Tableau de bord économique et social – Janvier 2024

L’inévitable récession !

Tous les indicateurs semblent indiquer une récession en 2023, malgré l’absence de données du quatrième trimestre.

  • L’activité a encore ralenti à la fin de l’année, mais à un rythme globalement lent, notamment en raison de la baisse de la demande et des conditions de financement qui se sont particulièrement durcies.
  • Le volume de la valeur ajoutée brute totale générée par l’activité économique au Luxembourg a connu une baisse de 0,1 % au 3ème trimestre par rapport au 2ème trimestre 2023. Les secteurs de la finance et du transport ont enregistré de fortes baisses, respectivement -3,4 % et – 6 %, expliquant ainsi la majeure partie de la contraction de la valeur ajoutée.
  • Le secteur de la construction est fortement impacté, notamment avec le nombre de faillites en hausse. Le niveau actuel des taux d’emprunt immobilier semble se stabiliser, mais il ne permet pas de renverser la tendance à la baisse des crédits consentis.
  • Le ralentissement de l’emploi salarié sur le marché du travail luxembourgeois s’accentue. Le stock de postes vacants a diminué de 40 % en un an. Le nombre de chômeurs diplômés du supérieur augmente plus significativement, semblant indiquer un ralentissement dans le secteur des services, mais aussi une certaine inadéquation entre offre et demande de travail.
  • Le STATEC table sur un repli du PIB de 1% en 2023, et sur une croissance de 2% cette année.

Zoom sur l’évolution de la valeur ajoutée dans les principales branches

Au 3ème trimestre 2023, le volume de la valeur ajoutée brute totale générée par l’activité économique au Luxembourg a connu une baisse de 0,1 % par rapport au 2ème trimestre 2023. Les secteurs de la finance et du transport ont enregistré de fortes baisses, respectivement -3,4 % et – 6 %, expliquant ainsi la majeure partie de la contraction de la valeur ajoutée.

L’industrie et les TIC ont affiché de bonnes performances en termes de volume, avec des hausses de valeur ajoutée respectives de 3,2 % et 4,6 % sur un trimestre. En revanche, le secteur de la construction continue de subir les effets de la politique monétaire, en présentant une baisse de valeur ajoutée certes moindre, mais qui vient renforcer la baisse observée le trimestre précédent (- 3,6 % au 2ème trimestre 2023 par rapport au premier trimestre 2023).

Le secteur public a pu dégager une valeur ajoutée positive au cours de ce trimestre (+1 %), tout comme le secteur des loisirs (+1,7%).

Zoom sur l’évolution de la valeur ajoutée dans les principales branches Source : STATEC, comptes nationaux trimestriels, calculs IDEA

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Tableau de bord économique et social – Novembre 2023

Le Tableau de bord économique et social d’IDEA offre un nouvel indicateur permettant de mieux appréhender les efforts du Luxembourg en matière de protection de l’environnement : les émissions de CO2 par combustion d’énergie.

Ralentissement de l’inflation… et de l’économie !

  • La baisse de l’activité touche tous les grands secteurs. En particulier, le secteur de la construction, affecté par le durcissement des conditions de crédit et la baisse des carnets de commandes, est en régression depuis plusieurs mois.
  • Le montant des crédits immobiliers consentis aux ménages résidents pour des immeubles situés au Luxembourg a diminué de 15,7% au deuxième trimestre 2023 par rapport au trimestre précèdent, 48,8 % sur un an et 60 % par rapport à son niveau record du 1er trimestre 2021.
  • Sur un an, la croissance de l’emploi salarié intérieur est de 1,5 % contre 3,3 % en 2019. Le rythme de croissance des emplois salariés ralentit sensiblement et les perspectives d’évolution de l’emploi à court terme ne sont pas très encourageantes.
  • Au deuxième trimestre de 2023, le PIB se contracte (-0,1 % par rapport au trimestre précédent). En variation annuelle, cela fait trois trimestres consécutifs que le PIB recule. Pour atteindre une croissance de 1,5 % en 2023, le PIB au 2ème semestre 2023 devrait croître de 5,3 % par rapport au 1er semestre 2023. Selon les prévisions du FMI, le risque de récession est plus probable pour le Luxembourg cette année.
  • En septembre 2023, le nombre de demandeurs d’emploi résidents âgés de moins de 25 ans augmente de 28,1 %.

Zoom sur l’évolution de la valeur ajoutée dans les principales branches

Au 1er semestre 2023, la valeur ajoutée brute totale générée par l’activité économique au Luxembourg a diminué de 1,8 % par rapport au 2ème semestre 2022. La plupart des secteurs ont également observé une baisse de valeur ajoutée. C’est le cas notamment du secteur des transports, commerce, Horeca (-4,9%) et du secteur des TIC (-6,8 %). Le secteur des spectacles et loisirs enregistre la plus forte baisse (-9,5 %) sur la même période, mais son poids dans l’économie est relativement faible. L’activité dans les services publics a permis de dégager une valeur ajoutée positive (+3,2%) au 1er semestre par rapport au semestre précédent. C’est le cas aussi dans le secteur de l’industrie, mais dans une moindre mesure.

 Source : STATEC, comptes nationaux trimestriels, calculs IDEA

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Décryptage N°27 : Mettre fin à la « Kal Progressioun », une réelle urgence ?

© photo : Julien Mpia Massa

La non-indexation des barèmes fiscaux, donnant lieu au phénomène de « Kal Progressioun », constitue un incontournable du débat économique luxembourgeois. L’indexation des barèmes permettrait d’assurer la neutralité par rapport à l’inflation du régime fiscal, la fixité des barèmes induisant actuellement un glissement progressif de l’ensemble de la structure des revenus vers les taux marginaux d’imposition les plus élevés. Si le principe même de l’indexation des barèmes (et autres seuils fiscaux) paraît donc amplement justifié sur un plan philosophique, son degré d’urgence est en revanche loin de relever de l’évidence. Un simple examen numérique met en effet en exergue un ciblage social défaillant d’une telle mesure, qui va de pair avec un coût budgétaire élevé assez malencontreux dans le présent contexte.

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Mettre fin à la « Kal Progressioun », une réelle urgence ?

Non à « l’ind-excessivité »

Billet invité de Marc Wagener, Chief Operating Officer (COO) et Director Entrepreneurship à la Chambre de Commerce du Luxembourg. Membre du Conseil d’Administration d’IDEA.

© photo : Julien Mpia Massa

« Trop d’index tue l’index » est-on amené à dire en suivant les dernières évolutions statistiques publiées ces derniers jours et si l’on se soucie en même temps de celles qui doivent les payer : les entreprises. En effet, celles-ci encaissent des chocs à répétition et elles sont bien plus fragiles que supposé par l’opinion publique. Le travailleur indépendant est par exemple deux fois plus exposé au risque de pauvreté que le salarié. Une entreprise luxembourgeoise donnée est avec une probabilité de 99% une PME (et à 93% une microentreprise de moins de 10 salariés). Pour ces dizaines de milliers d’entreprises et leurs patron(ne)s, le mot d’ordre est la survie économique et l’atteinte d’un niveau de vie décent, et non pas la génération d’un superprofit digne d’un impôt spécifique ou d’un yacht au Sud de la France.

L’entrepreneur est exposé de plein fouet à tout ce qu’on appeler crises, transitions et autres transformation digitale et environnementale. Il est souvent assez seul et isolé, il doit constamment réécrire son logiciel, son modèle d’affaires, ses façons de faire. Ses quelques salariés jouissent de congés légaux et spéciaux eux aussi soumis à une inflation certaine. Et en contrepartie, l’organisation du temps de travail est quant à elle largement immuable et le pendule est du côté « rigide » et non du côté « réactif ». La trésorerie est souvent épuisée, saccagée au gré des crises. Le personnel est de plus en plus difficile à trouver et à maintenir. Gare aux offres alléchantes, se déployant sur des banners digitaux et des abribus physiques, issues souvent du secteur public, que les entreprises et leurs salariés financent et qui représentent souvent une concurrence inégale. En effet, comment les quelque 30.000 microentreprises, créant pourtant 20% de la valeur ajoutée et de l’emploi, peuvent-elles rivaliser avec un mastodonte étatique doté de budgets vertigineux et en hausse continue ?

Accès difficile aux ressources en tous genres et leur renchérissement, organisation du travail dépassée (surtout pour les PME), rentabilité mise à mal, … difficile de continuer à se lever le matin en tant que « petit patron », travailler (souvent) beaucoup pour gagner (souvent) peu. A rebours de jalousies contre les « riches patrons », une vie faite de défis et de grandes responsabilités, tous les jours. Chapeau à celles et ceux qui ne désespèrent pas ! Et si les 3 index désormais prévus en 2023 (et on n’ose guère anticiper 2024) faisaient déborder le vase ?

Est-ce que le système d’indexation n’est pas mené à l’absurde s’il est en roue libre, incontrôlé, sauvage ? Peu de voix prônent désormais son abolition, point barre. De nombreux commentateurs, plus ou moins libéraux, ont compris qu’il a le mérite de réduire les « coûts de transaction », c’est-à-dire notamment le fait de devoir négocier, tous les ans, des augmentations salariales (individuelles, au niveau des entreprises ou encore sectorielles) portant tant sur la « compensation de l’inflation » que sur l’évolution réelle. Si l’inflation est « proche mais inférieure à 2% », l’index est déclenché environ tous les 15 mois. C’est assez prévisible. Mais quand l’inflation fait des galipettes dans des sphères méconnues non pas suite à une « lente et progressive hausse générale des prix » mais à cause d’une guerre qui déclenche une crise énergétique (elle-même exacerbée par la mentalité « Nimby » du développement des énergies renouvelables ayant auparavant sévi), le système d’indexation doit être sauvé de sa propre dynamique infernale et autodestructrice (boucle prix-salaires). Comme dans tout, le péché est dans l’excès. Il faut freiner ce système, le moduler, l’accompagner d’actions ciblées. Il faut dompter l’animal sauvage qui dévore les fiches de paie.

Au Luxembourg, nous sommes souvent dans une sécurité illusoire, convaincus que l’économie « tourne toute seule ». On n’a pas vraiment besoin de considérer la compétitivité et la rentabilité de la locomotive générant notre richesse. On peut simplement y accrocher des wagons à rallonge ; un attelage souvent digne d’une cavalcade carnavalesque où des « bonbons gratuits » sont jetés 365 jours sur 365 aux ménages qui les accueillent à bras ouverts sans se soucier du bon vieil adage (jamais invalidé) qu’il n’y a pas de repas gratuit.

L’économie grand-ducale tourne, aussi et en grande partie, parce que 40.000 entreprises et leurs patrons (souvent non-Luxembourgeois) mettent du charbon dans la machine et dépensent de la sueur tous les jours. Les charger et les charger encore davantage tous les jours risque de mener au drame. Alors si au moins cette « ind-excessivité » contreproductive pouvait être freinée, une lueur d’espoir bienvenue pourrait voir le jour. Tout ce qui est excessif est insignifiant. Tout ?

Marc Wagener

Décryptage N°24: Apostille au Document de travail n°19 sur le Budget 2023

© photo : Julien Mpia Massa

L’économie luxembourgeoise est en proie, après le Grand Confinement, à une crise énergético-inflationniste causée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Tel qu’il ressort des documents budgétaires publiés en octobre 2022, cette crise a(ura), entre autres, des impacts sensibles sur les finances publiques, le pouvoir d’achat immobilier et la faculté de certains ménages vulnérables à joindre les deux bouts.

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Apostille au Document de travail n°19 sur le Budget 2023

Décryptage N°23: Inflation énergétique, quel impact sur le budget des ménages en 2022 ?

Les prix énergétiques ont littéralement pris l’ascenseur à partir de septembre 2021, dans un premier temps dans le contexte de la crise sanitaire, des ruptures corrélatives de chaînes d’approvisionnement et du fort rebond économique qu’elle a occasionné en 2021 après le « creux » manifeste de 2020. Ce renchérissement de l’énergie, qui aurait pu n’être qu’un « feu follet », s’est ensuite cristallisé et même renforcé suite à l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022. En l’espace de quelques mois, le coût pondéré de l’énergie pour un ménage « moyen » a connu une augmentation de l’ordre de 40%. Le présent décryptage vise à cerner l’impact de cette dernière sur les ménages, compte tenu également des mesures mises en œuvre par les autorités suite à l’accord « tripartite » du 31 mars 2022.

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Inflation énergétique

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Communiqué de presse Décryptage_N23_Inflation énergétique

C’est graphe docteur ? Retour de l’inflation aux Etats-Unis ?!

L’indice des prix des dépenses de consommation personnelle aux Etats-Unis continue sa forte progression,  cette dernière s’étant établie à 4% au mois de juin 2021, contre 3,9% pour le mois précédent. Alors que la variation de l’indice des prix atteint son plus haut niveau depuis août 2008 (voir graphe), le gouverneur de la FED Jérôme Powell se veut rassurant et a réitéré le caractère transitoire de la poussée inflationniste. Selon lui, l’inflation devrait finir par décélérer.

Plusieurs raisons peuvent expliquer la hausse soudaine des prix. Premièrement, l’effet de base est en partie (et de manière mécanique) responsable du rebond de l’inflation. En effet, l’indice des prix est calculé sur une évolution au cours des douze derniers mois et l’inflation avait fortement diminué au courant du deuxième trimestre de 2020, notamment avec la chute brutale du prix des énergies. Bien que la consommation pétrolière soit toujours inférieure à son niveau d’avant crise, les prix, eux, sont à leur plus haut niveau depuis deux ans, principalement à cause des coupes drastiques dans la production des pays membres de l’OPEP+. Dès lors, et avec la forte augmentation du prix des autres matières premières et la demande liée à la réouverture de l’économie, les prix ont pu fortement progresser sur un an.

Deuxièmement, les goulots d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement ont aussi participé à rehausser l’indice des prix. En raison des licenciements, des annulations de commande et des fermetures des usines de production sous-exploitées pour répondre à la chute de la demande induite par la crise sanitaire, les entreprises ont dans l’ensemble surestimé la pause temporaire de l’économie et sous-estimé le rebond qui s’en est suivi. Elles ont ensuite voulu rapidement reconstituer leurs stocks, ce qui a participé à submerger les ports américains, augmenter les tarifs des porte-conteneurs et donner lieu à des pénuries de pièces critiques et de matériaux d’emballage. Les températures extrêmement basses atteintes au courant du mois de février ont par ailleurs pénalisé certaines industries, suscitant des pénuries notamment pour les produits pétrochimiques.

Enfin, cet approvisionnement insuffisant a été renforcé par des difficultés de recrutement, causées par une augmentation des départs à la retraite, la peur de certains travailleurs de contracter la COVID-19 et par l’élargissement de la disponibilité, de la durée et du niveau des prestations d’assurance-chômage. Ces phénomènes ont retardé le retour de certains travailleurs sur le marché du travail et ont poussé les entreprises à augmenter les salaires et à réaffecter des travailleurs entre les entreprises et industries. Les prix ont ainsi tout naturellement progressé puisque les processus d’adaptation ont pris plus de temps pour répondre à la demande.

Dorénavant, le débat aux Etats-Unis s’articule autour du caractère durable ou transitoire du retour de l’inflation, alors qu’en Europe, la BCE estime que la baisse des prix de l’énergie pour les deux prochaines années et la pression sur les salaires liée au chômage élevé dans de nombreux pays devraient empêcher un retour de l’inflation au sein de la zone euro. Si la secrétaire au Trésor Janet Yellen entrevoit elle aussi un niveau normal des prix à moyen terme, après encore plusieurs mois d’inflation rapide, d’autres économistes (tel que Larry Summers) craignent au contraire que l’inflation puisse persister. Le plan de relance économique de l’Administration Biden aurait été trop ambitieux. Si tel était le cas, il serait légitime de s’interroger sur la durabilité et la robustesse de la reprise économique et a fortiori de la performance des marchés boursiers, et ce indépendamment d’un énième épisode de confinement. Dans son ouvrage[1], Ronald Marcks démontre en effet l’existence d’une relation de causalité entre la formation d’un mouvement inflationniste et les booms économiques et boursiers à court terme. Toutefois, cette relation ne serait pas aussi bénéfique à plus long terme…

[1]Parsson, J. (Marcks, R.) (1974): Dying of Money – Lessons of the Great German and American Inflations, Wellspring Press

Le retour de l’inflation n’est pas pour tout de suite mais se façonne petit à petit

A propos de l’auteur :

Denis Ferrand est Directeur Général de Rexecode.

L’accélération des prix à la consommation aux Etats-Unis ravive la perception de l’entrée dans une nouvelle ère de forte inflation. Le choc actuel de prix pourrait toutefois rester contenu et se révéler temporaire. Il ne s’agirait alors que d’un répit, les conditions fondamentales d’un surcroît durable d’inflation semblant se réunir.

Le constat tout d’abord : de décembre dernier à juin, la variation sur un an des prix à la consommation (hors énergie et alimentation) est passée aux Etats-Unis de 1,6 à 4,5 %, un rythme inédit depuis trente ans. La zone euro reste à l’écart de cette bouffée de chaleur, l’indice comparable progressant de moins de 1 % sur un an en juin bien que les prix de nombreuses matières premières aient bondi et que des difficultés d’approvisionnement se répandent en de nombreux maillons de la chaîne de valeur.

La trajectoire à court terme ensuite : les craintes de l’entrée prochaine dans une boucle inflationniste sont à tempérer.

  • Ce choc reste spécifique aux Etats-Unis.
  • Il y est circonscrit à quelques produits liés à la mobilité des personnes. 82 % de l’accélération survenue lors des six derniers mois est expliquée par seulement cinq produits (voitures d’occasion, véhicules neufs, location de véhicules, assurances de ceux-ci, billets d’avion). Ceux-ci ne représentent que 11 % du panier de consommation des ménages. Les prix des autres produits hors énergie n’accélèrent pas.
  • Les anticipations d’inflation à moyen terme formulées par les ménages ont peu réagi voire refluent pour celles formulées sur les marchés financiers.
  • Les salaires n’ont pas non plus réagi. Si des pénuries de main d’œuvre se diffusent à de nombreux secteurs, le niveau de l’emploi reste en effet inférieur de 6 millions de personnes (-4,4 %) par rapport à son niveau pré-pandémie. La boucle prix-salaires reste invisible à ce stade.

Au total, ce choc de prix pourrait bien s’apparenter à un pur prélèvement de pouvoir d’achat subi par les ménages américains. Un prélèvement à replacer dans le contexte spécifique de la pandémie : l’an dernier, leur revenu réel s’est accru de 5,9 % alors que le PIB chutait de 3,5 %. Le creusement du déficit public américain est la contrepartie de cet écart.

La trajectoire plus structurelle enfin : si le choc de prix pourrait rester temporaire et s’assagir d’ici fin 2021 ou début 2022, l’installation à moyen terme sur un régime d’inflation plus élevée que lors des vingt dernières années est possible et ce pour trois raisons principales.

La première est que les ingrédients de la « Grande Modération » ont perdu de leur substance. La Grande Modération est l’installation des économies occidentales à partir du début des années 1980 dans un régime de faible inflation. Elle reposait sur une politique monétaire très restrictive à l’origine, une ouverture accrue aux échanges mondiaux parachevée par l’omniprésence chinoise sur la production de biens, des gains de productivité élevés, une désindexation et une forte pression sur les salaires, un recours à l’endettement comme supplétif à la faible progression relative du revenu des ménages… La plupart de ces ingrédients sont désormais caduques : la politique monétaire est tout sauf restrictive, le commerce mondial se rétracte relativement à l’activité depuis 2010, les gains de productivité faiblissent tendanciellement, les pénuries de main d’œuvre redonnent aux salariés un pouvoir de négociation, l’endettement sans frein des ménages a montré ses limites en 2008-09.  Le philtre de la Grande Modération s’est évaporé.

La deuxième raison tient à l’impact très discuté des mutations structurelles des sociétés et des économies sur l’inflation. Le vieillissement démographique tout d’abord : parce qu’il conduit une raréfaction relative de l’offre de travail et induit un changement dans la structure de la demande vers des services à forte intensité en main d’œuvre (économie du care), son potentiel inflationniste ne peut être minoré[1]. La transition énergétique ensuite : elle est a priori inflationniste à moins que le progrès technique ne permette d’abaisser rapidement les coûts d’une source d’énergie à faible pouvoir d’émission de CO² alternative aux technologies en place. Par les coûts croissants des dommages environnementaux associés et du coût des assurances pour y faire face, le réchauffement climatique est également inflationniste. La numérisation de l’économie enfin : par une mise en concurrence de producteurs encore élargie, par la réduction des barrières à l’entrée de certaines activités ou encore par les gains de productivité qu’elle promeut, elle est a priori désinflationniste. Toutefois, l’économie numérique propage de puissants effets de réseaux propices à la monopolisation. Des premiers travaux de recherche économique ont également montré que les outils de l’intelligence artificielle pouvaient occasionner des effets de collusion entre algorithmes dans le sens d’une hausse des prix[2]. Les taux de mark-up (soit l’écart entre les coûts globaux et les prix pratiqués) seraient également un peu plus élevés dans les secteurs très numérisés relativement à ceux qui le sont moins[3]. Autant d’éléments plutôt inflationnistes.

La dernière raison tient à la tolérance vis-à-vis de l’inflation : un peu plus de hausse des prix inquiète d’autant moins qu’elle peut être un outil puissant de dévalorisation des dettes anciennes. Un argument de poids au moment où les Etats croulent sous des tombereaux de dette. Le slogan « Pay them more » prononcé récemment par Joe Biden est symptomatique d’une aspiration à un peu plus d’inflation d’autant moins redoutée qu’elle serait perçue comme utile pour les finances publiques… mais au risque d’oublier ses répercussions en termes de pertes de valeur patrimoniale pour des détenteurs de dette, qui sont aussi des électeurs. L’inflation est aussi un enjeu de répartition.

 


[1] Voir sur ce point la thèse de C. Goodhart et M. Pradhan The great demographic reversal : ageing societies, waning inequalities and an inflation revival, Springer 2020

[2] Voir Calvano et al. 2019 https://voxeu.org/article/artificial-intelligence-algorithmic-pricing-and-collusion

[3] Voir par exemple Calligaris et al. 2018, https://read.oecd-ilibrary.org/industry-and-services/mark-ups-in-the-digital-era_4efe2d25-en#page1