Compte-rendu de Ioana Pop, Economiste IDEA
© photo : Julien Mpia Massa
Comment l’aménagement du territoire du pays doit-il évoluer pour accueillir plus d’un million d’habitants dans moins de 30 ans ?
Mercredi 3 mai a eu lieu le premier volet des tables-rondes organisées par IDEA, consacrées aux Grands Défis dans le cadre des élections législatives de 2023. La thématique de la soirée avait pour objectif d’entretenir la réflexion sur un thème essentiel pour le Luxembourg : l’aménagement de son territoire pour répondre aux défis d’une économie en pleine croissance avec un fort développement démographique. Romain Diederich, géographe, Vincent Hein, senior economist, et Muriel Bouchet, Directeur d’IDEA, ont travaillé pendant deux ans sur une étude intitulée Une vision territoriale pour le Luxembourg, qui doit être vue comme un outil pour l’élaboration des stratégies de développement économique du pays à l’horizon 2050.
En guise d’introduction à la table-ronde, Vincent Hein a présenté l’étude et notamment, l’hypothèse « au fil de l’eau », selon laquelle dans moins de 30 ans, la population luxembourgeoise atteindra 1,1 million d’habitants, avec 955.000 emplois (dont plus de 500.000 frontaliers), un scénario qui pose naturellement de nombreuses questions. L’objectif de cette première table-ronde consistait à trouver des réponses à la question : le pays sera-t-il capable, dans cette optique, d’accueillir cette importante augmentation de population et d’activité économique ?
Les cinq spécialistes invités, dont Vincent Hein, Romain Diederich, Marie-Josée Vidal, coordinatrice générale du Département de l’Aménagement du Territoire, au ministère de l’Énergie et de l’Aménagement du Territoire, Michelle Friederici, architecte et présidente de l’Ordre des Architectes et Ingénieurs-conseils, et Gérard Koob, secrétaire du Syndicat des Villes et Communes Luxembourgeoises, ont tous tout d’abord souligné l’importance d’une bonne communication et de relations suffisamment étroites entre le monde économique et celui du développement territorial. Pour citer Romain Diederich « le développement démographique du Luxembourg a découlé à 80% du développement économique. Ce sont les faits. »
Les spécialistes ont ensuite répondu à trois questions centrales :
La première question portait sur les espaces à développer et les espaces à préserver :
Parler de l’aménagement du territoire luxembourgeois sans parler du Projet de Programme directeur d’aménagement du territoire (PDAT) n’est pas concevable. Marie-Josée Vidal tient à préciser que ce projet, dont le contenu est assez proche de la Vision territoriale d’IDEA, est en effet la stratégie portée par l’ensemble du gouvernement et qu’il se base sur 4 objectifs politiques :
1. La concentration du développement territorial
2. La nécessité de la réduction de l’artificialisation des sols
3. La coopération transfrontalière
4. La gouvernance
Sur le dernier point, elle explique la nécessité de mieux coopérer avec les communes, les politiques sectorielles, le monde économique, mais aussi les citoyens ; point sur lequel Gérard Koob a également insisté, notamment sur le fait d’associer davantage les communes dans les travaux d’aménagement du territoire.
A côté de ces 4 objectifs, le PDAT définit également des stratégies territoriales pour les zones à développer et pour les zones à préserver. La nouveauté par rapport au PDAT de 2003 consiste en la proposition de différents instruments, qui pourraient permettre de mettre en œuvre ces objectifs et stratégies territoriales. De plus, le nouveau programme directeur 2023 doit mieux prendre en compte le réchauffement climatique. Les projections et statistiques utilisées sont celles du STATEC, qui diffèrent parfois (en ce qui concerne la productivité, en particulier) des projections d’IDEA plus récentes.
Michelle Friederici, en tant qu’architecte, évoque le fait que la surcharge des normes entrave le bon développement des constructions et leur simplification pourrait être un atout dans l’aménagement du territoire.
Le cadre de vie de demain
Dans ses chapitres, l’étude sur la vision territoriale d’IDEA souhaite aussi sensibiliser à la future qualité de vie des habitants du Grand-Duché. À plus d’un million d’habitants, le cadre de vie changerait à coup sûr. En effet, l’étude dit que ce scénario « au fil de l’eau » ne signifie pas à politique inchangée. À ce propos, les 5 invités spécialistes sont tous tombés d’accord ; Romain Diederich ajoute que la qualité de vie dépend de l’attractivité. Avec un flux de population important, il va falloir réussir à développer de nouveaux quartiers avec de nouvelles infrastructures pour avoir la qualité de vie requise ; il ne faut pas croire que nous pourrons accueillir plus d’un million d’habitants sans penser à la qualité de vie.
Quelles seraient les réformes nécessaires pour accueillir 1,1 million d’habitants ?
Pour cette dernière question, une complémentarité est ressortie parmi les 5 spécialistes. Pour Marie-Josée Vidal, il est primordial d’avoir une gouvernance bien définie et qui inclut une participation citoyenne. De plus, elle insiste sur le fait qu’il va falloir commencer à expérimenter, à mener des projets pilotes pour tester les nouvelles formes d’urbanisme, comme le font d’autres pays européens, par exemple l’Allemagne. À cette idée de réforme s’ajoute celle de Gérard Koob, lequel exprime à son tour l’importance de mettre l’accent sur le financement des communes, qui doit être sécurisé.
Michelle Friederici revient quant à elle sur la question des normes liées à la qualité de vie. Elle indique qu’une grande partie du temps de travail des architectes est consacré aux normes et qu’une simplification de ces dernières serait bienvenue.
Pour Vincent Hein, la planification territoriale doit dépasser les frontières. L’aspect transfrontalier a été moins évoqué lors de cette table-ronde, alors qu’il fait aussi partie des évolutions des outils politiques, administratifs et de la culture de développement qui devront évoluer considérablement pour réaliser ces scénarios. Pour le citer « il doit y avoir un projet de territoire qui doit être contractualisé avec les régions, les collectivités voisines pour déterminer les objectifs de développement et les moyens ; c’est quelque chose de nécessaire et il faut le faire concrètement. »
A son tour, Romain Diederich prend de la hauteur par rapport aux réformes proposées et son message porte surtout sur l’accélération des réalisations ; mais accélérer signifie entre autres que l’Etat doit aussi pouvoir se donner les moyens, non seulement légaux, mais aussi humains, pour bien mettre en œuvre tous les changements préconisés. Dans ce cadre, il faudra donner plus de poids à la mise en œuvre du plan de l’aménagement du territoire et même aller jusqu’à réhabiliter certains projets. Il ajoute en disant que « la discipline de l’aménagement du territoire est frustrante car les résultats viennent plus tard. »