Pour (r)ouvrir le débat

© photo : Julien Mpia Massa

A la question « Quel est selon vous le nombre maximal de logements pouvant être construits par an au Luxembourg ? » :

Max Leners (pour le LSAP) a répondu « Aux alentours de 3.500 » ;

Marc Lies (pour le CSV) a répondu « On a la possibilité de construire 5.000 logements » ;

Semiray Ahmedova (pour déi Gréng) a répondu « Nous avons une capacité maximale qui est probablement atteinte mais qui peut, peut-être, être encore améliorée un tout petit peu » ;

Lou Linster (pour le DP) a répondu « Il faudrait arriver à moyen terme à 5 voire 6.000 ».

Il ressort de ces différentes réponses émanant de spécialistes logement des principaux partis représentés à la Chambre des Députés qu’il est considéré que, dans le meilleur des cas, jusqu’à 5.000 logements/an pourraient être achevés au Luxembourg. Or, les principales projections démographiques indiquent que la population devrait (continuer à) croître de l’ordre de 7.000 ménages/an dans un horizon prévisible.

La politique du logement ne devant pas être guidée par les cycles du marché immobilier mais par les défis qui se poseront à moyen terme, que (faudra-t-il) faire pour – significativement – augmenter la capacité maximale de production de logements ou réduire les perspectives d’immigration dans le pays s’avère par conséquent être une question qui devra(it) être tranchée dans le programme de coalition ; car à l’exception notable de ceux qui parviennent à demeurer indifférents face à d’évidents problèmes de dissonance cognitive, nul ne peut considérer comme non-problématique un écart persistant entre le nombre de logements (pouvant être) construits et le nombre de ménages (devant être) logés.

La démocratie de propriétaires est en grand danger

© photo : Julien Mpia Massa

Le Grand-Duché de Luxembourg est ce qu’il convient d’appeler une « démocratie de propriétaires ». Faire l’acquisition de sa résidence principale y est devenu un marqueur social déterminant du sentiment de pleine et entière appartenance à la « classe moyenne ». Dès lors, tout résident du pays qui estime faire partie de la classe moyenne a une pierre dans le ventre et s’il n’est pas encore propriétaire aspire – tout rationnellement – à le devenir au même titre que ses parents, ses amis, ses collègues de bureau, etc.

Mais alors que près de 70% des ménages sont propriétaires (47% des familles monoparentales, 56% des ménages unipersonnels, 80% des Luxembourgeois, 50% des résidents étrangers), la proportion parmi les nouveaux ménages de la classe moyenne (immigrés, expatriés, jeunes désireux de quitter le domicile familial, Luxembourgeois retournant dans leur pays après avoir fait des études à l’étranger, divorcés) en capacité de rejoindre les rangs de la démocratie de propriétaires s’avère relativement restreinte dans les conditions (prix immobiliers, taux d’intérêt, revenus des ménages, aides fiscales) actuelles.

Ainsi, un couple avec le projet de fonder une famille avec enfant souhaitant faire l’acquisition d’un logement disposant de deux chambres devra(it) débourser en moyenne 700.000 euros. Avec 10% d’apport, un crédit contracté sur 25 ans à 5% et en fixant le taux d’effort du couple à 40%, il lui faudra disposer d’au moins 110.000 euros de revenus nets par an ; or moins de 25% des ménages imposés collectivement sont dans cette situation.

Contraint de devenir un territoire sensiblement plus locatif que par le passé récent -alors que le logement demeure l’investissement rêvé de la classe moyenne et que la démocratisation du propriétariat va de pair avec certains avantages socio-économiques non-négligeables-, le Grand-Duché, où il est projeté une croissance démographique soutenue, risque de devoir affronter de nombreux nouveaux défis liés à l’offre de logements en direction de sa classe moyenne ; puisqu’à chaque locataire devra correspondre un bailleur, disposer d’investisseurs locatifs en nombre suffisant sera(it) l’un d’entre eux. Trois éléments ont de quoi inquiéter à cet égard :

1. Le rendement locatif apparent (loyers demandés / prix immobiliers affichés) ne s’élevait qu’à 3,5% au 2ème trimestre 2023 ;

2. Au premier semestre 2023, les ventes en état futur d’achèvement à des investisseurs locatifs ont reculé de 70% par rapport au 1er semestre 2022 ;

3. D’après un relevé de l’Observatoire de l’habitat, le nombre de logements existants proposés à la location s’inscrit en retrait et était 30% inférieur au deuxième trimestre 2023 par rapport à son niveau du premier trimestre 2021.

Bref, en plus de parvenir à donner un nouvel élan à l’activité de construction résidentielle, les Ministres (des finances, de l’intérieur, du logement, de l’attractivité) qui façonnent la politique du logement auront la lourde tâche de préserver la démocratie de propriétaires ou d’acter sa fin ! Bonne volonté, bon courage et bonne chance à eux car assurément il leur en faudra – beaucoup – des trois.

« Août of the box » : De la surchauffe des prix immobiliers luxembourgeois

Ce blog est issu de la série « Août of the box », réalisé en partenariat avec Paperjam

Depuis 2019, les prix immobiliers luxembourgeois croissent à un rythme à 2 chiffres et la hausse a même dépassé les 15% ! En d’autres termes, si la tendance se poursuivait, les prix feraient plus que doubler tous les 5 ans. Alors que les fondamentaux économiques structurels (croissance, démographie, emploi, revenus, loyers, etc.) du pays n’ont pas vraiment changé, cette accélération soudaine et a fortiori insoutenable des prix intrigue et conduit à se demander si le Luxembourg ne couverait pas une bulle immobilière.

Graphique : Evolution des prix trimestriels annualisés du marché résidentiel luxembourgeois, du 1er trimestre 2008 au 1er trimestre 2021

Source : Eurostat

Il n’est pas inhabituel d’entendre que les prix des logements luxembourgeois « seraient justifiés et ne pourraient que monter à terme », avec pour cause toute trouvée le déséquilibre entre l’offre et la demande qui résulte de la croissance économique, du solde migratoire soutenu, des incitations fiscales, du déficit de foncier disponible, des taux d’intérêt bas, de la demande latente provenant des travailleurs frontaliers et même de la solvabilité du pays avec son triple A. Toutefois, même de solides fondamentaux économiques n’impliquent pas une disparition brutale du risque et ne peuvent a priori justifier des progressions de prix qui ont soudainement doublé voire triplé. Dès lors, cette croyance dominante et largement relayée, de façon quasiment virale, mérite une attention particulière. Elle pourrait résulter d’une certaine irrationalité.

Importante hausse de l’endettement privé et des encours de prêts hypothécaires par rapport au PIB, allongement de la durée des prêts, hausse importante et accélérée des prix des logements et des terrains, déconnexion du prix réel des logements avec les salaires réels et les loyers réels, hausse notable du coût de remplacement, achats des primo-accédants par peur de ne plus jamais pouvoir accéder au marché, comportements spéculatifs, mises en garde par le Conseil européen du risque systémique, rapports de la Commission européenne, du FMI, de la BCE et BCL qui concluaient déjà à des surévaluations avant même les fortes progressions récentes des prix… sont autant de signaux économiques qui illustrent le risque d’une importante surchauffe des prix des logements au Grand-Duché. D’un point de vue de la soutenabilité de la demande, un rapport du FMI datant de 2019 soulignait déjà l’extrême fragilité financière de 32% des ménages, qui avaient un ratio service de la dette sur revenu supérieur à 45%. Avec une moitié des prêts hypothécaires à taux variable dans les nouveaux prêts, certains ménages étaient déjà vulnérables face à un relèvement des taux d’intérêt.

D’aucuns diront que les marchés immobiliers réagissent principalement aux conditions d’offre et de demande. Toutefois, les particularités de l’immobilier sont telles que ce marché comporte des biais cognitifs, qu’il est illiquide et inclut des coûts de transaction élevés, une non-transparence des informations, une importante hétérogénéité des biens et une impossibilité d’échanger des parts de ces actifs. Il est aussi composé d’un grand nombre de participants non-professionnels qui peuvent être conduits par des motivations qui sont d’ordre financières, personnelles ou émotionnelles. Dès lors, les prix des logements peuvent avoir tendance à dévier de leurs fondamentaux. C’est très probablement ce qui est en train de se passer au Luxembourg.