Quelle modernisation de la subvention de loyer ?

Billet invité de Ginette Jones, Présidente Entente des offices sociaux asbl

© photo : Julien Mpia Massa

L’introduction de la subvention de loyer devait assurer le bénéfice d’une aide matérielle directe au moment de la signature d’un bail de location par une personne disposant de faibles revenus. Depuis sa création la subvention de loyer peine à décoller. Il s’avère que les modalités sont tellement lourdes qu’une décision positive intervient souvent seulement au bout de quelques mois. Le virement de la subvention peut ainsi intervenir après… une année! Le montant mensuel maximum pour une personne seule s’élève à 200€, pour une famille à 400€.

Serait-il préférable, afin d’en augmenter le taux de recours, de remplacer la subvention de loyer par un crédit d’impôt dédié aux locataires ?

L’Entente des offices sociaux – EOS (regroupement des 30 offices sociaux du pays) propose plutôt un changement des modalités d’octroi de la subvention de loyer en s’inspirant des
modalités d’application pour le paiement de l’allocation de vie chère et de la prime énergie destinées aux ménages modestes.

La personne qui souhaite bénéficier de l’allocation de vie chère et de la prime énergie fait une demande auprès du Fonds national de solidarité. Rappelons que le Fonds national de solidarité peut demander le concours des organismes et administrations. Ainsi la collaboration avec le Centre commun de la sécurité sociale permet un échange (dans le respect du RGPD) des données relatives aux revenus du demandeur. Ceci permet un traitement rapide de la demande. La demande pour l’allocation de vie chère et la prime énergie doit être accompagnée d’un relevé d’identité bancaire, être complètement remplie et être signée par tous les demandeurs majeurs appartenant au ménage. La personne qui dispose de revenus qui dépassent le seuil d’attribution peut recevoir une aide réduite. Les aides sont demandées une fois par année.

Cette gestion des demandes ayant fait ses preuves, il faudrait l’étendre à la demande pour la subvention de loyer. Les personnes qui désirent recourir à la subvention de loyer ont un besoin urgent d’aide financière afin de pouvoir signer le contrat de bail. Aussi, l’EOS a avancé l’idée d’accorder la subvention provisoirement pour 3 mois à compter de la date de la demande. Cette subvention provisoire permettrait de disposer illico de l’aide financière et serait confirmée ou annulée, après analyse, par décision du Fonds national de solidarité.

Regrouper les allocations de vie chère, prime énergie et subvention de loyer sous une même enseigne, à savoir le Fonds national de solidarité, fait du sens, alors que c’est le Fonds qui peut avoir accès à certaines données nécessaires pour la décision. Pourquoi charger un autre service avec le traitement de la subvention de loyer, alors que le service n’a pas les mêmes facilités de coopérations avec les administrations ? Sans dire la lourdeur administrative à laquelle est exposée la personne dans le besoin lorsqu’elle doit s’adresser à deux services différents.

L’EOS avait par ailleurs envisagé de proposer le paiement de la subvention de loyer pendant une année complète (sauf changement de résidence à signaler par le locataire) avant révision. La majorité des personnes éligible à la subvention disposant de faibles revenus, il est hautement probable que leur situation financière évolue durant une année donnée du fait notamment d’allers-retours entre salaires et revis, entre salaires et indemnités de chômage, etc. Le maintien de la subvention durant une année complète permettrait d’éviter de devoir signaler le moindre changement de situation pécuniaire (qui présente d’ailleurs rarement une amélioration substantielle du revenu des ménages les plus modestes) et constituerait à certains égards une mesure de simplification administrative.

Le paiement direct d’une subvention de loyer aux personnes éligibles (c’est à dire à faibles revenus) est un outil efficace pour soulager la situation financière délicate des concernés ; Une subvention de loyer sous forme d’aides directes est par conséquent plus adaptée qu’un crédit d’impôt spécifique.

La réforme à envisager devrait principalement porter sur la modification des conditions actuelles d’attribution en direction d’un allègement bureaucratique afin d’augmenter le taux de recours et de stabiliser la situation financière des locataires qui bien souvent sont concernés par le risque de pauvreté et qui, grâce à cette aide, pourraient améliorer leur conditions de logement et investir leurs énergies à d’autres chantiers prioritaires de la vie quotidienne (cf. pyramide des besoins Abraham Maslow).

Ginette Jones

Pour (r)ouvrir le débat

© photo : Julien Mpia Massa

A la question « Quel est selon vous le nombre maximal de logements pouvant être construits par an au Luxembourg ? » :

Max Leners (pour le LSAP) a répondu « Aux alentours de 3.500 » ;

Marc Lies (pour le CSV) a répondu « On a la possibilité de construire 5.000 logements » ;

Semiray Ahmedova (pour déi Gréng) a répondu « Nous avons une capacité maximale qui est probablement atteinte mais qui peut, peut-être, être encore améliorée un tout petit peu » ;

Lou Linster (pour le DP) a répondu « Il faudrait arriver à moyen terme à 5 voire 6.000 ».

Il ressort de ces différentes réponses émanant de spécialistes logement des principaux partis représentés à la Chambre des Députés qu’il est considéré que, dans le meilleur des cas, jusqu’à 5.000 logements/an pourraient être achevés au Luxembourg. Or, les principales projections démographiques indiquent que la population devrait (continuer à) croître de l’ordre de 7.000 ménages/an dans un horizon prévisible.

La politique du logement ne devant pas être guidée par les cycles du marché immobilier mais par les défis qui se poseront à moyen terme, que (faudra-t-il) faire pour – significativement – augmenter la capacité maximale de production de logements ou réduire les perspectives d’immigration dans le pays s’avère par conséquent être une question qui devra(it) être tranchée dans le programme de coalition ; car à l’exception notable de ceux qui parviennent à demeurer indifférents face à d’évidents problèmes de dissonance cognitive, nul ne peut considérer comme non-problématique un écart persistant entre le nombre de logements (pouvant être) construits et le nombre de ménages (devant être) logés.

La démocratie de propriétaires est en grand danger

© photo : Julien Mpia Massa

Le Grand-Duché de Luxembourg est ce qu’il convient d’appeler une « démocratie de propriétaires ». Faire l’acquisition de sa résidence principale y est devenu un marqueur social déterminant du sentiment de pleine et entière appartenance à la « classe moyenne ». Dès lors, tout résident du pays qui estime faire partie de la classe moyenne a une pierre dans le ventre et s’il n’est pas encore propriétaire aspire – tout rationnellement – à le devenir au même titre que ses parents, ses amis, ses collègues de bureau, etc.

Mais alors que près de 70% des ménages sont propriétaires (47% des familles monoparentales, 56% des ménages unipersonnels, 80% des Luxembourgeois, 50% des résidents étrangers), la proportion parmi les nouveaux ménages de la classe moyenne (immigrés, expatriés, jeunes désireux de quitter le domicile familial, Luxembourgeois retournant dans leur pays après avoir fait des études à l’étranger, divorcés) en capacité de rejoindre les rangs de la démocratie de propriétaires s’avère relativement restreinte dans les conditions (prix immobiliers, taux d’intérêt, revenus des ménages, aides fiscales) actuelles.

Ainsi, un couple avec le projet de fonder une famille avec enfant souhaitant faire l’acquisition d’un logement disposant de deux chambres devra(it) débourser en moyenne 700.000 euros. Avec 10% d’apport, un crédit contracté sur 25 ans à 5% et en fixant le taux d’effort du couple à 40%, il lui faudra disposer d’au moins 110.000 euros de revenus nets par an ; or moins de 25% des ménages imposés collectivement sont dans cette situation.

Contraint de devenir un territoire sensiblement plus locatif que par le passé récent -alors que le logement demeure l’investissement rêvé de la classe moyenne et que la démocratisation du propriétariat va de pair avec certains avantages socio-économiques non-négligeables-, le Grand-Duché, où il est projeté une croissance démographique soutenue, risque de devoir affronter de nombreux nouveaux défis liés à l’offre de logements en direction de sa classe moyenne ; puisqu’à chaque locataire devra correspondre un bailleur, disposer d’investisseurs locatifs en nombre suffisant sera(it) l’un d’entre eux. Trois éléments ont de quoi inquiéter à cet égard :

1. Le rendement locatif apparent (loyers demandés / prix immobiliers affichés) ne s’élevait qu’à 3,5% au 2ème trimestre 2023 ;

2. Au premier semestre 2023, les ventes en état futur d’achèvement à des investisseurs locatifs ont reculé de 70% par rapport au 1er semestre 2022 ;

3. D’après un relevé de l’Observatoire de l’habitat, le nombre de logements existants proposés à la location s’inscrit en retrait et était 30% inférieur au deuxième trimestre 2023 par rapport à son niveau du premier trimestre 2021.

Bref, en plus de parvenir à donner un nouvel élan à l’activité de construction résidentielle, les Ministres (des finances, de l’intérieur, du logement, de l’attractivité) qui façonnent la politique du logement auront la lourde tâche de préserver la démocratie de propriétaires ou d’acter sa fin ! Bonne volonté, bon courage et bonne chance à eux car assurément il leur en faudra – beaucoup – des trois.

Document de travail N°20 : Contribution aux Assises – anticipées – du Logement

© photo : Julien Mpia Massa

« La crise du logement » sans cesse évoquée dans les médias et les discours politiques ces dix dernières années – alors que le marché immobilier connaissait un cycle d’une ampleur exceptionnelle marqué par la flambée des prix et l’envolée de l’endettement des ménages – est (enfin) là, précipitée par la remontée des taux d’intérêt.

Le recul prononcé (-28%) du nombre d’autorisations de bâtir délivrées sur les 9 premiers mois de l’année 2022 et l’effondrement des ventes de logements en état futur d’achèvement (-36% au troisième trimestre 2022 en glissement annuel) semblent ainsi annoncer un net ralentissement à venir de l’activité dans le secteur de la construction résidentielle .

Dans un tel contexte, la politique du logement, dont l’un des objectifs principaux (jamais atteint) a un temps été de stabiliser/maîtriser les prix immobiliers , doit s’atteler, compte tenu des perspectives démographiques et de l’importance économique du secteur de la construction (près de 15% des emplois avec les effets indirects et induits) , à relancer la production de logements neufs afin d’éviter au Grand-Duché, où le parc immobilier est relativement sous-dimensionné (387 logements pour 1.000 habitants contre 468 logements pour 1.000 habitants dans les pays de l’OCDE), de sombrer dans une crise de mal logement et/ou de perte d’attractivité causée par une situation de pénurie de logements.

Empêcher que l’activité de construction résidentielle ne connaisse un important trou d’air c’est également éviter au secteur une perte définitive de potentiel de croissance qui pourrait advenir à cause de faillites d’entreprises et/ou de difficultés de reconstitution de la main-d’œuvre  et serait synonyme d’affaiblissement durable du nombre de logements (pouvant être) construits chaque année.

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