Penser le télétravail transfrontalier

Le développement du télétravail à grande échelle est une tendance qui porte en elle de multiples bouleversements obligeant à le penser de manière globale, en particulier dans le contexte transfrontalier.

Les fameux « seuils » fiscaux sont très régulièrement l’objet de discussions, y compris récemment entre la France et le Luxembourg. Du point de vue des salariés résidant en France et de leurs employeurs luxembourgeois, le seuil des 29 jours ne pose pas tant des problèmes de niveaux d’imposition[1] que des problèmes liés aux modalités de prélèvement de l’impôt, si bien que de nombreux employeurs demandent à leurs salariés de se limiter strictement à ce seuil fiscal[2], qui n’est pourtant pas un plafond strict en théorie. Sur la frontière franco-luxembourgeoise, il est donc surtout dans l’intérêt des salariés et des entreprises que les modalités de prélèvement de l’impôt évoluent, ce qui pourrait être en bonne voie d’après les récents échos de la presse.

Les conditions de prélèvement telles qu’elles ont été établies avec les fiscs belge et allemand ne semblent pas poser les mêmes soucis administratifs (sur le mode de prélèvement), mais le dépassement des seuils pourrait avoir des conséquences sur le niveau d’imposition des revenus des salariés, ce qui tend à renforcer les revendications d’une hausse de ces seuils de « tolérance » des salariés frontaliers. Enfin, au niveau administratif, de nombreux sujets devront être clarifiés dans les mois qui viennent (proratisation du temps partiel, modalités de preuve de présence physique, astreintes, démissions/embauches en cours d’année, etc.). Une fois ces « détails » réglés se posera très vite la limitation liée à la borne européenne de 25% qui conditionne l’affiliation à la sécurité sociale dont le dépassement entraîne des conséquences nettement plus dissuasives. Bien que mise entre parenthèses jusqu’au 31 décembre, il sera nécessaire d’avancer sur la reconnaissance du statut de travailleur frontalier pour y déroger. Le Parlement (… français) a adopté une résolution en ce sens dès 2021. Sur le plan des limitations règlementaires, il ne faudra pas négliger non plus les questions relatives au « risque » d’établissement stable et aux complexités qui pourraient aboutir à l’application du droit du travail du pays de résidence.

Mais derrière ces questions, pourtant cruciales, se posent des enjeux de moyen et long termes bien plus importants encore. Un récent Avis du CES explique que les projections économiques et démographiques luxembourgeoises soulignent la nécessité pour le Grand-Duché de s’investir davantage, pour renforcer l’attractivité et le développement cohérent des régions frontalières en coopérant dans le domaine de l’aménagement du territoire, des infrastructures de mobilité, de la formation des actifs, etc. Il ne servira pas à grand-chose de créer de parfaites conditions de télétravail pour les frontaliers éligibles si la situation en matière de mobilité, de logement et si la qualité de vie au sens large dans la métropole transfrontalière du Luxembourg continue de se dégrader et n’attire pas suffisamment de talents venus d’autres régions. L’essor du télétravail pourra contribuer à certains de ces objectifs, mais il ne sera pas suffisant et il pourrait même créer certains effets ambivalents[3]. Une proposition pour concilier le développement du télétravail et celui du territoire transfrontalier serait que la fiscalité du télétravail qui reviendrait normalement aux Etats des pays voisins soit collectée pour financer des projets de développement transfrontaliers. Cela pourrait être proposé aux autorités des pays voisins en l’échange de leur accord pour relever les seuils de tolérance fiscaux, mais le sujet ne semble pas présent dans les débats actuels, malgré la recommandation du CES. Des précédents de rétrocession fiscale prélevée sur la fiscalité des revenus et fléchés vers les collectivités locales transfrontalières (et non le budget général de l’Etat) existent pourtant déjà, comme dans le Grand Genève où le canton suisse a par exemple versé 295 millions d’euros en 2020[4]. D’après le Canton de Genève, cette somme importante a contribué à financer des projets de mobilité, de valorisation de zones d’activités, de logement social, de véloroutes, de collèges… intégralement situés dans le bassin de vie du Grand Genève. Le développement de ces projets est dans l’intérêt direct et évident des travailleurs frontaliers, de leurs employeurs et du territoire pris dans son ensemble. Une telle situation serait largement plus favorable à l’intérêt du Luxembourg qu’une contribution au budget général des Etats voisins.


[1] Le niveau de fiscalité ne concerne pas l’employeur et une rapide comparaison des barèmes d’imposition des revenus suggère un avantage pour la plupart des salariés à se faire imposer ses revenus en France, bien que ceci doit être analysé en fonction de la configuration des revenus des ménages, très variable.

[2] Voir : https://frontaliers-grandest.eu/pourquoi-votre-employeur-vous-limite-votre-teletravail/.

[3] Pour le Luxembourg, cela pourrait engendrer une perte d’activité dans les services (restaurants, commerce, etc.) en raison de la baisse de la consommation des frontaliers, ainsi que des pertes fiscales potentielles. Pour les régions limitrophes, l’attractivité des emplois luxembourgeois pourrait confronter les entreprises locales à une concurrence accrue en matière de recrutements alors que l’offre de travail est déjà relativement tendue.

[4] 69 millions ont alimenté le budget des collectivités du Département de l’Ain et 226 millions en Haute-Savoie, les Départements reversant ensuite une partie aux Communes concernées par le phénomène frontalier.

Un Recueil d’IDEA à (re)lire au coin du feu

À l’approche des fêtes de fin d’année et d’une période de congés propice à la réflexion, la Fondation IDEA vous propose de commander gratuitement un exemplaire de son Recueil :

   

Inventaire avant sortie de crise !

Les forces pandémiques ont balayé de nombreux tabous de la pensée économique conventionnelle et les mesures de soutien budgétaires – qui ont accompagné et facilité la relative bonne résilience de l’économie luxembourgeoise – auront été bien supérieures à ce que nous osions imaginer au démarrage de la crise.

Sur le plan économique, l’« embellie » est confirmée. Elle est toutefois sujette à caution tant les questions ouvertes (concernant le logement, la poursuite du télétravail, l’envie d’entreprendre, la montée des inégalités, le renouveau de la culture, la gestion des dettes, la lutte contre l’épidémie, la conduite des plans de relance, les risques de faillites et de multiplications de litiges entre co-contractants) ne manquent pas.

Les contributions contenues dans cette publication visent à éclairer ces questions.

Les auteurs

Muriel Bouchet, Directeur de la Fondation IDEA asbl ¦ Julie Boyer, Docteure en droit / Juriste à Clifford Chance Luxembourg ¦ Christel Chatelain, Head of Economic Affairs à la Chambre de Commerce du Luxembourg ¦ Louis Chauvel, Professeur de sociologie à l’Université du Luxembourg ¦ Narimène Dahmani, Économiste à la Fondation IDEA asbl ¦ Vincent Hein, Économiste à la Fondation IDEA asbl ¦ Georges Heinrich, Ph.D. (Economics), Secrétaire Général de la Banque de Luxembourg ¦ Sylvain Hoffmann, Directeur de la Chambre des Salariés ¦ François Koulischer, Professeur, Université du Luxembourg, Département de Finance ¦ Jean-Paul Olinger, Directeur de l’Union des Entreprises Luxembourgeoises (UEL) ¦ Antoine Paccoud, Chercheur au LISER ¦ Sidonie Paris, Économiste à la Chambre de Commerce du Luxembourg ¦ Pauline Perray, STATEC, Division Conjoncture, Modélisation et Prévision ¦ André Prüm, Professeur, Université du Luxembourg, Département de Droit ¦ Michel-Edouard Ruben, Senior Économiste à la Fondation IDEA asbl ¦ Céline Schall, Docteure en Sciences de l’information et de la communication, Ph.D. en Muséologie, Médiation et Patrimoine, Chercheure associée à Avignon Université, Chargée d’études et de formations au Service Culture de la Ville d’Esch ¦ Alain Steichen, Professeur associé à l’Université du Luxembourg, Managing partner à Bonn Steichen & Partners ¦ Thi Thu Huyen Tran, STATEC, Division des Statistiques Sociales et Université du Luxembourg, Département d’économie et de gestion.

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« Août of the box » : Réunion Gaichel et CIG, investir à l’étranger pour son propre potentiel de croissance !

Ce blog est issu de la série « Août of the box », réalisé en partenariat avec Paperjam

Au mois de juillet, deux rendez-vous importants pour les relations bilatérales avec la Belgique et la France ont été reportés : la réunion commune des gouvernements belge et luxembourgeois dite « Gaichel » et la conférence intergouvernementale franco-luxembourgeoise (CIG). Ces réunions qui permettent de faire le point sur les sujets d’actualité et les projets communs avec les Etats voisins ne sont pas exclusivement consacrées aux questions transfrontalières, mais les attentes en la matière sont en général très grandes pour les acteurs concernés.

Les thèmes à débattre ne manquent pas : mobilité, formation, télétravail, fiscalité, santé, sécurité, environnement… Les négociations sur la fiscalité appliquée aux frontaliers pendant les jours de télétravail figureront probablement à l’ordre du jour. L’idée parfois avancée dans le débat public luxembourgeois qui consisterait à demander aux Etats voisins de revoir les seuils d’exonération à la hausse sans compensation une fois la pandémie terminée n’est pas réaliste, dans la mesure où ces derniers ont fait preuve d’une forme de solidarité fiscale pendant cette période exceptionnelle (solidarité qui a sans nul doute été chiffrée par les services compétents depuis).

Pour autant, de nouveaux compromis « gagnant-gagnant » ne sont pas impossibles, ils permettraient même d’éviter que d’éventuelles contreparties ne soient vécues comme des concessions. Une manière intelligente (en plus d’être élégante, mais ce n’est pas le sujet) de renvoyer l’ascenseur aux pays voisins serait de reverser une partie de la fiscalité prélevée sur les télétravailleurs frontaliers dans des fonds de coopération bilatéraux qui seraient aussi alimentés par les autorités voisines. Avec ces fonds, il serait possible de lancer des appels à projets pour financer des infrastructures de mobilité, des projets de formation communs, des équipements sociaux, culturels, environnementaux… Ces projets pourraient indifféremment être développés du côté luxembourgeois ou étranger, l’important étant qu’ils aient une plus-value transfrontalière, c’est à dire qu’ils contribuent à renforcer la fluidité, la cohérence, l’attractivité et la durabilité du territoire transfrontalier pris dans son ensemble. Le « territoire économique et social » du Luxembourg dépasse d’une certaine manière ses frontières nationales, mais il est plus restreint que celui de la Grande Région, ce qui a pour conséquence qu’il n’existe toujours pas d’outils « politiques » adaptés : de tels fonds (un avec chaque pays voisin) seraient une excellente amorce.

Car il y a urgence à agir. Si certains phénomènes continuaient de s’amplifier au rythme actuel (distorsions sur le marché du logement, pénuries de personnel, congestion des infrastructures, etc.) cela pourrait représenter un réel risque pour l’économie luxembourgeoise. Une nouvelle phase doit donc s’ouvrir en matière de coopération transfrontalière. Il faudra notamment aller bien au-delà de la logique de « saupoudrage » (financement au compte-goutte de projets -uniquement dans la mobilité-) et de celle de « compensation » (transferts financiers aux communes voisines sans visibilité sur leur objet et sans évaluation) pour entrer progressivement dans une logique de vision et de construction communes, comme cela se pratique déjà depuis des années dans le Grand Genève (certes sans fonds de codéveloppement, mais avec des outils de gouvernance et de financement bien plus avancés que ceux en place ici). Définir ensemble une vision, une stratégie d’aménagement du territoire avec des priorités partagées, mettre des moyens en commun pour y parvenir ainsi qu’un mécanisme de sélection de projets… cela n’est pas vraiment une idée « out of the box » !

Certes, il faudra du temps, du courage politique et un effort d’organisation, mais il faut bien se rendre à l’évidence que dans ce domaine le Luxembourg en tant qu’Etat a davantage d’intérêts communs avec les régions voisines qu’avec les Etats centraux auxquels elles appartiennent.

Recueil d’IDEA : Inventaire avant sortie de crise !

Inventaire avant sortie de crise !

Le 17 Mars 2020, nous publiions « La santé d’abord, l’économie ensuite », un texte dont le titre nous avait été soufflé par un « acteur de la place ». Alors que l’état de crise sanitaire était sur le point d’être décrété (18 mars) et que les pouvoirs publics venaient de décider de mettre à l’arrêt une partie des activités de commerce (16 mars), nous y défendions l’idée d’un programme financier détaillé d’intervention pandémique (PFDIP) afin de lutter contre la récession qui s’annonçait. Au moment de publier ce document voilà plus d’un an, nous nous demandions si nous n’avions pas un peu trop chargé la barque.

Pourtant, à l’aune des événements qui ont suivi, nous avions eu tort d’avoir été timorés. Les forces pandémiques ont balayé de nombreux tabous de la pensée économique conventionnelle et les mesures de soutien budgétaires – qui ont accompagné et facilité la relative bonne résilience de l’économie luxembourgeoise – auront été bien supérieures à ce que nous osions imaginer.

Actuellement, la situation sanitaire et économique tend à s’améliorer grâce, entre autres, à la double prouesse que constituent l’intégration des « mesures barrières » dans les comportements et la disponibilité de plusieurs vaccins. L’« embellie » est toutefois sujette à caution tant les questions ouvertes (concernant le logement, la poursuite du télétravail, l’envie d’entreprendre, la montée des inégalités, le renouveau de la culture, la gestion des dettes, la lutte contre l’épidémie, la conduite des plans de relance, les risques de faillites et de multiplications de litiges entre co-contractants) ne manquent pas.

Les contributions contenues dans cette publication visent à éclairer ces questions.

Les auteurs

Muriel Bouchet, Directeur de la Fondation IDEA asbl ¦ Julie Boyer, Docteure en droit / Juriste à Clifford Chance Luxembourg ¦ Christel Chatelain, Head of Economic Affairs à la Chambre de Commerce du Luxembourg ¦ Louis Chauvel, Professeur de sociologie à l’Université du Luxembourg ¦ Narimène Dahmani, Économiste à la Fondation IDEA asbl ¦ Vincent Hein, Économiste à la Fondation IDEA asbl ¦ Georges Heinrich, Ph.D. (Economics), Secrétaire Général de la Banque de Luxembourg ¦ Sylvain Hoffmann, Directeur de la Chambre des Salariés ¦ François Koulischer, Professeur, Université du Luxembourg, Département de Finance ¦ Jean-Paul Olinger, Directeur de l’Union des Entreprises Luxembourgeoises (UEL) ¦ Antoine Paccoud, Chercheur au LISER ¦ Sidonie Paris, Économiste à la Chambre de Commerce du Luxembourg ¦ Pauline Perray, STATEC, Division Conjoncture, Modélisation et Prévision ¦ André Prüm, Professeur, Université du Luxembourg, Département de Droit ¦ Michel-Edouard Ruben, Senior Économiste à la Fondation IDEA asbl ¦ Céline Schall, Docteure en Sciences de l’information et de la communication, Ph.D. en Muséologie, Médiation et Patrimoine, Chercheure associée à Avignon Université, Chargée d’études et de formations au Service Culture de la Ville d’Esch ¦ Alain Steichen, Professeur associé à l’Université du Luxembourg, Managing partner à Bonn Steichen & Partners ¦ Thi Thu Huyen Tran, STATEC, Division des Statistiques Sociales et Université du Luxembourg, Département d’économie et de gestion.

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Le télétravail dans l’espace transfrontalier : une solution miracle ?

Ce mercredi 31 Mars 2021 a eu lieu la visioconférence Quo vadis Grande Région sur le thème: “Le télétravail dans l’espace transfrontalier, une solution miracle ?”, organisée en collaboration avec l’IGR, la SOLEP et la Chambre de Commerce du Luxembourg.

Après un Keenote Speech de Vincent Hein, économiste IDEA, une table ronde a permis de débattre des nombreuses implications du développement du télétravail à l’échelle transfrontalière et de faire le point sur les freins actuels, les opportunités mais aussi les risques qu’il représente. Pour en discuter, étaient présents :

Pierre Cuny, président de la Communauté d’agglomération Portes de France Thionville, maire de Thionville ;

Julien Dauer, coordonnateur Grand Est, responsable du service juridique, Frontaliers Grand Est ;

Marie-Josée Vidal, conseiller de gouvernement 1ère classe, coordinatrice générale, département de l’Aménagement du territoire, Ministère luxembourgeois de l’Energie et de l’Aménagement du territoire ;

Vincent Hein, économiste IDEA.

Retrouvez, ci-dessous, l’intégralité de l’événement  :

Extrait de la présentation introductive :

Pour télécharger la présentation de Vincent Hein :
Le télétravail, solution miracle ?

Epargne forcée et télétravail : les grains de sable de la relance de l’économie présentielle du Luxembourg

Tandis que le déconfinement graduel se poursuit et bien que des restrictions sanitaires sont toujours possibles (voire probables), le moral et le comportement des consommateurs font partie des indicateurs clés à scruter dès cet été, car ils pourraient avoir un impact sur la reprise économique, en particulier dans les secteurs d’activité les plus affectés par le confinement (hôtellerie, restauration, commerce d’habillement, de biens d’équipements, loisirs, événementiel, etc.) et dans lesquels de nombreuses entreprises se trouvent aujourd’hui sur le fil du rasoir. Si les dépenses de consommation finale des ménages pèsent moins dans l’économie luxembourgeoise qu’ailleurs (28% du PIB contre 52% dans la zone euro), il n’en demeure pas moins qu’elles s’adressent à tout un pan de l’économie locale déjà fortement éprouvé par les décisions de fermetures de ce printemps.

Comme ailleurs, l’économie du pays n’a pas été frappée de manière homogène par les mesures sanitaires. Au plus fort du confinement, le STATEC estimait par exemple la baisse de l’activité à 90% dans le secteur de l’Horeca et à 10% dans celui des activités financières.

Les « deux Luxembourg »

Il ne faut certes pas se cacher du fait que la profondeur de la récession au Luxembourg dépendra davantage de l’évolution de la demande extérieure (principalement européenne) en services financiers et en biens manufacturés que de l’évolution de la demande intérieure. Sur ces deux pôles économiques qui dépendent de la dynamique « étrangère », les mesures de soutien à l’économie du gouvernement changeront probablement moins la donne que les mesures monétaires et budgétaires prises à l’échelle européenne. A ce stade, le Tableau de bord économique et social d’IDEA montre que la place financière, qui reste de loin le principal moteur du pays, semble plutôt épargnée par les effets économiques de la crise sanitaire, bien que les annonces de restructurations dans le secteur bancaire se poursuivent. Le secteur industriel était entré dans une phase de ralentissement avant l’apparition de la COVID-19, mais regagne (timidement) quelques couleurs. Le secteur de la construction semble quant à lui davantage souffrir de délais de livraisons rallongés que d’une chute des carnets de commande.

En revanche, certains aspects ne doivent pas être négligés sur l’importance de maintenir à flot les secteurs d’activité présentiels qui dépendent davantage de la demande intérieure et pour lesquels le gouvernement a un rôle à jouer. Ce n’est certes pas « grâce à eux » que le PIB par habitant du Luxembourg est 3,3 fois plus important que la moyenne européenne, mais il s’agit de branches souvent constituées d’entreprises de taille modeste qui font vivre de nombreux travailleurs indépendants (parfois endettés sur leurs deniers personnels), qui emploient des salariés moins diplômés. Ils contribuent à un maillage économique très fin du territoire national, contribuant à l’image et à la qualité de vie des quartiers et communes dans lesquels ils sont présents. Bref, ils représentent une économie « palpable », « visible » à tout un chacun, dont on peut mesurer l’importance à l’émotion provoquée dès lors que les pancartes « local commercial à louer » apparaissent dans certains quartiers.

« Déconfiner » l’épargne forcée 

Au-delà des craintes (sérieuses) qui demeurent sur la circulation du virus et des mesures de stabilisation du gouvernement qui continuent à jouer leur rôle d’amortisseur, le plan de relance de l’économie présentielle du pays ne saurait se baser uniquement sur un appel de fonds publics, il passera aussi et surtout par une mobilisation des consommateurs eux-mêmes.

D’après l’enquête mensuelle réalisée par la Banque Centrale du Luxembourg, l’indicateur de confiance des consommateurs a marqué un net redressement au mois de juin, avec en particulier un retour progressif de l’intérêt à faire des achats importants, qui avait logiquement chuté pendant le confinement. Mais les ménages continuent de juger que l’épargne est opportune par les temps qui courent. Les niveaux de rémunération relativement élevés et l’importance du poste « logement » au Luxembourg peuvent en partie expliquer, voire légitimer, cette opinion qui varie finalement assez peu dans les enquêtes, quel que soit le climat économique et social.

Ce printemps, le confinement a eu un impact très concret sur le budget des ménages : en limitant leurs possibilités de consommer, il les a forcés à épargner. Dans les banques luxembourgeoises, les dépôts à vue des ménages résidant au Luxembourg ont augmenté de 1,4 milliard d’euros entre mars et mai, soit 850 millions de plus « que la normale », si l’on considère la tendance moyenne constatée sur les 12 mois précédant le confinement. Une donnée certes imparfaite, mais qui semble en phase avec l’estimation du STATEC « d’une épargne supplémentaire contrainte d’environ 1Mia EUR qui s’accumulerait en 2020 »[1].

A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ?

Transformer le regain de moral des consommateurs en actes, afin qu’ils décident de dépenser ces 850 millions d’euros plutôt que de les épargner par précaution devra donc être un objectif de la politique de relance économique du gouvernement.

Des mesures incitatives sont déjà prises dans ce sens comme le bon d’achat de 50 euros pour les clients de l’hôtellerie ou encore les multiples initiatives prises par les communes pour faire revenir des clients dans les commerces. Les données disponibles montrent que la propension à consommer des ménages est inversement proportionnelle à leur revenu (plus on gagne, plus on épargne… et inversement). Des mesures temporaires pourraient dès lors être prises en fonction du niveau de vie des ménages comme verser du « cash » aux ménages les plus précaires (qui vont le consommer) et transformer une partie des salaires les plus élevés en bons de consommation. Une manière de procéder pourrait être de mettre en place un impôt de crise temporaire sur les hauts revenus et de le rétrocéder sans délai en bons de consommation ayant une durée limitée.

Une autre idée serait de raccourcir temporairement la durée de validité des chèques repas et de limiter leur usage à la seule consommation dans les restaurants (y compris pour la vente à emporter, voire la petite épicerie qui pourrait être un autre bon relais de développement pour le secteur en cas de poursuite de l’épidémie), la grande distribution ayant été relativement épargnée par la crise[2].

Le télétravail, un grain de sable

Un autre sujet qui va rapidement émerger est celui de l’impact du télétravail sur l’activité du commerce, des services à la personne et de la restauration dans les quartiers d’affaires ou administratifs du pays. En effet, la concentration des emplois tertiaires pour lesquels le télétravail est possible (et massivement pratiqué depuis mars) au sein de quelques espaces très spécialisés est un autre élément discriminant pour la fortune économique des activités présentielles. Une généralisation du travail à distance, même un jour par semaine, pourrait redistribuer les cartes de ce secteur, transférant de l’activité dans les zones résidentielles (au Luxembourg et dans la Grande Région), voire détruisant une partie de la valeur ajoutée (cuisine à la maison, repassage des chemises, etc.).

Si une mutation de ce type peut être indolore économiquement, voire salutaire car répondant à une aspiration sociétale et redynamisant les « cités dortoirs », cela n’est possible que lorsqu’elle s’opère sur des longues périodes et qu’elle est accompagnée par des politiques publiques et des décisions d’entrepreneurs capables d’anticiper et d’accompagner le changement. Mais il n’en n’est strictement rien dans la situation actuelle. Le changement a été brutal et le risque de transformer la récession en dépression si des « clusters » de faillites en cascades apparaissaient est grand. Cela doit nous inviter à mettre entre parenthèses les enseignements de Schumpeter sur les bienfaits de la destruction créatrice[3]. Dans cette situation, la seule intervention qui pourrait en théorie inciter à la relance par les consommateurs serait de limiter le télétravail, mais elle apparait comme hasardeuse, voire dangereuse, à mettre en œuvre dans la situation sanitaire actuelle. Des mesures de soutien aux entreprises adaptées et ciblées devront vraisemblablement encore être imaginées pour ces cas précis.

 

Photo by Ibrahim Rifath on Unsplash

 


[1] STATEC, Note de conjoncture 1-2020, juin 2020.

[2] Sarah Mellouet, Fondation IDEA, Durcir les conditions d’utilisation des chèques repas pour soutenir le secteur de l’HORECA ? juin 2020.

[3] Michel-Edouard Ruben, Fondation IDEA, Soutenir autant que possible, sauver autant que nécessaire ! Décryptage N°11, juin 2020.