Podcast : « La politique du logement au Grand-Duché de Luxembourg »

Michel-Edouard Ruben a participé le 18 septembre à une table ronde au salon régional de l’immobilier de Metz sur le thème « la nouvelle donne immobilière dans un contexte transfrontalier ». À cette occasion, il a été interrogé à la radio RCF Lorraine par Roger Cayzelle sur la politique du logement au Grand-Duché de Luxembourg.

Pour écouter l’émission :

Podcast : M-E. Ruben a été interrogé à la radio RCF Lorraine par Roger Cayzelle sur La politique du logement au Grand Duché du Luxembourg.

Penser le télétravail transfrontalier

Le développement du télétravail à grande échelle est une tendance qui porte en elle de multiples bouleversements obligeant à le penser de manière globale, en particulier dans le contexte transfrontalier.

Les fameux « seuils » fiscaux sont très régulièrement l’objet de discussions, y compris récemment entre la France et le Luxembourg. Du point de vue des salariés résidant en France et de leurs employeurs luxembourgeois, le seuil des 29 jours ne pose pas tant des problèmes de niveaux d’imposition[1] que des problèmes liés aux modalités de prélèvement de l’impôt, si bien que de nombreux employeurs demandent à leurs salariés de se limiter strictement à ce seuil fiscal[2], qui n’est pourtant pas un plafond strict en théorie. Sur la frontière franco-luxembourgeoise, il est donc surtout dans l’intérêt des salariés et des entreprises que les modalités de prélèvement de l’impôt évoluent, ce qui pourrait être en bonne voie d’après les récents échos de la presse.

Les conditions de prélèvement telles qu’elles ont été établies avec les fiscs belge et allemand ne semblent pas poser les mêmes soucis administratifs (sur le mode de prélèvement), mais le dépassement des seuils pourrait avoir des conséquences sur le niveau d’imposition des revenus des salariés, ce qui tend à renforcer les revendications d’une hausse de ces seuils de « tolérance » des salariés frontaliers. Enfin, au niveau administratif, de nombreux sujets devront être clarifiés dans les mois qui viennent (proratisation du temps partiel, modalités de preuve de présence physique, astreintes, démissions/embauches en cours d’année, etc.). Une fois ces « détails » réglés se posera très vite la limitation liée à la borne européenne de 25% qui conditionne l’affiliation à la sécurité sociale dont le dépassement entraîne des conséquences nettement plus dissuasives. Bien que mise entre parenthèses jusqu’au 31 décembre, il sera nécessaire d’avancer sur la reconnaissance du statut de travailleur frontalier pour y déroger. Le Parlement (… français) a adopté une résolution en ce sens dès 2021. Sur le plan des limitations règlementaires, il ne faudra pas négliger non plus les questions relatives au « risque » d’établissement stable et aux complexités qui pourraient aboutir à l’application du droit du travail du pays de résidence.

Mais derrière ces questions, pourtant cruciales, se posent des enjeux de moyen et long termes bien plus importants encore. Un récent Avis du CES explique que les projections économiques et démographiques luxembourgeoises soulignent la nécessité pour le Grand-Duché de s’investir davantage, pour renforcer l’attractivité et le développement cohérent des régions frontalières en coopérant dans le domaine de l’aménagement du territoire, des infrastructures de mobilité, de la formation des actifs, etc. Il ne servira pas à grand-chose de créer de parfaites conditions de télétravail pour les frontaliers éligibles si la situation en matière de mobilité, de logement et si la qualité de vie au sens large dans la métropole transfrontalière du Luxembourg continue de se dégrader et n’attire pas suffisamment de talents venus d’autres régions. L’essor du télétravail pourra contribuer à certains de ces objectifs, mais il ne sera pas suffisant et il pourrait même créer certains effets ambivalents[3]. Une proposition pour concilier le développement du télétravail et celui du territoire transfrontalier serait que la fiscalité du télétravail qui reviendrait normalement aux Etats des pays voisins soit collectée pour financer des projets de développement transfrontaliers. Cela pourrait être proposé aux autorités des pays voisins en l’échange de leur accord pour relever les seuils de tolérance fiscaux, mais le sujet ne semble pas présent dans les débats actuels, malgré la recommandation du CES. Des précédents de rétrocession fiscale prélevée sur la fiscalité des revenus et fléchés vers les collectivités locales transfrontalières (et non le budget général de l’Etat) existent pourtant déjà, comme dans le Grand Genève où le canton suisse a par exemple versé 295 millions d’euros en 2020[4]. D’après le Canton de Genève, cette somme importante a contribué à financer des projets de mobilité, de valorisation de zones d’activités, de logement social, de véloroutes, de collèges… intégralement situés dans le bassin de vie du Grand Genève. Le développement de ces projets est dans l’intérêt direct et évident des travailleurs frontaliers, de leurs employeurs et du territoire pris dans son ensemble. Une telle situation serait largement plus favorable à l’intérêt du Luxembourg qu’une contribution au budget général des Etats voisins.


[1] Le niveau de fiscalité ne concerne pas l’employeur et une rapide comparaison des barèmes d’imposition des revenus suggère un avantage pour la plupart des salariés à se faire imposer ses revenus en France, bien que ceci doit être analysé en fonction de la configuration des revenus des ménages, très variable.

[2] Voir : https://frontaliers-grandest.eu/pourquoi-votre-employeur-vous-limite-votre-teletravail/.

[3] Pour le Luxembourg, cela pourrait engendrer une perte d’activité dans les services (restaurants, commerce, etc.) en raison de la baisse de la consommation des frontaliers, ainsi que des pertes fiscales potentielles. Pour les régions limitrophes, l’attractivité des emplois luxembourgeois pourrait confronter les entreprises locales à une concurrence accrue en matière de recrutements alors que l’offre de travail est déjà relativement tendue.

[4] 69 millions ont alimenté le budget des collectivités du Département de l’Ain et 226 millions en Haute-Savoie, les Départements reversant ensuite une partie aux Communes concernées par le phénomène frontalier.

« Août of the box » : Réunion Gaichel et CIG, investir à l’étranger pour son propre potentiel de croissance !

Ce blog est issu de la série « Août of the box », réalisé en partenariat avec Paperjam

Au mois de juillet, deux rendez-vous importants pour les relations bilatérales avec la Belgique et la France ont été reportés : la réunion commune des gouvernements belge et luxembourgeois dite « Gaichel » et la conférence intergouvernementale franco-luxembourgeoise (CIG). Ces réunions qui permettent de faire le point sur les sujets d’actualité et les projets communs avec les Etats voisins ne sont pas exclusivement consacrées aux questions transfrontalières, mais les attentes en la matière sont en général très grandes pour les acteurs concernés.

Les thèmes à débattre ne manquent pas : mobilité, formation, télétravail, fiscalité, santé, sécurité, environnement… Les négociations sur la fiscalité appliquée aux frontaliers pendant les jours de télétravail figureront probablement à l’ordre du jour. L’idée parfois avancée dans le débat public luxembourgeois qui consisterait à demander aux Etats voisins de revoir les seuils d’exonération à la hausse sans compensation une fois la pandémie terminée n’est pas réaliste, dans la mesure où ces derniers ont fait preuve d’une forme de solidarité fiscale pendant cette période exceptionnelle (solidarité qui a sans nul doute été chiffrée par les services compétents depuis).

Pour autant, de nouveaux compromis « gagnant-gagnant » ne sont pas impossibles, ils permettraient même d’éviter que d’éventuelles contreparties ne soient vécues comme des concessions. Une manière intelligente (en plus d’être élégante, mais ce n’est pas le sujet) de renvoyer l’ascenseur aux pays voisins serait de reverser une partie de la fiscalité prélevée sur les télétravailleurs frontaliers dans des fonds de coopération bilatéraux qui seraient aussi alimentés par les autorités voisines. Avec ces fonds, il serait possible de lancer des appels à projets pour financer des infrastructures de mobilité, des projets de formation communs, des équipements sociaux, culturels, environnementaux… Ces projets pourraient indifféremment être développés du côté luxembourgeois ou étranger, l’important étant qu’ils aient une plus-value transfrontalière, c’est à dire qu’ils contribuent à renforcer la fluidité, la cohérence, l’attractivité et la durabilité du territoire transfrontalier pris dans son ensemble. Le « territoire économique et social » du Luxembourg dépasse d’une certaine manière ses frontières nationales, mais il est plus restreint que celui de la Grande Région, ce qui a pour conséquence qu’il n’existe toujours pas d’outils « politiques » adaptés : de tels fonds (un avec chaque pays voisin) seraient une excellente amorce.

Car il y a urgence à agir. Si certains phénomènes continuaient de s’amplifier au rythme actuel (distorsions sur le marché du logement, pénuries de personnel, congestion des infrastructures, etc.) cela pourrait représenter un réel risque pour l’économie luxembourgeoise. Une nouvelle phase doit donc s’ouvrir en matière de coopération transfrontalière. Il faudra notamment aller bien au-delà de la logique de « saupoudrage » (financement au compte-goutte de projets -uniquement dans la mobilité-) et de celle de « compensation » (transferts financiers aux communes voisines sans visibilité sur leur objet et sans évaluation) pour entrer progressivement dans une logique de vision et de construction communes, comme cela se pratique déjà depuis des années dans le Grand Genève (certes sans fonds de codéveloppement, mais avec des outils de gouvernance et de financement bien plus avancés que ceux en place ici). Définir ensemble une vision, une stratégie d’aménagement du territoire avec des priorités partagées, mettre des moyens en commun pour y parvenir ainsi qu’un mécanisme de sélection de projets… cela n’est pas vraiment une idée « out of the box » !

Certes, il faudra du temps, du courage politique et un effort d’organisation, mais il faut bien se rendre à l’évidence que dans ce domaine le Luxembourg en tant qu’Etat a davantage d’intérêts communs avec les régions voisines qu’avec les Etats centraux auxquels elles appartiennent.

Idée du mois N°25 – Dette COVID : soutenable ?

La crise sanitaire a eu de funestes retombées sur le plan économique et par ricochet en termes de finances publiques. Ainsi, le déficit public s’est établi en 2020 à quelque 11% du PIB en Espagne, à environ 9% du PIB en France et en Italie et il a été de l’ordre de 4% du PIB en Allemagne et au Luxembourg. Avec à la clef une sensible augmentation des ratios d’endettement dans les cinq pays de la zone euro étudiés dans l’Idée du Mois, à savoir la France, l’Italie, l’Allemagne, le Luxembourg et l’Espagne.

Les besoins de financement ayant été durablement affectés par la crise, la dynamique d’endettement devrait, selon diverses simulations réalisées par l’auteur et décrites dans l’IDM, continuer à s’emballer d’ici 2040 – du moins à pression fiscale constante et en supposant que les dépenses publiques évoluent en fonction de la croissance tendancielle. D’autant que le vieillissement démographique et le financement de l’indispensable transition énergétique et climatique pourraient également peser dans la balance. Par ailleurs, les ratios d’endettement sont extrêmement sensibles à une éventuelle remontée des taux d’intérêt.

La dynamique d’endettement doit donc être examinée de près au sein de la zone euro. Si la vigilance s’impose, la rigueur budgétaire (en termes de dépenses ou de perceptions additionnelles) ne peut constituer le seul remède contre l’emballement des dettes, car un important effort serait requis afin de stabiliser (sans plus) les ratios d’endettement alors même que surgissent de nombreux besoins de « biens publics » (dans le domaine de la santé, notamment). Pour les mêmes raisons, une application mécanique et indifférenciée du Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) est à exclure. Mieux vaudrait privilégier une sélection plus « qualitative » des dépenses publiques, privilégiant les meilleurs leviers de croissance. Une telle sélection requiert cependant une analyse approfondie et ne peut par conséquent être mise en œuvre « du jour au lendemain ».

Dans l’état actuel des choses, une combinaison de plusieurs leviers doit être envisagée, à savoir la mise en œuvre d’un cadre global de surveillance de la soutenabilité à terme des finances publiques, le lancement de processus d’évaluation des dépenses publiques ou même un réagencement de la « dette COVID ». Il convient également de privilégier une « sortie par le haut » de la spirale d’endettement, consistant à favoriser les investissements publics présentant une grande capacité d’entraînement économique, et plus généralement toute politique susceptible de rehausser la croissance économique potentielle – cette dernière étant très efficace en termes de capacité de réduction des ratios d’endettement public. Les investissements publics indispensables à la transition énergétique et climatique répondraient d’ailleurs à cette logique. En revanche, le recours au « pouvoir édulcorant » de l’inflation et une annulation pure et simple des dette publiques doivent, du fait de leurs nombreux effets collatéraux potentiels, être envisagés avec prudence.