Hausse du nombre de chômeurs diplômés : comment l’expliquer ?

© photo : Julien Mpia Massa

Une hausse de 22% du nombre de chômeurs diplômés du supérieur[1] est l’un des éléments marquants de la Rétrospective économique 2018-2022[2], d’autant que cette évolution s’opère dans un contexte général assez favorable. Après un épisode de pandémie de coronavirus, suivi de tensions géopolitiques croissantes, le marché du travail a très bien résisté aux crises et cela s’observe à travers la création de plus de 70 000 emplois (en valeur absolue), ainsi que la baisse du nombre de demandeurs d’emplois inscrits à l’ADEM en 4 ans. Au Grand-Duché, le taux d’emploi des personnes diplômées du supérieur et âgées de 15 à 64 ans, a d’ailleurs augmenté entre 2018 et 2022, passant de 83,7 % à 84,1 % en 2021[3].

Ce paradoxe apparent requiert une analyse plus fine des facteurs pouvant expliquer la hausse constatée du nombre de chômeurs diplômés du supérieur de 654 personnes (+22%). Il convient de proposer une description de leur profil et de prendre cette hausse avec des pincettes.

En premier lieu, le nombre de demandeurs d’emplois diplômés du supérieur a explosé à partir de 2020, au plus fort de la crise COVID. Leur part dans le nombre total de sans-emplois résidents, disponibles inscrits à l’ADEM est passée de 18% en 2018 à 24% en 2020, puis à 25% en 2022, même si pour tous on remarque une baisse des effectifs moyens en 2022. Dans le courant de l’année 2020, la part de 24% concerne surtout les 30 à 44 ans ; par genre, le nombre de femmes a augmenté de 29,3%, contre 13,7% pour les hommes, sur la période observée (2018-2022).

Deuxième élément à considérer : la durée d’inscription à l’ADEM. Selon leurs données, les diplômés du supérieur de toutes les catégories d’âge ont vu leur durée d’inscription augmenter entre 2018 et 2022 ; ce sont surtout les personnes de 30 à 44 ans sans-emploi depuis un an ou plus qui ont connu une hausse marquée. En particulier, il s’avère que les femmes sont surtout plus exposées au chômage de longue durée que les hommes. Par ailleurs, en 2022, une autre catégorie d’âge se démarque pour le chômage de longue durée : les seniors diplômés du supérieur et âgés de 45 ans et plus, avec en moyenne 269 femmes et 282 hommes, soit 551 personnes au total.

Enfin et en troisième lieu, quelques facteurs peuvent d’ores et déjà être identifiés :

–  La population des diplômés du supérieur a augmenté : à première vue, la hausse du nombre de chômeurs diplômés du supérieur peut effrayer, mais il faut mettre cette hausse en parallèle avec celle de la population concernée. En ayant recours à un calcul d’un taux de chômage hypothétique des diplômés du supérieur, en comparant 2018 à 2022, ce taux a baissé. Selon les chiffres d’Eurostat, le nombre de personnes en emploi et diplômées du supérieur a en effet significativement augmenté au Luxembourg, passant de 127 000 personnes en 2018 à 169 000 en 2022. La population active (chômeurs inclus) des diplômés du supérieur a dès lors augmenté de 32,8% entre les 2 années.

–  Un problème d’appariement entre l’offre et la demande sur le marché du travail pourrait aussi expliquer en partie la hausse : d’abord, les types de diplômes recherchés dans les offres d’emploi ne correspondent pas ou très peu aux diplômes dont disposent ces chômeurs ; surtout en 2020, où selon le rapport annuel de l’ADEM, la hausse du nombre de chômeurs diplômés du supérieur aurait été dû à un manque d’opportunités sur le marché du travail, plutôt qu’à des licenciements. Au total il y avait en moyenne à l’ADEM pour les diplômés du supérieur 2,7 fois plus de demandeurs que d’offres d’emploi. Les plus fortes différences se démarquaient pour le commerce (8,3 fois plus de demandeurs), le transport et logistique (7,1 fois plus), et l’HORECA (6,3 fois plus de demandeurs). Ensuite, une autre explication possible serait l’obsolescence des compétences en raison des avancées technologiques et des nouvelles aptitudes demandées par le marché du travail, surtout depuis la mise en place accrue du télétravail en 2020. Surtout, les seniors sont plus souvent confrontés à des difficultés d’adaptation, dans un nouveau monde du travail en pleines mutations digitales.

–  Enfin, les développements de stratégies personnelles de réorientation peuvent également avoir un effet, étant donné la hausse de durée d’inscription à l’ADEM des demandeurs d’emploi diplômés du supérieur entre 30 et 44 ans. Il s’agit souvent de personnes se trouvant au milieu de leur carrière, s’interrogeant sur leur avenir professionnel, qui pourraient avoir recours à une reconversion professionnelle à travers des formations autres que via les mesures de l’ADEM.

Avec l’avancement de la digitalisation et pour pallier le risque d’augmentation du chômage de longue durée, des formations bien ciblées, privées ou publiques, seraient plus que nécessaires pour concilier les connaissances et compétences technologiques demandées, surtout pour les seniors.


[1] Les demandeurs d’emploi diplômés du supérieur, disponibles et résidents ici concernent tous les individus ayant terminé des études supérieures, et qui « à la date du relevé statistique ne sont ni en emploi, ni affectés à une mesure pour l’emploi, ni en congé de maladie ou de maternité », tout en habitant au Luxembourg, selon la définition de l’ADEM.

[2] Voir : Fondation IDEA asbl, Rétrospective Economique 2018-2022, mars 2023.

[3] Données STATEC.

« Août of the box » : La menace de la vague de faillites

Ce blog est issu de la série « Août of the box », réalisé en partenariat avec Paperjam

Quand adviendra la vague de faillites ? Cette question plane depuis le début de la crise avec tout son lot d’incertitudes.

Factuellement, cette potentielle vague de faillites n’a pas (encore ?) pointé le bout de son nez : entre 2019 et 2020 les faillites ont diminué de 3,6%. Depuis le début de l’année 2021, elles repartent à la hausse. Elles sont 8% plus nombreuses sur le premier semestre que celles enregistrées en moyenne au cours des premiers semestres des deux années précédant la crise sanitaire. Cependant, cette progression mérite d’être mise en perspective avec l’augmentation beaucoup plus marquée observée lors de la précédente récession à la suite de laquelle elles avaient augmenté de 21% en 2009, puis de 33% en 2010.

Peut-être que le pire est à venir et que, comme pressenti par le consensus d’IDEA réalisé au mois de février, la vague déferlera au second semestre ; à moins que la question pertinente ne soit plus « quand adviendra la vague de faillites ? » mais « et si la vague de faillites n’arrivait pas ? » Cette nouvelle interrogation n’est pas aussi saugrenue qu’elle aurait été au début de la pandémie et il n’y a, pour le moment, pas de raisons d’anticiper une explosion des faillites. A moins que les aides accordées à certains secteurs d’activités (comme l’Horeca par exemple) ne soient subitement stoppées, ce qui poserait de réels problèmes de trésorerie et/ou de liquidité pour des entreprises qui étaient viables et ne connaissaient pas de difficultés majeures avant la crise. Les fermetures successives ainsi que les restrictions d’accès ont en effet fragilisé les acteurs de manière inégale et le regain d’activité constaté ces derniers mois pourrait ne pas avoir été suffisant pour rétablir pleinement toutes les « trésoreries ». La clé de leur survie résidera donc dans le bon dosage des aides mais surtout dans la progressivité de l’arrêt de ces dernières.

De l’autre côté du spectre se trouvent aussi des entreprises qui connaissaient déjà des difficultés financières avant la pandémie et qui sans les dispositifs d’aides exceptionnelles leur ayant permis de garder la tête hors de l’eau pendant plusieurs mois auraient probablement déposé le bilan. Il faut bien garder à l’esprit que les faillites contribuent à un processus d’assainissement de l’économie ou, comme l’aurait dit Schumpeter, une sorte de destruction créatrice permettant notamment un renouvellement de l’offre sur le marché. Elles ont également le mérite de « clarifier » des situations parfois complexes vis-à-vis des créanciers.

Face à la diversité des situations, il faudra donc observer les (probables) hausses de faillites des prochains mois avec un certain discernement et garder à l’esprit qu’en adoptant un mix des visions de Schumpeter et de Keynes, la vague tant redoutée ne verra peut-être pas le jour.