© photo : Julien Mpia Massa
Cet article a été rédigé pour Entreprises Magazine – Janvier-février 2025 :
Les besoins en compétences évoluent à l’image des exigences du marché du travail luxembourgeois. Dans ce contexte, un moyen, parmi d’autres, d’identifier les défis en termes de formation et de compétences pour le Luxembourg, ainsi que d’éclairer les différences entre les pays d’Europe, est d’analyser l’indicateur européen des compétences lancé par le Centre européen pour le développement de la formation professionnelle (CEDEFOP).
De quoi s’agit-il ?
L’indicateur européen des compétences du CEDEFOP est un outil de suivi pour les pays européens en matière d’éducation et de formation. Il montre la tendance vers la convergence des systèmes de compétences des États vers un niveau de performance élevé ; ceci correspond aux objectifs du processus de Copenhague[1] dont le but est une coopération entre les pays afin d’atteindre une qualité et des résultats élevés de leurs systèmes d’enseignement et de formation. Cet indicateur permet d’évaluer les systèmes de compétences de 31 pays d’Europe, observés par rapport à un « niveau idéal » égal à 100, d’identifier leurs points forts ainsi que les domaines nécessitant des améliorations. Le terme de « système de compétences », au sens du CEDEFOP, comprend divers types de formations et d’éducation formelles et informelles, incluant l’enseignement secondaire, supérieur, la formation professionnelle, la formation continue, ainsi que l’acquisition de compétences accumulées au fil des années d’expérience professionnelle. Son objectif est que l’offre de compétences corresponde au mieux à la demande de travail actuelle et future.
Un système de compétences, selon le CEDEFOP, se décompose en trois piliers[2]. Le premier volet dit « Skills Development » évalue la capacité du pays à fournir les compétences nécessaires, actuelles et futures, par le biais de l’éducation obligatoire, de l’enseignement supérieur et de la formation continue ; le deuxième pillier « Skills Activation » examine la mobilisation des compétences sur le marché de l’emploi, en assurant un nombre suffisant d’opportunités pour différents groupes de personnes, en se basant sur les indicateurs de transition vers l’emploi et de participation au marché du travail ; et enfin le troisième « Skills Matching » analyse dans quelle mesure les compétences disponibles répondent aux besoins effectifs du marché de l’emploi. Chacun de ces 3 piliers est subdivisé en plusieurs sous-piliers (21 au total). [3]
La République Tchèque au top, l’Allemagne « au flop »
En 2024, les résultats de cet indicateur mettent en lumière trois pays en tête du classement : la République Tchèque, la Suède et le Danemark. En contraste, les 3 derniers pays du classement sont : la Grèce (29ème), l’Italie (30ème) et l’Espagne (31ème). En outre, trois autres pays se distinguent par des progrès significatifs, à savoir dans l’ordre : Irlande (22ème, +5 places), Chypre (27ème, +1 place) et Hongrie (13ème, +7 places)[4]. En revanche, l’Allemagne marque un certain recul dans le classement, avec des difficultés rencontrées dans des domaines, comme une pénurie de formateurs en cours de langue et d’intégration pour les personnes nouvellement arrivées, ou l’existence d’une certaine inégalité dans l’éducation en raison du fait que les opportunités d’éducation sont fortement liées au profil socio-économique des individus et que ces inégalités augmentent au fil du temps[5]. À l’échelle globale, deux autres nations se retrouvent également déclassées, le Luxembourg et la Norvège [6].
Dans l’ensemble, les performances des pays européens sur les différents piliers ont progressé, mais c’est surtout le pilier du Skills Matching qui s’améliore avec une hausse supérieure aux deux autres piliers, entre 2017 et 2024[7] (+10 points).
Luxembourg : une base digitale solide, mais des marges à combler
En 2024, le Luxembourg se distingue particulièrement dans le pilier Transition to Work, où il affiche un score moyen de 77,62, principalement grâce au sous-pilier Recent Graduates in Employment qui atteint un score remarquable de 94,67. En revanche, son point faible réside dans le pilier Labour Market Participation, avec un score moyen de 41,38. Ce résultat est attribué au sous-pilier Activity Rate (aged 20-24), qui présente un score très bas de 16,75, contrairement au sous-pilier Activity Rate (aged 25-54), plus performant avec un score de 66.
Le passage du Luxembourg de la 3ème à la 8ème s’explique par des variations dans certains sous-piliers : il a progressé dans le sous-pilier Transition to work, avec une hausse de 29 points pour les Recent Graduates in Employment, mais a reculé dans le domaine Training and other education. Le score des Early leavers from training est resté stable à 66,25[8]. Le score du Luxembourg a progressé de 0,42 points alors que le groupe de pays du top 10[9] a progressé de 6,77 points en moyenne et les 31 pays observés de 8,51 points en moyenne.
Source : CEDEFOP.
Le sous-pilier High digital skills, du volet Training and other education, a enregistré la baisse la plus significative, alors que les sous-piliers Recent training (adult education) et VET students ont connu peu de variations. Une mauvaise nouvelle quand on sait que le Luxembourg est confronté à des pénuries de main-d’œuvre particulièrement marquées dans le domaine de l’IT[10], dans le contexte d’une économie basée sur les services et surtout sur la finance. En 2021, selon le rapport du CEDEFOP sur les Digital skills[11], au Luxembourg, 64% des personnes âgées de 16 à 74 ans possédaient des compétences digitales de base ou avancées, un pourcentage similaire à celui de l’Espagne, et légèrement supérieur à celui de la Croatie et de l’Autriche (63%), mais inférieur à celui de la Suède (67%). Cette même année, l’Irlande, les Pays-Bas et la Finlande avaient déjà atteint l’objectif européen de 70% d’ici 2025[12].
Des marges d’amélioration peuvent ainsi être soulignées dans le domaine de la formation, afin d’atteindre, d’ici 2030, l’objectif de 62,5% de la population adulte qui participe chaque année à des formations, fixé lors du sommet social de Porto en mai 2021. Cependant, le rapport de l’OCDE de 2020[13] met en évidence certaines limites personnelles et contextuelles, comme le manque de temps en raison du travail, des responsabilités familiales, de l’horaire et/ou de l’endroit qui ne conviennent pas, ou bien liés aux finances personnelles ou au manque du soutien de l’employeur.
En outre, l’indicateur du CEDEFOP comporte certaines limites : il faut deux ans entre la collecte, le traitement et la publication des données ; en conséquence, certaines données peuvent devenir obsolètes ou limitées, particulièrement dans les secteurs émergents où les besoins évoluent rapidement, et des disparités peuvent exister dans la qualité des données fournies par les différents pays. Ensuite, dans un contexte de transformation numérique et écologique, cet indicateur pourrait accorder davantage d’importance à ces compétences spécifiques (utilisation de l’IA générative) pour mieux refléter les évolutions du marché du travail. Enfin, cet indicateur pourrait souffrir de certaines spécificités nationales, car il se base sur des données d’enquêtes sur la population active (Eurostat Labour Force Survey3,[14]) et d’autres indicateurs nationaux, qui n’incluent pour certains que les populations résidentes des pays observés. De ce fait, il ne représente pas toujours les spécificités des pays, comme la structure unique du marché du travail au Luxembourg, où la présence de nombreux travailleurs transfrontaliers joue un rôle majeur dans son économie.
L’analyse de cet indicateur devrait inciter le Luxembourg à poursuivre ses efforts d’offres de formation continue dans le domaine du numérique, afin de renforcer sa position en tant qu’acteur-clé de l’écosystème européen.
[1] https://eur-lex.europa.eu/FR/legal-content/summary/enhanced-eu-cooperation-in-vocational-education-and-training.html
[2] CEDEFOP, Indice européen des compétences du CEDEFOP : le nouvel outil d’élaboration de politiques éclairées, Note d’information, 2018, https://www.cedefop.europa.eu/files/9132_fr.pdf
[3] Pour construire cet indicateur, les données ont été principalement collectées via une interface de la base de données d’Eurostat, permettant une intégration directe et actualisable dans R (un langage open-source de programmation statistique). Pour les sous-indicateurs où les données n’étaient pas disponibles de cette manière, des données brutes ont été collectées, puis regroupées et traitées dans des fichiers CSV créés. Les données ont ensuite été regroupées et forment un panel de 2015 à 2022, correspondant aux publications sur le site du CEDEFOP de 2017 à 2024. Les premières données analysées datent de 2014-2015, avec une première publication écrite en 2018, voir : https://www.cedefop.europa.eu/files/esi_technical_report_2024.pdf
[4] https://www.cedefop.europa.eu/files/9199_en.pdf
[5] https://op.europa.eu/webpub/eac/education-and-training-monitor-2023/de/country-reports/germany.html
[6] La Norvège a reculé de la 7ème à la 17ème place et le Luxembourg de la 3ème à la 8ème place.
[7] Ce qui correspond aux données entre 2015 et 2022 ; pour plus d’informations sur la collecte et le traitement des données, voir : https://www.cedefop.europa.eu/files/esi_technical_report_2024.pdf et https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/107e0093-c63a-11ee-95d9-01aa75ed71a1/language-en
[8] https://www.cedefop.europa.eu/en/tools/european-skills-index
[9] Dans l’ordre : la République Tchèque, la Suède, le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Slovénie, l’Estonie, le Luxembourg, la Pologne et Malte.
[10] https://adem.public.lu/dam-assets/fr/publications/adem/metiers-penurie.pdf
[11] CEDEFOP, Digital skills ambitions in action – Cedefop’s skills forecast digitalisation scenario, 12 juillet 2024.
[12] Pour rappel, l’ambition européenne est d’atteindre 80% d’ici 2030.
[13] https://www.oecd.org/en/publications/increasing-adult-learning-participation_cf5d9c21-en/full-report.html
[14] https://ec.europa.eu/eurostat/cache/metadata/en/lfsi_esms.htm