et des failles que nos modèles de développement laissent entrevoir de nombreuses et plus ou moins prévisibles conséquences sociales, économiques, politiques et géopolitiques de la crise en cours, cette initiative consiste à interroger ces modèles et à penser leur impératif de soutenabilité et leurs conséquences dès la sortie de crise. L’enjeu principal, auquel souscrit volontiers la SOLEP, est de refonder le référentiel de nos politiques publiques, ce à quoi aide indubitablement l’évaluation.

Propositions autour de l’évaluation en ces temps de crise

– Les recommandations récentes de la SOLEP demeurent d’actualité

La SOLEP avait, préalablement aux élections législatives de fin 2018, sensibilisé les parlementaires luxembourgeois de tous bords à des recommandations qui lui paraissent, dans le contexte de la réflexion sur l’après-crise, plus que jamais pertinentes et constructives. Ces recommandations s’articulent notamment autour de la préoccupation de définir des politiques publiques proactives et promouvoir une évaluation plus systématique et de qualité des politiques publiques, pour renforcer la pertinence et l’efficacité desdites politiques, leur impact positif du point de vue de ce que l’on appelle l’intérêt général, et la responsabilité des décideurs vis-à-vis des citoyens et des générations futures.

        1. Clauses évaluatives dans la loi

A la connaissance de la SOLEP, peu de lois récentes prévoient de façon explicite une clause évaluative dans leur dispositif. Or comme en Allemagne fédérale, le recours aux clauses évaluatives mériterait d’être systématisé, notamment pour tout projet de réforme soit sensible (la clause évaluative étant ainsi considérée comme un compromis à l’issue de négociations parlementaires), soit coûteux, soit expérimental (comme par exemple avec la loi sur les sociétés d’impact sociétal).

        2. Publicité des évaluations

Il est vrai que, sauf intérêt sécuritaire et/ou national majeur, la « bonne pratique » à l’international consiste à publier le contenu de toute évaluation ou, à défaut, au moins un résumé exécutif sincère – comme c’est d’ailleurs déjà le cas avec « Lux-Development » au niveau luxembourgeois. La SOLEP comprend néanmoins que, mis à part LuxDev, il existe une certaine appréhension à publier les évaluations, ou même à les annoncer (l’on parle alors, non pas de « publication », mais de « publicité » des évaluations). La préférence va clairement dans le sens d’une analyse des conclusions des évaluations à huis clos, par exemple en réunions tripartites ou, en cas de systématisation de clauses évaluatives dans la loi, en commissions parlementaires. De l’expérience des membres de la SOLEP, il faut en effet du temps pour que la publication des résultats des évaluations fasse son chemin. Un tel shift dans la culture administrative ne peut s’effectuer du jour au lendemain. La SOLEP recommande dans un premier temps la publicité des évaluations, qu’elles soient annoncées dans la loi au moyen de clauses évaluatives ou répertoriées dans un planning des évaluations tenu par exemple par un organe central d’évaluation. La publicité des évaluations contribuerait à structurer les activités en la matière et à renforcer la transparence et la responsabilité.

        3. Utilité d’un organe central d’évaluation

La SOLEP observe qu’à ce jour la conduite d’évaluations se fait de manière ad hoc au Luxembourg, à l’initiative de certains ministres ou de leurs administrations, et ce de façon plus ou moins formalisée. Afin de normaliser une pratique d’évaluation de qualité au Luxembourg, la création d’un organe central d’évaluation, même de taille modeste, mériterait d’être envisagée. A défaut de mener elle-même des évaluations, une telle unité pourrait en commanditer selon un degré de priorisation donné. Par exemple, les politiques les plus coûteuses et/ou sensibles/visibles (mobilité, aménagement du territoire, logement, nouvelles technologies, éducation et culture pour ne citer que ces grands sujets) pourraient être évaluées en priorité, particulièrement si celles-ci ne l’ont jamais été. La commande d’évaluations plutôt que la conduite-même de celles-ci permet une certaine souplesse et rapidité d’exécution. Dans un pays de taille modeste comme le Luxembourg, la commande d’évaluations permettrait en outre le recrutement d’experts indépendants les plus à la pointe dans leurs domaines. Un tel organe se verrait enfin confier la mission de sensibiliser à l’évaluation et de renforcer les connaissances et capacités à tous les niveaux de l’administration en prévoyant a) comme précité, la publicité des évaluations avec la tenue d’un planning officiel de celles-ci, b) le contrôle qualité des évaluations menées en dehors de sa supervision directe, c) la dissémination de bonnes pratiques en matière d’évaluation, d) la publication de lignes directives d’ordres méthodologique, éthique et procédural, e) l’adoption de définitions uniformes, f) l’organisation de formations de pointe à destination des administrations, g) l’assurance de la prise en compte des résultats des évaluations dans le développement des politiques publiques, et, ou encore dans un second temps, h) la centralisation et la communication dans un langage compréhensible des leçons d’évaluation. En somme, un organe central d’évaluation pourrait être rattaché au parlement et/ou à l’exécutif en tenant compte des avantages et inconvénients de chaque approche, comme notamment une relative lenteur d’établissement et des processus décisionnels au parlement (mais un ancrage démocratique fort) comparée à une certaine rapidité d’exécution sous l’exécutif (mais un caractère pérenne plus fragile en cas de changement de majorité).

        4. Sensibiliser, toujours

La SOLEP constate qu’au Luxembourg la prospective peut être perçue, à tort, comme une forme d’activité subjective de prédiction, tandis que l’évaluation est encore trop souvent perçue comme un audit, ou du moins comme un exercice à visée « punitive ». Il est important, aux yeux de la SOLEP, de ne pas confondre audit – qui teste la conformité de l’action avec le cadre légal, réglementaire et/ou contractuel dans lequel elle s’inscrit – et évaluation qui, elle aussi, revêt des approches parfois assez distinctes (évaluation de la performance, évaluation stratégique, évaluation d’impact…), même si l’objectif intrinsèque de l’évaluation est de rendre compte, il est aussi et surtout celui de l’éclairage et de l’apprentissage, sans lesquels l’on ne peut sereinement réformer. La SOLEP insiste sur l’importance de sensibiliser, de renforcer les connaissances, voire de former, y compris auprès des décideurs et des partenaires sociaux.

– Des pistes de travail pour le moyen et long terme

La SOLEP, en tant que société de prospective et à la fois société d’évaluation, peut se prévaloir d’une certaine originalité à l’échelle des sociétés européennes qui lui permet de favoriser un dialogue méthodologique et multidisciplinaire entre ses membres qui peut être porteur d’innovation, notamment en ces temps de réflexion sur « l’après ». Elle formule donc ici une proposition concrète dont elle espère qu’elle retiendra l’intérêt des forces vives luxembourgeoises et de la Grande-Région, à savoir le lancement, dès l’été 2020 et en collaboration étroite avec le Gouvernement, d’un nouvel exercice national et grand-régional de réflexion prospective méthodique et démocratique impliquant experts et citoyens qui a) favorise un redémarrage (un rebond) qui tienne compte des erreurs du passé et anticipe les risques d’écueil pour l’avenir, b) permette d’évaluer (voire réévaluer) nos priorités et nos besoins, c) intègre une réflexion sur et une prise en compte de l’évaluation des politiques publiques comme ingrédient indispensable de la bonne gouvernance publique pour le futur, d) autorise la participation du plus grand nombre des composantes de la société luxembourgeoise et de la Grande-Région, et e) exige l’implication, l’engagement, l’imagination et l’écoute. Le tout, dans le souci du long terme et le respect d’un certain nombre d’engagements et d’éléments démocratiques et sociaux qui nous sont chers collectivement.

Dr. François-Xavier Borsi
Administrateur, SOLEP asbl
Economiste et Senior Manager, KPMG Luxembourg


[1] Gilles de Margerie, Commissaire général de France Stratégie (2020).

[2] Des meilleurs critères pour des meilleurs évaluations – Définitions adaptées et principes d’utilisation, Réseau du CAD de l’OCDE sur l’évaluation du développement (EvalNet), décembre 2019.

[3] Cf. conférence “Big Data Analytics & Evaluation – Data Privacy, Use and Ethics” (mars 2019).

[4] Programme de stabilisation de l’économie nationale (Ministère de l’Economie, Gouvernement luxembourgeois, mars 2020).

[5] « Intégration économique et juridique et attractivité des juridictions – Une approche en termes de concurrence institutionnelle » (Borsi, 2011, Editions Universitaires Européennes).

[6] Cf. www.strategie.gouv.fr

Pour télécharger le billet invité