Non à « l’ind-excessivité »

Billet invité de Marc Wagener, Chief Operating Officer (COO) et Director Entrepreneurship à la Chambre de Commerce du Luxembourg. Membre du Conseil d’Administration d’IDEA.

© photo : Julien Mpia Massa

« Trop d’index tue l’index » est-on amené à dire en suivant les dernières évolutions statistiques publiées ces derniers jours et si l’on se soucie en même temps de celles qui doivent les payer : les entreprises. En effet, celles-ci encaissent des chocs à répétition et elles sont bien plus fragiles que supposé par l’opinion publique. Le travailleur indépendant est par exemple deux fois plus exposé au risque de pauvreté que le salarié. Une entreprise luxembourgeoise donnée est avec une probabilité de 99% une PME (et à 93% une microentreprise de moins de 10 salariés). Pour ces dizaines de milliers d’entreprises et leurs patron(ne)s, le mot d’ordre est la survie économique et l’atteinte d’un niveau de vie décent, et non pas la génération d’un superprofit digne d’un impôt spécifique ou d’un yacht au Sud de la France.

L’entrepreneur est exposé de plein fouet à tout ce qu’on appeler crises, transitions et autres transformation digitale et environnementale. Il est souvent assez seul et isolé, il doit constamment réécrire son logiciel, son modèle d’affaires, ses façons de faire. Ses quelques salariés jouissent de congés légaux et spéciaux eux aussi soumis à une inflation certaine. Et en contrepartie, l’organisation du temps de travail est quant à elle largement immuable et le pendule est du côté « rigide » et non du côté « réactif ». La trésorerie est souvent épuisée, saccagée au gré des crises. Le personnel est de plus en plus difficile à trouver et à maintenir. Gare aux offres alléchantes, se déployant sur des banners digitaux et des abribus physiques, issues souvent du secteur public, que les entreprises et leurs salariés financent et qui représentent souvent une concurrence inégale. En effet, comment les quelque 30.000 microentreprises, créant pourtant 20% de la valeur ajoutée et de l’emploi, peuvent-elles rivaliser avec un mastodonte étatique doté de budgets vertigineux et en hausse continue ?

Accès difficile aux ressources en tous genres et leur renchérissement, organisation du travail dépassée (surtout pour les PME), rentabilité mise à mal, … difficile de continuer à se lever le matin en tant que « petit patron », travailler (souvent) beaucoup pour gagner (souvent) peu. A rebours de jalousies contre les « riches patrons », une vie faite de défis et de grandes responsabilités, tous les jours. Chapeau à celles et ceux qui ne désespèrent pas ! Et si les 3 index désormais prévus en 2023 (et on n’ose guère anticiper 2024) faisaient déborder le vase ?

Est-ce que le système d’indexation n’est pas mené à l’absurde s’il est en roue libre, incontrôlé, sauvage ? Peu de voix prônent désormais son abolition, point barre. De nombreux commentateurs, plus ou moins libéraux, ont compris qu’il a le mérite de réduire les « coûts de transaction », c’est-à-dire notamment le fait de devoir négocier, tous les ans, des augmentations salariales (individuelles, au niveau des entreprises ou encore sectorielles) portant tant sur la « compensation de l’inflation » que sur l’évolution réelle. Si l’inflation est « proche mais inférieure à 2% », l’index est déclenché environ tous les 15 mois. C’est assez prévisible. Mais quand l’inflation fait des galipettes dans des sphères méconnues non pas suite à une « lente et progressive hausse générale des prix » mais à cause d’une guerre qui déclenche une crise énergétique (elle-même exacerbée par la mentalité « Nimby » du développement des énergies renouvelables ayant auparavant sévi), le système d’indexation doit être sauvé de sa propre dynamique infernale et autodestructrice (boucle prix-salaires). Comme dans tout, le péché est dans l’excès. Il faut freiner ce système, le moduler, l’accompagner d’actions ciblées. Il faut dompter l’animal sauvage qui dévore les fiches de paie.

Au Luxembourg, nous sommes souvent dans une sécurité illusoire, convaincus que l’économie « tourne toute seule ». On n’a pas vraiment besoin de considérer la compétitivité et la rentabilité de la locomotive générant notre richesse. On peut simplement y accrocher des wagons à rallonge ; un attelage souvent digne d’une cavalcade carnavalesque où des « bonbons gratuits » sont jetés 365 jours sur 365 aux ménages qui les accueillent à bras ouverts sans se soucier du bon vieil adage (jamais invalidé) qu’il n’y a pas de repas gratuit.

L’économie grand-ducale tourne, aussi et en grande partie, parce que 40.000 entreprises et leurs patrons (souvent non-Luxembourgeois) mettent du charbon dans la machine et dépensent de la sueur tous les jours. Les charger et les charger encore davantage tous les jours risque de mener au drame. Alors si au moins cette « ind-excessivité » contreproductive pouvait être freinée, une lueur d’espoir bienvenue pourrait voir le jour. Tout ce qui est excessif est insignifiant. Tout ?

Marc Wagener

Flécher l’épargne excédentaire vers les entreprises

Le Luxembourg est sorti plus rapidement de la récession pandémique que la plupart des pays de la zone euro et les mesures de stabilisation tout comme les dispositifs d’aide à la reprise semblent avoir pleinement joué leur rôle, limitant les pertes de revenus des entreprises et des ménages. Cette phase de reprise est néanmoins marquée par une accumulation d’incertitudes et de défis pour l’avenir. En complément des principales mesures annoncées dans le cadre de la présentation de la loi budgétaire pour 2022 visant à renforcer les investissements publics, accompagner la transition énergétique, rendre le logement plus abordable et soutenir la formation ainsi que la transition digitale, plusieurs mesures complémentaires pourraient être prises dans le but d’améliorer la protection des ménages les plus vulnérables, de soutenir les entreprises, de limiter la pression sur le marché de l’immobilier et de ne pas injurier l’avenir du pays. Ces propositions font l’objet de 9 amendements.

Le troisième amendement proposé dans le Document de Travail N°17 vise à encourager par la voie fiscale l’investissement des particuliers dans les entreprises.

Flécher l’épargne excédentaire vers les entreprises

Dans l’écosystème luxembourgeois de start-up nation constitué en un continuum qui va de la SARL-simplifiée à l’existence de Houses of (start-ups, entrepreneurship, fintech) et d’incubateurs en passant par des aides à la création d’entreprises et le mentorat, il manque une mesure fiscale incitative pour les apporteurs de fonds propres[1] qui est pourtant un élément commun aux pays les plus dynamiques et performants en termes d’entrepreneuriat. C’est que la préférence luxembourgeoise va traditionnellement aux investisseurs dans l’immobilier qui bénéficient d’une très longue – et coûteuse pour les finances publiques – liste de frais d’obtention déductibles (intérêts d’emprunt non plafonnés, amortissement pour usure, impôts fonciers, frais de gérance, etc.).

Dans le contexte actuel d’une épargne excédentaire de l’ordre de 4 milliards d’euros au titre des années 2020 et 2021, de dépenses de consommation des ménages encore quelque peu déprimées, de craintes de nouveaux variants et de restrictions sanitaires qui pèsent sur les possibilités de dépenser, de déformation du bilan de certaines entreprises sous l’effet de la crise, d’un potentiel moindre appétit pour le risque entrepreneurial dû aux incertitudes liées à la crise et alors que la (très compliquée) bonification d’impôt pour investissement en capital-risque a été abrogée le 1er janvier 2021, décider d’une fiscalité favorable à ceux qui investissent dans des entreprises est une voie à emprunter, d’autant plus que cela viendrait, en plus de renforcer le bilan des entreprises et d’accompagner le nécessaire rebond de l’investissement des sociétés non-financières, utilement concurrencer la boulimie pour la pierre.

Concrètement, cette mesure, qui reviendrait à ressusciter l’esprit des lois du 27 avril 1984 visant à favoriser les investissements productifs des entreprises au moyen de la promotion de l’épargne mobilière et du 3 avril 1989 instaurant un régime fiscal temporaire pour les certificats d’investissement en capital-risque, pourrait s’inspirer du tax-shelter scale-up belge, de l’IR PME français, ou du dispositif « Invest » allemand[2] et consister en un abattement d’impôt sur le revenu fixé entre 25 et 30% du montant investi dans une entreprise éligible sans que l’abattement en question ne puisse dépasser un certain seuil (par exemple 20% du revenu imposable).


[1] Business angels, venture capital, corporate venture capital.

[2] Voir à ce sujet : Michel-Edouard Ruben (2017), Start-up nation : vers un young business act et Michel-Edouard Ruben (2018), Elections législatives 2018 – Cahier thématique n°5/5.

Un Recueil d’IDEA à (re)lire au coin du feu

À l’approche des fêtes de fin d’année et d’une période de congés propice à la réflexion, la Fondation IDEA vous propose de commander gratuitement un exemplaire de son Recueil :

   

Inventaire avant sortie de crise !

Les forces pandémiques ont balayé de nombreux tabous de la pensée économique conventionnelle et les mesures de soutien budgétaires – qui ont accompagné et facilité la relative bonne résilience de l’économie luxembourgeoise – auront été bien supérieures à ce que nous osions imaginer au démarrage de la crise.

Sur le plan économique, l’« embellie » est confirmée. Elle est toutefois sujette à caution tant les questions ouvertes (concernant le logement, la poursuite du télétravail, l’envie d’entreprendre, la montée des inégalités, le renouveau de la culture, la gestion des dettes, la lutte contre l’épidémie, la conduite des plans de relance, les risques de faillites et de multiplications de litiges entre co-contractants) ne manquent pas.

Les contributions contenues dans cette publication visent à éclairer ces questions.

Les auteurs

Muriel Bouchet, Directeur de la Fondation IDEA asbl ¦ Julie Boyer, Docteure en droit / Juriste à Clifford Chance Luxembourg ¦ Christel Chatelain, Head of Economic Affairs à la Chambre de Commerce du Luxembourg ¦ Louis Chauvel, Professeur de sociologie à l’Université du Luxembourg ¦ Narimène Dahmani, Économiste à la Fondation IDEA asbl ¦ Vincent Hein, Économiste à la Fondation IDEA asbl ¦ Georges Heinrich, Ph.D. (Economics), Secrétaire Général de la Banque de Luxembourg ¦ Sylvain Hoffmann, Directeur de la Chambre des Salariés ¦ François Koulischer, Professeur, Université du Luxembourg, Département de Finance ¦ Jean-Paul Olinger, Directeur de l’Union des Entreprises Luxembourgeoises (UEL) ¦ Antoine Paccoud, Chercheur au LISER ¦ Sidonie Paris, Économiste à la Chambre de Commerce du Luxembourg ¦ Pauline Perray, STATEC, Division Conjoncture, Modélisation et Prévision ¦ André Prüm, Professeur, Université du Luxembourg, Département de Droit ¦ Michel-Edouard Ruben, Senior Économiste à la Fondation IDEA asbl ¦ Céline Schall, Docteure en Sciences de l’information et de la communication, Ph.D. en Muséologie, Médiation et Patrimoine, Chercheure associée à Avignon Université, Chargée d’études et de formations au Service Culture de la Ville d’Esch ¦ Alain Steichen, Professeur associé à l’Université du Luxembourg, Managing partner à Bonn Steichen & Partners ¦ Thi Thu Huyen Tran, STATEC, Division des Statistiques Sociales et Université du Luxembourg, Département d’économie et de gestion.

Pour commander un exemplaire imprimé

Pour télécharger le recueil

« Août of the box » : La menace de la vague de faillites

Ce blog est issu de la série « Août of the box », réalisé en partenariat avec Paperjam

Quand adviendra la vague de faillites ? Cette question plane depuis le début de la crise avec tout son lot d’incertitudes.

Factuellement, cette potentielle vague de faillites n’a pas (encore ?) pointé le bout de son nez : entre 2019 et 2020 les faillites ont diminué de 3,6%. Depuis le début de l’année 2021, elles repartent à la hausse. Elles sont 8% plus nombreuses sur le premier semestre que celles enregistrées en moyenne au cours des premiers semestres des deux années précédant la crise sanitaire. Cependant, cette progression mérite d’être mise en perspective avec l’augmentation beaucoup plus marquée observée lors de la précédente récession à la suite de laquelle elles avaient augmenté de 21% en 2009, puis de 33% en 2010.

Peut-être que le pire est à venir et que, comme pressenti par le consensus d’IDEA réalisé au mois de février, la vague déferlera au second semestre ; à moins que la question pertinente ne soit plus « quand adviendra la vague de faillites ? » mais « et si la vague de faillites n’arrivait pas ? » Cette nouvelle interrogation n’est pas aussi saugrenue qu’elle aurait été au début de la pandémie et il n’y a, pour le moment, pas de raisons d’anticiper une explosion des faillites. A moins que les aides accordées à certains secteurs d’activités (comme l’Horeca par exemple) ne soient subitement stoppées, ce qui poserait de réels problèmes de trésorerie et/ou de liquidité pour des entreprises qui étaient viables et ne connaissaient pas de difficultés majeures avant la crise. Les fermetures successives ainsi que les restrictions d’accès ont en effet fragilisé les acteurs de manière inégale et le regain d’activité constaté ces derniers mois pourrait ne pas avoir été suffisant pour rétablir pleinement toutes les « trésoreries ». La clé de leur survie résidera donc dans le bon dosage des aides mais surtout dans la progressivité de l’arrêt de ces dernières.

De l’autre côté du spectre se trouvent aussi des entreprises qui connaissaient déjà des difficultés financières avant la pandémie et qui sans les dispositifs d’aides exceptionnelles leur ayant permis de garder la tête hors de l’eau pendant plusieurs mois auraient probablement déposé le bilan. Il faut bien garder à l’esprit que les faillites contribuent à un processus d’assainissement de l’économie ou, comme l’aurait dit Schumpeter, une sorte de destruction créatrice permettant notamment un renouvellement de l’offre sur le marché. Elles ont également le mérite de « clarifier » des situations parfois complexes vis-à-vis des créanciers.

Face à la diversité des situations, il faudra donc observer les (probables) hausses de faillites des prochains mois avec un certain discernement et garder à l’esprit qu’en adoptant un mix des visions de Schumpeter et de Keynes, la vague tant redoutée ne verra peut-être pas le jour.

« Août of the box » : De l’impôt sur les sociétés

Ce blog est issu de la série « Août of the box », réalisé en partenariat avec Paperjam

Le 10 juillet dernier, les ministres des finances du G 20 ont décidé, entre autres choses, d’une nouvelle répartition des droits à taxer les bénéfices d’une centaine de multinationales dont le chiffre d’affaires dépasse 20 milliards d’euros et d’une taxation effective minimale de 15% des bénéfices de plusieurs centaines de grandes entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros.

Certains y ont vu un premier pas dans la bonne direction d’un changement de paradigme ; pour d’autres, il est encore trop tôt pour se faire un avis tranché sur cette décision car – en matière fiscale – le diable se cache dans les détails et l’OCDE doit finaliser les derniers détails pour le mois d’octobre ; pour d’autres encore, le communiqué du G20 a surtout servi à rappeler la force de l‘extraterritorialité du droit américain car l’accord voulu par les Etats-Unis a obligé l’UE à retarder la présentation de son « digital levy » (redevances numériques) destiné à contribuer au remboursement du plan de relance pour l’Europe Next Generation EU, et à bien des égards (Pilier 1 + Pilier 2) = (GILTI + BEAT) augmentés.

Il y a sans doute une part de vrai – et probablement un peu de faux – dans chacune de ces différentes appréciations de l’accord.

Il est cela dit un fait que la fiscalité des multinationales est entrée – encore plus profondément depuis la réunion de juillet du G 20 – dans la nouvelle ère provoquée par « BEPS », ce projet d‘envergure décidé après la crise de 2007-2009 qui a depuis modernisé, réformé et ne cesse de transformer les règles de la fiscalité des grandes entreprises (nouvelles règles du lien, plafonnement de la déductibilité des intérêts d’emprunt, échanges automatiques d’informations, encadrement des prix de transfert, etc.).

La chose curieuse – et intrigante – est que le plan BEPS, qui entendait lutter contre les pratiques fiscales dommageables, ne semble pas avoir été synonyme d‘une explosion de rentrées fiscales au titre de l’impôt sur les sociétés dans les pays de l’OCDE.

De 2,7% du PIB en 2015 (année de finalisation du plan BEPS), les recettes fiscales au titre de l’imposition des bénéfices sont passées dans les pays de l’OCDE à 3,1% en 2019 ; au niveau du G7, elles sont restées stables autour de 2,5% du PIB. Une partie de l’explication se trouve peut-être dans le fait que le plan BEPS n’a été que progressivement déployé ; une autre partie se cache dans le fait qu’entre 2015 et 2019 la majorité des pays de l’OCDE ont réduit leur taux d’impôt sur les sociétés.

Les piliers 1 et 2 récemment négociés, qui constituent « les changements les plus importants aux règles fiscales internationales depuis un siècle », ne devraient que marginalement changer la donne, d’autant plus que depuis 2019 certains pays ont mis en place des crédits d’impôt de nature à éroder le rendement de l’impôt sur les sociétés.

Les évaluations officielles font état de recettes supplémentaires de l’ordre de 175 milliards de dollars au titre des piliers 1 et 2 (soit environ 0,3% du PIB de l’OCDE) à partager bien au-delà des seuls pays de l’OCDE.

L’impact global sur les finances publiques de BEPS et de ses proches cousins (piliers 1 et 2) apparaissent ainsi comme étant plutôt faibles, quoique non-uniformes entre petits et grands pays. Sauf que plus que traduire un manque d’ambition en la matière de la part du G20, l’apparente faiblesse du surcroît de recettes fiscales tendrait plutôt à confirmer que l’impôt sur les sociétés est globalement un impôt du passé et dépassé dont la finalité est peut-être de tendre vers un rendement nul. L’Irlande qui a envisagé de mettre en place un fonds pour les mauvais jours (National Surplus Exceptional Contingencies Reserve Fund) qui sanctuariserait une fraction des recettes « exceptionnelles » tirées de l’IS semble penser cela ; la France qui a décidé de réduire son taux d’IS de 33,3% à 25% entre 2017 et 2022 pour un coût comparable à ce que devrait rapporter à « Bercy » le déploiement des piliers 1 et 2 également.

Retour sur la Matinale – « Réforme fiscale, un concept à la com’ ? » – 07 juillet 2021

Mercredi 7 juillet IDEA a tenu une Matinale sur le thème « Réforme fiscale, un concept à la com ? », avec Sylvain Hoffmann, Directeur de la Chambre des Salariés, Jean-Paul Olinger, Directeur de l’Union des Entreprises Luxembourgeoises (UEL) et Alain Steichen, Professeur associé à l’Université du Luxembourg, Managing partner à Bonn Steichen & Partners.

Lors d’une discussion animée par Michel-Edouard Ruben, Senior Economiste à la Fondation IDEA, les trois invités ont eu l’occasion de développer leurs contributions au recueil d’IDEA « Inventaire avant sortie de crise ! » paru le 17 juin dernier et d’aborder diverses questions comme la possibilité de « réformer la fiscalité », les notions de « justice fiscale » et de fiscalité « internationale » des entreprises, ou encore l’importance de la fiscalité dans la lutte contre les inégalités et dans la construction d’un « après » soutenable.

Compte-rendu de la matinale

Michel Wurth, Président du Conseil d’Administration d’IDEA, prononce le mot de bienvenue, en évoquant le danger de confrontation associé au concept de justice fiscale si cela veut dire que certains doivent payer pour que d’autres puissent recevoir. Une telle situation ne correspondrait pas au modèle luxembourgeois, qui doit être consensuel et non émotionnel. Il souligne également l’importance de l’efficience de la dépense publique, qui représente dans les pays développés de 45 à 55% du PIB environ. C’est là le premier élément de réflexion en vue d’une réforme fiscale. Il conviendrait d’ailleurs d’étudier précisément qui paie et qui reçoit. Il apparaîtrait alors que notre modèle est moins injuste qu’il n’y paraît de prime abord. C’est sur un modèle d’efficience que repose notre régime social et la redistribution associée et il faut faire en sorte que toutes les personnes vivant au Luxembourg se sentent à l’aise et profitent de transferts sociaux leur permettant d’avoir une vie digne de notre modèle économique.  La fiscalité a un rôle à jouer, mais ce n’est pas en prenant simplement davantage là où il y a de l’argent que l’on va trouver la solution. Les pays qui pratiquent plus de justice fiscale qu’au Luxembourg affichent d’ailleurs des performances économiques moindres, le revenu national par habitant étant moins élevé, le salaire minimum et les prestations sociales bien moins généreux.

Vient ensuite la discussion en panel. Michel-Edouard Ruben, qui anime le débat, a d’emblée demandé aux intervenants de définir le concept de « réforme fiscale ». Jean-Paul Olinger (Directeur de l’Union des Entreprises Luxembourgeoises (UEL) évoque la « quadrature du cercle » consistant à concilier la cohésion économique, l’efficience, les « caisses de l’Etat » et l’entrepreneuriat/innovation. Sylvain Hoffmann, Directeur de la Chambre des Salariés (CSL) ramène pour sa part l’apport d’une réforme fiscale sur le terrain de la justice fiscale et de la lutte contre les inégalités, les finances publiques ne constituant pas un réel problème actuellement au Luxembourg en dépit de la crise sanitaire. Des déséquilibres se manifestent actuellement en termes de grands agrégats, notamment l’érosion continue de la part de l’imposition des sociétés dans l’imposition totale et la concentration de l’impôt des personnes physiques sur les classes moyennes et les salariés. Il regrette enfin le manque endémique de données. Selon Alain Steichen, Professeur associé à l’Université du Luxembourg et Managing partner à Bonn Steichen & Partners, une réforme fiscale consiste à « re-former » l’existant, ce qui présuppose un changement structurel profond. A cette aune, seules les réformes de 1967 et 1990 (et encore…) seraient des réformes fiscales à part entière. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose : selon Montesquieu, il convient de changer les lois « les mains tremblantes ».

Mentionnant le récent accord du G7 sur une fiscalité internationale des sociétés (répartition d’une partie des bénéfices et taux minimum d’imposition, Jean-Paul Olinger souligne les risques associés au fait de bousculer un « état stable » existant. Il évoque notamment les nouvelles règles envisagées en ce qui concerne la répartition d’une partie des bénéfices entre les pays d’établissement et les pays de consommation finale. Sylvain Hoffmann considère pour sa part qu’il était temps de stopper une évolution conduisant à une disparité croissante dans l’imposition des sociétés sur le plan international. L’accord du G7 (et dans le cadre de l’OCDE) constitue en théorie une menace pour l’activité économique au Grand-Duché, mais après tout « Dieu est Luxembourgeois » et le Luxembourg a fait preuve de résilience face à divers aménagements précédents de la fiscalité internationale. Il convient par ailleurs de tenir compte d’autres facteurs d’attractivité (écosystème).

Alain Steichen différencie pour sa part sa réponse en fonction des deux piliers des récents accords du G7. Le pilier « répartition des bénéfices » (en direction des pays où se localise la consommation) constitue une évolution marquante. Il concerne les grands groupes, dont le chiffre d’affaires consolidé dépasse les 20 milliards de dollars. Pas plus de 5 sociétés seraient concernées au Luxembourg, avec un impact potentiel a priori assez réduit sur les finances publiques. Le 2ème pilier (taux minimum) ne devrait pas non plus affecter considérablement les finances publiques, car il ne s’applique qu’à des sociétés dont le chiffre d’affaires excède 750 millions de dollars. Mais « le diable sera dans les détails » (voir la définition des bases, notamment).

Michel-Edouard Ruben se demande ensuite ce que pourrait être une réforme fiscale au Luxembourg. Jean-Paul Olinger affirme que le Luxembourg ne s’est pas trop mal sorti de la crise sanitaire, mais compte tenu de l’évolution des contraintes internationales, il doit veiller à maintenir son attractivité en ce qui concerne les talents, l’innovation et la fiscalité. Sans oublier la nécessité d’investir sans attendre afin d’amorcer avec succès la transition digitale et environnementale.

Sylvain Hoffmann met en avant la nécessité d’améliorer la situation des titulaires de faibles revenus, ce qui exige cependant d’importants travaux préparatoires. La non-adaptation actuelle des barèmes à l’inflation constitue déjà en soi une réforme « automatique » (comprimant la progressivité de l’imposition au fil du temps).

Alain Steichen affirme enfin que l’équilibre budgétaire reviendra de lui-même, à la faveur du rebond économique. La pandémie n’en constitue pas moins un choc, qui obligera à remettre en question certains réflexes et à se poser les bonnes questions : « où veut-on être dans 5 à 10 ans ? ». Il convient d’arbitrer, de pondérer, de lancer le débat en exploitant l’actuelle fenêtre d’opportunité. En n’oubliant pas néanmoins que la création de richesses précède la distribution, sinon « on aura tout faux ».

Michel-Edouard Ruben évoque ensuite les propositions de réforme de Dan Kersch (« faire payer les gagnants de la crise »). Quid d’une contribution de crise ? Sylvain Hoffmann affirme qu’une telle contribution ne serait plus nécessaire en cas de mise en place d’un système fiscal plus juste. Par le passé, certaines contributions de crise (comme l’IEBT) ont d’ailleurs été à rebours de la justice fiscale. Jean-Paul Olinger souligne quant à lui qu’il est extrêmement difficile d’identifier les « gagnants de la crise », car tout dépend de la période considérée, de l’activité (par exemple un magasin d’ameublement peut être gagnant pendant la crise et reperdre du chiffre d’affaires par la suite, avec une situation inversée pour les agences de voyage) ou encore du statut considéré (personnes physiques ou morales ?). Pour Alain Steichen également, la plus grande prudence s’impose. Le système fiscal actuel comporte déjà une forme de taxation des « gagnants » de la crise. Par ailleurs, imposer les seuls effets d’aubaine financiers ne serait pas cohérent si les effets d’aubaine immobiliers sont pour leur part préservés. Une contribution ne frappant que les sociétés, avec des critères peu clairs de surcroît, ne serait pas du tout justifiée.

Abordant l’impôt foncier, Michel-Edouard Ruben demande s’il ne s’imposerait pas de relever ce dernier, qui représente 0,1% du PIB au Luxembourg contre 1% environ dans l’ensemble de l’Union européenne. Sylvain Hoffmann considère qu’un ajustement de cet impôt se justifierait en principe, mais comment le mettre en œuvre ? Un cadastre des propriétés serait nécessaire. Il s’imposerait surtout de lutter contre la spéculation immobilière, de prévoir une imposition additionnelle des terrains vides. Cela n’a pas été fait, la complexité de la situation étant souvent évoquée. Il se demande cependant s’il n’existe pas une tendance à « se cacher derrière cet argument ». Jean-Paul Olinger n’est pas non plus opposé à une refonte de la fiscalité foncière. L’objectif ultime n’étant cependant pas l’alimentation des caisses de l’Etat. Il conviendrait d’ailleurs de ne pas modifier l’imposition globale, un éventuel relèvement de l’impôt foncier devant dès lors faire partie d’un « tax shift » plus global. Il évoque également une surtaxe des surfaces vides et se demande s’il ne conviendrait pas de se limiter aux terrains. Il souligne enfin l’importance de l’autonomie communale au Luxembourg. Enfin, Alain Steichen insiste sur le but recherché. S’il s’agit de s’orienter vers une fiscalité plus contributive, un impôt sur le capital global (et non sur la seule composante immobilière) serait plus approprié. Via par exemple une réintroduction de l’impôt sur la fortune des ménages au Luxembourg ?

S’il s’agit de fluidifier le marché immobilier (favoriser l’offre, éviter que des propriétaires ne se reposent sur leurs terrains), un réaménagement de l’impôt foncier lui semble plus approprié.

Michel-Edouard Ruben pose une dernière question sur l’aménagement de l’imposition des entreprises, en termes d’impôts directs sur les sociétés mais aussi de cotisations sociales. Alain Steichen rétorque qu’il importe d’opérer une distinction entre les deux prélèvements. L’impôt des sociétés n’est in fine que partiellement supporté par les sociétés, car il se répercute sur les salariés, les consommateurs ou les fournisseurs. Les Soparfi ne pouvant pour leur part répercuter cet impôt que sur leurs actionnaires (souvent étrangers), l’impôt associé est au final pris en charge par un agent sur lequel le Gouvernement luxembourgeois n’a guère prise. Opposer l’imposition des ménages à celle des sociétés n’a dès lors guère de sens. En ce qui concerne les cotisations sociales, un déplafonnement des cotisations du régime général devrait s’accompagner d’un déplafonnement des pensions futures, faute de quoi nous nous orienterions vers une fiscalisation accrue. Mais un tel déplafonnement serait exclu dans le domaine de la santé, le système actuel étant déjà très redistributif en dépit du plafonnement.

Jean-Paul OIinger est d’accord avec Maître Steichen : on ne peut imposer ce qui n’existe pas et l’impôt sur les sociétés réduit la capacité des entreprises à investir et innover. La question de l’utilité même de l’imposition des sociétés se pose d’ailleurs, ces dernières étant déjà taxées en amont. Au Luxembourg, une remise en question de cet impôt ne s’impose cependant pas. Les cotisations sociales sont quant à elles doublement redistributives, avec la prise en charge (pour les pensions) d’un tiers des cotisations par l’Etat et le système de plafonnement. Un déplafonnement asymétrique serait quant à lui synonyme de fiscalisation accrue de la sécurité sociale, à l’instar du système américain par exemple. Un déplafonnement symétrique (pensions et cotisations) induirait quant à lui d’importantes charges nettes de pension futures car comme l’a montré une étude d’IDEA, le rendement des cotisations en termes de pensions futures est très élevé au Grand-Duché.

Sylvain Hoffmann attire enfin l’attention sur une étude de la Banque mondiale où a été calculée l’imposition globale des sociétés. Il apparaît que le Luxembourg se situe « vers le bas » à cette enseigne. Il affirme enfin que davantage de données fiscales seraient nécessaires et qu’il conviendrait de tenir compte de l’espérance de vie moyenne des divers groupes sociaux avant de procéder à une évaluation d’ensemble. En France, le système fiscal considéré dans sa globalité serait régressif, en raison notamment de la TVA et du plafonnement des cotisations sociales. Il invite par ailleurs à envisager une imposition accrue des dividendes.

Lors de la (riche) session de questions et réponses, il a été question notamment de la situation des ménages monoparentaux (une approche globale est nécessaire en la matière selon Alain Steichen, en considérant notamment les allocations familiales), la taxation des droits de succession en ligne directe ou encore l’imposition de l’immobilier (question de l’adaptation de l’impôt foncier, notamment).

Retrouvez un extrait des échanges de la Matinale :

Extrait de la Matinale :

Recueil d’IDEA : Inventaire avant sortie de crise !

Inventaire avant sortie de crise !

Le 17 Mars 2020, nous publiions « La santé d’abord, l’économie ensuite », un texte dont le titre nous avait été soufflé par un « acteur de la place ». Alors que l’état de crise sanitaire était sur le point d’être décrété (18 mars) et que les pouvoirs publics venaient de décider de mettre à l’arrêt une partie des activités de commerce (16 mars), nous y défendions l’idée d’un programme financier détaillé d’intervention pandémique (PFDIP) afin de lutter contre la récession qui s’annonçait. Au moment de publier ce document voilà plus d’un an, nous nous demandions si nous n’avions pas un peu trop chargé la barque.

Pourtant, à l’aune des événements qui ont suivi, nous avions eu tort d’avoir été timorés. Les forces pandémiques ont balayé de nombreux tabous de la pensée économique conventionnelle et les mesures de soutien budgétaires – qui ont accompagné et facilité la relative bonne résilience de l’économie luxembourgeoise – auront été bien supérieures à ce que nous osions imaginer.

Actuellement, la situation sanitaire et économique tend à s’améliorer grâce, entre autres, à la double prouesse que constituent l’intégration des « mesures barrières » dans les comportements et la disponibilité de plusieurs vaccins. L’« embellie » est toutefois sujette à caution tant les questions ouvertes (concernant le logement, la poursuite du télétravail, l’envie d’entreprendre, la montée des inégalités, le renouveau de la culture, la gestion des dettes, la lutte contre l’épidémie, la conduite des plans de relance, les risques de faillites et de multiplications de litiges entre co-contractants) ne manquent pas.

Les contributions contenues dans cette publication visent à éclairer ces questions.

Les auteurs

Muriel Bouchet, Directeur de la Fondation IDEA asbl ¦ Julie Boyer, Docteure en droit / Juriste à Clifford Chance Luxembourg ¦ Christel Chatelain, Head of Economic Affairs à la Chambre de Commerce du Luxembourg ¦ Louis Chauvel, Professeur de sociologie à l’Université du Luxembourg ¦ Narimène Dahmani, Économiste à la Fondation IDEA asbl ¦ Vincent Hein, Économiste à la Fondation IDEA asbl ¦ Georges Heinrich, Ph.D. (Economics), Secrétaire Général de la Banque de Luxembourg ¦ Sylvain Hoffmann, Directeur de la Chambre des Salariés ¦ François Koulischer, Professeur, Université du Luxembourg, Département de Finance ¦ Jean-Paul Olinger, Directeur de l’Union des Entreprises Luxembourgeoises (UEL) ¦ Antoine Paccoud, Chercheur au LISER ¦ Sidonie Paris, Économiste à la Chambre de Commerce du Luxembourg ¦ Pauline Perray, STATEC, Division Conjoncture, Modélisation et Prévision ¦ André Prüm, Professeur, Université du Luxembourg, Département de Droit ¦ Michel-Edouard Ruben, Senior Économiste à la Fondation IDEA asbl ¦ Céline Schall, Docteure en Sciences de l’information et de la communication, Ph.D. en Muséologie, Médiation et Patrimoine, Chercheure associée à Avignon Université, Chargée d’études et de formations au Service Culture de la Ville d’Esch ¦ Alain Steichen, Professeur associé à l’Université du Luxembourg, Managing partner à Bonn Steichen & Partners ¦ Thi Thu Huyen Tran, STATEC, Division des Statistiques Sociales et Université du Luxembourg, Département d’économie et de gestion.

Pour télécharger le recueil

Consulter en ligne le recueil

Entreprises familiales luxembourgeoises & Intelligence économique

Face aux difficultés que les entreprises familiales luxembourgeoises (EFL) sont amenées à rencontrer[1], un usage (plus courant) de l’intelligence économique (IE) pourrait contribuer de façon non négligeable à leur performance et permettre de renforcer leur résilience. Ingrédient essentiel pour soutenir une stratégie durable et créatrice de valeur, ce mode de gouvernance[2] peut contribuer à les rendre plus compétitives et les aider à se relancer à la suite de la perte d’activité causée par la crise sanitaire du COVID-19. Quels sont les attributs qui peuvent conférer une résilience aux entreprises ? Quelles sont les contraintes des EFL et comment l’IE peut répondre à certaines de leurs problématiques ?

La résilience des entreprises 

Au regard de l’importance du poids des entreprises familiales dans le tissu économique luxembourgeois, il importe de ne pas négliger ces types de structure[3]. Malgré que ces organisations aient de nombreuses contraintes, il n’en demeure pas moins qu’elles peuvent aussi faire preuve d’une certaine résilience, pouvant leur permettre de rebondir face à des imprévus. Cette résilience, plus ou moins forte selon l’entreprise et le secteur d’activité, se distingue principalement dans «la capacité : d’absorption du choc, de renouvellement et d’appropriation» [4].

Toute chose égale par ailleurs, cette crise sera d’autant plus absorbée par les entreprises dont la structure financière était saine dès le début. Celles qui ont ou qui ont pu conserver des liquidités[5], détenaient moins ou pas de dettes financières, bénéficiaient d’un patrimoine important -et d’une bonne réputation acquise à travers le temps- en souffriront a priori moins. En outre, les entreprises qui, dans cette période de grande incertitude, sauront se renouveler rapidement et faire preuve d’agilité organisationnelle d’ingéniosité, de pragmatisme et d’audace dans la conquête de nouveaux marchés et le développement de nouveaux produits et services seront celles les plus à même à survivre. Enfin, les entreprises qui auront appris des chocs précédents et pour lesquelles les équipes partagent des valeurs communes auront également plus de chance d’éviter la faillite[6].

Les contraintes des EFL

Bien que ces attributs diffèrent pour chaque EFL, la majorité (73%) d’entre elles exprimaient déjà, et ce bien avant l’arrivée de la crise sanitaire, leur inquiétude à rester compétitives face à l’intensité concurrentielle. C’est donc sans surprise que le rapport de PwC Luxembourg révélait que le «contrôle de la profitabilité était également devenu une de leurs priorités». En toute logique, le tiers d’entre elles faisaient état de difficultés à contrôler leurs profitabilité, coûts et trésorerie. Les EFL éprouvaient également de grandes difficultés à recruter du personnel compétent, le motiver et le fidéliser. Au même moment pourtant, 79% d’entre elles exerçaient leurs activités pratiquement uniquement sur le marché luxembourgeois. Bien que souhaitant garder une proximité auprès de leurs clients pour conserver un service de qualité et une certaine flexibilité, une autre étude de PwC Luxembourg[7] révélait que ces entreprises avaient déjà des craintes à conquérir des parts de marché au sein de la Grande Région.

L’IE : dynamique d’intelligence stratégique

Souvent confondu à tort avec l’espionnage économique, l’IE est fortement recommandée par de nombreuses études économiques. Son usage permet de faire un état des lieux et de se rendre plus facilement compte de ses forces, faiblesses, opportunités et menaces[8] et de comprendre les climats économiques, sociaux et politiques des pays dans lesquels les entreprises souhaitent s’implanter[9].

En épluchant les rapports et documents publics des autres acteurs économiques, des journaux et revues spécialisées et en effectuant des investigations (légales), les EFL peuvent collecter, selon des délais et coûts précis, un ensemble de données comptant différents degrés de fiabilité. Elles peuvent ensuite les recouper pour les transformer en informations plus ou moins robustes et pertinentes. Ces dernières peuvent alors être étudiées afin de comprendre et prédire les agissements de leurs fournisseurs, clients, compétiteurs actuels et potentiels, analyser les produits et services substituables[10] ainsi qu’assurer un meilleur suivi des risques politiques, naturels et industriels et des évolutions technologiques. Au-delà des travaux de veille, l’IE peut également s’articuler autour de la sécurité économique et/ou de l’influence. L’entreprise pourra ainsi protéger son image et patrimoine informationnel et veiller au bon fonctionnement de ses outils de gestion. Elle sera aussi en mesure de s’orienter vers des techniques d’opération d’influence[11] pour accroître ses parts de marché, si l’entreprise choisit une approche plus offensive.

Si l’IE est davantage pratiquée par les grandes entreprises, elle n’en reste pas pour autant leur apanage[12]. Les TPE-PME (familiales)[13] peuvent aussi tirer grandement profit de son application. En centralisant la collecte des données et l’interprétation de l’information et en veillant à ce que les renseignements circulent efficacement, les résultats peuvent, après un certain temps d’adaptation, être largement bénéfiques[14]. L’IE participerait à : «augmenter la qualité de l’information, accélérer la prise de décision, favoriser systématiquement le processus organisationnel, améliorer l’efficacité, réduire les coûts, accroître le savoir, perfectionner le flux et la diffusion de l’information, identifier les opportunités et les menaces, faire gagner du temps, (…), conduire à une découverte de clients inconnus, une meilleure planification stratégique et une vision plus large des connaissances cachées au sein de l’organisation, aider à une collecte systématique d’informations (…) et finalement entraîner une augmentation du chiffre d’affaires annuel[15]».

Dès lors, un recours (plus courant) à l’IE permettrait aux EFL d’être a priori plus compétitives, d’augmenter leur part de marché à l’international et donc d’accroître leur profitabilité et résilience. Les risques liés au développement de nouveaux produits et services et à la conquête de nouveaux marchés seraient ainsi diminués car des études approfondies de renseignement auront en amont été effectuées. Davantage de liquidité pourrait ainsi être gardée au sein des bilans tandis que les salariés pourraient être plus justement rémunérés à la hauteur de leurs performances. Les EFL deviendraient ainsi plus attractives pour recruter des salariés compétents. Enfin, les problématiques concernant la gestion de trésorerie et de qualité des marchandises pourraient se réduire car l’intégrité et les critères financiers -minimum exigés de profitabilité, solvabilité et liquidité- des clients et fournisseurs auront auparavant été analysés. Toute chose égale par ailleurs, le besoin en fonds de roulement et les factures impayées des EFL pourraient ainsi diminuer.

Si le concept de l’IE peut paraître farfelu, rappelons au lecteur que le Luxembourg dispose d’un modèle phare en la matière. La véritable toile de réseau d’information tissée par Emile Mayrisch, fondateur et directeur de l’Arbed, à l’aide de sa cinquantaine de succursales (Columeta) installées à travers le monde à la fin des années 1930, fut l’une des raisons du grand succès de l’entreprise sidérurgique. Les renseignements ont en effet permis de garantir approvisionnements et débouchés[16].

[1]Voir : PwC Luxembourg (2007): Les entreprises familiales luxembourgeoises

[2] L’IE n’est pas un outil de compétitivité mais s’assimile à la définition d’intelligence stratégique d’Edgar Morin

[3] 70% des entreprises luxembourgeoises seraient de type familial

[4]Voir: Bégin & Chabaud (2010): La résilience des organisations – Le cas d’une entreprise familiale, Lavoisier

[5]La détention de cash n’est toutefois pas homogène. Elle tend à être positive lors des trois premières années de la crise mais elle est négative sur six ans. Voir: Lozano & Yaman (2020): The European Financial Crisis and Firm’s Cash Holding Policy, Global Policy Volume

[6]Voir: Coutu (2002): How Resilience Works, Harvard Business Review

[7]Voir : PwC Luxembourg (2007): L’entreprise transfrontalière ou l’émergence d’un modèle hybride

[8]SWOT: Strengths, Weaknesses, Opportunities and Threats (outil stratégique)

[9]Voir: Muñoz-Cañavate & Alves Alvero (2017): Competitive intelligence in Spain: A study of a sample of firms, Business Information Review

[10]Voir: Porter (1985): The Competitive Advantage: Creating and Sustaining Superior Performance, Free Press

[11]Les plus citées sont : la construction de réseaux d’influence (décideurs politiques/économiques), les opérations de lobbying et le financement d’études

[12]Voir : Carayon (2003) : Intelligence Economique, Compétitivité et Cohésion Sociale, Rapport Carayon, La Documentation française

[13] 2/3 des entreprises familiales luxembourgeois seraient des PME

[14]Voir: Galvin (1997): Competitive Intelligence at Motorola, Wiley

[15]Voir: Oraee et al. (2020): The competitive intelligence diamond model with the approach to standing on the shoulders of giants, Library & Information Science Research

[16]Voir: Arboit (2016): Les réseaux du fer – Information, renseignement économique et sidérurgie luxembourgeoise entre France, Belgique et Allemagne 1911-1940, Peter Lang

Décryptage N°16: Comprendre l’intelligence économique

IDEA tient à remercier Madame Sara Bouchon et Monsieur Niels Dickens qui ont accepté d’échanger leurs connaissances et leurs points de vue dans le cadre de l’élaboration de ce Décryptage. 

L’intelligence économique n’est pas une forme d’espionnage industriel. Son utilisation est même fortement recommandée par de nombreuses études pour renforcer la compétitivité et la résilience des entreprises. Qu’est-ce que l’intelligence économique ? Pourquoi le Luxembourg devrait en faire un usage accru et quels systèmes d’intelligence économique sont utilisés dans d’autres pays ?