Le Luxembourg, un modèle à réinventer sans cesse

© photo : Julien Mpia Massa

IDEA vient de publier son 10ème Avis annuel intitulé « Le Luxembourg au rAAAlenti ! » . Une fois n’est pas coutume, sa lecture pourrait conforter le lecteur assidu qui aime affirmer que le Luxembourg en a vu d’autres et qu’il va probablement retrouver son insolente trajectoire expansive tout comme celui qui s’inquiète de le voir s’approcher d’un gouffre y trouvera des faits indiquant que son modèle socio-économique fait face à des défis considérables. Sur base d’analyses détaillées comme celles contenues dans ce rapport, c’est précisément ce à quoi s’applique un laboratoire d’idées comme IDEA : faire résonner les arguments de ces deux lecteurs pour nourrir le débat d’idées.

De nombreux constats de notre Avis annuel renforcent l’idée qu’en tant que « petite économie ouverte spécialisée au cœur de l’Europe », certes en moyenne plus dynamique et plus riche que ses principaux partenaires, le pays n’échappe pas à des remises en question, au moins partielles, de son modèle économique.

Dès son arrivée au pouvoir, le nouveau gouvernement a envoyé des signaux au monde économique et à la population qui craignent, pour de multiples raisons, une forme de déclassement économique. S’il veut entretenir la trajectoire de prospérité économique et sociale du pays, il devra aller plus loin et ouvrir des chantiers d’ampleur pour inventer de nouveaux facteurs de compétitivité et de résilience, la deuxième étant devenue une condition de la première avec la « polycrise ». Il devra en outre le faire avec des marges de manœuvre financières réduites, le « quoi qu’il en coûte » ayant fini par coûter, alors même que l’appétit pour un Etat assureur tous risques n’a cessé de grandir.

Le « modèle » luxembourgeois a ses forces, mais il a aussi ses angles morts. Les débats autour de la capacité à développer des logements en nombre suffisant, les effets du vieillissement démographique, l’assèchement progressif du bassin d’emploi transfrontalier ou encore la saturation des infrastructures mettent sous pression un système ayant créé de multiples dépendances entre la prospérité et la croissance ininterrompue des bases économiques imposables. À paramètres inchangés, en particulier sans nouveaux gains de productivité, des limites à la croissance luxembourgeoise existent.

Des évolutions des paramètres du modèle sont possibles. Les mettre en œuvre nécessitera vraisemblablement de faire évoluer certaines modalités de l’action publique, d’anticiper et de planifier davantage, d’intégrer des contraintes nouvelles toujours plus complexes et, surtout, de débattre ouvertement pour sensibiliser sans tabous la population aux défis et de croire en l’intelligence collective pour construire un projet à long terme.

Autant de thèmes à débattre sans préjugés, sur base d’analyses rigoureuses, transparentes et contradictoires. Un travail qu’IDEA s’emploie à poursuivre sans relâche, afin de ne pas injurier l’avenir mais de le préparer !

Document de travail N°19 : Quelques réflexions sur le budget 2023 !

© photo : Julien Mpia Massa

Après le « Grand Confinement » qui a obligé les gouvernements du monde entier, et singulièrement ceux de l’UE, à s’adonner à des politiques budgétaires – de compensation des pertes de salaires et de chiffres d’affaires – qualifiées de « socialisme pandémique  », l’année 2021 a été celle d’une forte reprise qui a offert la perspective d’une crise (sanitaro)économique qui ne serait qu’un trou d’air. Hélas, l’invasion de l’Ukraine par la Russie début 2022 a douché cet espoir. L’orientation prospective de la politique budgétaire du Luxembourg – exposée dans le Projet de Budget 2023 et dans le Projet de loi de programmation financière pluriannuelle pour la période 2023– 2026 – s’en trouve engagée dans un complexe exercice contraint par une « tragédie des horizons », des « perspectives dégradées » et un « haut degré d’incertitude » concernant l’évolution future des prix, des salaires et des taux d’intérêt.

Dans ce nouveau Document de travail, IDEA propose des amendements concernant le renforcement du pouvoir d’achat, la compétitivité, le logement et l’énergie qui pourraient utilement compléter les dispositions fiscales les plus emblématiques du projet de Budget 2023. 

Une vue d’hélicoptère des finances publiques est également présentée, sur une période de 25 ans. Il s’agit d’éclairer le projet de budget à la lumière du passé, au moyen de dix graphiques.

Consulter en ligne le Document de travail

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Entreprises familiales luxembourgeoises & Intelligence économique

Face aux difficultés que les entreprises familiales luxembourgeoises (EFL) sont amenées à rencontrer[1], un usage (plus courant) de l’intelligence économique (IE) pourrait contribuer de façon non négligeable à leur performance et permettre de renforcer leur résilience. Ingrédient essentiel pour soutenir une stratégie durable et créatrice de valeur, ce mode de gouvernance[2] peut contribuer à les rendre plus compétitives et les aider à se relancer à la suite de la perte d’activité causée par la crise sanitaire du COVID-19. Quels sont les attributs qui peuvent conférer une résilience aux entreprises ? Quelles sont les contraintes des EFL et comment l’IE peut répondre à certaines de leurs problématiques ?

La résilience des entreprises 

Au regard de l’importance du poids des entreprises familiales dans le tissu économique luxembourgeois, il importe de ne pas négliger ces types de structure[3]. Malgré que ces organisations aient de nombreuses contraintes, il n’en demeure pas moins qu’elles peuvent aussi faire preuve d’une certaine résilience, pouvant leur permettre de rebondir face à des imprévus. Cette résilience, plus ou moins forte selon l’entreprise et le secteur d’activité, se distingue principalement dans «la capacité : d’absorption du choc, de renouvellement et d’appropriation» [4].

Toute chose égale par ailleurs, cette crise sera d’autant plus absorbée par les entreprises dont la structure financière était saine dès le début. Celles qui ont ou qui ont pu conserver des liquidités[5], détenaient moins ou pas de dettes financières, bénéficiaient d’un patrimoine important -et d’une bonne réputation acquise à travers le temps- en souffriront a priori moins. En outre, les entreprises qui, dans cette période de grande incertitude, sauront se renouveler rapidement et faire preuve d’agilité organisationnelle d’ingéniosité, de pragmatisme et d’audace dans la conquête de nouveaux marchés et le développement de nouveaux produits et services seront celles les plus à même à survivre. Enfin, les entreprises qui auront appris des chocs précédents et pour lesquelles les équipes partagent des valeurs communes auront également plus de chance d’éviter la faillite[6].

Les contraintes des EFL

Bien que ces attributs diffèrent pour chaque EFL, la majorité (73%) d’entre elles exprimaient déjà, et ce bien avant l’arrivée de la crise sanitaire, leur inquiétude à rester compétitives face à l’intensité concurrentielle. C’est donc sans surprise que le rapport de PwC Luxembourg révélait que le «contrôle de la profitabilité était également devenu une de leurs priorités». En toute logique, le tiers d’entre elles faisaient état de difficultés à contrôler leurs profitabilité, coûts et trésorerie. Les EFL éprouvaient également de grandes difficultés à recruter du personnel compétent, le motiver et le fidéliser. Au même moment pourtant, 79% d’entre elles exerçaient leurs activités pratiquement uniquement sur le marché luxembourgeois. Bien que souhaitant garder une proximité auprès de leurs clients pour conserver un service de qualité et une certaine flexibilité, une autre étude de PwC Luxembourg[7] révélait que ces entreprises avaient déjà des craintes à conquérir des parts de marché au sein de la Grande Région.

L’IE : dynamique d’intelligence stratégique

Souvent confondu à tort avec l’espionnage économique, l’IE est fortement recommandée par de nombreuses études économiques. Son usage permet de faire un état des lieux et de se rendre plus facilement compte de ses forces, faiblesses, opportunités et menaces[8] et de comprendre les climats économiques, sociaux et politiques des pays dans lesquels les entreprises souhaitent s’implanter[9].

En épluchant les rapports et documents publics des autres acteurs économiques, des journaux et revues spécialisées et en effectuant des investigations (légales), les EFL peuvent collecter, selon des délais et coûts précis, un ensemble de données comptant différents degrés de fiabilité. Elles peuvent ensuite les recouper pour les transformer en informations plus ou moins robustes et pertinentes. Ces dernières peuvent alors être étudiées afin de comprendre et prédire les agissements de leurs fournisseurs, clients, compétiteurs actuels et potentiels, analyser les produits et services substituables[10] ainsi qu’assurer un meilleur suivi des risques politiques, naturels et industriels et des évolutions technologiques. Au-delà des travaux de veille, l’IE peut également s’articuler autour de la sécurité économique et/ou de l’influence. L’entreprise pourra ainsi protéger son image et patrimoine informationnel et veiller au bon fonctionnement de ses outils de gestion. Elle sera aussi en mesure de s’orienter vers des techniques d’opération d’influence[11] pour accroître ses parts de marché, si l’entreprise choisit une approche plus offensive.

Si l’IE est davantage pratiquée par les grandes entreprises, elle n’en reste pas pour autant leur apanage[12]. Les TPE-PME (familiales)[13] peuvent aussi tirer grandement profit de son application. En centralisant la collecte des données et l’interprétation de l’information et en veillant à ce que les renseignements circulent efficacement, les résultats peuvent, après un certain temps d’adaptation, être largement bénéfiques[14]. L’IE participerait à : «augmenter la qualité de l’information, accélérer la prise de décision, favoriser systématiquement le processus organisationnel, améliorer l’efficacité, réduire les coûts, accroître le savoir, perfectionner le flux et la diffusion de l’information, identifier les opportunités et les menaces, faire gagner du temps, (…), conduire à une découverte de clients inconnus, une meilleure planification stratégique et une vision plus large des connaissances cachées au sein de l’organisation, aider à une collecte systématique d’informations (…) et finalement entraîner une augmentation du chiffre d’affaires annuel[15]».

Dès lors, un recours (plus courant) à l’IE permettrait aux EFL d’être a priori plus compétitives, d’augmenter leur part de marché à l’international et donc d’accroître leur profitabilité et résilience. Les risques liés au développement de nouveaux produits et services et à la conquête de nouveaux marchés seraient ainsi diminués car des études approfondies de renseignement auront en amont été effectuées. Davantage de liquidité pourrait ainsi être gardée au sein des bilans tandis que les salariés pourraient être plus justement rémunérés à la hauteur de leurs performances. Les EFL deviendraient ainsi plus attractives pour recruter des salariés compétents. Enfin, les problématiques concernant la gestion de trésorerie et de qualité des marchandises pourraient se réduire car l’intégrité et les critères financiers -minimum exigés de profitabilité, solvabilité et liquidité- des clients et fournisseurs auront auparavant été analysés. Toute chose égale par ailleurs, le besoin en fonds de roulement et les factures impayées des EFL pourraient ainsi diminuer.

Si le concept de l’IE peut paraître farfelu, rappelons au lecteur que le Luxembourg dispose d’un modèle phare en la matière. La véritable toile de réseau d’information tissée par Emile Mayrisch, fondateur et directeur de l’Arbed, à l’aide de sa cinquantaine de succursales (Columeta) installées à travers le monde à la fin des années 1930, fut l’une des raisons du grand succès de l’entreprise sidérurgique. Les renseignements ont en effet permis de garantir approvisionnements et débouchés[16].

[1]Voir : PwC Luxembourg (2007): Les entreprises familiales luxembourgeoises

[2] L’IE n’est pas un outil de compétitivité mais s’assimile à la définition d’intelligence stratégique d’Edgar Morin

[3] 70% des entreprises luxembourgeoises seraient de type familial

[4]Voir: Bégin & Chabaud (2010): La résilience des organisations – Le cas d’une entreprise familiale, Lavoisier

[5]La détention de cash n’est toutefois pas homogène. Elle tend à être positive lors des trois premières années de la crise mais elle est négative sur six ans. Voir: Lozano & Yaman (2020): The European Financial Crisis and Firm’s Cash Holding Policy, Global Policy Volume

[6]Voir: Coutu (2002): How Resilience Works, Harvard Business Review

[7]Voir : PwC Luxembourg (2007): L’entreprise transfrontalière ou l’émergence d’un modèle hybride

[8]SWOT: Strengths, Weaknesses, Opportunities and Threats (outil stratégique)

[9]Voir: Muñoz-Cañavate & Alves Alvero (2017): Competitive intelligence in Spain: A study of a sample of firms, Business Information Review

[10]Voir: Porter (1985): The Competitive Advantage: Creating and Sustaining Superior Performance, Free Press

[11]Les plus citées sont : la construction de réseaux d’influence (décideurs politiques/économiques), les opérations de lobbying et le financement d’études

[12]Voir : Carayon (2003) : Intelligence Economique, Compétitivité et Cohésion Sociale, Rapport Carayon, La Documentation française

[13] 2/3 des entreprises familiales luxembourgeois seraient des PME

[14]Voir: Galvin (1997): Competitive Intelligence at Motorola, Wiley

[15]Voir: Oraee et al. (2020): The competitive intelligence diamond model with the approach to standing on the shoulders of giants, Library & Information Science Research

[16]Voir: Arboit (2016): Les réseaux du fer – Information, renseignement économique et sidérurgie luxembourgeoise entre France, Belgique et Allemagne 1911-1940, Peter Lang

Décryptage N°16: Comprendre l’intelligence économique

IDEA tient à remercier Madame Sara Bouchon et Monsieur Niels Dickens qui ont accepté d’échanger leurs connaissances et leurs points de vue dans le cadre de l’élaboration de ce Décryptage. 

L’intelligence économique n’est pas une forme d’espionnage industriel. Son utilisation est même fortement recommandée par de nombreuses études pour renforcer la compétitivité et la résilience des entreprises. Qu’est-ce que l’intelligence économique ? Pourquoi le Luxembourg devrait en faire un usage accru et quels systèmes d’intelligence économique sont utilisés dans d’autres pays ?