Une incitation fiscale à la mobilité durable

Cet article a été rédigé pour le magazine Merkur de novembre-décembre 2023.

 

© photo : Julien Mpia Massa

Le Plan National de Mobilité 2035 (PNM2035) présenté par le ministre de la Mobilité et des Travaux publics en avril 2022 dessine une stratégie ambitieuse qui repose sur des changements profonds dans les habitudes de mobilité des résidents et frontaliers. Les déplacements entre le domicile et le lieu de travail joueront un rôle non-négligeable dans ce domaine et l’outil de la fiscalité pourrait être mobilisé pour y contribuer.

Favoriser la mobilité durable est une politique visant à s’attaquer à (au moins) deux problèmes cruciaux dans le cas luxembourgeois. En premier lieu, il s’agit de contribuer à l’atteinte des engagements climatiques du pays, à savoir une baisse des émissions de gaz à effet de serre de 55% en 2030 en comparaison aux niveaux de 2005 pour les secteurs qui ne sont pas concernés par le marché européen du carbone. Entre 2021 et 2030, le plan national intégré en matière d’énergie et de climat du Luxembourg (PNEC) planifie pour cela une baisse de 42% des émissions dans le secteur des transports. Le projet de révision du PNEC déposé en juillet 2023 prévoit même de rehausser cet objectif à 52%. En deuxième lieu, il s’agit de réduire la pression croissante sur les infrastructures de transport dans un contexte de développement économique et démographique continu. En effet, sur la décennie 2020-2030, le pays pourrait compter 133.000 habitants (+21%), 137.000 emplois (+28%), dont 90.000 frontaliers (+40%), supplémentaires selon un scénario « au fil de l’eau » dans lequel la croissance se maintiendrait au même niveau que les trois décennies précédentes [1]. Réduire la congestion permettrait d’améliorer de nombreux aspects en faveur de la qualité de vie, de la protection de l’environnement, de l’attractivité et de la performance économique du pays.

De nombreux leviers à activer

Afin de contribuer à ces deux objectifs, de nombreux leviers sont activables pour favoriser un report modal de « l’autosolisme » (prendre sa voiture seul) vers la mobilité douce, les transports en commun et le covoiturage. Les marges de manœuvre sont conséquentes quand on sait qu’en 2017, un tiers des déplacements inférieurs à 1km et deux tiers des déplacements compris entre 1 et 5km étaient effectués en voiture [2] ! Le PNM2035 pose des objectifs chiffrés : les déplacements en voiture (seul) devraient passer de 51% en 2017 à 31% en 2035, à la faveur du covoiturage (de 19% à 22%), des transports en commun (de 16% à 22%) et de la mobilité douce (à pied ou à vélo, de 14% à 25%). Les déplacements entre le domicile et le lieu de travail ne sont pas les seuls concernés, mais leur part dans les déplacements totaux est prépondérante aux heures de pointe.

Rendre ce report modal possible passera tout d’abord par la mise en place d’infrastructures de transport en commun en adéquation avec les flux et la qualité de service attendus. Il sera également nécessaire de jouer sur la réduction relative de la mobilité sur le long terme par des politiques d’aménagement du territoire favorisant la mixité fonctionnelle (c’est-à-dire rapprochant les différents centres d’intérêts des habitants comme les services publics, les commerces, les loisirs, les équipements éducatifs, les activités économiques de leur lieu de vie) et en accompagnant le déploiement de solutions de travail à distance. D’autres mesures complémentaires s’imposeront comme le renchérissement progressif des énergies fossiles (via la taxe CO2 notamment), les politiques d’urbanisme (politiques de stationnement, sécurisation des modes doux, filtrage de l’accès aux centres urbains, etc.), des plateformes et équipements de covoiturage permettant d’atteindre des masses critiques dans les quartiers de vie et de travail, etc.

Inciter à l’achat de voiture de fonction électriques : nécessaire, mais pas suffisant

Fin juillet 2023, il y avait 452.673 voitures en circulation au Luxembourg, dont 47.074 en leasing opérationnel [3], soit 10,4% du parc, faisant du leasing de fonction un levier d’action non-négligeable des politiques de mobilité. Lorsque les voitures professionnelles sont utilisables par le salarié à des fins privées, cela représente un avantage en nature soumis à une fiscalité pouvant rendre – selon les cas – cette pratique d’attractivité et de fidélisation des salariés intéressante pour les employeurs comme pour les employés. Depuis 2017, l’avantage en nature soumis aux cotisations sociales et à l’impôt sur le revenu est calculé en fonction du type de motorisation et des émissions de CO2. Des changements de mode de calcul intervenus en 2021, puis des barèmes de calcul en 2023 ont considérablement renforcé le caractère incitatif du dispositif en direction des voitures de fonction à faibles émissions, voire à émissions nulles. Comme l’indique le PNEC, à partir de 2025, « le régime forfaitaire sera simplifié et particulièrement favorable aux voitures à zéro émission de roulement en CO2 ». Dans les faits, le leasing de voitures de fonction ne représentera un véritable avantage fiscal que dans le cas des voitures électriques, avec une « prime » pour les moins énergivores (lourdes) d’entre elles [4].

Si cette évolution permet de jouer sur l’objectif de réduction des émissions de CO2 des transports et peut créer un réel effet de levier pour l’électrification du parc automobile national, elle ne constitue en rien une incitation au report modal vers les transports en communs, le covoiturage ou la mobilité douce.

Une prime mobilité durable pour les salariés

La politique fiscale est un levier largement plébiscité pour inciter les agents économiques à des comportements « souhaités ». Elle est ainsi largement mobilisée pour favoriser l’investissement, la prévoyance, l’épargne, la consommation locale, la protection de l’environnement, la santé, la nuptialité, la natalité, … Le législateur a par ailleurs défiscalisé certains avantages en nature octroyés aux salariés comme les chèques repas, la bonification d’intérêts hypothécaires, les régimes complémentaires de pension ou la prime participative.

Le plébiscite de l’octroi de voitures de fonction comme avantage en nature au Luxembourg crée cependant une forme de discrimination à l’égard des salariés pratiquant la mobilité « durable » au quotidien pour lesquels aucun avantage en nature défiscalisé n’est prévu.

Dès lors, pour corriger cette « anomalie », la fiscalité des personnes physiques pourrait faire l’objet d’une révision incitant à la mobilité durable en donnant la possibilité aux entreprises de verser à leurs salariés des primes de mobilité défiscalisées et exonérées de cotisations pour favoriser tous les autres modes de déplacement que « l’autosolisme ». Cette prime pourrait dépasser les montants réellement engagés par le salarié pour sa mobilité (pour tenir compte du fait que la mobilité durable est souvent moins coûteuse pour le salarié que l’autosolisme, mais qu’elle génère beaucoup moins d’externalités négatives). Elle pourrait englober des primes « covoitureurs, vélotafeurs et/ou utilisateurs de transports en communs » pour les salariés justifiant d’un minimum de trajets domicile-travail (à définir) ainsi que les avantages en nature que les entreprises mettraient à disposition des salariés tels que la « garantie de retour » en cas d’imprévu (mise à disposition d’une flotte de carsharing, taxi, etc.), la mise à disposition d’un parking pour covoitureurs, la location de vélos, trottinettes, etc.

Cela permettrait de mieux orienter les dépenses fiscales en faveur de la mobilité durable, mais aussi d’impliquer les entreprises dans leur responsabilité sociale et environnementale tout en leur offrant un nouvel outil pour attirer et fidéliser les talents.


[1] Voir : Fondation IDEA asbl, « Une Vision Territoriale pour le Luxembourg à long terme, Fir eng kohärent Entwécklung vum Land », février 2023.

[2] Voir : PNM2035.

[3] Données SNCA.

[4] Au-delà d’une consommation de 18kWh/100km, l’avantage diminuera.

Des visions territoriales à concrétiser !

© photo : Julien Mpia Massa

Parmi les nombreux sujets qui devraient idéalement alimenter les débats dans cette période électorale figure la nécessité de redéfinir en profondeur les stratégies de développement spatial du pays et de sa région proche. Pendant cette mandature, IDEA a activement participé à faire émerger ou à consolider des concepts et idées nouvelles dans le domaine de l’aménagement du territoire (« Métropole transfrontalière du Luxembourg », « codéveloppement », « Vision territoriale », « coopétition », « scénario fil de l’eau » …), dont on peut raisonnablement penser qu’il s’agira d’un champ politique toujours plus crucial pour assurer un avenir durable au pays. A(ux) côté(s) d’autres initiatives prospectives (Luxembourg in Transition, Vision Eco2050) et démarches de planification (PDAT, PNEC, SDTGR), un laboratoire d’idées a priori très polarisé sur les questions économiques a donc jugé utile d’investir du temps pour intégrer dans ses réflexions une dimension pluridisciplinaire (géographique) et transfrontalière. Cet investissement est fondé sur la conviction que les politiques d’aménagement du territoire et de coopération transfrontalière sont au Luxembourg des politiques économiques « comme les autres ».

Dans la « Vision territoriale pour le Luxembourg à long terme », des réflexions ont été développées pour rendre possible la poursuite du développement économique et démographique soutenu tout en évitant le « black-out » territorial : changement de ligue des trois principales agglomérations du pays, ralentissement du développement démographique des espaces ruraux, renforcement de la mixité fonctionnelle sur l’ensemble du territoire, déploiement de nouvelles infrastructures de mobilité, mise en œuvre d’un projet de territoire commun avec les régions limitrophes… Pour concrétiser ces concepts, il pourrait être nécessaire dans la prochaine mandature de mener des réformes courageuses, faute de quoi cette vision et les stratégies nationales d’aménagement du territoire (par ailleurs bien pensées depuis longtemps), finiront par s’empiler sans se réaliser… Que le scénario du million d’habitants soit désiré ou non, de nombreux arguments plaident pour s’y préparer sérieusement.

Un important avis du CES, adopté à l’unanimité en 2022 et auquel IDEA a activement participé, formulait également 23 recommandations concrètes pour rendre plus cohérent le développement de la métropole transfrontalière du Luxembourg et appelait à faire de cet objectif le nouveau leitmotiv des politiques de coopération transfrontalières du Grand-Duché. Cette autre vision, sans doute encore moins porteuse électoralement que le « scénario du million », sera pourtant elle aussi une clé pour ne pas démultiplier les effets négatifs de la croissance économique et démographique perçus par les habitants du pays. Gageons que le prochain gouvernement y pêchera quelques idées !

Repenser la coopération transfrontalière

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La Fondation IDEA a été associée aux travaux du Conseil économique et social (CES) à l’occasion de la préparation d’un Avis intitulé « Pour un développement cohérent de la métropole transfrontalière du Luxembourg dans la Grande Région » et voté à l’unanimité le 29 juin 2022. La parution de cet Avis est l’occasion de revenir sur les enjeux que pose l’émergence d’une métropole transfrontalière autour du Luxembourg. Au fil des décennies, la multiplication des interactions économiques et sociales dans ce territoire a en effet créé des aubaines, mais aussi des défis qui appellent à de nouvelles approches en matière de coopération transfrontalière.

La plupart des 220.000 travailleurs non-résidents (qui représentent près de la moitié des actifs en emploi) vivent dans un territoire qui dépasse les frontières grand-ducales de plusieurs dizaines de km, dessinant un « Grand Luxembourg » de près de 2 millions d’habitants. Le marché du travail transfrontalier est l’aspect le plus visible de l’intégration économique entre le Luxembourg et les régions limitrophes, mais il n’est pas le seul. Dans le sillage de son développement, d’autres phénomènes contribuent à rendre le Grand-duché et ses voisins toujours plus dépendants les uns des autres comme les flux de consommateurs, le développement des entreprises luxembourgeoises dans la Grande Région (et vice-versa), les besoins en infrastructures, en logements, en formation, en services publics… Avec une croissance très soutenue de l’économie et de la population s’est peu à peu constituée une métropole transfrontalière autour du Luxembourg. Cette dernière affiche des défis communs, sans pour autant disposer à ce stade de véritables outils de gouvernance, ni de projet propre à ce territoire bien spécifique.

Pourtant, la perspective d’une poursuite de l’expansion économique et démographique de cet espace pourrait bien révéler de sérieux goulets d’étranglement, qu’une approche coopérative permettrait d’envisager plus sereinement. Le manque de disponibilité de main-d’œuvre qualifiée, la rareté et le prix du logement, la saturation des infrastructures de transport, la faible disponibilité foncière pour les activités économiques et les incontournables contraintes environnementales sont des paramètres toujours plus contraignants de l’équation du développement luxembourgeois dont la clef se trouve en partie de l’autre côté des frontières nationales.

A mesure que ces défis se précisent, l’opportunité de faire émerger un projet de territoire partagé avec les régions (et les Etats) limitrophes grandit. Il consisterait à élaborer une vision commune pour un développement dynamique, cohérent et soutenable de la métropole transfrontalière du Luxembourg dans les deux ou trois prochaines décennies. Cette vision, qui serait naturellement à décliner en projets concrets, permettrait au Luxembourg d’aborder certains sujets stratégiques pour son développement mais pour lesquels il n’a pas forcément de possibilités d’agir directement, tandis qu’elle permettrait aux régions voisines de trouver des moyens de mieux bénéficier du dynamisme économique grand-ducal et d’aider à assurer la pérennité de ce moteur économique.

Un cadre de coopération à repenser face à un contexte qui évolue

Si les aubaines permises par le modèle transfrontalier restent nombreuses, l’intégration transfrontalière ne débouche toutefois pas uniquement sur des relations d’intérêt « gagnant-gagnant » dans tous les domaines. L’actualité autour des difficultés de recrutement dans certains secteurs (comme la santé) est un exemple illustrant que les politiques de coopération cherchant une meilleure mobilité à l’intérieur de la région sont une condition certes nécessaire mais pas suffisante à un bon équilibre du marché du travail pris dans son ensemble. Compte tenu des projections démographiques défavorables dans la Grande Région, elles pourraient utilement être complétées à la fois par des politiques visant à renforcer l’attractivité de l’ensemble du territoire transfrontalier pour de nouveaux actifs, mais aussi par la mise en commun de certains dispositifs de formation, voire la création de nouveaux projets, en particulier dans les métiers les plus en tension.

Rendre la métropole transfrontalière du Luxembourg plus attractive et plus soutenable nécessiterait également une meilleure coordination en matière d’aménagement du territoire, d’urbanisme et de mobilité. Il importerait par exemple de viser une densification des territoires frontaliers proches des infrastructures. En outre, il serait nécessaire d’améliorer les liaisons ferroviaires transfrontalières et de mettre en œuvre une intégration plus poussée de la gestion transports en commun (lignes, tarification, sociétés d’exploitation, etc.).

Un tel projet pourrait mener à créer de nouveaux organes de coordination et de décision transfrontaliers qui se superposent mieux au territoire, mais aussi des mécanismes de financement à la hauteur des enjeux et encadrés dans des conventions bilatérales.

Vers la coopétition économique transfrontalière

En matière de coopération économique, il pourrait être opportun de réfléchir à de nouvelles actions qui permettraient d’adresser à la fois la « saturation territoriale » luxembourgeoise, la poursuite d’une croissance économique soutenue et la convergence économique des régions limitrophes, tout en exploitant les aubaines liées au contexte transfrontalier de la métropole.

Il pourrait dès lors être intéressant de s’inspirer concept de « coopétition ». La fonction objective des autorités publiques de tout territoire est d’y attirer et d’y développer des activités afin de créer de la valeur ajoutée, de l’emploi, des revenus et des recettes publiques. Il paraît difficile de renverser une telle logique de concurrence « naturelle » entre les territoires. Pour autant, les spécificités de la métropole transfrontalière du Luxembourg offrent des opportunités d’aller plus loin en matière de coopération économique et permettraient de renforcer son attractivité et sa compétitivité d’ensemble. Des acteurs en situation de concurrence dans un domaine peuvent tout à fait s’engager dans une logique de « coopération de circonstance » pour mettre en avant les forces et opportunités du territoire et pour jouer sur des effets de synergie et d’échelle. Quelques propositions concrètes qui répondent à cette logique mériteraient d’être étudiées.

Il serait par exemple utile de promouvoir avec les partenaires voisins un « modèle d’entreprise transfrontalière » qui joue sur les avantages comparatifs du territoire dans son ensemble avec l’objectif d’encourager des investisseurs à développer des activités sur plusieurs pays tout en restant proches géographiquement. Pour mettre en œuvre cette idée, des agences de développement économique transfrontalières pourraient être établies sur la base d’une coopération renforcée entre les acteurs existants qui remplissent cette fonction dans leurs pays respectifs. L’aménagement de zones d’activités transfrontalières pourrait également faciliter la concrétisation de tels projets. Le développement de plateformes logistiques d’intérêt commun avec des accords fiscaux et douaniers transfrontaliers aurait du sens compte tenu des potentiels du territoire transfrontalier. Le modèle de l’aéroport Bâle-Mulhouse pourrait servir de base à ces accords. Enfin, les politiques de recherche et d’innovation et les outils associés (clusters, équipements de recherche, etc.) pourraient également gagner à être davantage intégrées à l’échelle transfrontalière.

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couverture Avis CES 2022

« Août of the box » : Réunion Gaichel et CIG, investir à l’étranger pour son propre potentiel de croissance !

Ce blog est issu de la série « Août of the box », réalisé en partenariat avec Paperjam

Au mois de juillet, deux rendez-vous importants pour les relations bilatérales avec la Belgique et la France ont été reportés : la réunion commune des gouvernements belge et luxembourgeois dite « Gaichel » et la conférence intergouvernementale franco-luxembourgeoise (CIG). Ces réunions qui permettent de faire le point sur les sujets d’actualité et les projets communs avec les Etats voisins ne sont pas exclusivement consacrées aux questions transfrontalières, mais les attentes en la matière sont en général très grandes pour les acteurs concernés.

Les thèmes à débattre ne manquent pas : mobilité, formation, télétravail, fiscalité, santé, sécurité, environnement… Les négociations sur la fiscalité appliquée aux frontaliers pendant les jours de télétravail figureront probablement à l’ordre du jour. L’idée parfois avancée dans le débat public luxembourgeois qui consisterait à demander aux Etats voisins de revoir les seuils d’exonération à la hausse sans compensation une fois la pandémie terminée n’est pas réaliste, dans la mesure où ces derniers ont fait preuve d’une forme de solidarité fiscale pendant cette période exceptionnelle (solidarité qui a sans nul doute été chiffrée par les services compétents depuis).

Pour autant, de nouveaux compromis « gagnant-gagnant » ne sont pas impossibles, ils permettraient même d’éviter que d’éventuelles contreparties ne soient vécues comme des concessions. Une manière intelligente (en plus d’être élégante, mais ce n’est pas le sujet) de renvoyer l’ascenseur aux pays voisins serait de reverser une partie de la fiscalité prélevée sur les télétravailleurs frontaliers dans des fonds de coopération bilatéraux qui seraient aussi alimentés par les autorités voisines. Avec ces fonds, il serait possible de lancer des appels à projets pour financer des infrastructures de mobilité, des projets de formation communs, des équipements sociaux, culturels, environnementaux… Ces projets pourraient indifféremment être développés du côté luxembourgeois ou étranger, l’important étant qu’ils aient une plus-value transfrontalière, c’est à dire qu’ils contribuent à renforcer la fluidité, la cohérence, l’attractivité et la durabilité du territoire transfrontalier pris dans son ensemble. Le « territoire économique et social » du Luxembourg dépasse d’une certaine manière ses frontières nationales, mais il est plus restreint que celui de la Grande Région, ce qui a pour conséquence qu’il n’existe toujours pas d’outils « politiques » adaptés : de tels fonds (un avec chaque pays voisin) seraient une excellente amorce.

Car il y a urgence à agir. Si certains phénomènes continuaient de s’amplifier au rythme actuel (distorsions sur le marché du logement, pénuries de personnel, congestion des infrastructures, etc.) cela pourrait représenter un réel risque pour l’économie luxembourgeoise. Une nouvelle phase doit donc s’ouvrir en matière de coopération transfrontalière. Il faudra notamment aller bien au-delà de la logique de « saupoudrage » (financement au compte-goutte de projets -uniquement dans la mobilité-) et de celle de « compensation » (transferts financiers aux communes voisines sans visibilité sur leur objet et sans évaluation) pour entrer progressivement dans une logique de vision et de construction communes, comme cela se pratique déjà depuis des années dans le Grand Genève (certes sans fonds de codéveloppement, mais avec des outils de gouvernance et de financement bien plus avancés que ceux en place ici). Définir ensemble une vision, une stratégie d’aménagement du territoire avec des priorités partagées, mettre des moyens en commun pour y parvenir ainsi qu’un mécanisme de sélection de projets… cela n’est pas vraiment une idée « out of the box » !

Certes, il faudra du temps, du courage politique et un effort d’organisation, mais il faut bien se rendre à l’évidence que dans ce domaine le Luxembourg en tant qu’Etat a davantage d’intérêts communs avec les régions voisines qu’avec les Etats centraux auxquels elles appartiennent.