© photo : Julien Mpia Massa

Pendant la dernière mandature législative, marquée par les incertitudes radicales et qui a vu émerger le terme de « polycrises », la situation économique et sociale du pays a relativement bien résisté. Mais le Luxembourg fait face à de grands défis pour lesquels il serait bienvenu que le nouveau gouvernement aborde, dans son programme de travail, au moins cinq chantiers majeurs afin de sauvegarder la prospérité du pays : la préservation du tissu productif, l’aménagement du territoire, une redéfinition des politiques de coopération transfrontalière, la préparation au vieillissement de la population et le maintien de finances publiques saines.

Attractivité, productivité, compétitivité : préserver le tissu productif

Malgré le Brexit, la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, l’économie luxembourgeoise continue de bénéficier d’une prospérité remarquable et affiche de hauts niveaux d’attractivité, de compétitivité et de productivité. Pourtant, ces performances pourraient être remises en cause par de nombreux paramètres défavorables (règlementation et concurrence affectant la place financière, faible diversification économique, externalités négatives de la croissance, inflation normative, difficulté d’accès au logement, faibles gains de productivité, etc.) qui appellent à une certaine vigilance.

Au chapitre de l’attractivité du Luxembourg, il sera tout d’abord nécessaire de garantir de meilleures capacités à se loger. Pour cela, une redéfinition des priorités de la politique du logement devrait davantage mettre en avant le double impératif d’augmenter fortement le stock de logements et de compléter la stratégie nationale du logement abordable, quitte à « rétrograder » l’objectif historique de favoriser la propriété occupante. Face aux nombreuses réformes internationales la préservation de l’attrait fiscal gagnerait également être mieux « pensée », que ce soit à travers un renforcement de l’expertise sur les enjeux économiques portés par ces évolutions ou une adaptation de la taxation des entreprises. Enfin, en matière d’attractivité, la question de l’accueil de la main-d’œuvre qualifiée étrangère devrait faire l’objet d’une stratégie nationale d’attraction et de rétention.

La stagnation de la productivité apparente du travail est un sujet de préoccupation pour la prospérité du pays à long terme. Différents leviers pourraient être actionnés pour contribuer à son redressement comme la création de conditions propices au développement des activités de R&D, le soutien aux entreprises de croissance ainsi que des mesures garantissant la préservation du secteur financier luxembourgeois.

La compétitivité, enfin, est une condition-clé du maintien de la prospérité d’une petite économie ouverte à la concurrence internationale. Son amélioration pourrait passer par une modernisation du secteur public (efficacité des dépenses publiques, évaluation, ouverture des emplois publics, digitalisation…), une amélioration des performances du système éducatif dans un contexte sociolinguistique complexe (ainsi que du système de formation continue face aux mutations du monde du travail) et, enfin, par une modernisation du régime de modération salariale en temps de crise visant à préserver à la fois la compétitivité-coût, le pouvoir d’achat et les finances publiques.

Améliorer l’aménagement du territoire

Le développement éco-démographique ininterrompu de ces dernières décennies a mis en lumière des goulets d’étranglements (problèmes de disponibilité foncière, saturation des infrastructures, difficultés de recrutement…) mais aussi des externalités (artificialisation, pollution, modifications du cadre de vie, ségrégation socio-spatiale…) qui pourraient mettre à mal la capacité du pays à poursuivre une telle trajectoire sans de profonds changements en matière d’aménagement du territoire. Selon un scénario de développement économique et démographique « au fil de l’eau » le Luxembourg pourrait accueillir en 2050 une population de l’ordre de 1,1 million d’habitants et compter quelque 950.000 emplois (dont plus de 500.000 frontaliers).

Une telle dynamique ne pourra pas se réaliser sans la mise en œuvre de certains principes de l’aménagement du territoire comme la densification des trois principales agglomérations du pays (Luxembourg, Sud et Nord) et de certaines communes prioritaires, le développement de nouvelles centralités urbaines dans ces espaces, le ralentissement du développement démographique des espaces ruraux, le renforcement de la mixité fonctionnelle sur l’ensemble du territoire et le déploiement de nouvelles infrastructures de mobilité. Mais pour concrétiser ces concepts d’aménagement, il sera indispensable de penser des outils au service d’une politique d’aménagement du territoire plus efficace. Il faudra ainsi mener des réformes pour mieux aligner les pratiques communales et les stratégies nationales en matière d’aménagement du territoire, renforcer la capacité des pouvoirs publics à débloquer le potentiel foncier constructible, encourager la mixité urbaine et inciter à la mobilité durable.

Consolider la métropole transfrontalière

Avec la croissance très soutenue de l’emploi, le Luxembourg est progressivement devenu dépendant d’un territoire qui dépasse ses frontières. Le développement d’une métropole transfrontalière a créé des dépendances réciproques, et amène avec lui des aubaines et des risques qui évoluent au fil des années et que la politique de coopération transfrontalière peine à suivre, conduisant à une situation où il n’existe pas de véritable projet ni de gouvernance propre pour cette métropole.

La coopération transfrontalière pourrait prendre une importance toujours plus stratégique pour la prospérité du Grand-Duché et son approche pourrait être amenée à évoluer dans plusieurs domaines et à dépasser la « traditionnelle » problématique de la mobilité des frontaliers. Le pays devra s’appuyer à l’avenir sur de nouvelles formes de coopération pour accompagner les nouvelles contraintes que pose sa croissance en matière d’aménagement du territoire (création d’un projet de territoire partagé), de développement économique, d’attractivité, de formation, et pourrait être amené à mettre en œuvre de nouveaux outils de gouvernance et de financement pour rendre le modèle de développement transfrontalier, vital pour la prospérité à long terme du Luxembourg, plus soutenable.

Se préparer au vieillissement de la population

Selon des simulations démographiques « au fil de l’eau », le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus passerait de 98 000 en 2023 à 222 000 en 2050. La population des plus de 80 ans serait quant à elle pratiquement multipliée par 3. Les incidences du vieillissement sur la sécurité sociale pourraient être significatives, en particulier sur les dépenses de pensions, de santé et de dépendance. Des contraintes nouvelles devraient également se poser en matière de structures d’accueil, de besoin en personnel aidant et soignant (dans un contexte où le Luxembourg ne sera pas le seul concerné), de déploiement des nouvelles technologies, de cohésion sociale, de formation professionnelle, de logement…

Si les systèmes de pension se caractérisent actuellement par d’importants surplus, les prestations pourraient commencer à excéder les cotisations avant 2030, impliquant un « fonte » progressive des actuelles réserves et appelant à une réforme conciliant rigueur et équité. Bien anticiper le vieillissement nécessiterait également de renforcer les études de médecine dans le pays et d’une manière générale, d’élaborer un plan intégré « vieillissement » transversal et proactif, qui permettrait au Luxembourg de gérer dans les meilleures conditions, sur le plan économique mais également (et surtout) du point de vue social, ce défi majeur qui constitue un véritable « impératif catégorique » à l’égard de nos aînés.

Maintenir des finances publiques saines

En dépit d’une situation actuelle a priori enviable par les autres pays de la zone euro, les finances publiques luxembourgeoises font face à des éléments défavorables comme le fort besoin en croissance (non garantie et volatile), le vieillissement, la fragilité de diverses recettes (le « tanktourismus » par exemple), les besoins en investissements en faveur des transitions écologique, énergétique et numérique, une progression de la dette suite aux crises récentes, qui appellent à une certaine vigilance en la matière.

Il serait ainsi opportun d’instaurer au Luxembourg une « règle des 30% d’endettement » revisitée dans l’esprit du projet de révision du cadre européen de surveillance multilatérale et dont l’application serait évaluée par le Conseil national des finances publiques (CNFP). Il pourrait également être envisagé de gérer de manière plus dynamique et intégrée les actifs financiers de l’Etat, d’instituer une Commission nationale des infrastructures identifiant les besoins en investissements publics sur une vingtaine d’années, de mettre en place un taux de déduction « social » des avantages fiscaux et de prendre le temps de bien évaluer l’opportunité d’adapter (ou non) les barèmes fiscaux à l’inflation.

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