© photo : Julien Mpia Massa

Les mécanismes visant à limiter la hausse des prix de l’énergie décidés notamment dans le cadre de l’accord tripartite de septembre 2022 (plafonnement de la progression du prix du gaz à 15%, gel du prix de l’électricité, subvention du mazout et des pellets de bois de chauffage) ont envoyé un signal salutaire pour le pouvoir d’achat, la confiance et contribuent à mettre à l’abri de potentielles situations financières délicates les ménages les plus vulnérables. Si l’objectif de pallier « l’urgence » est rempli, ce choix de politique économique risque d’envoyer des signaux contradictoires et pourrait s’avérer très coûteux si bien qu’il est dès à présent nécessaire d’envisager de nouvelles orientations pour un scénario où la crise énergétique durerait.

Un soutien contradictoire avec l’impératif de sobriété énergétique

A moyen terme, le système choisi (logique du « Präisdeckel » ou « bouclier tarifaire ») entre en contradiction avec d’autres objectifs non moins essentiels. Tout d’abord, il pourrait brouiller le signal-prix, pourtant utile à la modération de la consommation énergétique (« Zesumme spueren, zesummenhalen »), à la fois dans un contexte d’offre énergétique limitée (risque de pénuries), mais aussi pour inciter les ménages à adopter des comportements en phase avec la transition énergétique.

En cas de poursuite de la crise énergétique, cette intervention publique pourrait également s’avérer très « coûteuse » et renforcer les déséquilibres budgétaires de l’Etat. En effet, d’après le projet de Budget de l’Etat pour 2023, le « Präisdeckel » se chiffrerait à 616 millions d’euros[1]. Il serait préférable de privilégier dans une nouvelle phase les dépenses d’investissement par le soutien aux équipements des ménages dans la transition énergétique, comme cela d’ailleurs a été amorcé dans plusieurs mesures découlant de la tripartite (augmentation du Klimabonus pour le remplacement du système de chauffage, les installations photovoltaïques, la rénovation énergétique, baisse de la TVA sur les installations photovoltaïques, etc.).

Enfin, à l’instar de la subvention des produits pétroliers, le « Präisdeckel » subventionne aussi les consommations énergétiques dépassant les consommations de première nécessité et – parce qu’appliqué de manière non discriminée – bénéficie davantage (en valeur absolue) aux ménages aisés[2].

Concilier protection des ménages vulnérables, finances publiques et transition énergétique : une nouvelle approche envisageable

Dans ce contexte, il serait opportun de prévoir dès à présent une clause de rendez-vous pour se tenir prêt si la nécessité de poursuivre le « Präisdeckel » au-delà du 31 décembre 2023 se faisait ressentir à l’approche de l’hiver 2023-2024. Un « phasing out » au-delà de 2023 est d’ailleurs évoqué dans le Solidaritéitspack 2.0.

Une des manières d’atténuer les « contradictions » qu’apportent les subventions non ciblées aux énergies fossiles tout en maintenant un soutien aux ménages serait de ne subventionner qu’une quantité d’énergie limitée et de laisser jouer les nécessaires mécanismes de signal-prix au-delà de ce seuil. En plus de l’électricité et du gaz, le mécanisme de subvention d’un minimum énergétique garanti devrait également concerner les autres sources énergétiques (mazout, bois…) pour couvrir l’ensemble des modes utilisés par les ménages selon la même logique.

Ce type de dispositif devra néanmoins faire l’objet de certains paramétrages importants. Le seuil maximal subventionné pourrait par exemple être fixé selon la consommation énergétique moyenne exprimée en Kilowatt-heure (kWh) du premier ou du deuxième quintile des revenus (les ménages les plus modestes). En outre, le mécanisme pourrait prévoir une « enveloppe énergétique globale » comprenant les différentes sources d’énergie disponibles afin qu’il ne soit pas possible d’augmenter le montant de subvention perçue en multipliant les sources.

Pour mettre en œuvre ce principe, une mesure qui mériterait d’être étudiée est celle des « Preisbremsen » que le gouvernement allemand prévoit d’appliquer sur le prix du gaz et de l’électricité à partir du 1er mars 2023[3]. Le dispositif envisage ainsi de ne subventionner les prix que sur un volume de consommation équivalent à 80% des consommations enregistrées l’année passée. S’il ne prévoit pas de définir une quantité énergétique « de base » commune à tous les ménages comme proposé ci-dessus, il pourrait être utile d’observer les conditions de sa mise en œuvre dans les mois qui viennent.

La moins mauvaise des options ?

Si la crise énergétique se poursuivait, au moins deux autres options pourraient être envisagées pour atténuer les contradictions inhérentes aux subventions énergétiques. La première consisterait à mettre fin purement et simplement au « Präisdeckel ». Cela permettrait de stopper la logique de subvention à des énergies dont on espère justement que la consommation diminue mais aussi de préserver les finances publiques. Néanmoins, compte tenu de la nécessité de maintenir un niveau de soutien minimum aux plus vulnérables, cette suppression devrait être compensée par des dispositifs de soutien indirect comme celui de la « prime énergie » ou du crédit d’impôt énergie, par exemple. Mettre fin au bouclier tarifaire entraînerait également des conséquences sur l’indice des prix à la consommation.

A l’opposé, il pourrait être envisagé de maintenir pleinement le « Präisdeckel ». Cela permettrait de contenir la hausse de l’indice des prix à la consommation, mais il serait nécessaire, pour chercher à rétablir les finances publiques et pour corriger les effets anti-redistributifs et/ou incitatifs du « Präisdeckel » de relever la fiscalité sur les ménages les plus aisés et/ou énergivores. Cette hausse de la fiscalité devrait être ponctuelle et explicitement destinée à financer le bouclier tarifaire, mais du point de vue des ménages elle interviendrait dans un deuxième temps et ne serait pas forcément intégrée comme un « signal-prix » visant à modérer la consommation énergétique.

Une mise en perspective des options sur la table montre qu’il n’existe pas de solution parfaite. Bien que potentiellement complexe à mettre en œuvre sur le plan technique, l’option qui viserait à ne subventionner qu’une quantité équivalente à la consommation énergétique « de base » cumule pourtant plusieurs avantages. Elle permettrait de concilier différents objectifs comme une maîtrise (certes relative) du niveau d’inflation, le maintien d’une aide publique pour les besoins énergétiques « de première nécessité », l’incitation à la sobriété énergétique directement par le signal-prix pour les consommations « non-essentielles »… ainsi que l’absence de toute modification de la fiscalité des ménages.


[1] 470 millions d’euros pour le plafonnement du prix du gaz, 110 millions pour la stabilisation des prix de l’électricité, 35 millions pour la subvention du prix du gasoil de chauffage et 1 million pour celle des pellets de bois.

[2] Voir STATEC, Note de conjoncture 2-2022, décembre 2022, p96.

[3] https://www.bundesregierung.de/breg-de/themen/entlastung-fuer-deutschland/strompreisbremse-2125002.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *