Compte-rendu de Frédéric Meys, Economiste IDEA
© photos : Pierre Guersing – Chambre de Commerce et Julien Mpia Massa
Le 30 septembre 2024 s’est tenue la réunion annuelle conjointe du Conseil d’administration, du Conseil scientifique et de l’équipe opérationnelle de la Fondation IDEA asbl. Intitulée « La transition énergétique, l’impératif climatique sous contraintes multiples », cette rencontre a mis en lumière l’importance cruciale de la décarbonation des sociétés, et plus spécifiquement de l’énergie consommée, un défi qui dépasse les frontières luxembourgeoises pour s’inscrire dans une dynamique européenne et mondiale et qui devra tenir compte de contraintes complexes…
Vincent Hein, directeur d’IDEA, a tenu à rappeler d’emblée que le Luxembourg a des spécificités très marquées en matière de bilan et de dépendance énergétiques qui nécessitent un regard particulier sur ses ambitions en matière de transition. Il a également précisé les objectifs du séminaire : « ce qui nous intéresse en tant que think tank, c’est le choix des politiques publiques à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs. Les décideurs publics ont en effet toute une panoplie d’outils pour accompagner la transition, allant des interdictions aux marchés des droits d’émissions ».
Le séminaire a débuté par une présentation introductive de Frédéric Meys, économiste IDEA, qui a rappelé l’urgence d’une action rapide face à la crise climatique. L’impact d’une hausse des températures sur l’environnement, la société et le monde économique a été évoqué, insistant sur la nécessité de fixer des objectifs ambitieux. Le Luxembourg a adopté une approche volontariste avec trois cibles majeures à atteindre d’ici 2030 : une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 55% par rapport à 2005, une part des énergies renouvelables dans la consommation finale à hauteur de 37%, et une amélioration de l’efficacité énergétique de 42 % par rapport à un scénario de référence. Bien que le pays progresse, il reste confronté à de nombreuses contraintes qu’il doit gérer afin de maintenir sa compétitivité dans le cadre européen et mondial. Les défis incluent notamment la contrainte temporelle, les tensions sur le marché du travail, tout particulièrement dans le secteur immobilier, et les enjeux liés à l’acceptabilité sociale de la transition.
Raphaël Trotignon de Rexecode a présenté le positionnement des trois grands blocs économiques — l’Europe, la Chine et les États-Unis — dans leurs stratégies de décarbonation. Les différences apparaissent saisissantes : la Chine et, dans une moindre mesure, les États-Unis semblent mieux concilier croissance économique et réduction de l’empreinte carbone. Alors que l’Europe affiche les meilleures performances en termes d’émissions de GES par habitant et par unité de valeur produite, la croissance économique y est bien plus faible qu’outre-Atlantique ou en Chine. Ces deux dernières régions ont recours à des stratégies distinctes pour stimuler leur transition énergétique, en stimulant davantage l’offre : les États-Unis privilégient les subventions et les crédits d’impôts avec des dispositions protectionnistes, tandis que la Chine s’impose comme le leader mondial des technologies renouvelables, en soutenant massivement son industrie lui permettant de multiplier ses exportations de véhicules électriques, de batteries et de panneaux solaires.
Tom Haas, futur Directeur du STATEC, a ensuite exposé les paramètres et projections sous-jacents au Plan National Energie Climat (PNEC). Le PNEC, récemment mis à jour, fixe des objectifs sectoriels, notamment pour les bâtiments et le transport. Pour les premiers, la décarbonation dépendra en grande partie de l’élimination progressive du chauffage fossile. Pour le secteur des transports, la taxe CO2 contribuera à diminuer les ventes de carburant aux non-résidents, un enjeu majeur pour maintenir le Luxembourg sur le cap de réduction des émissions de GES. Les prévisions du STATEC anticipent un découplage absolu entre la croissance économique, l’évolution démographique et l’augmentation de l’emploi, d’une part, et les émissions de GES, d’autre part. Cependant, ces efforts risquent de creuser le déficit public, en raison principalement des investissements repris dans le Plan national Mobilité 2035.
Concernant le PNEC, Andrew Ferrone, Président de l’Observatoire de la Politique Climatique (OPC) et membre du Conseil Scientifique d’IDEA, a souligné trois points d’attention : le manque de solutions intégrées, l’absence de prise en compte des émissions liées à la consommation, et le risque de fuites de carbone au-delà des frontières. Parmi ses recommandations figure l’augmentation de la taxe carbone à 200€/tonne CO2. À son tour, Claudia Hitaj, du ministère de l’Écologie, de la Biodiversité et du Climat et co-autrice d’une étude du LIST sur le sujet, a rappelé l’importance de distinguer les émissions de GES basées sur la production domestique, telles que mesurées par le PNEC, et celles fondées sur la consommation, qui reflètent mieux l’empreinte carbone réelle du pays. Selon elle, d’ici 2050, l’empreinte carbone par habitant au Luxembourg devra diminuer de 90% par rapport à 2021 pour atteindre un niveau soutenable. Les politiques à privilégier se répartissent en trois catégories : éviter les émissions, modifier les comportements et améliorer les technologies.
Pascal Worré et Georges Reding, du ministère de l’Économie, ont souligné l’ambition du Luxembourg de tripler ses capacités éoliennes et photovoltaïques d’ici 2030, tout en maintenant son objectif d’efficacité énergétique. Ils ont également mentionné le rôle que jouera l’hydrogène pour l’industrie lourde. Parmi les nouvelles mesures, le gouvernement actuel s’attache à lever les obstacles réglementaires pour favoriser le développement des énergies renouvelables, par exemple en simplifiant les procédures d’autorisation.
Tom Eischen, d’Encevo, a mis en évidence les impacts de la transition énergétique sur le triangle énergétique : sécurité d’approvisionnement, efficacité économique et durabilité environnementale. Il a souligné la nécessité d’un renforcement des infrastructures pour répondre à l’augmentation de la demande électrique, notamment le stockage d’électricité face au caractère plus intermittent. Le réseau gazier, quant à lui, devra gérer l’augmentation des coûts moyens dans le cas d’une utilisation décroissante.
Enfin, René Winkin, rapporteur d’un avis du Conseil Économique et Social (CES) sur la transition énergétique, a insisté sur la nécessité de soutenir la croissance économique pour financer la transition. Il a évoqué les risques associés à la diminution des recettes fiscales provenant des énergies fossiles et les besoins en financement pour les ménages et les entreprises. Parmi les recommandations du CES, on trouve une neutralité technologique, y compris vis-à-vis de l’énergie nucléaire, le maintien du signal-prix en compensant fiscalement les ménages et les entreprises et un ajustement du mécanisme de taxe carbone aux frontières pour éviter un désavantage concurrentiel de l’Europe.
La discussion qui a suivi a permis d’aborder des sujets complémentaires, notamment la nécessité d’une intégration à long terme de l’impératif climatique dans les finances publiques, l’équité intergénérationnelle, l’impact des data centers, le développement du « Carbon Capture and Utilization/Storage » et le manque d’interconnexions électriques en Europe. Michel Wurth, le président de la Fondation IDEA asbl, a conclu la réunion en plaidant pour une taxation carbone mondiale, avec une redistribution équitable vers les pays les plus vulnérables, soulignant ainsi la nécessité d’une cohérence et d’une action collective à l’échelle internationale.