Avis annuel 2024 : Le Luxembourg au rAAAlenti !

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© photo : Julien Mpia Massa

Alors qu’il est désormais possible d’affirmer que l’économie luxembourgeoise a bien résisté aux soubresauts inédits de la pandémie de COVID et à ses multiples vagues, le nouveau cycle qui s’est ouvert depuis 2022 avec la guerre en Ukraine, apparaît au fil des bulletins économiques comme un épisode plus difficile à encaisser. Une bonne surprise n’est pas à exclure pour 2024, mais les constats analysés dans ce 10ème Avis annuel d’IDEA confirment que le nouveau gouvernement s’installe dans une séquence où se cumulent ralentissement, incertitudes dans le contexte de « polycrise » et défis à relever (voire attentes à satisfaire) sous de multiples contraintes, luxembourgeoises comme internationales.

L’Avis annuel 2024 d’IDEA propose un tour d’horizon des principales évolutions économiques mondiales, européennes, américaines et chinoises. Il analyse, en outre, la situation socio-économique luxembourgeoise avec un passage en revue des paramètres clés de l’activité économique, du marché du travail et des finances publiques du pays. Sont aussi présentés les résultats du consensus économique d’IDEA, réalisé en février 2024, ayant permis de prendre le pouls de 120 décideurs économiques et partenaires sociaux au Luxembourg.

Enfin, trois contributions thématiques proposent une analyse des disparités territoriales en matière de capacité d’achat immobilier, de nouvelles bourses d’études pour former davantage de talents de la diversification économique ainsi qu’une étude du dispositif de « job rotation » danois qui pourrait utilement intégrer les politiques de l’emploi au Luxembourg.

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L’Avis annuel 2024 d’IDEA propose un tour d’horizon des principales évolutions économiques mondiales, européennes, américaines et chinoises. Il analyse, en outre, la situation socio-économique luxembourgeoise avec un passage en revue des paramètres clés de l’activité économique, du marché du travail et des finances publiques du pays. Sont aussi présentés les résultats du consensus économique d’IDEA, réalisé en février 2024, ayant permis de prendre le pouls de 120 décideurs économiques et partenaires sociaux au Luxembourg.

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conférence de presse du 21 mars 2024

Objectif 6000

© photo : Julien Mpia Massa

Selon des propos tenus par le premier ministre à la suite du récent logementsdësch : « le pays a besoin de construire annuellement 6.000 logements pour loger convenablement les quelque 12.000 nouveaux habitants qui s’y installent tous les ans » ; il est dès lors permis de dire qu’il s’agit là d’un nouvel objectif officiel de la politique luxembourgeoise du logement.

Concrètement, achever 6.000 logements par an suppose d’augmenter le rythme de construction annuelle de près de 65% par rapport à la période 2014 et 2020 (3.682 logements achevés par an en moyenne).

Sources : STATEC, OCDE

Au moins deux séries de contraintes concourent à rendre cette tâche particulièrement difficile.

Il y a d’un côté des contraintes matérielles : le manque de main-d’œuvre qualifiée, le manque de demande solvable aux prix et taux d’intérêt actuels, l’obligation de respecter des normes (minimales) de sécurité et d’urbanisme, la problématique des gravats et des décharges, etc.

De l’autre, il y a des contraintes sentimentalo-politico-légales : le Not in my backyardisme d’une partie importante de la population qui estime avoir payé très cher un cadre de vie et une (promesse) de faible densité, l’autonomie communale et le pouvoir des bourgmestres en matière d’autorisation de construire[1], les engagements luxembourgeois de préservation de l’environnement, l’attachement des résidents au caractère « champêtre » de certains lieux, la probable opposition des architectes contre une industrialisation/uniformisation poussée de la construction de logements qui permettrait de construire plus rapidement mais leur enlèverait des degrés de liberté en matière de créativité, la probable opposition des constructeurs, artisans et syndicats locaux contre le recours croissant aux entreprises étrangères de construction et/ou aux préfabrications importées, la probable opposition des protecteurs de la nature attachés à la réduction de l’artificialisation du sol en cas de velléités d’édification de nouvelles villes sur des terrains actuellement non-constructibles, l’attachement à la sacralisation de la propriété privée, l’« excuse » des terrains conservés pour ses futurs petits enfants, etc.

Les embûches sur la route vers l’ambitieux objectif de 6.000 logements étant légion, certains concluront qu’il est hors d’atteinte ! L’avenir dira s’ils auront eu raison de douter. Ce qui est cependant d’ores et déjà certain, c’est que le Grand-Duché est l’un des rares pays de l’UE où le stock de logements par habitant a reculé sur la dernière décennie et qu’un pays ne peut afficher dans la durée un nombre de logements construits annuellement inférieur au nombre de ménages supplémentaires ! Autrement dit, si le Luxembourg ne parvient à devenir cet État (sur)bâtisseur qu’il envisage d’être, la croissance démographique devra(it), en toute cohérence, ralentir ou le sans-abrisme et le mal-logement gagner significativement en importance !


[1] Pour rappel : « Sur l’ensemble du territoire communal, toute réalisation, transformation, changement du mode d’affectation, ou démolition d’une construction, ainsi que les travaux de remblais et de déblais sont soumis à l’autorisation du bourgmestre ».

Pour (r)ouvrir le débat

© photo : Julien Mpia Massa

A la question « Quel est selon vous le nombre maximal de logements pouvant être construits par an au Luxembourg ? » :

Max Leners (pour le LSAP) a répondu « Aux alentours de 3.500 » ;

Marc Lies (pour le CSV) a répondu « On a la possibilité de construire 5.000 logements » ;

Semiray Ahmedova (pour déi Gréng) a répondu « Nous avons une capacité maximale qui est probablement atteinte mais qui peut, peut-être, être encore améliorée un tout petit peu » ;

Lou Linster (pour le DP) a répondu « Il faudrait arriver à moyen terme à 5 voire 6.000 ».

Il ressort de ces différentes réponses émanant de spécialistes logement des principaux partis représentés à la Chambre des Députés qu’il est considéré que, dans le meilleur des cas, jusqu’à 5.000 logements/an pourraient être achevés au Luxembourg. Or, les principales projections démographiques indiquent que la population devrait (continuer à) croître de l’ordre de 7.000 ménages/an dans un horizon prévisible.

La politique du logement ne devant pas être guidée par les cycles du marché immobilier mais par les défis qui se poseront à moyen terme, que (faudra-t-il) faire pour – significativement – augmenter la capacité maximale de production de logements ou réduire les perspectives d’immigration dans le pays s’avère par conséquent être une question qui devra(it) être tranchée dans le programme de coalition ; car à l’exception notable de ceux qui parviennent à demeurer indifférents face à d’évidents problèmes de dissonance cognitive, nul ne peut considérer comme non-problématique un écart persistant entre le nombre de logements (pouvant être) construits et le nombre de ménages (devant être) logés.

La démocratie de propriétaires est en grand danger

© photo : Julien Mpia Massa

Le Grand-Duché de Luxembourg est ce qu’il convient d’appeler une « démocratie de propriétaires ». Faire l’acquisition de sa résidence principale y est devenu un marqueur social déterminant du sentiment de pleine et entière appartenance à la « classe moyenne ». Dès lors, tout résident du pays qui estime faire partie de la classe moyenne a une pierre dans le ventre et s’il n’est pas encore propriétaire aspire – tout rationnellement – à le devenir au même titre que ses parents, ses amis, ses collègues de bureau, etc.

Mais alors que près de 70% des ménages sont propriétaires (47% des familles monoparentales, 56% des ménages unipersonnels, 80% des Luxembourgeois, 50% des résidents étrangers), la proportion parmi les nouveaux ménages de la classe moyenne (immigrés, expatriés, jeunes désireux de quitter le domicile familial, Luxembourgeois retournant dans leur pays après avoir fait des études à l’étranger, divorcés) en capacité de rejoindre les rangs de la démocratie de propriétaires s’avère relativement restreinte dans les conditions (prix immobiliers, taux d’intérêt, revenus des ménages, aides fiscales) actuelles.

Ainsi, un couple avec le projet de fonder une famille avec enfant souhaitant faire l’acquisition d’un logement disposant de deux chambres devra(it) débourser en moyenne 700.000 euros. Avec 10% d’apport, un crédit contracté sur 25 ans à 5% et en fixant le taux d’effort du couple à 40%, il lui faudra disposer d’au moins 110.000 euros de revenus nets par an ; or moins de 25% des ménages imposés collectivement sont dans cette situation.

Contraint de devenir un territoire sensiblement plus locatif que par le passé récent -alors que le logement demeure l’investissement rêvé de la classe moyenne et que la démocratisation du propriétariat va de pair avec certains avantages socio-économiques non-négligeables-, le Grand-Duché, où il est projeté une croissance démographique soutenue, risque de devoir affronter de nombreux nouveaux défis liés à l’offre de logements en direction de sa classe moyenne ; puisqu’à chaque locataire devra correspondre un bailleur, disposer d’investisseurs locatifs en nombre suffisant sera(it) l’un d’entre eux. Trois éléments ont de quoi inquiéter à cet égard :

1. Le rendement locatif apparent (loyers demandés / prix immobiliers affichés) ne s’élevait qu’à 3,5% au 2ème trimestre 2023 ;

2. Au premier semestre 2023, les ventes en état futur d’achèvement à des investisseurs locatifs ont reculé de 70% par rapport au 1er semestre 2022 ;

3. D’après un relevé de l’Observatoire de l’habitat, le nombre de logements existants proposés à la location s’inscrit en retrait et était 30% inférieur au deuxième trimestre 2023 par rapport à son niveau du premier trimestre 2021.

Bref, en plus de parvenir à donner un nouvel élan à l’activité de construction résidentielle, les Ministres (des finances, de l’intérieur, du logement, de l’attractivité) qui façonnent la politique du logement auront la lourde tâche de préserver la démocratie de propriétaires ou d’acter sa fin ! Bonne volonté, bon courage et bonne chance à eux car assurément il leur en faudra – beaucoup – des trois.

Avis Annuel 2022 : “D’une crise à l’autre “

Après un tour d’horizon de la conjoncture économique internationale et luxembourgeoise, l’Avis annuel 2022 de la Fondation IDEA aborde la situation économique mondiale et dans les trois principaux blocs économiques (zone euro, Chine, États-Unis), dans l’ombre de la crise sanitaire et de la tension géopolitique ambiante. Il interroge les principaux impacts de la juxtaposition des crises sur le Luxembourg et les orientations socio-économiques à privilégier dans un tel environnement. Le document présente également les résultats du Consensus économique d’IDEA réalisé entre le 9 et le 18 mars 2022, ayant permis de prendre le pouls de près de 120 responsables économiques et partenaires sociaux au Luxembourg.

Synthèse de l’Avis annuel 2022

C’est dans un contexte pour le moins particulier que paraît l’Avis Annuel 2022 d’IDEA, le monde étant toujours englué dans une lancinante crise sanitaire porteuse de lourdes retombées non seulement d’un point de vue économique, mais également sociétal (culture, psychologie, éducation, etc.). En outre la guerre sévit à nouveau sur le continent européen – avec d’ores et déjà un terrible bilan en termes de vies humaines. Cet environnement pour le moins évolutif ne peut qu’inciter tout observateur à la plus grande prudence. Ce rapport prétend fournir à ses lecteurs des outils d’analyse performants, mais nullement un « prêt à penser », et encore moins des prévisions vouées à être dépassées avant même que leur encre ne sèche. Il donne une photographie des économies mondiale, européenne et luxembourgeoise telles qu’elles se situaient au début de l’année 2022 et met en avant quelques défis majeurs qui ne disparaîtront vraisemblablement pas à court terme.

L’économie mondiale a accusé le coup en 2020, avec une diminution de son PIB en volume de 3,1%. Un effet de rebond de l’ordre de 6% est certes survenu en 2021, mais le « trou » d’air par rapport à la tendance antérieure à la crise est clairement perceptible. Divers risques continuent encore à peser sur l’économie mondiale, à savoir (c’est une liste non limitative…) l’émergence de nouveaux variants du COVID, l’explosion des prix de l’énergie et des matières premières, l’accentuation des tensions sociales et (géo)politiques ou encore l’accélération d’événements climatiques graves.

Aux Etats-Unis, l’effet de rebond a été manifeste en 2021 (+5,5% pour le PIB réel), à la faveur notamment de plans de relance ambitieux (mais amoindris par les dissensions politiques). Une question essentielle à l’heure actuelle est la stratégie de sortie de crise face à la résurgence de l’inflation. La Réserve Fédérale a récemment annoncé une « normalisation » de sa politique monétaire.

En Chine, le PIB en volume a augmenté de plus de 8% en 2021, au-delà des 6% visés par le Gouvernement. Le second semestre a cependant été obscurci par les difficultés du secteur immobilier et par la rupture de certaines chaînes de valeur. Des mesures « structurelles » ont été adoptées, à savoir la politique de « trois enfants » et les initiatives en faveur d’une monnaie digitale centralisée.

Autre acteur majeur, la zone euro semble pour sa part avoir perçu la nécessité de revoir en profondeur sa gouvernance, en ce qui concerne notamment le Pacte de Stabilité et de Croissance, une capacité budgétaire commune, l’union bancaire ou celle des marchés des capitaux. Elle a en outre mis en place d’importants mécanismes de solidarité en 2021, dont il reste à établir la pérennité afin de contribuer à amoindrir les divergences socio-économiques croissantes qui se sont manifestées au cours des vingt dernières années. La « période COVID » et l’actuelle crise ukrainienne ont encore compliqué la donne. Si la zone euro a bénéficié d’un appréciable rebond économique en 2021, son PIB réel a cédé environ 1% par rapport à 2019. Par ailleurs, les tensions inflationnistes héritées de la crise sanitaire ont été prolongées et même accentuées par la nouvelle donne géopolitique, tandis que les finances publiques de la zone seront confrontées au cours des années à venir aux conséquences du décrochage du PIB, du vieillissement, du coût de la transition « verte » et numérique, de besoins en infrastructures et dans le domaine de la défense, pour ne citer que quelques facteurs. Face à ces défis, des avancées en matière de politique européenne sont attendues et pourraient aboutir à un projet européen renouvelé (et renforcé).

La crise sanitaire a durement sévi au Luxembourg également, avec des épisodes de restrictions aiguës et d’évidents dégâts pour diverses activités (économiques mais aussi humaines) et ce pendant de longs mois. Pourtant, une lecture même rapide des grands indicateurs économiques donne le sentiment, avec un recul de deux (longues) années, que l’économie luxembourgeoise ne porte guère les stigmates de ce qui peut pourtant être qualifié à juste titre de catastrophe. Ainsi, sur les années 2020-2021, le taux de croissance du PIB en volume a été strictement semblable à la moyenne annuelle des 10 précédentes années. Le PIB n’a en effet décliné « que » de 1,8% au Grand-Duché en 2020 – cette décrue ayant atteint 6,4% dans la zone euro – tout en enregistrant en 2021 un rebond de près de 7% digne des pays économiquement les plus « dévastés » en 2020. En conséquence et à l’inverse du constat établi dans le sillage de la « Grande récession » de 2008-2009, le Grand-Duché ne manifeste de 2019 à 2021 aucun décrochage économique par rapport à sa tendance antérieure d’évolution du PIB réel. A l’évidence, peu de pays à travers le monde peuvent se prévaloir d’un tel résultat.

De nombreux facteurs expliquent cette résilience économique (la situation étant moins brillante socialement parlant), dont l’interventionnisme sur le mode « Et kascht, wat et kascht », la bonne gestion sanitaire, des spécialisations économiques favorables et une prépondérance des branches « télétravaillables », la chance (le fameux « Luxembourg élu des dieux », fantaisiste en apparence mais semblant souvent corroboré par les faits…) et on en passe. Il est difficile, sinon impossible, de pondérer les effets respectifs de ces différents amortisseurs.

Cette étonnante résilience ne se cantonne pas au pré carré des comptables nationaux (très méritants au demeurant dans le présent contexte). Le marché du travail illustre également cette résistance, avec en deux années la création de quelque 23 000 emplois (dont près de 17 000 salariés de plus en 2021, soit le record absolu), un taux de chômage revenu sous les 5% et des tensions sur l’offre de travail figurant à nouveau au premier rang des préoccupations de nombreux employeurs.

La bonne résistance de l’économie luxembourgeoise se manifeste aussi à l’aune des finances publiques, pourtant lestées par le « Et kascht, wat et kascht » et par la récession en 2020. Elles ont bénéficié d’un brusque rebond des recettes en 2021, de sorte que les administrations publiques ont renoué avec l’équilibre budgétaire dès 2021, tout en limitant la hausse de leur endettement par rapport à 2019 à 3,6 points de PIB. Ce rétablissement a été nettement plus convaincant que dans la zone euro ou dans les pays limitrophes, même si le financement des pensions laisse planer un doute sur la pérennité à terme de ce rebond. Les nouvelles mesures d’urgence risquent également de s’avérer coûteuses, d’où la nécessité de les cibler au mieux en visant résolument les personnes et les entreprises les plus vulnérables, à rebours d’un « arrosage » tous azimut pénalisant de surcroît les objectifs CO2 du Luxembourg, qui demeurent plus primordiaux que jamais. En outre, la récente « crise COVID » constitue une expérience utile à la mise en œuvre de dispositifs de soutien public permettant à l’Etat d’assurer ses fonctions assurancielles, régulatrices et stabilisatrices, qui devraient en ces temps de crise (de guerre) restées activées, au moins à court terme.

Si le tableau d’ensemble peut sembler « miraculeux » à nombre d’égards, les deux dernières années n’ont pas été exemptes de « secousses » économiques et sociales. Le caractère hétérogène des effets de la crise sanitaire, tout d’abord, reste visible. Ainsi, alors que le marché du travail est en surchauffe, les demandes de chômage partiel restent élevées au début de l’année 2022 en comparaison à la période d’avant crise. Un autre bémol de taille est la résurgence du chômage de longue durée et, plus généralement, la fragilisation sociale de divers segments de la population déjà vulnérables avant même la crise sanitaire. Cette dernière s’est au demeurant traduite par une hausse des décrochages scolaires et par une diminution de l’intensité des efforts de formation continue – des facteurs à scruter de près. Enfin, la « déformation » structurelle de l’économie luxembourgeoise s’est accélérée, à la faveur d’une croissance nettement plus élevée de l’emploi dans les secteurs principalement non marchands.

Le Grand-Duché doit enfin s’attaquer d’urgence à certains défis, exacerbés par les « multiples crises ». Il s’agit notamment de la fiscalité. Dans un environnement très changeant, il est difficile de calibrer correctement une réforme fiscale d’envergure. Les récentes initiatives internationales en matière de taxation des multinationales supposent par ailleurs que le Luxembourg maintienne sa compétitivité et son attractivité sur le plan fiscal. Un 2ème défi d’envergure, à savoir le logement, présente aussi des ramifications fiscales, l’impôt foncier générant actuellement des recettes quasiment « confidentielles » tandis que les « dépenses fiscales » immobilières gagneraient à être conditionnées au revenu. Plus généralement, il importe de favoriser une application effective du principe « Wunnen ass e Mënscherecht », précondition à la fois de la cohésion sociale et d’une immigration nette (donc d’une croissance…) demeurant suffisamment soutenue. Un 3ème défi d’envergure se rapporte au futur du (télé)travail. L’avènement du travail à distance, grande transformation accélérée de la société salariale, soulève en effet des défis non négligeables qu’il conviendra de traiter.

Les résultats du Consensus économique d’IDEA, décrits en détail dans le présent avis et qui s’inscrivent sur cette toile de fond, permettent en outre de jauger les premiers effets de la présente crise géopolitique. Cette dernière étant des plus évolutives, une grande prudence est plus que jamais de mise dans l’interprétation des divers résultats et évolutions.

Sur le plan européen, le Consensus, qui repose sur les réponses de près de 120 professionnels, confirme le risque d’une inflation élevée au sein de la zone euro, la BCE étant dans ce contexte susceptible d’augmenter au moins une fois ses taux en 2022. Une majorité des participants se dégage en faveur d’une adaptation des règles du Pacte de Stabilité et de Croissance. Ils souhaitent par ailleurs redonner à l’Union européenne une souveraineté industrielle et harmoniser la fiscalité écologique.

En ce qui concerne le Luxembourg, les panélistes tablent sur une croissance du PIB en volume de 2,3% en 2022, qui résulterait notamment d’un affaiblissement des investissements et même de la consommation privée dans la foulée des récentes tensions géopolitiques. Cette anticipation serait en retrait par rapport aux prévisions les plus récentes du STATEC, soit +3,5%. Le chômage connaîtrait quant à lui une légère augmentation en 2022 et 2023, tandis que la dette publique serait de l’ordre de 28% du PIB en 2027.

L’inflation moyenne anticipée serait de 5,4% en 2022 (contre +4,4% selon le STATEC – avant il est vrai l’invasion russe de l’Ukraine) et elle demeurerait relativement élevée en 2023, avec +3,6%. Face à la montée des coûts énergétiques, les participants penchent vers des aides ciblées en faveur des entreprises les plus vulnérables. En revanche, aucun consensus ne se dégage autour des propositions d’évolution du mécanisme d’indexation.

Les prix de l’immobilier continueraient quant à eux à progresser d’ici 2030, mais à un rythme moindre que ces dernières décennies. Dans leur majorité, les panélistes souhaitent conditionner les aides au logement au niveau des revenus des bénéficiaires et, dans une moindre mesure cependant, rehausser l’impôt foncier. Ils anticipent par ailleurs une augmentation de 0,7 point de pourcentage des taux hypothécaires cette année.

Les participants au Consensus jugent enfin que les objectifs climatiques pour 2030 sont hors de portée, tant en Europe qu’au Luxembourg. Le scepticisme à cet égard a d’ailleurs sensiblement progressé par rapport à l’année dernière, alors que cet objectif ne peut certainement être perdu de vue, même (surtout ?) dans des circonstances passablement bousculées.

 

De l’avenir du prix et de la quantité de logements !

Premier poste de dépenses, à l’origine de près d’un milliard d’euros d’interventions publiques sous forme d’aides directes (subvention de loyer, aides à l’acquisition de la résidence principale, dépenses pour les constructions d’ensemble, etc.) et indirectes (bëllegen akt, déductibilité des intérêts d’emprunts, amortissement pour les logements donnés en location, déduction d’assurance solde restant dû, TVA logement, etc.), principale classe d’actifs investis par les ménages, auréolé de valeurs sentimentalo-patrimoniales, vecteur de sociabilité et déterminant du parcours scolaire, le logement est un bien nécessaire à une vie décente et un déterminant majeur du bien-être des familles.

Est-il donc normal que la « crise du logement » soit en tête des préoccupations des résidents du Luxembourg qui constatent, pantois et inquiets, que le prix du m2 évolue plus vite que leurs revenus et que le nombre de ménages évolue plus rapidement que le stock de logements.

Les solutions « théoriques » à ces problèmes de cherté et de quantité sont évidentes. Il faudrait une modération de la hausse des prix immobiliers – voire un recul des prix pour qu’ils redeviennent des multiples moins élevés des revenus moyens – et construire plus de logements.

Mais tout cela est bien plus facile à souhaiter qu’à atteindre !

Dans un Luxembourg où s’acheter un logement est à la fois une espérance et un saint graal, près de 70% des ménages sont propriétaires. Il est dès lors évident que – fort logiquement – la majorité de la population ne gouterait que peu que la hausse des prix immobiliers, symbole de la crise du logement, soit remplacée par un recul des prix, synonyme de crise immobilière et d’appauvrissement patrimonial. S’agissant de la simple « modération de la hausse », elle est certes plus souhaitable et admissible mais ne se décrète pas ni ne se pilote. Le Luxembourg étant un petit pays riche/ouvert/ attractif/en forte croissance où l’épargne est abondante, les infrastructures de qualité et la règlementation urbanistique et immobilière sophistiquée, les prix ont tendance à suivre la loi de l’offre et de la demande. La capacité des Ministres du logement à influencer l’évolution des prix immobiliers y est donc factuellement plutôt limitée et tant qu’il existera des investisseurs (bailleurs ou propriétaires occupants) capables de payer les prix de plus en plus élevés demandés, y compris dans des zones inondables, de tels prix seront demandés et la hausse se poursuivra sans qu’il ne soit possible de décréter – ni même d’anticiper – la magnitude, la durée ni le maximum atteignable.

Source : STATEC, CHD, BRI

S’agissant du noble objectif de « construire plus et plus vite » afin d’éviter que le parc de logements ne soit sous-dimensionné, il est contraint, comme généralement évoqué, par la rétention foncière, par l’autonomie communale et par la règlementation (étude environnementale stratégique, législation en matière de commodo-incommodo, loi sur les sites et monuments classés, etc.) ; mais, et cela est moins souvent dit, la disponibilité de la main-d’œuvre est un facteur de frein à l’activité qu’il ne faut pas sous-estimer. Le secteur de la construction – qui emploie 10% des salariés au Luxembourg contre 6% en moyenne au sein de l’UE – se plaint depuis de nombreuses années de problèmes liés au manque de main-d’œuvre qui serait, nécessairement, exacerbé si la production de logements devait progresser de 50% pour atteindre les 6.000 unités par an, ce qui permet de douter de la possibilité d’atteindre de façon pérenne un tel niveau de construction.

En somme, il n’est pas impossible que les prix immobiliers continueront de grimper au Luxembourg et que le pays continuera de craindre une pénurie de logements dans un horizon prévisible[1] !


[1] Voir à ce sujet : Michel-Edouard Ruben (2019), Logement au Luxembourg : le pire serait-il à venir ?

Document de travail N°18 : Crise du logement : Persistance, faux-semblants, vrais enjeux, Et cetera !

À bien y regarder, le Luxembourg a « toujours » été en prise avec une « crise du logement », tout en ayant été relativement épargné par les épisodes de « crise immobilière ». Le Document de Travail N°18 revient sur cet état de fait et formule 24 recommandations pour un renouveau de la politique luxembourgeoise du logement.

Ces propositions et tout ce qui pourrait (utilement) les compléter (e.g. politique familiale, éducation à la pérennité de la vie en couple, tombola immobilière pour les travailleurs essentiels, etc.) n’ont pas pour vocation première de faire baisser les prix immobiliers.

La politique du logement devrait plutôt avoir au centre de sa fonction objective la réduction des coûts d’accès à un logement décent pour ceux qui sont véritablement contraints financièrement, la protection des intérêts du fisc, la réduction des rentes, la récupération par la voie fiscale d’une partie des aides versées au cours des décennies précédentes, l’augmentation du nombre de transactions (portant notamment sur des terrains non-bâtis et des logements inoccupés ou sous-occupés), une politique de vente de logements par la main publique moins porteuse d’injustice et qui n’entend pas figer la mobilité sociale intergénérationnelle, un meilleur ciblage des aides à la personne, davantage de construction et d’acquisition de logements par le secteur public… sans tourner le dos à l’objectif que le Luxembourg demeure une démocratie de propriétaires.

Pour télécharger le Document de travail :

Retour sur la Matinale – « Politique(s) du logement : Bons motifs, gros montants, faux problèmes, vrais enjeux, Et cetera » – 10 novembre 2021

Mercredi 10 novembre, la Fondation IDEA a tenu une Matinale sur le thème du logement devant un large public en présence de Madame Semiray Ahmedova, Députée, Présidente de la Commission du Logement et de Monsieur Nicolas Buck, CEO de Seqvoia SA. L’événement a débuté par une présentation de Michel-Edouard Ruben, Senior Economiste à la Fondation IDEA.

Cette Matinale a été l’occasion d’échanger sur le taux de propriétaires (68,4%) supérieur à ce qu’il était en 1970 (56%) et au même niveau qu’en 2010 (68,1%), la politique de logements abordables, les formes nouvelles et alternatives d’habitation, l’importance de l’urbanisme, les potentiels effets d’aubaine induits par les aides à l’accession à la propriété, la possibilité de nouer des contrats avec les propriétaires de terrains pour les inciter à les mobiliser, la (non)responsabilité sociale des entreprises de loger leurs salariés, la fiscalité immobilière, etc.

La séance de questions/réponses avec les plus de 70 participants aura été aussi vive que constructive.

Retrouvez les photos de l’événement :

Lien vers les articles de presse suite à la Matinale :

 

Retour sur la Matinale – « Réforme fiscale, un concept à la com’ ? » – 07 juillet 2021

Mercredi 7 juillet IDEA a tenu une Matinale sur le thème « Réforme fiscale, un concept à la com ? », avec Sylvain Hoffmann, Directeur de la Chambre des Salariés, Jean-Paul Olinger, Directeur de l’Union des Entreprises Luxembourgeoises (UEL) et Alain Steichen, Professeur associé à l’Université du Luxembourg, Managing partner à Bonn Steichen & Partners.

Lors d’une discussion animée par Michel-Edouard Ruben, Senior Economiste à la Fondation IDEA, les trois invités ont eu l’occasion de développer leurs contributions au recueil d’IDEA « Inventaire avant sortie de crise ! » paru le 17 juin dernier et d’aborder diverses questions comme la possibilité de « réformer la fiscalité », les notions de « justice fiscale » et de fiscalité « internationale » des entreprises, ou encore l’importance de la fiscalité dans la lutte contre les inégalités et dans la construction d’un « après » soutenable.

Compte-rendu de la matinale

Michel Wurth, Président du Conseil d’Administration d’IDEA, prononce le mot de bienvenue, en évoquant le danger de confrontation associé au concept de justice fiscale si cela veut dire que certains doivent payer pour que d’autres puissent recevoir. Une telle situation ne correspondrait pas au modèle luxembourgeois, qui doit être consensuel et non émotionnel. Il souligne également l’importance de l’efficience de la dépense publique, qui représente dans les pays développés de 45 à 55% du PIB environ. C’est là le premier élément de réflexion en vue d’une réforme fiscale. Il conviendrait d’ailleurs d’étudier précisément qui paie et qui reçoit. Il apparaîtrait alors que notre modèle est moins injuste qu’il n’y paraît de prime abord. C’est sur un modèle d’efficience que repose notre régime social et la redistribution associée et il faut faire en sorte que toutes les personnes vivant au Luxembourg se sentent à l’aise et profitent de transferts sociaux leur permettant d’avoir une vie digne de notre modèle économique.  La fiscalité a un rôle à jouer, mais ce n’est pas en prenant simplement davantage là où il y a de l’argent que l’on va trouver la solution. Les pays qui pratiquent plus de justice fiscale qu’au Luxembourg affichent d’ailleurs des performances économiques moindres, le revenu national par habitant étant moins élevé, le salaire minimum et les prestations sociales bien moins généreux.

Vient ensuite la discussion en panel. Michel-Edouard Ruben, qui anime le débat, a d’emblée demandé aux intervenants de définir le concept de « réforme fiscale ». Jean-Paul Olinger (Directeur de l’Union des Entreprises Luxembourgeoises (UEL) évoque la « quadrature du cercle » consistant à concilier la cohésion économique, l’efficience, les « caisses de l’Etat » et l’entrepreneuriat/innovation. Sylvain Hoffmann, Directeur de la Chambre des Salariés (CSL) ramène pour sa part l’apport d’une réforme fiscale sur le terrain de la justice fiscale et de la lutte contre les inégalités, les finances publiques ne constituant pas un réel problème actuellement au Luxembourg en dépit de la crise sanitaire. Des déséquilibres se manifestent actuellement en termes de grands agrégats, notamment l’érosion continue de la part de l’imposition des sociétés dans l’imposition totale et la concentration de l’impôt des personnes physiques sur les classes moyennes et les salariés. Il regrette enfin le manque endémique de données. Selon Alain Steichen, Professeur associé à l’Université du Luxembourg et Managing partner à Bonn Steichen & Partners, une réforme fiscale consiste à « re-former » l’existant, ce qui présuppose un changement structurel profond. A cette aune, seules les réformes de 1967 et 1990 (et encore…) seraient des réformes fiscales à part entière. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose : selon Montesquieu, il convient de changer les lois « les mains tremblantes ».

Mentionnant le récent accord du G7 sur une fiscalité internationale des sociétés (répartition d’une partie des bénéfices et taux minimum d’imposition, Jean-Paul Olinger souligne les risques associés au fait de bousculer un « état stable » existant. Il évoque notamment les nouvelles règles envisagées en ce qui concerne la répartition d’une partie des bénéfices entre les pays d’établissement et les pays de consommation finale. Sylvain Hoffmann considère pour sa part qu’il était temps de stopper une évolution conduisant à une disparité croissante dans l’imposition des sociétés sur le plan international. L’accord du G7 (et dans le cadre de l’OCDE) constitue en théorie une menace pour l’activité économique au Grand-Duché, mais après tout « Dieu est Luxembourgeois » et le Luxembourg a fait preuve de résilience face à divers aménagements précédents de la fiscalité internationale. Il convient par ailleurs de tenir compte d’autres facteurs d’attractivité (écosystème).

Alain Steichen différencie pour sa part sa réponse en fonction des deux piliers des récents accords du G7. Le pilier « répartition des bénéfices » (en direction des pays où se localise la consommation) constitue une évolution marquante. Il concerne les grands groupes, dont le chiffre d’affaires consolidé dépasse les 20 milliards de dollars. Pas plus de 5 sociétés seraient concernées au Luxembourg, avec un impact potentiel a priori assez réduit sur les finances publiques. Le 2ème pilier (taux minimum) ne devrait pas non plus affecter considérablement les finances publiques, car il ne s’applique qu’à des sociétés dont le chiffre d’affaires excède 750 millions de dollars. Mais « le diable sera dans les détails » (voir la définition des bases, notamment).

Michel-Edouard Ruben se demande ensuite ce que pourrait être une réforme fiscale au Luxembourg. Jean-Paul Olinger affirme que le Luxembourg ne s’est pas trop mal sorti de la crise sanitaire, mais compte tenu de l’évolution des contraintes internationales, il doit veiller à maintenir son attractivité en ce qui concerne les talents, l’innovation et la fiscalité. Sans oublier la nécessité d’investir sans attendre afin d’amorcer avec succès la transition digitale et environnementale.

Sylvain Hoffmann met en avant la nécessité d’améliorer la situation des titulaires de faibles revenus, ce qui exige cependant d’importants travaux préparatoires. La non-adaptation actuelle des barèmes à l’inflation constitue déjà en soi une réforme « automatique » (comprimant la progressivité de l’imposition au fil du temps).

Alain Steichen affirme enfin que l’équilibre budgétaire reviendra de lui-même, à la faveur du rebond économique. La pandémie n’en constitue pas moins un choc, qui obligera à remettre en question certains réflexes et à se poser les bonnes questions : « où veut-on être dans 5 à 10 ans ? ». Il convient d’arbitrer, de pondérer, de lancer le débat en exploitant l’actuelle fenêtre d’opportunité. En n’oubliant pas néanmoins que la création de richesses précède la distribution, sinon « on aura tout faux ».

Michel-Edouard Ruben évoque ensuite les propositions de réforme de Dan Kersch (« faire payer les gagnants de la crise »). Quid d’une contribution de crise ? Sylvain Hoffmann affirme qu’une telle contribution ne serait plus nécessaire en cas de mise en place d’un système fiscal plus juste. Par le passé, certaines contributions de crise (comme l’IEBT) ont d’ailleurs été à rebours de la justice fiscale. Jean-Paul Olinger souligne quant à lui qu’il est extrêmement difficile d’identifier les « gagnants de la crise », car tout dépend de la période considérée, de l’activité (par exemple un magasin d’ameublement peut être gagnant pendant la crise et reperdre du chiffre d’affaires par la suite, avec une situation inversée pour les agences de voyage) ou encore du statut considéré (personnes physiques ou morales ?). Pour Alain Steichen également, la plus grande prudence s’impose. Le système fiscal actuel comporte déjà une forme de taxation des « gagnants » de la crise. Par ailleurs, imposer les seuls effets d’aubaine financiers ne serait pas cohérent si les effets d’aubaine immobiliers sont pour leur part préservés. Une contribution ne frappant que les sociétés, avec des critères peu clairs de surcroît, ne serait pas du tout justifiée.

Abordant l’impôt foncier, Michel-Edouard Ruben demande s’il ne s’imposerait pas de relever ce dernier, qui représente 0,1% du PIB au Luxembourg contre 1% environ dans l’ensemble de l’Union européenne. Sylvain Hoffmann considère qu’un ajustement de cet impôt se justifierait en principe, mais comment le mettre en œuvre ? Un cadastre des propriétés serait nécessaire. Il s’imposerait surtout de lutter contre la spéculation immobilière, de prévoir une imposition additionnelle des terrains vides. Cela n’a pas été fait, la complexité de la situation étant souvent évoquée. Il se demande cependant s’il n’existe pas une tendance à « se cacher derrière cet argument ». Jean-Paul Olinger n’est pas non plus opposé à une refonte de la fiscalité foncière. L’objectif ultime n’étant cependant pas l’alimentation des caisses de l’Etat. Il conviendrait d’ailleurs de ne pas modifier l’imposition globale, un éventuel relèvement de l’impôt foncier devant dès lors faire partie d’un « tax shift » plus global. Il évoque également une surtaxe des surfaces vides et se demande s’il ne conviendrait pas de se limiter aux terrains. Il souligne enfin l’importance de l’autonomie communale au Luxembourg. Enfin, Alain Steichen insiste sur le but recherché. S’il s’agit de s’orienter vers une fiscalité plus contributive, un impôt sur le capital global (et non sur la seule composante immobilière) serait plus approprié. Via par exemple une réintroduction de l’impôt sur la fortune des ménages au Luxembourg ?

S’il s’agit de fluidifier le marché immobilier (favoriser l’offre, éviter que des propriétaires ne se reposent sur leurs terrains), un réaménagement de l’impôt foncier lui semble plus approprié.

Michel-Edouard Ruben pose une dernière question sur l’aménagement de l’imposition des entreprises, en termes d’impôts directs sur les sociétés mais aussi de cotisations sociales. Alain Steichen rétorque qu’il importe d’opérer une distinction entre les deux prélèvements. L’impôt des sociétés n’est in fine que partiellement supporté par les sociétés, car il se répercute sur les salariés, les consommateurs ou les fournisseurs. Les Soparfi ne pouvant pour leur part répercuter cet impôt que sur leurs actionnaires (souvent étrangers), l’impôt associé est au final pris en charge par un agent sur lequel le Gouvernement luxembourgeois n’a guère prise. Opposer l’imposition des ménages à celle des sociétés n’a dès lors guère de sens. En ce qui concerne les cotisations sociales, un déplafonnement des cotisations du régime général devrait s’accompagner d’un déplafonnement des pensions futures, faute de quoi nous nous orienterions vers une fiscalisation accrue. Mais un tel déplafonnement serait exclu dans le domaine de la santé, le système actuel étant déjà très redistributif en dépit du plafonnement.

Jean-Paul OIinger est d’accord avec Maître Steichen : on ne peut imposer ce qui n’existe pas et l’impôt sur les sociétés réduit la capacité des entreprises à investir et innover. La question de l’utilité même de l’imposition des sociétés se pose d’ailleurs, ces dernières étant déjà taxées en amont. Au Luxembourg, une remise en question de cet impôt ne s’impose cependant pas. Les cotisations sociales sont quant à elles doublement redistributives, avec la prise en charge (pour les pensions) d’un tiers des cotisations par l’Etat et le système de plafonnement. Un déplafonnement asymétrique serait quant à lui synonyme de fiscalisation accrue de la sécurité sociale, à l’instar du système américain par exemple. Un déplafonnement symétrique (pensions et cotisations) induirait quant à lui d’importantes charges nettes de pension futures car comme l’a montré une étude d’IDEA, le rendement des cotisations en termes de pensions futures est très élevé au Grand-Duché.

Sylvain Hoffmann attire enfin l’attention sur une étude de la Banque mondiale où a été calculée l’imposition globale des sociétés. Il apparaît que le Luxembourg se situe « vers le bas » à cette enseigne. Il affirme enfin que davantage de données fiscales seraient nécessaires et qu’il conviendrait de tenir compte de l’espérance de vie moyenne des divers groupes sociaux avant de procéder à une évaluation d’ensemble. En France, le système fiscal considéré dans sa globalité serait régressif, en raison notamment de la TVA et du plafonnement des cotisations sociales. Il invite par ailleurs à envisager une imposition accrue des dividendes.

Lors de la (riche) session de questions et réponses, il a été question notamment de la situation des ménages monoparentaux (une approche globale est nécessaire en la matière selon Alain Steichen, en considérant notamment les allocations familiales), la taxation des droits de succession en ligne directe ou encore l’imposition de l’immobilier (question de l’adaptation de l’impôt foncier, notamment).

Retrouvez un extrait des échanges de la Matinale :

Extrait de la Matinale :

Une petite douzaine de biais liés au marché immobilier résidentiel

Avec des taux de croissance annualisés des prix immobiliers résidentiels luxembourgeois qui ont plus que doublé depuis le deuxième trimestre de 2019[1], sans pour autant que les fondamentaux ne changent et ne puissent réellement justifier de telles évolutions, il peut être utile de rappeler les biais cognitifs dont les primo-accédants et investisseurs peuvent parfois être victimes lorsqu’ils achètent un bien immobilier. D’autant qu’une partie de l’épargne forcée, constituée par les ménages les plus aisés lors de la crise du COVID-19, pourrait bel et bien précipiter un afflux supplémentaire de liquidité dans la pierre.

Les particularités de l’immobilier résidentiel sont telles que ce marché comporte toute une série de biais cognitifs. Non seulement celui-ci est illiquide, mais il inclut aussi des coûts de transaction élevés, une non-transparence des informations, une importante hétérogénéité des biens et une impossibilité pour les participants d’échanger sur un marché des parts de ces actifs et de les vendre à découvert[2]. Les prix immobiliers résidentiels ont ainsi une tendance à dévier plus facilement de leurs fondamentaux, du moins à court et moyen terme. Par ailleurs, ce marché comporte également un grand nombre de participants non-professionnels qui sont conduits par des motivations qui peuvent être d’ordre financières, personnelles ou encore émotionnelles[3].

Le biais de confiance excessive

La majorité des participants au marché immobilier résidentiel sont novices et inexpérimentés. Ils sont ainsi plus enclins à prendre des décisions imprudentes, en associant prématurément les succès aux compétences et les échecs à la malchance[4]. Une étude a montré qu’ils sont parfois même plus confiants que les investisseurs institutionnels, ce qui semble suggérer une relation inverse entre la confiance et l’expérience[5]. Les individus inexpérimentés qui ont dégagé une plus-value latente ou réalisée sont plus susceptibles de jouir d’une confiance excessive et de surpayer l’acquisition d’un autre bien.

Le biais de conservatisme

A la différence des marchés financiers où les prix s’ajustent rapidement avec l’arrivée quotidienne de nouvelles informations, les prix immobiliers changent quant à eux plus lentement et de façon graduelle avec les nouvelles données économiques. Le biais de conservatisme incite les individus à sous-estimer les informations et à être plus lent pour changer leurs croyances dans les prix des biens immobiliers.

Le biais de la comptabilité mentale

Les investisseurs et particuliers ont tendance à considérer leurs actifs séparément plutôt que conjointement et ne perçoivent pas les interactions entre les différentes classes d’actifs[6]. La comptabilité mentale peut conduire à des portefeuilles fortement biaisés localement. Les salaires et l’immobilier peuvent en effet dépendre de mêmes facteurs locaux. La comptabilité mentale peut aussi modifier les décisions d’investissement sur l’opportunité de vendre ou d’acheter un actif inclus dans leur portefeuille, quelle que soit la performance attendue de l’un ou de tous les autres actifs. Ce biais est particulièrement répandu en matière d’immobilier car il représente souvent une part importante de la richesse et beaucoup attachent une valeur subjective et sentimentale à cette partie du patrimoine.

Le biais de familiarité

Alors que les marchés financiers permettent aux participants de jouir d’informations transparentes et disponibles publiquement, le marché immobilier est quant à lui caractérisé par une certaine opacité. Les barrières à l’information favorisent les participants locaux au détriment des étrangers. Cette asymétrie d’information aboutit à ce que les acquéreurs concentrent leurs achats dans le voisinage, ce qui accentue d’autant plus le biais de familiarité[7] et les problématiques liées à la non-diversification.

Les biais de faux points de référence, d’illusion monétaire et d’ancrage

Les vendeurs d’un bien immobilier ont tendance à fixer un prix basé sur un faux point de référence, comme par exemple le prix d’achat ou encore le prix récent de vente d’un bien jugé semblable dans le voisinage. Cela est d’autant plus erroné que la plupart du temps les vendeurs raisonnent en prix nominaux et non ajustés de l’inflation[8]. Ils sont ainsi victimes de l’illusion monétaire et ce d’autant plus en période de grande inflation. Le biais d’ancrage désigne quant à lui la difficulté que les agents économiques ont à se détacher de la première impression ou du premier prix annoncé. Ce biais joue un rôle non des moindres dans la volonté des acheteurs de payer un supplément pour un bien immobilier[9].

Le biais de cadrage

S’il est parfois tentant de reformuler une question pour faciliter la résolution d’un problème, cette approche de pensée systémique peut toutefois largement influencer la réponse qui est apportée[10]. Pour le marché immobilier, les erreurs de ce type sont commises lorsque les biens immobiliers sont catégorisés par les types d’habitation ou comparés avec d’autres villes ou quartiers pour faciliter les valorisations. Cela reviendrait à dire que tous les biens sont homogènes et que les profils de risque et de rendement sont les mêmes. Par exemple, le prix d’un immeuble n’évoluera peut être pas de la même façon que l’évolution des prix de l’immobilier de la ville dans lequel le bien se situe.

Le biais de l’aversion à la perte  

Les individus éprouvent plus d’importance à une perte qu’à un gain. Le mal-être provenant d’une perte est deux fois plus important que le plaisir issu d’un gain pour un même montant[11]. Pour cette raison, un vendeur faisant face à une perte imminente est plus susceptible d’exiger un prix minimum de vente supérieur par rapport à un autre vendeur qui lui ne ferait pas de perte. Une étude a par ailleurs montré que les propriétaires sont encore plus victimes de ce biais que les investisseurs[12].

Le biais de l’aversion à la dépossession

La décision d’acheter ou de louer un bien devrait être basée sur une analyse financière des flux de trésorerie, en comparant la valeur actualisée du paiement des loyers futurs avec celle de tous les coûts associés à l’achat d’un bien similaire. Toutefois, un achat peut être motivé pour des raisons personnelles, émotionnelles ou financières. Beaucoup de particuliers considèrent l’accession à la propriété comme une amélioration de la richesse, un moyen d’améliorer son statut social ou de « protection pour les vieux jours ». Néanmoins, peu d’entre eux prennent en compte les avantages monétaires de la location[13].

Le biais de conformité  

Dans des conditions d’incertitude, de complexité, d’informations incomplètes et d’opportunisme, certains agents pensent qu’il est préférable de suivre la décision d’autres acteurs du marché, pensant qu’ils bénéficient eux même de meilleures informations. Il s’agit du principe de la cascade informationnelle[14]. Enfin, il a aussi été démontré à plusieurs reprises que le comportement moutonnier serait une des caractéristiques du comportement humain[15].

En définitive, le marché immobilier ne sera jamais efficient. A vrai dire, il affiche plutôt des niveaux élevés de prévisibilité des prix d’un trimestre à un autre. Toutefois, les biais cognitifs sont souvent présents dans les bulles des actifs et le sont d’autant plus lorsqu’une « épidémie sociale » s’installe, et ce lorsque le logement est considéré comme une opportunité d’investissement en raison des attentes extravagantes dans l’avenir, elles-mêmes alimentées par des progressions irrésistibles des prix[16].

[1]Voir OCDE (2021): Analytical house prices indicators

[2] La vente à découvert consiste à vendre un titre que l’on ne détient pas mais dont on suppose qu’il va baisser, afin de réaliser une plus-value. Cette pratique peut participer à faire chuter un cours, à cause du volume de vente.

[3]Beracha & Skiba (2014): Real Estate Investment Decision-Making in Behavioral Financial, Wiley

[4]Gervais & Odean (2001): Learning to Be Overconfident, The Review of Financial Studies

[5]Bloomfield, Libby & Nelson (1999): Confidence and the welfare of less-informed investors, Accounting Organizations and Society

[6]Thaler (1999): Mental Accounting Matters, Journal of Behavioral Decision Making

[7]Garmaise & Moskowitz (2004): Confronting Information Asymmetries: Evidence from Real Estate Markets, Review of Financial Studies

[8]Stephens & Tyran (2012): At least I didn’t lose money, Discussion Papers, University of Copenhagen

[9]Lambson, McQueen & Slade (2004): Do Out-of-State Buyers Pay More for Real Estate? An Examination of Anchoring-Induced Bias and Search Costs, Real Estate Economics

[10]Kahneman & Tversky (1981): The Framing of Decisions and the Psychology of Choice, Science

[11]Kahneman & Tversky (1979): Prospect Theory: An Analysis of Decision under Risk, Econometrica

[12]Genesove & Mayer (2001): Loss Aversion and Seller Behavior: Evidence from the Housing Market, The Quarterly Journal of Economics

[13]Beracha & Skiba (2014): Real Estate Investment Decision-Making in Behavioral Financial, Wiley

[14]Bikhchandani, Hirshleifer & Welch (1992): A Theory of Fads, Fashion, Custom, and Cultural Change as Informational Cascades, Journal of Political Economy

[15]Shleifer & Summers (1990): “The noise trader approach to finance”, Journal of Economic Perspectives

[16]Shiller (2019): Narrative Economics, Princeton University Press