Hausse du nombre de chômeurs diplômés : comment l’expliquer ?

© photo : Julien Mpia Massa

Une hausse de 22% du nombre de chômeurs diplômés du supérieur[1] est l’un des éléments marquants de la Rétrospective économique 2018-2022[2], d’autant que cette évolution s’opère dans un contexte général assez favorable. Après un épisode de pandémie de coronavirus, suivi de tensions géopolitiques croissantes, le marché du travail a très bien résisté aux crises et cela s’observe à travers la création de plus de 70 000 emplois (en valeur absolue), ainsi que la baisse du nombre de demandeurs d’emplois inscrits à l’ADEM en 4 ans. Au Grand-Duché, le taux d’emploi des personnes diplômées du supérieur et âgées de 15 à 64 ans, a d’ailleurs augmenté entre 2018 et 2022, passant de 83,7 % à 84,1 % en 2021[3].

Ce paradoxe apparent requiert une analyse plus fine des facteurs pouvant expliquer la hausse constatée du nombre de chômeurs diplômés du supérieur de 654 personnes (+22%). Il convient de proposer une description de leur profil et de prendre cette hausse avec des pincettes.

En premier lieu, le nombre de demandeurs d’emplois diplômés du supérieur a explosé à partir de 2020, au plus fort de la crise COVID. Leur part dans le nombre total de sans-emplois résidents, disponibles inscrits à l’ADEM est passée de 18% en 2018 à 24% en 2020, puis à 25% en 2022, même si pour tous on remarque une baisse des effectifs moyens en 2022. Dans le courant de l’année 2020, la part de 24% concerne surtout les 30 à 44 ans ; par genre, le nombre de femmes a augmenté de 29,3%, contre 13,7% pour les hommes, sur la période observée (2018-2022).

Deuxième élément à considérer : la durée d’inscription à l’ADEM. Selon leurs données, les diplômés du supérieur de toutes les catégories d’âge ont vu leur durée d’inscription augmenter entre 2018 et 2022 ; ce sont surtout les personnes de 30 à 44 ans sans-emploi depuis un an ou plus qui ont connu une hausse marquée. En particulier, il s’avère que les femmes sont surtout plus exposées au chômage de longue durée que les hommes. Par ailleurs, en 2022, une autre catégorie d’âge se démarque pour le chômage de longue durée : les seniors diplômés du supérieur et âgés de 45 ans et plus, avec en moyenne 269 femmes et 282 hommes, soit 551 personnes au total.

Enfin et en troisième lieu, quelques facteurs peuvent d’ores et déjà être identifiés :

–  La population des diplômés du supérieur a augmenté : à première vue, la hausse du nombre de chômeurs diplômés du supérieur peut effrayer, mais il faut mettre cette hausse en parallèle avec celle de la population concernée. En ayant recours à un calcul d’un taux de chômage hypothétique des diplômés du supérieur, en comparant 2018 à 2022, ce taux a baissé. Selon les chiffres d’Eurostat, le nombre de personnes en emploi et diplômées du supérieur a en effet significativement augmenté au Luxembourg, passant de 127 000 personnes en 2018 à 169 000 en 2022. La population active (chômeurs inclus) des diplômés du supérieur a dès lors augmenté de 32,8% entre les 2 années.

–  Un problème d’appariement entre l’offre et la demande sur le marché du travail pourrait aussi expliquer en partie la hausse : d’abord, les types de diplômes recherchés dans les offres d’emploi ne correspondent pas ou très peu aux diplômes dont disposent ces chômeurs ; surtout en 2020, où selon le rapport annuel de l’ADEM, la hausse du nombre de chômeurs diplômés du supérieur aurait été dû à un manque d’opportunités sur le marché du travail, plutôt qu’à des licenciements. Au total il y avait en moyenne à l’ADEM pour les diplômés du supérieur 2,7 fois plus de demandeurs que d’offres d’emploi. Les plus fortes différences se démarquaient pour le commerce (8,3 fois plus de demandeurs), le transport et logistique (7,1 fois plus), et l’HORECA (6,3 fois plus de demandeurs). Ensuite, une autre explication possible serait l’obsolescence des compétences en raison des avancées technologiques et des nouvelles aptitudes demandées par le marché du travail, surtout depuis la mise en place accrue du télétravail en 2020. Surtout, les seniors sont plus souvent confrontés à des difficultés d’adaptation, dans un nouveau monde du travail en pleines mutations digitales.

–  Enfin, les développements de stratégies personnelles de réorientation peuvent également avoir un effet, étant donné la hausse de durée d’inscription à l’ADEM des demandeurs d’emploi diplômés du supérieur entre 30 et 44 ans. Il s’agit souvent de personnes se trouvant au milieu de leur carrière, s’interrogeant sur leur avenir professionnel, qui pourraient avoir recours à une reconversion professionnelle à travers des formations autres que via les mesures de l’ADEM.

Avec l’avancement de la digitalisation et pour pallier le risque d’augmentation du chômage de longue durée, des formations bien ciblées, privées ou publiques, seraient plus que nécessaires pour concilier les connaissances et compétences technologiques demandées, surtout pour les seniors.


[1] Les demandeurs d’emploi diplômés du supérieur, disponibles et résidents ici concernent tous les individus ayant terminé des études supérieures, et qui « à la date du relevé statistique ne sont ni en emploi, ni affectés à une mesure pour l’emploi, ni en congé de maladie ou de maternité », tout en habitant au Luxembourg, selon la définition de l’ADEM.

[2] Voir : Fondation IDEA asbl, Rétrospective Economique 2018-2022, mars 2023.

[3] Données STATEC.

Étude IDEA : Une vision territoriale pour le Luxembourg à long terme – Fir eng kohärent Entwécklung vum Land

Une vision territoriale pour le Luxembourg à long terme

Fir eng kohärent Entwécklung vum Land

Cette étude est le fruit d’un travail multidisciplinaire d’envergure mené par la Fondation IDEA asbl, avec pour objectif de proposer une vision territoriale à long terme pour le Luxembourg.

Les développements démographiques et économiques des dernières décennies, bien qu’ils aient eu d’incontestables retombées positives, ont en effet été systématiquement sous-estimés par les différentes vagues de projections et ont modifié de nombreuses caractéristiques territoriales du pays. Dans les prochaines décennies, les stratégies d’aménagement du territoire (au sens large) et leurs concrétisations joueront un rôle toujours plus crucial pour rendre possible et soutenable le développement socio-économique du Luxembourg.

La présente étude propose ainsi de répondre à certaines questions comme : combien d’habitants, d’emplois et de frontaliers le Luxembourg pourrait-il compter en 2050 dans un scénario de développement « au fil de l’eau » ? Cette croissance est-elle compatible avec les caractéristiques territoriales du pays ? Sous quelles conditions ? Quels seront les changements à opérer en matière d’aménagement du territoire, d’urbanisme, de mobilité, de coopération transfrontalière et quelles réformes seront nécessaires pour y parvenir ?

Consulter en ligne : 

la Synthèse

Partie 1/4 : Etat des lieux : les évolutions territoriales du Luxembourg

Partie 2/4 : Scénario de développement économique et démographique à l’horizon 2050

Partie 3/4 : Scenario de développement territorial dans une perspective de croissance « au fil de l’eau »

Partie 4/4 : Une nécessaire évolution des outils au service de la politique d’aménagement du territoire

 

Auteurs :

Muriel Bouchet, Romain Diederich, Vincent Hein.

Steering Committee :

Nicolas Buck, Michèle Finck, Georges Heinrich, Erna Hennicot-Schoepges, Isabelle Lentz, Rolf Tarrach, Michel Wurth.

Illustration de couverture :

Julien Mpia Massa

Pour télécharger la Synthèse :

Une édition imprimée de l’étude est disponible dans les librairies Ernster:

logo de la librairie Ernster

Décryptage N°26 : Place financière : combien d’emplois ?

© photo : Julien Mpia Massa

Diverses mesures de l’emploi dans le secteur financier circulent, mais elles répondent à des définitions à géométrie (très) variable, ce qui entretient une confusion certaine. Ce décryptage vise à pallier cette lacune. Il part de l’emploi « direct » et y ajoute les effets indirects (jouant par le truchement des différents fournisseurs du secteur financier, voire même les « fournisseurs des fournisseurs ») et induits (opérant par l’intermédiaire de la consommation et des investissements générés par le secteur financier). L’emploi « au sens large », qui intègre ces effets, excéderait en 2021 135 000 postes, soit l’équivalent de 30% des emplois au Grand-Duché.

Télécharger le Décryptage :

Place financière : combien d’emplois ?

Quel Luxembourg à l’horizon 2050 ? Pour une vision territoriale globale

Retrouvez également cet article dans l’édition de novembre/decembre 2022 du magazine Merkur portant sur le Luxembourg du futur.

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Le Luxembourg détonne assurément au sein de l’Union européenne (UE). Il se caractérise par une progression soutenue de sa population résidente, qui atteint près de 2% par an en vitesse de croisière contre 0,2% dans l’ensemble de l’UE, par une croissance économique demeurant envers et contre tout assez appréciable, ainsi que par un emploi toujours extrêmement dynamique en dépit des stigmates de la crise sanitaire et des répercussions du conflit en Ukraine. De 1992 à 2022, le nombre de résidents est passé de 390 000 à 645 000, le PIB en volume a été multiplié par 2,6 et l’emploi par un facteur de 2,5.

IDEA a récemment élaboré, au confluent de la démographie et de l’économie et à côté des projections réalisées par d’autres institutions (le Statec et la Commission européenne, notamment) un outil de simulation à long terme. Un scénario « fil de l’eau » a été développé à partir de cet outil. Il consiste peu ou prou à prolonger d’ici 2050 les tendances précitées de l’activité, de l’emploi et de ses déterminants ainsi que de la productivité, tout en veillant scrupuleusement à la cohérence d’ensemble de ces évolutions. Le tout débouche sur le fameux « Luxembourg à 1 million d’habitants » en 2050, qui compterait plus précisément 1 090 000 résidents avec un franchissement dès 2045 du seuil du million. En 2030 déjà, le Grand-Duché compterait 760 000 habitants contre 645 000 actuellement, à la faveur d’une immigration nette demeurant des plus soutenues. Une telle évolution peut a priori sembler fantaisiste, mais il convient de rappeler que quasiment toutes les projections démographiques effectuées depuis 1950 ont systématiquement et dans une large mesure sous-estimé la population future du Luxembourg, en raison essentiellement d’hypothèses de mortalité et d’immigration s’avérant beaucoup trop mesurées[1].

Toujours dans cette perspective « fil de l’eau » en définitive assez disruptive en termes de résultats, le PIB en volume du Luxembourg serait multiplié par 2,1 de 2022 à 2050, à la faveur d’une croissance moyenne de 2,8% l’an en termes réels. En 2030, il dépasserait déjà son niveau de 2022 à raison de 26%. Toujours dans une optique relevant largement du « prolongement cohérent de courbes », à rebours donc d’une démarche prospective accomplie ou d’un exercice de prévision, le secteur financier verrait sa part dans la valeur ajoutée se réduire quelque peu d’ici 2050 (passant de 27 à 20% environ), même s’il resterait intrinsèquement dynamique. La branche « Information et communication » occuperait quant à elle dans trois décennies une plus grande place qu’actuellement au sein de l’économie luxembourgeoise, de même que les activités de support aux entreprises.

Afin d’alimenter une croissance aussi manifeste de l’activité globale compte tenu d’une productivité peu dynamique (en vertu toujours de cette idée d’un « fil de l’eau », la productivité ayant progressé à la vitesse d’un escargot ou de la procession d’Echternach au cours des trois dernières décennies), les besoins en emplois exploseraient au cours des décennies à venir. Ainsi, l’emploi total requis s’établirait à 620 000 en 2030 et à 955 000 en 2050 (c’est en quelque sorte l’autre « Luxembourg à 1 million »), à comparer à environ 500 000 « seulement » à l’heure actuelle. Cette augmentation de quelque 110 000 postes d’ici 2030 et de 440 000 à l’horizon 2050 serait alimentée tant par l’immigration nette que par une flambée du nombre de frontaliers. Le Luxembourg compterait en effet 290 000 et 500 000 travailleurs non-résidents en 2030 et en 2050, respectivement. Leur nombre s’accroîtrait donc d’environ 280 000 personnes en l’espace de 30 ans, soit bien davantage encore que durant les 30 dernières années (+ 180 000 personnes pour rappel), pourtant caractérisées par l’explosion du phénomène frontalier et ses multiples incidences (souvent positives…) tant sur le Luxembourg que sur les régions limitrophes.

On peut a priori se réjouir d’un tel dynamisme grand-ducal, qui faciliterait (sans nécessairement le garantir, mais c’est une tout autre histoire) le financement du modèle social luxembourgeois en général et de la sécurité sociale en particulier et permettrait plus généralement de maintenir la traditionnelle prospérité luxembourgeoise. Cependant, une telle expansion nécessite la mobilisation de toute une panoplie de politiques d’accompagnement et de petits leviers, devant impérativement constituer un tout cohérent. En l’absence d’une telle démarche d’ensemble, la cohésion sociale et territoriale du Luxembourg sera mise à mal, nos infrastructures de transport seront rapidement saturées voire même complètement dépassées et le Grand-Duché ne sera plus en mesure de loger dans de bonnes conditions et à un prix abordable une population résolument croissante – ce qui ne manquerait pas d’enrayer in fine la croissance. Enfin, l’expansion économique doit s’accompagner du respect d’objectifs environnementaux ambitieux, en termes d’émission de CO2 et d’artificialisation des sols notamment.

Ces derniers mois, IDEA a planché sur une « Vision territoriale » du Luxembourg permettant de mieux concilier ces divers impératifs, de faire en sorte que le Luxembourg maintienne sa prospérité économique et sociale et ce de manière durable en termes de transports, de logements, d’aménagement spatial et en termes de consommation des ressources naturelles (ou autres) ou d’artificialisation des sols. La valeur ajoutée de la Vision ne repose pas tant sur la « prévision du futur » que sur la capacité à fournir des éléments d’analyse concrets sur les conséquences que pourrait avoir la poursuite d’un scénario économique « dynamique » sur ces divers paramètres. Il existe assurément peu d’autres outils permettant de modéliser les interactions complexes entre les dynamiques économiques et démographiques au Luxembourg, pays singulier à nombre d’égards.

IDEA présentera sa « Vision territoriale » au grand public au début de l’année 2023.


[1] Voir par exemple la contribution « Août of the box – La projection démographique, un exercice difficile », par Muriel Bouchet, 30 août 2021, https://www.fondation-idea.lu/2021/08/30/aout-of-the-box-la-projection-demographique-un-exercice-difficile/.

Penser le télétravail transfrontalier

Le développement du télétravail à grande échelle est une tendance qui porte en elle de multiples bouleversements obligeant à le penser de manière globale, en particulier dans le contexte transfrontalier.

Les fameux « seuils » fiscaux sont très régulièrement l’objet de discussions, y compris récemment entre la France et le Luxembourg. Du point de vue des salariés résidant en France et de leurs employeurs luxembourgeois, le seuil des 29 jours ne pose pas tant des problèmes de niveaux d’imposition[1] que des problèmes liés aux modalités de prélèvement de l’impôt, si bien que de nombreux employeurs demandent à leurs salariés de se limiter strictement à ce seuil fiscal[2], qui n’est pourtant pas un plafond strict en théorie. Sur la frontière franco-luxembourgeoise, il est donc surtout dans l’intérêt des salariés et des entreprises que les modalités de prélèvement de l’impôt évoluent, ce qui pourrait être en bonne voie d’après les récents échos de la presse.

Les conditions de prélèvement telles qu’elles ont été établies avec les fiscs belge et allemand ne semblent pas poser les mêmes soucis administratifs (sur le mode de prélèvement), mais le dépassement des seuils pourrait avoir des conséquences sur le niveau d’imposition des revenus des salariés, ce qui tend à renforcer les revendications d’une hausse de ces seuils de « tolérance » des salariés frontaliers. Enfin, au niveau administratif, de nombreux sujets devront être clarifiés dans les mois qui viennent (proratisation du temps partiel, modalités de preuve de présence physique, astreintes, démissions/embauches en cours d’année, etc.). Une fois ces « détails » réglés se posera très vite la limitation liée à la borne européenne de 25% qui conditionne l’affiliation à la sécurité sociale dont le dépassement entraîne des conséquences nettement plus dissuasives. Bien que mise entre parenthèses jusqu’au 31 décembre, il sera nécessaire d’avancer sur la reconnaissance du statut de travailleur frontalier pour y déroger. Le Parlement (… français) a adopté une résolution en ce sens dès 2021. Sur le plan des limitations règlementaires, il ne faudra pas négliger non plus les questions relatives au « risque » d’établissement stable et aux complexités qui pourraient aboutir à l’application du droit du travail du pays de résidence.

Mais derrière ces questions, pourtant cruciales, se posent des enjeux de moyen et long termes bien plus importants encore. Un récent Avis du CES explique que les projections économiques et démographiques luxembourgeoises soulignent la nécessité pour le Grand-Duché de s’investir davantage, pour renforcer l’attractivité et le développement cohérent des régions frontalières en coopérant dans le domaine de l’aménagement du territoire, des infrastructures de mobilité, de la formation des actifs, etc. Il ne servira pas à grand-chose de créer de parfaites conditions de télétravail pour les frontaliers éligibles si la situation en matière de mobilité, de logement et si la qualité de vie au sens large dans la métropole transfrontalière du Luxembourg continue de se dégrader et n’attire pas suffisamment de talents venus d’autres régions. L’essor du télétravail pourra contribuer à certains de ces objectifs, mais il ne sera pas suffisant et il pourrait même créer certains effets ambivalents[3]. Une proposition pour concilier le développement du télétravail et celui du territoire transfrontalier serait que la fiscalité du télétravail qui reviendrait normalement aux Etats des pays voisins soit collectée pour financer des projets de développement transfrontaliers. Cela pourrait être proposé aux autorités des pays voisins en l’échange de leur accord pour relever les seuils de tolérance fiscaux, mais le sujet ne semble pas présent dans les débats actuels, malgré la recommandation du CES. Des précédents de rétrocession fiscale prélevée sur la fiscalité des revenus et fléchés vers les collectivités locales transfrontalières (et non le budget général de l’Etat) existent pourtant déjà, comme dans le Grand Genève où le canton suisse a par exemple versé 295 millions d’euros en 2020[4]. D’après le Canton de Genève, cette somme importante a contribué à financer des projets de mobilité, de valorisation de zones d’activités, de logement social, de véloroutes, de collèges… intégralement situés dans le bassin de vie du Grand Genève. Le développement de ces projets est dans l’intérêt direct et évident des travailleurs frontaliers, de leurs employeurs et du territoire pris dans son ensemble. Une telle situation serait largement plus favorable à l’intérêt du Luxembourg qu’une contribution au budget général des Etats voisins.


[1] Le niveau de fiscalité ne concerne pas l’employeur et une rapide comparaison des barèmes d’imposition des revenus suggère un avantage pour la plupart des salariés à se faire imposer ses revenus en France, bien que ceci doit être analysé en fonction de la configuration des revenus des ménages, très variable.

[2] Voir : https://frontaliers-grandest.eu/pourquoi-votre-employeur-vous-limite-votre-teletravail/.

[3] Pour le Luxembourg, cela pourrait engendrer une perte d’activité dans les services (restaurants, commerce, etc.) en raison de la baisse de la consommation des frontaliers, ainsi que des pertes fiscales potentielles. Pour les régions limitrophes, l’attractivité des emplois luxembourgeois pourrait confronter les entreprises locales à une concurrence accrue en matière de recrutements alors que l’offre de travail est déjà relativement tendue.

[4] 69 millions ont alimenté le budget des collectivités du Département de l’Ain et 226 millions en Haute-Savoie, les Départements reversant ensuite une partie aux Communes concernées par le phénomène frontalier.

Idea recrute un(e) stagiaire

Idea recrute un stagiaire (m/f)

IDEA est un think tank autonome, pluridisciplinaire et ouvert créé à l’initiative de la Chambre de Commerce. IDEA ambitionne de penser un avenir durable pour le Luxembourg, dans le cadre d’une démarche globale s’appuyant sur trois piliers : identifier les grands défis, produire des connaissances et idées nouvelles, alimenter le débat public et y participer. IDEA contribue à l’émergence d’une véritable culture économique et sociale, à rebours de toute inclination à l’approximation en se fondant sur des valeurs de rigueur, d’ouverture, de transparence et d’agilité.

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– Aider nos économistes à rédiger des études, des analyses et des enquêtes économiques, à analyser l’environnement conjoncturel national et international

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– Disposer d’une bonne formation en sciences économiques ou assimilées ou être en voie de finalisation d’un diplôme de ce type

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– Savoir travailler de façon autonome

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Toute candidature sera traitée dans la plus stricte confidentialité.

Edito de la semaine : Vive l’immigration portugaise – viva a imigração portuguesa

En ce jour de fête nationale portugaise, il importe de mettre en évidence l’un des (certes nombreux) domaines où le Luxembourg se distingue des autres pays de l’Union européenne, à savoir l’ampleur de l’immigration en provenance du pays des œillets. Qu’on en juge : en 2021, 94 000 résidents étaient officiellement de nationalité portugaise et environ 10 000 résidents avaient la double nationalité. En d’autres termes, la communauté lusitanienne est forte de quelque 104 000 personnes au Grand-Duché et représente par conséquent 16% de la population totale. Des villes comme Esch-sur-Alzette, Differdange ou Larochette abritent même respectivement 33, 36 et 44% de Portugais.

Il s’agit là d’un cas unique en Europe, qui constitue pour le Luxembourg une véritable aubaine, avec à la clef une fructueuse émulation culturelle voire même historique (le Portugal étant l’une des plus anciennes nations d’Europe), un enrichissement du paysage gastronomique et maintes opportunités d’échanges. La présence portugaise a contribué à conférer au Luxembourg une chaleureuse dimension latine, qui n’allait nullement de soi comme l’atteste un climat assurément peu idyllique. Nombre de bars ou restaurants semblent avoir été directement transplantés de Lisbonne et le vin de Porto continue à nous surprendre par ses douces et subtiles fragrances. Le tout avec un sens du sérieux qui n’est plus à démontrer, dont témoigne par exemple l’excellent déroulement de la visite d’Etat luxembourgeoise au Portugal en mai ou une part de quelque 60% de renouvelable dans le volume total d’énergie produit par le Portugal.

A noter enfin une contribution économique primordiale, avec 55 000 salariés résidents (IGSS, mars 2021), dont 10 400 travailleurs frontaliers de nationalité portugaise contre 3 300 en 2010 – cette explosion s’expliquant notamment par le coût croissant du logement. Soit 12% de la main-d’œuvre salariée et ce compte non tenu des Luxembourgeois d’origine portugaise.

La communauté portugaise mériterait assurément plus d’attention de la part des économistes, sociologues, historiens, en bref de la communauté des sciences humaines. Les études ne manquent pas[1], mais elles gagneraient à être davantage communiquées, débattues et mises en perspective.

Pour conclure : continuons tous ensemble – vamos todos continuar juntos…


[1] Voir notamment https://statistiques.public.lu/fr/publications/series/regards/2018/06-18.html,  https://www.wort.lu/fr/luxembourg/le-luxembourg-reste-une-terre-d-emigration-portugaise-60b0b01fde135b9236942223 et https://www.liser.lu/publi_viewer.cfm?tmp=2662.

Edito de la semaine : De l’inégalité des sexes devant l’éducation

Les femmes, dont le salaire social minimum était au Luxembourg légalement inférieur à celui des hommes jusqu’en 1963, gagnent en moyenne moins que leurs collègues masculins et sont moins souvent à des postes à haute responsabilité. Ce double état de fait est, logiquement, en haut de l’agenda politique et il existe de nombreuses initiatives publiques pour arriver à atteindre une véritable égalité professionnelle entre les genres en lien avec la promesse de l’article 11 de la Constitution du Grand-Duché « l’Etat veille à promouvoir activement l’élimination des entraves pouvant exister en matière d’égalité entre femmes et hommes ».

Si – à l’aune du taux d’emploi, du travail à temps plein et de la rémunération – les hommes ont nettement l’avantage sur le marché du travail, dans le domaine de l’éducation, qui en principe prépare et arme pour la vie professionnelle, les femmes « triomphent » (désormais) systématiquement des hommes. Elles sont ainsi 65% parmi les 30-34 ans à avoir atteint le niveau d’enseignement supérieur contre 58% chez les hommes. Aussi, les garçons redoublent une classe, quittent l’école prématurément et/ou abandonnent l’école plus souvent que les filles qui à l’âge de 15 ans dépassent les élèves masculins de manière significative en compréhension à l’écrit. Par ailleurs, les hommes sont moins susceptibles de participer à la formation des adultes que les femmes.

En somme, le développement de l’enseignement et de la formation de ces dernières décennies a davantage profité aux femmes  – qui avaient un retard à combler en la matière (31% des hommes de plus de 55 ans ont atteint le niveau d’enseignement supérieur contre 24% des femmes de la même classe d’âge) et les hommes sont de plus en plus distancés en termes d’acquis éducatifs qui sont pourtant nécessaires pour affronter les (nombreux) défis d’avenir et saisir les (nombreuses) opportunités qui en découleront.

La stratégie de lutte contre les inégalités dans le système éducatif luxembourgeois qui comporte déjà un important volet égalité des sexes (e.g. actions pour augmenter la participation des filles à des projets liés aux TIC ou intéresser davantage de garçons aux profession socio-éducatives) devra(it), peut-être inclure, davantage encore, cette réalité qui est que les garçons réussissent bien moins dans la vie éducative que le filles… tout en tâchant de surmonter les nombreuses autres difficultés en présence.

Main d’œuvre étrangère qualifiée au Luxembourg : le rôle de la politique d’immigration

Avec plus de 11.000 postes vacants disponibles fin octobre 2021, la problématique du recrutement au Luxembourg est plus que jamais d’actualité. La population résidente ne suffisant pas à combler le manque de main d’œuvre nécessaire depuis longtemps, l’attraction de talents au Grand-Duché reste un enjeu majeur pour le pays. En particulier, la politique d’immigration doit être suffisamment attrayante pour faciliter l’accueil des profils recherchés sur le territoire.

Dans ce cadre, et afin d’appréhender le contexte de l’immigration au Luxembourg d’une main-d’œuvre qualifiée, quelques chiffres concernant la démographie du Grand-Duché ainsi que de son marché du travail méritent d’être mis en avant.

Michel Beine, Professeur d’économie internationale à l’Université du Luxembourg et membre du Conseil Scientifique d’IDEA propose, dans une contribution « Hors-Série », une réflexion sur le rôle de la politique d’immigration luxembourgeoise et la dépendance du Grand-Duché à la présence d’une main d’œuvre qualifiée provenant de l’étranger.

Main d’œuvre étrangère qualifiée au Luxembourg : le rôle de la politique d’immigration

Par Michel Beine, Professeur d’économie internationale à l’Université du Luxembourg et membre du Conseil Scientifique d’IDEA.

Du fait de sa structure de production et compte tenu du dynamisme de son économie, le Luxembourg est fortement dépendant de la présence d’une main-d’œuvre qualifiée et en particulier de travailleurs provenant de l’étranger. De nombreux secteurs dans lesquels l’économie luxembourgeoise s’est spécialisée comme la gestion de fonds, les services financiers aux entreprises ou encore la logistique pour n’en citer que quelques-uns doivent sans cesse recruter des travailleurs aux connaissances pointues pour assurer leur pérennité et leur développement.

Pour télécharger la contribution de Michel Beine :

Main d’oeuvre étrangère qualifiée au Luxembourg : le rôle de la politique d’immigration

Pour télécharger la contribution de Michel Beine :

Main d’œuvre étrangère qualifiée au Luxembourg : le rôle de la politique d’immigration

Le télétravail dans l’espace transfrontalier : une solution miracle ?

Ce mercredi 31 Mars 2021 a eu lieu la visioconférence Quo vadis Grande Région sur le thème: “Le télétravail dans l’espace transfrontalier, une solution miracle ?”, organisée en collaboration avec l’IGR, la SOLEP et la Chambre de Commerce du Luxembourg.

Après un Keenote Speech de Vincent Hein, économiste IDEA, une table ronde a permis de débattre des nombreuses implications du développement du télétravail à l’échelle transfrontalière et de faire le point sur les freins actuels, les opportunités mais aussi les risques qu’il représente. Pour en discuter, étaient présents :

Pierre Cuny, président de la Communauté d’agglomération Portes de France Thionville, maire de Thionville ;

Julien Dauer, coordonnateur Grand Est, responsable du service juridique, Frontaliers Grand Est ;

Marie-Josée Vidal, conseiller de gouvernement 1ère classe, coordinatrice générale, département de l’Aménagement du territoire, Ministère luxembourgeois de l’Energie et de l’Aménagement du territoire ;

Vincent Hein, économiste IDEA.

Retrouvez, ci-dessous, l’intégralité de l’événement  :

Extrait de la présentation introductive :

Pour télécharger la présentation de Vincent Hein :
Le télétravail, solution miracle ?

Tableau de bord économique et social – Novembre 2020

Tenir sur la durée

Après les premiers signes rassurants sur l’économie luxembourgeoise au 2ème trimestre (baisse plus modérée du PIB et de l’emploi que la moyenne européenne) et un été montrant des signes d’une reprise claire (bien que contrastée selon les secteurs), les nouvelles incertitudes provoquées par la deuxième vague de COVID font redouter un coup de frein à cette dynamique de retour « à la normale ».

Les principaux indicateurs économiques de ce Tableau de bord qui portent sur le mois d’octobre ne reflètent pas encore l’impact de cette dernière. Mais l’incertitude se lit à tous les niveaux, aussi bien dans les entreprises que chez les ménages.

Le contraste entre les secteurs continue lui aussi de ressortir. Bien que les estimations d’activité au cours des trois derniers mois affichent à nouveau un solde d’opinions positif dans le secteur du commerce, les perspectives de l’activité économique pour les trois prochains mois reviennent en territoire négatif. L’activité industrielle semble résister dans l’ensemble, avec des fortunes diverses selon les sous-secteurs. L’activité des services non-financiers se redresse, mais les perspectives de la demande se détériorent. L’insuffisance de la demande reste le facteur contraignant le plus mentionné dans cette branche, devant le manque de main d’œuvre. Le produit bancaire des établissements de crédits luxembourgeois continue de progresser, grâce aux commissions et marges sur intérêts. La crise n’a par ailleurs pas eu d’effets visibles sur les faillites d’entreprises à ce stade (nouvel indicateur).

Signes avant-coureurs de l’essoufflement ? Bien que le niveau d’emploi d’avant crise ait été retrouvé cet été, le mois de septembre a vu l’emploi salarié intérieur reculer de 59 postes (-188 frontaliers et +135 résidents). Le gouvernement a accordé un délai supplémentaire aux entreprises pour déposer leurs demandes de chômage partiel pour le mois de novembre. Le nombre de salariés concernés avait augmenté en octobre.

La confiance des consommateurs, encore fragile, s’améliorait légèrement en octobre, mais leurs préoccupations quant à la situation économique générale et l’évolution du chômage au cours des douze prochains mois se détériorent. Ces derniers auraient aussi moins tendance à faire des achats importants.

[Zoom] La future nécessaire restructuration des bilans à la suite de la crise du COVID-19

Après avoir subi un impact négatif sur leurs taux de profitabilité et bilans, les entreprises luxembourgeoises auront nécessairement besoin de liquidités pour financer leur besoin en fonds de roulement lorsque l’activité économique reprendra. Dans le Baromètre de l’Economie du 2ème semestre de la Chambre de Commerce, 42% des entreprises répondantes estiment en effet que le remboursement de la « dette COVID-19 » sera un défi pour leur développement en 2021.

Bien que les banques luxembourgeoises aient une exposition à 15% des crédits octroyés dans « des secteurs directement impactés par la crise contre 22% dans l’UE » (STATEC), il est possible que certaines de ces entreprises ne puissent honorer leurs obligations. L’indicateur des faillites sera alors à surveiller de près.

Pour contrer ce risque, des mécanismes de conversion de dettes financières en capitaux propres pourraient être envisagés pour ne pas pénaliser la reprise économique. Ces nouvelles parts de capitaux propres pourraient ensuite être rachetées progressivement.

Pour télécharger le Tableau de bord économique et social de novembre :

Pour télécharger le Tableau de bord économique et social de novembre :

Quid des incitations fiscales en faveur des « ménages riches » ?

Cette contribution a été réalisée par Muriel Bouchet pour le magazine Forum.lu

« Les incitations fiscales destinées à motiver les personnes très fortunées à s’installer au Luxembourg doivent être abandonnées. Les ménages riches causent d’énormes problèmes à l’économie et à la société dans son ensemble (notamment des distorsions sur le marché de l’immobilier). Leur consommation disproportionnée d’énergie, d’infrastructures et de logements n’est compensée que par de très faibles contreparties fiscales, car ces personnes s’arrangent souvent pour minimiser leurs revenus imposables. »

Le sujet abordé dans le propos ci-dessus est des plus pertinents, tout en étant difficile à cerner à divers égards. Les concepts de « personnes très fortunées » ou de « ménages riches » peuvent en effet recouvrir de multiples réalités bien distinctes. Ainsi, une personne « très fortunée » peut apporter au Luxembourg d’indiscutables talents, des compétences constituant autant de catalyseurs de la croissance économique – avec à la clé in fine d’appréciables retombées sociales (le système de pension, par exemple, dépend intimement de la prospérité économique grand-ducale). A l’inverse, les « personnes très fortunées » voulant s’installer au Luxembourg peuvent être guidées par des préoccupations moins directement productives. Le propos vise sans doute dans une large mesure cette dernière catégorie, qui ne peut cependant être analysée avec précision (notamment ses émissions de CO2 ou son comportement de consommation ou d’investissement), faute de données statistiques suffisamment désagrégées.

L’image d’Epinal de « ménages riches » est tout aussi floue lorsqu’il s’agit de définir concrètement le concept même de richesse. Elle peut en effet s’exprimer en termes de capital social, culturel, financier, de pouvoir politique ou judiciaire, de revenus, etc. Une jeune personne tout juste issue de l’université peut être d’emblée favorisée en termes de revenu, tout en étant totalement démunie sur le plan immobilier (cela peut faire une fameuse différence au Luxembourg de nos jours…) ou financier (le patrimoine financier n’étant au demeurant pas toujours synonyme de plantureux revenus dans un monde où les taux d’intérêt sont plus que réduits). La Comédie humaine de Balzac, « riche » de plus de 2 500 personnages, restitue avec finesse toutes les gradations de la « richesse » avec ses nobles châtelains désargentés, ses jeunes premiers prometteurs « montant à Paris » (avec un grand potentiel, mais aussi un manque endémique d’« argent », qui constitue d’ailleurs l’un des principaux moteurs de l’intrigue balzacienne), le monde politique, la magistrature, la banque, l’économie souterraine ou le commerce. En résumé, le « monde des riches » est difficile à appréhender, car il est aussi composite qu’un fromage d’Emmental.

Des allégations à apprécier avec prudence

Il convient aussi d’examiner à tête reposée diverses allégations souvent entendues à propos des « riches ». Par exemple les distorsions qu’ils occasionneraient sur le marché de l’immobilier, alors qu’à l’évidence les high net worth individuals ne représentent qu’une faible part de la demande de biens immobiliers (ou de l’immigration nette) au Luxembourg, sur un segment bien particulier en prime.

Les « riches » se livreraient par ailleurs à une consommation ostentatoire, avec à la clé tout un florilège de catastrophes environnementales, dont une émission élevée de CO2. Notons tout d’abord que c’est souvent le reproche inverse qui leur est adressé : du fait de leur faible propension à consommer, les plus nantis feraient plutôt obstacle à l’effort de relance économique. Ces messages discordants s’expliquent surtout par la confusion entre la consommation absolue (exprimée en euros par an) et la consommation relative (par unité de revenu), cette confusion valant également en ce qui concerne les émissions de CO2. Ainsi, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques, en France, une personne bénéficiant d’un revenu élevé (premier décile) émet de manière directe et indirecte 40,4 tonnes de CO2 par an, contre 15,2 pour ses concitoyens les moins aisés (dernier décile). Cependant, les mêmes données (jointes à celles de l’Institut national de la statistique et des études économiques sur les revenus disponibles) suggèrent qu’une hausse du revenu de 1 % ne se traduit en moyenne que par une augmentation de 0,37 % des émissions de CO2. Un accroissement du revenu se traduit donc bel et bien par des émissions plus élevées, mais de manière moins que proportionnelle. Le constat final dépend donc intimement de l’indicateur utilisé…

Enfin, l’argument parfois évoqué de faibles contreparties fiscales mérite d’être reconsidéré, comme l’attestent notamment les données publiées par le Conseil économique et social dans sa plus récente analyse des données fiscales au Luxembourg. Ainsi, en 2017, 0,8 % des contribuables ont alimenté les recettes de l’impôt sur le revenu des personnes physiques à hauteur de 50 % (sans prise en compte de la retenue sur les traitements et salaires, certes). Cette situation s’’explique par la progressivité des taux d’imposition, les revenus plus élevés se voyant assortis de prélèvements proportionnellement plus importants.

Des « riches » mis à contribution, mais sans perdre de vue les personnes hautement qualifiées

Que l’on ne s’y méprenne pas : le modèle social luxembourgeois présuppose un système de redistribution développé permettant d’atténuer les « disparités et aspérités » économiques – il y va de la sauvegarde de la cohésion sociale et de la stabilité politique du Grand-Duché. Les personnes les plus favorisées doivent être mises à contribution en fonction de leurs moyens et ce, de manière transparente.

Cependant, un pays comme le Luxembourg, où des services à haute productivité représentent une part considérable de l’économie, ne peut oublier que certaines « personnes à qualification élevée » constituent un facteur de production essentiel. Que ce dernier fasse défaut ou soit en pénurie et c’est tout le potentiel de croissance économique grand-ducal qui marque le pas. D’où la nécessité d’aménager des dispositifs fiscaux, sociaux, administratifs ou réglementaires sur les « talents » utiles à notre économie (en termes de capital intellectuel et de recherche également). Mais ces mesures doivent être correctement ciblées, en d’autres termes il est essentiel que les « talents » en question soient bien identifiés et ne servent pas de paravents à des mesures de « redistribution à l’envers », préjudiciables à l’indispensable cohésion sociale.

Epargne forcée et télétravail : les grains de sable de la relance de l’économie présentielle du Luxembourg

Tandis que le déconfinement graduel se poursuit et bien que des restrictions sanitaires sont toujours possibles (voire probables), le moral et le comportement des consommateurs font partie des indicateurs clés à scruter dès cet été, car ils pourraient avoir un impact sur la reprise économique, en particulier dans les secteurs d’activité les plus affectés par le confinement (hôtellerie, restauration, commerce d’habillement, de biens d’équipements, loisirs, événementiel, etc.) et dans lesquels de nombreuses entreprises se trouvent aujourd’hui sur le fil du rasoir. Si les dépenses de consommation finale des ménages pèsent moins dans l’économie luxembourgeoise qu’ailleurs (28% du PIB contre 52% dans la zone euro), il n’en demeure pas moins qu’elles s’adressent à tout un pan de l’économie locale déjà fortement éprouvé par les décisions de fermetures de ce printemps.

Comme ailleurs, l’économie du pays n’a pas été frappée de manière homogène par les mesures sanitaires. Au plus fort du confinement, le STATEC estimait par exemple la baisse de l’activité à 90% dans le secteur de l’Horeca et à 10% dans celui des activités financières.

Les « deux Luxembourg »

Il ne faut certes pas se cacher du fait que la profondeur de la récession au Luxembourg dépendra davantage de l’évolution de la demande extérieure (principalement européenne) en services financiers et en biens manufacturés que de l’évolution de la demande intérieure. Sur ces deux pôles économiques qui dépendent de la dynamique « étrangère », les mesures de soutien à l’économie du gouvernement changeront probablement moins la donne que les mesures monétaires et budgétaires prises à l’échelle européenne. A ce stade, le Tableau de bord économique et social d’IDEA montre que la place financière, qui reste de loin le principal moteur du pays, semble plutôt épargnée par les effets économiques de la crise sanitaire, bien que les annonces de restructurations dans le secteur bancaire se poursuivent. Le secteur industriel était entré dans une phase de ralentissement avant l’apparition de la COVID-19, mais regagne (timidement) quelques couleurs. Le secteur de la construction semble quant à lui davantage souffrir de délais de livraisons rallongés que d’une chute des carnets de commande.

En revanche, certains aspects ne doivent pas être négligés sur l’importance de maintenir à flot les secteurs d’activité présentiels qui dépendent davantage de la demande intérieure et pour lesquels le gouvernement a un rôle à jouer. Ce n’est certes pas « grâce à eux » que le PIB par habitant du Luxembourg est 3,3 fois plus important que la moyenne européenne, mais il s’agit de branches souvent constituées d’entreprises de taille modeste qui font vivre de nombreux travailleurs indépendants (parfois endettés sur leurs deniers personnels), qui emploient des salariés moins diplômés. Ils contribuent à un maillage économique très fin du territoire national, contribuant à l’image et à la qualité de vie des quartiers et communes dans lesquels ils sont présents. Bref, ils représentent une économie « palpable », « visible » à tout un chacun, dont on peut mesurer l’importance à l’émotion provoquée dès lors que les pancartes « local commercial à louer » apparaissent dans certains quartiers.

« Déconfiner » l’épargne forcée 

Au-delà des craintes (sérieuses) qui demeurent sur la circulation du virus et des mesures de stabilisation du gouvernement qui continuent à jouer leur rôle d’amortisseur, le plan de relance de l’économie présentielle du pays ne saurait se baser uniquement sur un appel de fonds publics, il passera aussi et surtout par une mobilisation des consommateurs eux-mêmes.

D’après l’enquête mensuelle réalisée par la Banque Centrale du Luxembourg, l’indicateur de confiance des consommateurs a marqué un net redressement au mois de juin, avec en particulier un retour progressif de l’intérêt à faire des achats importants, qui avait logiquement chuté pendant le confinement. Mais les ménages continuent de juger que l’épargne est opportune par les temps qui courent. Les niveaux de rémunération relativement élevés et l’importance du poste « logement » au Luxembourg peuvent en partie expliquer, voire légitimer, cette opinion qui varie finalement assez peu dans les enquêtes, quel que soit le climat économique et social.

Ce printemps, le confinement a eu un impact très concret sur le budget des ménages : en limitant leurs possibilités de consommer, il les a forcés à épargner. Dans les banques luxembourgeoises, les dépôts à vue des ménages résidant au Luxembourg ont augmenté de 1,4 milliard d’euros entre mars et mai, soit 850 millions de plus « que la normale », si l’on considère la tendance moyenne constatée sur les 12 mois précédant le confinement. Une donnée certes imparfaite, mais qui semble en phase avec l’estimation du STATEC « d’une épargne supplémentaire contrainte d’environ 1Mia EUR qui s’accumulerait en 2020 »[1].

A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ?

Transformer le regain de moral des consommateurs en actes, afin qu’ils décident de dépenser ces 850 millions d’euros plutôt que de les épargner par précaution devra donc être un objectif de la politique de relance économique du gouvernement.

Des mesures incitatives sont déjà prises dans ce sens comme le bon d’achat de 50 euros pour les clients de l’hôtellerie ou encore les multiples initiatives prises par les communes pour faire revenir des clients dans les commerces. Les données disponibles montrent que la propension à consommer des ménages est inversement proportionnelle à leur revenu (plus on gagne, plus on épargne… et inversement). Des mesures temporaires pourraient dès lors être prises en fonction du niveau de vie des ménages comme verser du « cash » aux ménages les plus précaires (qui vont le consommer) et transformer une partie des salaires les plus élevés en bons de consommation. Une manière de procéder pourrait être de mettre en place un impôt de crise temporaire sur les hauts revenus et de le rétrocéder sans délai en bons de consommation ayant une durée limitée.

Une autre idée serait de raccourcir temporairement la durée de validité des chèques repas et de limiter leur usage à la seule consommation dans les restaurants (y compris pour la vente à emporter, voire la petite épicerie qui pourrait être un autre bon relais de développement pour le secteur en cas de poursuite de l’épidémie), la grande distribution ayant été relativement épargnée par la crise[2].

Le télétravail, un grain de sable

Un autre sujet qui va rapidement émerger est celui de l’impact du télétravail sur l’activité du commerce, des services à la personne et de la restauration dans les quartiers d’affaires ou administratifs du pays. En effet, la concentration des emplois tertiaires pour lesquels le télétravail est possible (et massivement pratiqué depuis mars) au sein de quelques espaces très spécialisés est un autre élément discriminant pour la fortune économique des activités présentielles. Une généralisation du travail à distance, même un jour par semaine, pourrait redistribuer les cartes de ce secteur, transférant de l’activité dans les zones résidentielles (au Luxembourg et dans la Grande Région), voire détruisant une partie de la valeur ajoutée (cuisine à la maison, repassage des chemises, etc.).

Si une mutation de ce type peut être indolore économiquement, voire salutaire car répondant à une aspiration sociétale et redynamisant les « cités dortoirs », cela n’est possible que lorsqu’elle s’opère sur des longues périodes et qu’elle est accompagnée par des politiques publiques et des décisions d’entrepreneurs capables d’anticiper et d’accompagner le changement. Mais il n’en n’est strictement rien dans la situation actuelle. Le changement a été brutal et le risque de transformer la récession en dépression si des « clusters » de faillites en cascades apparaissaient est grand. Cela doit nous inviter à mettre entre parenthèses les enseignements de Schumpeter sur les bienfaits de la destruction créatrice[3]. Dans cette situation, la seule intervention qui pourrait en théorie inciter à la relance par les consommateurs serait de limiter le télétravail, mais elle apparait comme hasardeuse, voire dangereuse, à mettre en œuvre dans la situation sanitaire actuelle. Des mesures de soutien aux entreprises adaptées et ciblées devront vraisemblablement encore être imaginées pour ces cas précis.

 

Photo by Ibrahim Rifath on Unsplash

 


[1] STATEC, Note de conjoncture 1-2020, juin 2020.

[2] Sarah Mellouet, Fondation IDEA, Durcir les conditions d’utilisation des chèques repas pour soutenir le secteur de l’HORECA ? juin 2020.

[3] Michel-Edouard Ruben, Fondation IDEA, Soutenir autant que possible, sauver autant que nécessaire ! Décryptage N°11, juin 2020.

C’est graphe docteur ? L’évolution de l’emploi depuis le début du mandat de Donald Trump: du podium aux abysses

Dans notre Avis annuel 2020, publié avant la déflagration sanitaro-économique née de la pandémie mondiale de Covid-19, nous vous proposions le graphique suivant :

Graphique : créations moyennes mensuelles d’emplois « par Président » de 1945 à janvier 2020, en milliers  

Source : FRED St Louis

En février 2020, force était de constater que depuis le début du mandat de Donald Trump, la « job machine » américaine avait tourné à plein régime avec plus de 6,8 millions d’emplois créés. Sans atteindre les records de certains de ses prédécesseurs, Donald Trump s’imposait tout de même comme le président républicain « le plus riche en emplois », derrière Ronald Reagan durant son second mandat. Ce dynamisme apparaissait alors comme l’un des piliers de l’ « America’s extraordinary economy », tant mise en avant par son Président.

Mais la crise de la Covid-19 a éclaté, sans épargner les Etats-Unis, et réduit – pour l’heure – à néant les efforts de communication des autorités sur le bilan de l’emploi. Ainsi, la création moyenne d’emplois par mois du Président Trump est passée de +183.000 à -193.000, du jamais vu dans l’histoire américaine post-seconde Guerre Mondiale. Ce lourd tribut résulte de la destruction de plus de 20 000 000 d’emplois en avril.

Graphique : créations moyennes mensuelles d’emplois « par Président » de 1945 à mai 2020, en milliers  

Source : FRED St Louis

On constate, depuis lors, un rebond massif avec la création inédite de respectivement 2,7 millions et 4,8 millions d’emplois en mai et juin 2020, qui a permis au Président d’invoquer « le plus grand come-back de l’histoire américaine ». Ce dynamisme a notamment concerné les secteurs des loisirs et de l’horeca (2/5 des créations), du commerce de détail, des services d’éducation et de santé, de l’industrie manufacturière ou de la construction. Mais ces créations n’ont pas (encore) suffi à combler des destructions qui pourraient s’avérer définitives (faillites, baisse de productivité sous le coup des mesures de prévention etc.). Ainsi, en juin, le nombre d’emplois total était inférieur de près de 15 millions à son niveau de février. Le mandat de Donald Trump n’est pas terminé et la flexibilité du marché du travail américain pourrait jouer « en sa faveur ». Cela suppose toutefois une évolution favorable de l’épidémie à (très) court terme, ce qui semble loin d’être acquis[1].

 


[1] https://coronavirus.jhu.edu/us-map

Tableau de bord économique et social – juillet 2020

Entre sortie du brouillard et vents contraires

Les indicateurs de ce Tableau de bord dessinent un tableau très contrasté de la situation économique et sociale en ce début d’été.

Les dernières prévisions du STATEC tablent sur une récession de 6,0% en 2020, suivie d’une croissance de 7,0% en 2021. La Commission européenne, qui vient de mettre à jour ses prévisions, projette de son côté un recul du PIB de 6,2% cette année, suivi d’un rebond plus modeste en 2021 (+5,4%). Au premier trimestre, le PIB se serait replié de 0,2% par rapport au premier trimestre 2019 d’après la première estimation du STATEC.

Si la reprise économique est encore difficile à qualifier et si le retour à la normale risque d’être long, certains indicateurs montrent tout de même des signes encourageants. Sur le marché du travail tout d’abord : alors qu’en mars et avril, le pays avait vu 8.900 emplois salariés détruits, le retour des créations d’emplois en mai, avec un niveau non-négligeable (+4.500 postes), est une bonne nouvelle. L’envolée du nombre de demandeurs d’emplois a été stoppée (-0,2% entre avril et mai) et le taux de chômage s’est stabilisé à 7%. Le déconfinement a également été propice au moral des consommateurs qui se redresse sensiblement en juin. La bonne tenue des marchés financiers a permis aux actifs des fonds de la place financière de poursuivre leur ascension. Enfin, la plupart des enquêtes sectorielles montre une amélioration des soldes d’opinion des entreprises quant à leur niveau d’activité, bien qu’ils restent en territoire négatif.

Mais des vents contraires peuvent encore souffler sur cette dynamique. La confiance en l’avenir pour les consommateurs et les investisseurs, l’absence de salariés (toujours en télétravail) pour les restaurateurs et les commerces, et bien sûr le virus, qui continue à circuler, et qui reste le premier risque…

En outre, le caractère « asymétrique » des conséquences de cette crise est de plus en plus visible, entre les secteurs, leurs salariés, mais aussi entre les pays et régions de l’UE.

Pour la reprise, il reste donc encore à transformer l’essai. Et, plus que jamais, à rester attentif à tous les signaux qui obligeraient des interventions publiques sur mesure et aussi fortes que nécessaires.

Pour télécharger le Tableau de bord économique et social

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