« Août of the box » : De la surchauffe des prix immobiliers luxembourgeois

Ce blog est issu de la série « Août of the box », réalisé en partenariat avec Paperjam

Depuis 2019, les prix immobiliers luxembourgeois croissent à un rythme à 2 chiffres et la hausse a même dépassé les 15% ! En d’autres termes, si la tendance se poursuivait, les prix feraient plus que doubler tous les 5 ans. Alors que les fondamentaux économiques structurels (croissance, démographie, emploi, revenus, loyers, etc.) du pays n’ont pas vraiment changé, cette accélération soudaine et a fortiori insoutenable des prix intrigue et conduit à se demander si le Luxembourg ne couverait pas une bulle immobilière.

Graphique : Evolution des prix trimestriels annualisés du marché résidentiel luxembourgeois, du 1er trimestre 2008 au 1er trimestre 2021

Source : Eurostat

Il n’est pas inhabituel d’entendre que les prix des logements luxembourgeois « seraient justifiés et ne pourraient que monter à terme », avec pour cause toute trouvée le déséquilibre entre l’offre et la demande qui résulte de la croissance économique, du solde migratoire soutenu, des incitations fiscales, du déficit de foncier disponible, des taux d’intérêt bas, de la demande latente provenant des travailleurs frontaliers et même de la solvabilité du pays avec son triple A. Toutefois, même de solides fondamentaux économiques n’impliquent pas une disparition brutale du risque et ne peuvent a priori justifier des progressions de prix qui ont soudainement doublé voire triplé. Dès lors, cette croyance dominante et largement relayée, de façon quasiment virale, mérite une attention particulière. Elle pourrait résulter d’une certaine irrationalité.

Importante hausse de l’endettement privé et des encours de prêts hypothécaires par rapport au PIB, allongement de la durée des prêts, hausse importante et accélérée des prix des logements et des terrains, déconnexion du prix réel des logements avec les salaires réels et les loyers réels, hausse notable du coût de remplacement, achats des primo-accédants par peur de ne plus jamais pouvoir accéder au marché, comportements spéculatifs, mises en garde par le Conseil européen du risque systémique, rapports de la Commission européenne, du FMI, de la BCE et BCL qui concluaient déjà à des surévaluations avant même les fortes progressions récentes des prix… sont autant de signaux économiques qui illustrent le risque d’une importante surchauffe des prix des logements au Grand-Duché. D’un point de vue de la soutenabilité de la demande, un rapport du FMI datant de 2019 soulignait déjà l’extrême fragilité financière de 32% des ménages, qui avaient un ratio service de la dette sur revenu supérieur à 45%. Avec une moitié des prêts hypothécaires à taux variable dans les nouveaux prêts, certains ménages étaient déjà vulnérables face à un relèvement des taux d’intérêt.

D’aucuns diront que les marchés immobiliers réagissent principalement aux conditions d’offre et de demande. Toutefois, les particularités de l’immobilier sont telles que ce marché comporte des biais cognitifs, qu’il est illiquide et inclut des coûts de transaction élevés, une non-transparence des informations, une importante hétérogénéité des biens et une impossibilité d’échanger des parts de ces actifs. Il est aussi composé d’un grand nombre de participants non-professionnels qui peuvent être conduits par des motivations qui sont d’ordre financières, personnelles ou émotionnelles. Dès lors, les prix des logements peuvent avoir tendance à dévier de leurs fondamentaux. C’est très probablement ce qui est en train de se passer au Luxembourg.

C’est graphe docteur ? Retour de l’inflation aux Etats-Unis ?!

L’indice des prix des dépenses de consommation personnelle aux Etats-Unis continue sa forte progression,  cette dernière s’étant établie à 4% au mois de juin 2021, contre 3,9% pour le mois précédent. Alors que la variation de l’indice des prix atteint son plus haut niveau depuis août 2008 (voir graphe), le gouverneur de la FED Jérôme Powell se veut rassurant et a réitéré le caractère transitoire de la poussée inflationniste. Selon lui, l’inflation devrait finir par décélérer.

Plusieurs raisons peuvent expliquer la hausse soudaine des prix. Premièrement, l’effet de base est en partie (et de manière mécanique) responsable du rebond de l’inflation. En effet, l’indice des prix est calculé sur une évolution au cours des douze derniers mois et l’inflation avait fortement diminué au courant du deuxième trimestre de 2020, notamment avec la chute brutale du prix des énergies. Bien que la consommation pétrolière soit toujours inférieure à son niveau d’avant crise, les prix, eux, sont à leur plus haut niveau depuis deux ans, principalement à cause des coupes drastiques dans la production des pays membres de l’OPEP+. Dès lors, et avec la forte augmentation du prix des autres matières premières et la demande liée à la réouverture de l’économie, les prix ont pu fortement progresser sur un an.

Deuxièmement, les goulots d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement ont aussi participé à rehausser l’indice des prix. En raison des licenciements, des annulations de commande et des fermetures des usines de production sous-exploitées pour répondre à la chute de la demande induite par la crise sanitaire, les entreprises ont dans l’ensemble surestimé la pause temporaire de l’économie et sous-estimé le rebond qui s’en est suivi. Elles ont ensuite voulu rapidement reconstituer leurs stocks, ce qui a participé à submerger les ports américains, augmenter les tarifs des porte-conteneurs et donner lieu à des pénuries de pièces critiques et de matériaux d’emballage. Les températures extrêmement basses atteintes au courant du mois de février ont par ailleurs pénalisé certaines industries, suscitant des pénuries notamment pour les produits pétrochimiques.

Enfin, cet approvisionnement insuffisant a été renforcé par des difficultés de recrutement, causées par une augmentation des départs à la retraite, la peur de certains travailleurs de contracter la COVID-19 et par l’élargissement de la disponibilité, de la durée et du niveau des prestations d’assurance-chômage. Ces phénomènes ont retardé le retour de certains travailleurs sur le marché du travail et ont poussé les entreprises à augmenter les salaires et à réaffecter des travailleurs entre les entreprises et industries. Les prix ont ainsi tout naturellement progressé puisque les processus d’adaptation ont pris plus de temps pour répondre à la demande.

Dorénavant, le débat aux Etats-Unis s’articule autour du caractère durable ou transitoire du retour de l’inflation, alors qu’en Europe, la BCE estime que la baisse des prix de l’énergie pour les deux prochaines années et la pression sur les salaires liée au chômage élevé dans de nombreux pays devraient empêcher un retour de l’inflation au sein de la zone euro. Si la secrétaire au Trésor Janet Yellen entrevoit elle aussi un niveau normal des prix à moyen terme, après encore plusieurs mois d’inflation rapide, d’autres économistes (tel que Larry Summers) craignent au contraire que l’inflation puisse persister. Le plan de relance économique de l’Administration Biden aurait été trop ambitieux. Si tel était le cas, il serait légitime de s’interroger sur la durabilité et la robustesse de la reprise économique et a fortiori de la performance des marchés boursiers, et ce indépendamment d’un énième épisode de confinement. Dans son ouvrage[1], Ronald Marcks démontre en effet l’existence d’une relation de causalité entre la formation d’un mouvement inflationniste et les booms économiques et boursiers à court terme. Toutefois, cette relation ne serait pas aussi bénéfique à plus long terme…

[1]Parsson, J. (Marcks, R.) (1974): Dying of Money – Lessons of the Great German and American Inflations, Wellspring Press

Le retour de l’inflation n’est pas pour tout de suite mais se façonne petit à petit

A propos de l’auteur :

Denis Ferrand est Directeur Général de Rexecode.

L’accélération des prix à la consommation aux Etats-Unis ravive la perception de l’entrée dans une nouvelle ère de forte inflation. Le choc actuel de prix pourrait toutefois rester contenu et se révéler temporaire. Il ne s’agirait alors que d’un répit, les conditions fondamentales d’un surcroît durable d’inflation semblant se réunir.

Le constat tout d’abord : de décembre dernier à juin, la variation sur un an des prix à la consommation (hors énergie et alimentation) est passée aux Etats-Unis de 1,6 à 4,5 %, un rythme inédit depuis trente ans. La zone euro reste à l’écart de cette bouffée de chaleur, l’indice comparable progressant de moins de 1 % sur un an en juin bien que les prix de nombreuses matières premières aient bondi et que des difficultés d’approvisionnement se répandent en de nombreux maillons de la chaîne de valeur.

La trajectoire à court terme ensuite : les craintes de l’entrée prochaine dans une boucle inflationniste sont à tempérer.

  • Ce choc reste spécifique aux Etats-Unis.
  • Il y est circonscrit à quelques produits liés à la mobilité des personnes. 82 % de l’accélération survenue lors des six derniers mois est expliquée par seulement cinq produits (voitures d’occasion, véhicules neufs, location de véhicules, assurances de ceux-ci, billets d’avion). Ceux-ci ne représentent que 11 % du panier de consommation des ménages. Les prix des autres produits hors énergie n’accélèrent pas.
  • Les anticipations d’inflation à moyen terme formulées par les ménages ont peu réagi voire refluent pour celles formulées sur les marchés financiers.
  • Les salaires n’ont pas non plus réagi. Si des pénuries de main d’œuvre se diffusent à de nombreux secteurs, le niveau de l’emploi reste en effet inférieur de 6 millions de personnes (-4,4 %) par rapport à son niveau pré-pandémie. La boucle prix-salaires reste invisible à ce stade.

Au total, ce choc de prix pourrait bien s’apparenter à un pur prélèvement de pouvoir d’achat subi par les ménages américains. Un prélèvement à replacer dans le contexte spécifique de la pandémie : l’an dernier, leur revenu réel s’est accru de 5,9 % alors que le PIB chutait de 3,5 %. Le creusement du déficit public américain est la contrepartie de cet écart.

La trajectoire plus structurelle enfin : si le choc de prix pourrait rester temporaire et s’assagir d’ici fin 2021 ou début 2022, l’installation à moyen terme sur un régime d’inflation plus élevée que lors des vingt dernières années est possible et ce pour trois raisons principales.

La première est que les ingrédients de la « Grande Modération » ont perdu de leur substance. La Grande Modération est l’installation des économies occidentales à partir du début des années 1980 dans un régime de faible inflation. Elle reposait sur une politique monétaire très restrictive à l’origine, une ouverture accrue aux échanges mondiaux parachevée par l’omniprésence chinoise sur la production de biens, des gains de productivité élevés, une désindexation et une forte pression sur les salaires, un recours à l’endettement comme supplétif à la faible progression relative du revenu des ménages… La plupart de ces ingrédients sont désormais caduques : la politique monétaire est tout sauf restrictive, le commerce mondial se rétracte relativement à l’activité depuis 2010, les gains de productivité faiblissent tendanciellement, les pénuries de main d’œuvre redonnent aux salariés un pouvoir de négociation, l’endettement sans frein des ménages a montré ses limites en 2008-09.  Le philtre de la Grande Modération s’est évaporé.

La deuxième raison tient à l’impact très discuté des mutations structurelles des sociétés et des économies sur l’inflation. Le vieillissement démographique tout d’abord : parce qu’il conduit une raréfaction relative de l’offre de travail et induit un changement dans la structure de la demande vers des services à forte intensité en main d’œuvre (économie du care), son potentiel inflationniste ne peut être minoré[1]. La transition énergétique ensuite : elle est a priori inflationniste à moins que le progrès technique ne permette d’abaisser rapidement les coûts d’une source d’énergie à faible pouvoir d’émission de CO² alternative aux technologies en place. Par les coûts croissants des dommages environnementaux associés et du coût des assurances pour y faire face, le réchauffement climatique est également inflationniste. La numérisation de l’économie enfin : par une mise en concurrence de producteurs encore élargie, par la réduction des barrières à l’entrée de certaines activités ou encore par les gains de productivité qu’elle promeut, elle est a priori désinflationniste. Toutefois, l’économie numérique propage de puissants effets de réseaux propices à la monopolisation. Des premiers travaux de recherche économique ont également montré que les outils de l’intelligence artificielle pouvaient occasionner des effets de collusion entre algorithmes dans le sens d’une hausse des prix[2]. Les taux de mark-up (soit l’écart entre les coûts globaux et les prix pratiqués) seraient également un peu plus élevés dans les secteurs très numérisés relativement à ceux qui le sont moins[3]. Autant d’éléments plutôt inflationnistes.

La dernière raison tient à la tolérance vis-à-vis de l’inflation : un peu plus de hausse des prix inquiète d’autant moins qu’elle peut être un outil puissant de dévalorisation des dettes anciennes. Un argument de poids au moment où les Etats croulent sous des tombereaux de dette. Le slogan « Pay them more » prononcé récemment par Joe Biden est symptomatique d’une aspiration à un peu plus d’inflation d’autant moins redoutée qu’elle serait perçue comme utile pour les finances publiques… mais au risque d’oublier ses répercussions en termes de pertes de valeur patrimoniale pour des détenteurs de dette, qui sont aussi des électeurs. L’inflation est aussi un enjeu de répartition.

 


[1] Voir sur ce point la thèse de C. Goodhart et M. Pradhan The great demographic reversal : ageing societies, waning inequalities and an inflation revival, Springer 2020

[2] Voir Calvano et al. 2019 https://voxeu.org/article/artificial-intelligence-algorithmic-pricing-and-collusion

[3] Voir par exemple Calligaris et al. 2018, https://read.oecd-ilibrary.org/industry-and-services/mark-ups-in-the-digital-era_4efe2d25-en#page1