Une taxe carbone à 200 euros au Luxembourg ?

© photo : Julien Mpia Massa

Depuis le 16 novembre, le Luxembourg a un plan de marche pour les cinq années à venir. IDEA propose une série de blogs pour analyser quelques-uns des points saillants de l’accord de coalition 2023-2028. Dernier volet de cette série : quelques réflexions sur le niveau de la taxe carbone au Luxembourg.

Dans son programme de coalition, le gouvernement luxembourgeois s’engage à respecter la trajectoire de la taxe CO2 définie dans le Plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC). Pour rappel, la taxe carbone a été introduite en 2021 et s’établit désormais à 30 euros la tonne de CO2. Afin de réduire davantage les émissions de gaz à effet de serre (GES), le PNEC prévoit une augmentation annuelle de 5 euros au moins jusqu’en 2026, ce qui lui permettra d’atteindre le montant de 45 euros la tonne de CO2 à cette échéance, soit environ 11 centimes de plus sur le litre actuel de diesel. Dans la mise à jour du PNEC, le gouvernement met un accent particulier sur le renforcement des objectifs dans le secteur des transports. La cellule scientifique de la Chambre des Députés [1] reconnaît que le secteur des transports, qui représente 60,9 % des émissions de GES (hors ETS) au Luxembourg, est un secteur clé à considérer afin d’avoir un impact significatif sur la baisse des émissions de CO2. En 2022, deux tiers des émissions de ce secteur provenaient de la vente de carburant, dont environ 70 % peuvent être attribuées à des voitures immatriculées à l’étranger [2]. Ce tourisme à la pompe contribue donc largement à l’intensité apparente des émissions au Grand-Duché.

Une des manières de réduire le bilan CO2 du secteur du transport serait de renoncer au tourisme à la pompe [3]. En supposant, dans un contexte purement fictif, que le gouvernement décide de mettre fin à cet avantage compétitif, il pourrait opter pour un prix du carburant équivalent à celui pratiqué dans les pays frontaliers. Le Luxembourg serait donc moins compétitif sur les ventes de carburants et les non-résidents moins incités à s’y approvisionner. Quel est donc le prix de la taxe carbone qui permettrait d’harmoniser les prix de carburant ? Pour répondre à cette question, posons l’hypothèse que les taxes d’accises sont stables [4] au Luxembourg, ainsi que dans les pays voisins, et que le prix moyen du diesel sur les 5 années précédentes correspond peu ou prou à son prix moyen de long terme [5]. En France, les augmentations de la taxe carbone qu’elle avait prévues ont été suspendues après les manifestations du mouvement des gilets jaunes. Un changement de politique n’y est donc pas à prévoir à court terme. La Belgique, quant à elle, ne dispose pas de taxe carbone et son introduction n’est pas à l’ordre du jour à la lecture de son PNEC [6]. À politiques inchangées, le STATEC estime que chaque augmentation de 5 euros de la taxe carbone au Luxembourg réduit le différentiel de prix du diesel avec les pays voisins d’un peu plus d’un centime.

Dans l’absolu, le différentiel de prix de vente du diesel est plus élevé entre la Belgique et le Luxembourg, soit 45 centimes d’euros, suivi par la France et l’Allemagne. Une taxe carbone au Grand-Duché qui s’élèverait à 211 euros [7], équivalent à 7 fois la taxe carbone actuelle et représentant 51 centimes de plus par litre de diesel, pourrait permettre de réduire significativement le différentiel de prix de vente du diesel avec la Belgique. En ce qui concerne la France et l’Allemagne, la taxe carbone devrait être de 168 euros et 133 euros, respectivement.

Source: STATEC, Direction générale de l’Energie – SPF Economie, DGEC, ADAC; Calculs IDEA

La taxe carbone qui permettrait de réduire significativement les différences de prix de vente du diesel entre le Luxembourg et ses pays frontaliers, toutes choses égales par ailleurs, devrait donc se situer entre un plancher de 168 euros et un plafond de 211 euros [8]. Cette fourchette corrobore les recommandations d’une taxe carbone à 200 euros par tonne de CO2 éq. réclamée par l’Observatoire de la politique climatique et le Klima-Biergerrot.

La mise en place d’une telle taxe permettrait, certes, de faire baisser le bilan CO2 apparent du Grand-Duché, mais pourrait également engendrer un effet d’aubaine dans les pays voisins, plus particulièrement l’Allemagne. En effet, avec ces niveaux de la taxe carbone, le différentiel avec l’Allemagne pourrait s’inverser en faveur de ce dernier, avantageant ainsi les distributeurs de diesel allemands. Une réaction rationnelle des résidents luxembourgeois étant de s’approvisionner en diesel en Allemagne, la taxe CO2 aurait alors un effet sur le comportement des consommateurs qui ne serait pas nécessairement bénéfique pour leur bilan carbone. Ceci aurait certainement un effet négatif sur le secteur de la distribution de carburant au Luxembourg, mais également sur les recettes fiscales (pour mémoire, les recettes des accises sur les carburants représentaient 725,4 millions d’euros en 2022 [9]). À ce stade, il est difficile de se prononcer sur le sens de l’effet de l’introduction de la taxe carbone à ce niveau. Il serait donc nécessaire d’évaluer l’ampleur de la diminution des ventes de carburant, tout comme le potentiel d’une taxe carbone plus élevée à combler cette perte. Ces effets, parfois indésirables, doivent donc être pris en compte dans la détermination de la valeur de la taxe carbone.


[1] Note de recherche scientifique CS-2022-DR-028

[2] PNEC

[3] A noter qu’il s’agirait uniquement d’un transfert d’émissions vers les pays voisins et non pas d’une réduction absolue. L’effet de la réduction des émissions sera amplifié par l’interdiction de l’Union européenne de vendre des voitures neuves à essence et diesel à partir de 2035, encourageant ainsi l’électrification du parc automobile.

[4] La préférence d’agir sur le prix par le biais de la taxe carbone, au lieu des taxes d’accises, vient du fait que les recettes provenant de la taxe carbone sont fléchées. Ainsi, le gouvernement luxembourgeois utilisera les recettes à des fins sociales et environnementales uniquement. Cependant, l’effet sur les émissions de GES est équivalent.

[5] Les 5 années précédentes considérées sont de 2018 à 2022, de façon à lisser les variations de prix et de prendre en compte le choc de prix de 2022, provoqué par la guerre en Ukraine.

[6] L’Allemagne a mis en place un système de quotas national, fixant le prix du carbone au même prix que le Luxembourg en 2023.

[7] Les données utilisées dans nos calculs ont été extraites de différentes bases de données (STATEC, Direction générale de l’Energie – SPF Economie, DGEC, ADAC). Le prix du carbone permettant d’atteindre un différentiel de prix du diesel nul dans la Grande Région a été déterminé grâce à l’utilisation de la moyenne des prix de diesel TTC des clients professionels et résidents.

[8] Le différentiel de prix avec l’Allemagne étant relativement plus faible, nous avons décidé de ne pas la prendre en compte pour ne pas trop élargir la fourchette et perdre en efficacité.

[9] Tableau de situation budgétaire (décembre 2022)

Le pari photovoltaïque

© photo : Julien Mpia Massa

Depuis le 16 novembre, le Luxembourg a un plan de marche pour les cinq années à venir. IDEA propose une série de blogs pour analyser quelques-uns des points saillants de l’accord de coalition 2023-2028. Cinquième volet de cette série : Le pari photovoltaïque.

L’attrait pour les installations photovoltaïques est manifeste en lisant le volet consacré à l’environnement, à la biodiversité, au climat et aux énergies renouvelables du nouveau programme de la coalition gouvernementale. Il est pourtant justifié de considérer que ce choix stratégique poursuit au minimum deux objectifs qui se veulent fondamentaux pour une transition énergétique réussie. Premièrement, augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie, actuellement évaluée à environ 12 % [1]. Deuxièmement, réduire la dépendance du Luxembourg vis-à-vis des importations d’électricité, qui représentaient 85 % selon les données du STATEC en 2021, dont 66 % proviennent d’Allemagne.

Miser sur l’énergie photovoltaïque serait donc à la fois un choix pragmatique et impératif pour accélérer la trajectoire de décarbonation du secteur énergétique luxembourgeois. Un argument qu’on pourrait également retrouver dans le dernier rapport de l’International Energy Agency (IEA) [2], où les auteurs mettent en avant le potentiel élevé de l’énergie photovoltaïque pour réduire de manière rentable les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, parmi toutes les énergies renouvelables.

Au Luxembourg, la production brute d’énergie photovoltaïque a enregistré une croissance significative, progressant de 50 % en seulement 7 ans pour atteindre 160 GWh en 2021 et représentant environ 9,6 % de la production brute totale d’énergie renouvelable. Toutefois, malgré cette progression, force est de constater qu’à ce jour, le photovoltaïque n’est pas la source d’énergie ayant connu la croissance la plus marquée. La production brute d’énergie éolienne a affiché une croissance de 208 % sur la même période pour atteindre un niveau de 314 GWh en 2021.

Face à cette alternative semblant offrir un très bon potentiel, pourquoi donc accorder une attention particulière au photovoltaïque ? Si la réponse à cette question, il faudrait l’avouer, n’est pas simple, il serait néanmoins important de souligner de manière non exhaustive quelques défis inhérents à la concrétisation du projet photovoltaïque tel que souhaité par le gouvernement actuel.

Usage du foncier : Il est crucial de prendre en compte le fait que les espaces appropriés et disponibles pour l’installation des panneaux photovoltaïques sont géographiquement limités. Ainsi, de la même manière que les projets de constructions dans le bâtiment et les éoliennes, le photovoltaïque pourrait éventuellement être confronté au phénomène NIMBY (Not In My Backyard), susceptible de créer des blocages pour son expansion à grande échelle et des conflits d’utilisation des sols. Bien que le gouvernement annonce d’emblée qu’il « examinera la possibilité de supprimer l’exigence de l’autorisation de construire pour les installations photovoltaïques sur les bâtiments résidentiels », la sécurisation des espaces disponibles et propices aux installations des panneaux photovoltaïques devrait constituer une étape préliminaire, voire primordiale.

Orientation des aides : Outre la contrainte foncière, la technologie photovoltaïque est étroitement liée aux conditions météorologiques, ce qui rendrait l’énergie qui en découle intermittente. Ainsi, des investissements considérables dans des technologies de stockage d’énergie (telles que les batteries…) seraient nécessaires pour les accompagner, et garantir la stabilité de la production, en particulier dans les endroits où l’excédent de production ne peut être réinjecté dans le réseau. Des aides devraient être orientées vers cet objectif. L’augmentation actuelle de 25 % des aides Klimabonus pour les installations photovoltaïques est certes nécessaire pour renforcer l’accès à la transition, mais il serait tout aussi nécessaire d’évaluer les aides afin d’identifier les cas où l’investissement se justifie économiquement sans aides. Cela permettrait de dégager encore plus de ressources pour que certains ménages puissent accéder à des installations de haute performance. La mesure qui consiste à introduire le « préfinancement des subventions climatiques » semble aller dans ce sens, car elle permettrait de se focaliser sur la performance sans avoir à débourser un montant important à l’acquisition. Elle mériterait toutefois d’être clarifiée pour permettre un accès à des installations de haute performance. Le gouvernement devra également veiller au dimensionnement des installations, car leur rentabilité est fortement dépendante de celui-ci.

Transfert de dépendance : Bien que les coûts initiaux d’acquisition des installations aient considérablement diminué, il est important de noter que les technologies les plus avancées pour la fabrication de panneaux photovoltaïques et de batteries à moindre coût ne sont pas localisées au Luxembourg ni même en Europe. Dans ce contexte, il est crucial d’évaluer les risques liés à un « transfert de dépendance », sachant que dans ce cas précis, on passerait d’une dépendance à l’importation d’électricité vers une dépendance à l’importation de dispositifs photovoltaïques, dont le marché est nettement dominé par la Chine et l’Asie plus globalement. Cette considération est d’autant plus cruciale que la souveraineté énergétique est une priorité nationale. Une politique énergétique plus efficiente dans le contexte du Luxembourg devrait donc privilégier la recherche de complémentarité entre les différents types d’énergie renouvelable afin de limiter la dépendance potentielle.


[1] STATEC (2021)

[2] World Energy Outlook 2023

Le quantique, « next step » de l’IT luxembourgeois

© photo : Julien Mpia Massa

Depuis le 16 novembre, le Luxembourg a un plan de marche pour les cinq années à venir. IDEA propose une série de blogs pour analyser quelques-uns des points saillants de l’accord de coalition 2023-2028. Troisième volet de cette série : la future stratégie sur l’informatique quantique.

L’accord de coalition 2023-2028[1] a, sans surprise, prôné la continuité en matière de diversification économique. Il indique ainsi que « le Gouvernement stimulera davantage la diversification économique de notre pays afin de créer, voire de renforcer, des écosystèmes intégraux dans les secteurs prioritaires, à savoir la logistique, les technologies de santé, le cleantech, l’espace et l’économie des données y compris le domaine de l’intelligence artificielle. » Le Luxembourg s’est déjà fortement engagé sur le développement de ces secteurs prioritaires, avec pour certains d’entre eux de premiers investissements datant d’il y a deux décennies.

Les initiatives sur l’économie des données sont plus récentes et se sont multipliées ces dernières années. L’objectif ambitieux affiché en juin 2021 par la stratégie « Ons Wirtschaft vu muer – Feuille de route pour une économie compétitive et durable 2025[2] » était de devenir un « leader européen en matière de sécurité et de confiance en la transformation de l’économie axée sur les données dans un environnement géopolitique complexe. » Pour cela, le Luxembourg peut s’appuyer sur le développement du superordinateur Meluxina, le projet de cloud souverain basé sur les technologies de Google et sur des stratégies dédiées à la « data-driven innovation[3] » et à l’intelligence artificielle[4].

L’accord de coalition propose les prochaines étapes du développement de l’économie des données. « Le Gouvernement procédera à une mise à jour de la stratégie d’innovation basée sur la donnée, effectuera une mise à jour de la stratégie IA et veillera à ce que les deux stratégies soient complémentaires. Le Gouvernement se dotera également d’une stratégie dans le domaine de l’informatique quantique », qui serait ainsi le prochain grand domaine visé pour devenir un leader du big data en Europe.

L’informatique quantique, qu’es aquò ?

L’informatique quantique repose sur l’utilisation de la mécanique quantique pour calculer beaucoup plus rapidement et résoudre certains problèmes trop complexes pour des ordinateurs classiques. Cette accélération provient notamment d’un fonctionnement basé sur des bits quantiques, ou qubits, en lieu et place des traditionnels bits informatiques standards. Présentée comme une technologie transformatrice, l’informatique quantique pourrait concrètement faciliter l’invention de nouvelles molécules, l’optimisation des processus logistiques, l’anticipation des mouvements des marchés financiers, l’apprentissage des intelligences artificielles ou encore le décryptage des réseaux sécurisés par des pirates, des problématiques dont la résolution repose sur une très grande complexité sur le plan des calculs. Actuellement, la fabrication d’ordinateurs quantiques rencontre de nombreuses difficultés dues principalement à l’instabilité des qubits qui nécessitent d’être placés dans un environnement proche du zéro ou du vide absolus pour ne pas redevenir de simples bits.

Des acteurs privés internationaux tels que Microsoft, Intel, IBM ou Google, ont investi massivement dans cette technologie, tout comme les principales économies mondiales, la Chine, qui projette d’allouer 10 milliards de dollars à son laboratoire national quantique, étant à la pointe dans ce domaine. L’Union européenne a initié en 2018 le Quantum Technologies Flagship, un programme de recherche doté d’un budget de 1 milliard d’euros, et a pour ambition de disposer d’un premier ordinateur à accélération quantique d’ici à 2025 et être à la pointe des capacités quantiques d’ici à 2030.

Premières étapes du code quantum luxembourgeois

L’informatique quantique est déjà une réalité au Luxembourg. Le LIST vient d’obtenir un financement de 4 millions d’euros dans le cadre du programme PEARL du Fonds National de Recherche pour le projet AQuaTSiC (Advanced Quantum Technologies with Silicon Carbide) qui vise à développer des matériaux plus performants pour l’informatique quantique en utilisant le carbure de silicium. En outre, le groupe Post, Rhea Group, Hitec, le SnT et l’Agence spatiale européenne se sont associés pour mettre en œuvre des cas d’usage internationaux pour la distribution de clés quantiques dans des environnements informatiques opérationnels, avec le secteur financier comme client potentiel pour cette solution innovante en matière de cybersécurité.

Les fondements d’une stratégie réussie

Si la future stratégie luxembourgeoise sur l’informatique quantique ne garantit pas, à elle seule, une spécialisation réussie, ceci d’autant plus sur une technologie en amélioration permanente, la démarche annoncée par l’accord de coalition devrait permettre d’augmenter la maitrise de ces technologies pour les acteurs privés et publics tout en renforçant la souveraineté numérique du pays.

Quelques fondements, basés sur des expériences récentes, seraient susceptibles d’augmenter l’impact d’une telle stratégie. Tout d’abord, le gouvernement devrait s’appuyer sur un comité composé d’experts reconnus au niveau international, comme c’est le cas pour l’initiative sur les ressources spatiales. De plus, la future stratégie devrait identifier des partenariats potentiels européens et internationaux, publics et privés, la complexité du sujet requérant des coopérations entre experts de par le monde. Par ailleurs, une approche bottom-up reposant sur une vaste consultation des entreprises, chercheurs et experts, individuelle et collective, est nécessaire à l’exploration de toutes les potentialités concrètes de telles technologies pour le pays. Cette consultation devrait alimenter, comme cela a été fait pour « The Data-Driven Innovation Strategy for the Development of a Trusted and Sustainable Economy in Luxembourg », les passerelles concrètes avec les spécialisations présentes et en devenir, soit des secteurs d’activité tels que l’industrie des fonds d’investissement ou la logistique.

Les défis d’une telle stratégie sont immenses, au regard de la révolution technologique que pourrait constituer l’informatique quantique et de l’identité des acteurs s’étant fortement engagés dans ce domaine : GAFA, économies à la pointe technologique… Le Luxembourg a beaucoup à gagner de la réussite de cette future stratégie s’il réussit à rassembler des compétences de pointe, à développer des produits et services de niche et, bien entendu, si l’informatique quantique répond aux espoirs qu’elle a fait naître.

 


[1] Accord de coalition 2023-2028 – « Lëtzebuerg fir d’Zukunft stäerken », 2023.

[2] Ons Wirtschaft vu muer – Feuille de route pour une économie compétitive et durable 2025, 2021.

[3] The Data-Driven Innovation Strategy for the Development of a Trusted and Sustainable Economy in Luxembourg, 2019.

[4] Intelligence artificielle : une vision stratégique pour le Luxembourg, 2019.

Continuer à mieux se former

© photo : Julien Mpia Massa

Depuis le 16 novembre, le Luxembourg a un plan de marche pour les cinq années à venir. IDEA propose une série de blogs pour analyser quelques-uns des points saillants de l’accord de coalition 2023-2028. Deuxième volet de cette série : la formation continue.

Lors du Sommet social de Porto en mai 2021, le Luxembourg a défini l’objectif d’atteindre un taux de participation aux formations de 62,5% jusqu’en 2030. Dans cette optique, plusieurs stratégies de formation continue ont été mises en place, telles que l’initiative « Future Skills » de l’ADEM qui cible surtout les demandeurs d’emploi de plus de 45 ans, ou encore la stratégie Life Long Learning. Malgré le ralentissement actuel de l’économie luxembourgeoise et du marché du travail, cette dernière doit faire face à des défis de moyen et long terme comme la transition numérique et environnementale, ainsi qu’au vieillissement de la population, surtout dans les pays voisins, sources importantes de main d’œuvre transfrontalière. À cela s’ajoute une pression supplémentaire ressentie par la main-d’œuvre et qui provient d’une concurrence parmi les travailleurs à l’échelle planétaire. De ce fait, pour se démarquer sur le marché du travail, la formation continue est essentielle pour mettre à jour les connaissances et compétences. Toutefois, certains obstacles du quotidien limitent les capacités à se former, par manque de temps, en raison d’obligations professionnelles, familiales ou de problèmes financiers.

Dans les faits, le manque de main-d’œuvre est mis en évidence par l’identification des métiers très en pénurie par l’ADEM, dans la publication du Journal Officiel du Grand-Duché du Luxembourg, le 27 septembre 2023[1], tels que les psychologues, assistants sociaux, éducateurs/éducatrices de jeunes enfants, infirmiers, aides-soignants, techniciens de maintenance en électronique, agents de maintenance industrielle, etc.

Le nouveau gouvernement évoque dans l’accord de coalition plusieurs pistes d’amélioration de la formation continue, comme une initiative globale pour réduire le gap intergénérationnel de connaissances et compétences numériques. Il prévoit également d’instaurer un système de financement pour les formations continues, comprenant des bons de formation, afin de promouvoir la mise à niveau et la reconversion professionnelle. La formation continue est considérée comme un élément essentiel d’un service public efficace. Pour cela, l’Institut national d’administration publique (INAP) veillera à répondre à ces nouveaux défis, avec pour objectif de renforcer les compétences techniques des agents de l’Etat. Pour répondre aux besoins des métiers très en pénurie, l’accord de coalition prévoit d’étudier la possibilité de mettre en place des formations continues pour certains métiers concernés et adaptées selon les besoins du secteur, comme les infirmiers et les aides-soignants, parmi d’autres. De plus, le nouvel accord de coalition prévoit de suivre les recommandations du rapport de l’OCDE (2023) sur les stratégies de compétences au Luxembourg, en termes de formation continue, comme, entre autres, le fait d’élargir les services sur mesure, les offres de formation sur le long terme aux chômeurs et particuliers en besoin de reconversion, avoir recours à une révision stratégique des programmes de formation continue, ou encore développer une vision prospective stratégique pour l’apprentissage des adultes.

Il sera alors important de poursuivre la bonne collaboration entre l’ADEM, les chambres et fédérations professionnelles, pour mieux identifier les besoins sur le marché du travail et les métiers en tension afin de trouver des solutions lors de l’orientation (formation initiale), et lors du reskilling / upskilling (formation continue), et d’évaluer les politiques déjà mises en place au Luxembourg. De cette manière, les disparités en termes de compétences pourront se réduire afin de favoriser la compétitivité et la productivité du Luxembourg. Par ailleurs, le gouvernement pourrait s’inspirer de la stratégie nationale décennale irlandaise, axée sur l’amélioration des compétences à l’horizon 2025. Elle stipule six objectifs, avec des acteurs, indicateurs de progression et actions spécifiques, qui incluent une offre de formation adaptée aux besoins des apprenants, une participation active de la part des employeurs à l’élaboration des programmes, une amélioration de la qualité de l’enseignement, une promotion de l’engagement dans l’apprentissage tout au long de la vie et un soutien à l’inclusion active et au renforcement de l’offre de compétences.


[1] La liste complète des 30 métiers ROME très en pénurie se trouve ici : https://adem.public.lu/dam-assets/fr/publications/adem/metiers-penurie.pdf

Aménagement du territoire : la vision reste à préciser

© photo : Julien Mpia Massa

Depuis le 16 novembre, le Luxembourg a un plan de marche pour les cinq années à venir. IDEA propose une série de blogs pour analyser quelques-uns des points saillants de l’accord de coalition 2023-2028. Premier volet de cette série : l’aménagement du territoire.

Si le programme de coalition est par définition un accord qui (ne) donne (que) les grandes lignes directrices dans les principales politiques publiques à mettre en œuvre, certaines considérations importantes pour la stratégie d’aménagement du territoire restent encore à préciser.

En l’espace de 30 ans, le Luxembourg a multiplié son PIB par 2,6, créé près de 290.000 emplois (x2,5), vu le nombre de frontaliers augmenter de 170.000 (x6) et connu une poussée démographique de près de 250.000 personnes (+65%). Ces évolutions, bien que mal anticipées, ont pour partie été possibles parce que le pays disposait de « réserves » diverses (main d’œuvre frontalière, logements, infrastructures, etc.) qui ont considérablement diminué depuis. La poursuite de l’expansion économique du pays, dont on comprend qu’il s’agit d’un scénario privilégié par la nouvelle majorité, ne pourra pas se limiter au renforcement des avantages compétitifs « traditionnels » du site Luxembourg (fiscalité, éducation, R&D, protection sociale, simplification administrative, etc.). Elle nécessitera également d’opérer certains changements profonds dans le domaine de l’aménagement du territoire avec une stratégie qui devra être mise en œuvre de manière cohérente dans l’ensemble du pays et autour de ses frontières.

Dans l’accord, l’annonce d’une révision du tout nouveau programme directeur d’aménagement du territoire (PDAT) avec pour priorité de « respecter l’autonomie communale » pose question. En effet, le caractère « peu opérant » des dernières stratégies d’aménagement du territoire, pourtant bien pensées, s’explique en partie par les écarts entre les grandes lignes directrices nationales et les pratiques communales en la matière. Dans le scénario d’un Luxembourg à plus d’un million d’habitants, une diminution du caractère contraignant (ou incitatif, pour rester réalistes) de l’aménagement du territoire pourrait contribuer à rendre la croissance démographique encore plus riche en externalités négatives (étalement urbain, allongement des trajets, inefficacité des réseaux publics de transport, défiguration des espaces villageois, etc.). Un modèle territorial qui « fonctionne » à 650.000 habitants ne fonctionne pas nécessairement à plus d’un million.

Si le nouveau ministre veut prendre en considération les contributions à la consultation effectuée dans le cadre du PDAT comme l’annonce l’accord de coalition, il pourrait s’inspirer des propositions concrètes formulées dans la « Vision territoriale pour le Luxembourg à long terme » publié en février dernier [1], avec des suggestions de réformes visant à accroître l’efficacité des politiques d’aménagement du territoire.

Dans les champs de compétences du ministre, un équilibre subtil devra également être trouvé entre l’absolue nécessité de construire plus (de logements) et l’incontournable contrainte de les construire aux bons endroits. Les trois principales agglomérations du pays devront opérer une importante mutation, des nouvelles centralités urbaines devront émerger et la plupart des espaces ruraux devront limiter leur croissance démographique. Une lueur d’espoir ressort d’une récente étude du STATEC, de l’Université et du LISER qui montre que l’évolution démographique de la dernière décennie ne s’est pas manifestée par un étalement urbain disproportionné. Cette évolution encourageante ne devrait pas être interprétée comme une invitation à lâcher la bride en matière de planification territoriale, bien au contraire.


[1] Voir également : https://www.fondation-idea.lu/2023/02/27/document-de-travail-n21-quelques-reflexions-sur-le-projet-de-programme-directeur-damenagement-du-territoire-pdat-2023/.