Compte-rendu de Ioana Pop, Economiste IDEA
© photo : Julien Mpia Massa
Le 5 juillet 2023 a eu lieu la réunion conjointe du Conseil d’Administration, du Conseil Scientifique et de l’équipe opérationnelle de la Fondation IDEA asbl où le sujet du déploiement de l’intelligence artificielle (IA) dans le secteur financier au Luxembourg, mais aussi dans la société en général, a été discuté. À cette occasion, six intervenants dont quatre experts invités ont présenté plusieurs points de ce thème.
Jean-Jacques Rommes, Président du Conseil Scientifique, a présenté les questions éthiques liées à l’IA. Il a notamment mis en exergue le fait que pour l’IA, « la fin justifie les moyens », ce qui est contraire à la notion même d’éthique. Quelques faits et chiffres-clés pour mieux comprendre l’IA, ont ensuite été abordés par Hoai Thu Nguyen Doan Senior Economist à la Chambre de Commerce ; mettant en avant la progression spectaculaire de la « datasphère » (+21% par an au niveau mondial). Ensuite, la Prof. Dr. Michèle Finck, de l’Université de Tübingen, a exposé les avancés du règlement européen sur l’IA ; la proposition finale devrait être adoptée d’ici la fin de l’année. Elle détaillera les diverses obligations en fonction du degré de risque des applications d’IA. Puis, Laurent Probst, Partner, Economic Development, Digital transformation and Innovation à PwC, a montré les résultats d’une étude de 2023 intitulée « Use of Data Analytics and AI in Luxembourg » ; il a présenté une analyse sectorielle des niveaux d’investissement IA – qui paraissent insuffisants, comme plus généralement la prise de conscience dans le secteur privé. Le Prof. Dr. Pascal Bouvry, de l’Université du Luxembourg, a développé un exemple d’optimisation des fonds. Il a insisté sur l’énorme capacité de calcul des superordinateurs, permettant de construire des fonctions d’optimisation de portefeuilles. Enfin, l’importance des Fintechs, start-ups dans la finance, a été mise en valeur par Emilie Allaert, fondatrice et CEO de Digital Minds, en évoquant un certain nombre d’applications : gestion des e-mails, credit scoring, scrapping Internet et Intranet, ajustement des primes d’assurance, language processing, Regtech[1] et « compliance » face à un tsunami réglementaire, etc.
Après des présentations riches en informations, le débat a permis de constater à quel point l’IA avait le potentiel de transformer de nombreux secteurs de la société, notamment celui de la finance. Les avancées technologiques remodèlent les métiers des institutions financières et bancaires. Mais avec toutes ces évolutions, viennent aussi deux grands défis identifiés lors de la discussion qui s’est ensuivie, à savoir : d’une part un besoin en compétences humaines et techniques, et d’autre part le positionnement stratégique du Luxembourg et de sa place financière face à cette révolution technologique.
Le premier pose la question de l’éducation et de l’attraction des talents. Il est nécessaire de former et de recruter des professionnels capables de comprendre et d’appliquer l’IA dans le secteur financier. Cela passe notamment par le renforcement de l’attractivité des matières scientifiques dès le plus jeune âge (les mathématiques en particulier). Certaines initiatives participent au développement des compétences dans le domaine, comme l’institut Digital Learning Hub (DLH) à Belval, créé en mai 2022 à l’initiative du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, intégré dans le Service de la Formation professionnelle. Le DLH a la spécificité de proposer des cours de codage et d’enseignement sur la thématique du digital. De plus, l’école 42, une école de programmation lancée à Paris en 2013, présente dans 29 pays et qui partage les locaux au sein du DLH, pourrait permettre prochainement aux élèves d’apprendre à coder de manière autodidacte au Luxembourg. Des moyens récents ont été mis en place pour favoriser l’émergence de nouveaux talents, mais il faut aussi savoir les attirer, dans un contexte où le logement est souvent perçu comme inabordable par les étudiants étrangers. Pour résumer ce point en quelques mots, la solution est l’éducation.
Le second défi à relever porte sur le positionnement du Grand-Duché et de sa place financière face à la révolution de l’IA. Plusieurs aspects ont été soulignés par les participants, comme le Luxembourg en tant que carrefour de législations applicables, qui pourrait avoir un intérêt particulier à développer les Regtech, ou encore un important besoin d’attirer des centres de développement de l’IA pour faire émerger ainsi de nouvelles niches. Cela devra néanmoins se faire dans un contexte où les centres de décisions des institutions financières sont souvent localisés à l’étranger et nécessiterait une meilleure coordination des stratégies nationales en matière de transformation numérique. En outre, il serait utile de renforcer les incitations financières pour les entreprises souhaitant améliorer leur développement informatique (crédit d’impôt et aides directes, par exemple).
Grâce à leur compétence de faciliter l’accès aux services financiers, lequel historiquement était lié uniquement aux grandes institutions financières et bancaires, les Fintechs proposent des solutions accessibles à tous, grâce à des plateformes en ligne ou à des applications mobiles. De ce fait, elles ont révolutionné les paiements et les transferts d’argent, et ont rendu les transactions plus rapides, plus pratiques et moins coûteuses. Les algorithmes et l’IA utilisées par les Fintechs permettent d’analyser les données en temps réel, de fournir des recommandations personnalisées et d’automatiser certaines tâches, offrant ainsi une expérience d’investissement plus efficace. Afin de se démarquer et s’améliorer sur le marché, les business models des Fintechs incluent des combinaisons de différentes technologies, dont l’IA. De cette manière, les partenariats entre les Fintechs et les banques traditionnelles ainsi que les fonds ont également émergé, permettant ainsi une combinaison de l’expertise et de l’expérience des deux parties pour offrir les meilleurs services aux clients. Le développement de ces partenariats jouera un rôle crucial pour maintenir la compétitivité de la place financière luxembourgeoise.
Ces défis nécessitent une attention et des actions continues (comme la poursuite de développement des projets pilotes) pour garantir que l’IA soit utilisée de manière efficace et responsable dans le secteur financier au Luxembourg et ailleurs…
[1] Une Regtech ou Regulatory Technology est une entreprise (start-up) ou une technologie qui proposent des solutions pour aider les institutions financières et leurs clients à se conformer aux réglementations et aux exigences réglementaires en utilisant l’intelligence artificielle pour optimiser les analyses de données et ainsi offrir des solutions innovantes pour gérer des défis liés à la conformité réglementaire, telles que la détection de fraudes ou la conformité fiscale.