1. Le virus

Même si au Luxembourg le pic des infections au coronavirus date de plusieurs semaines et que le nombre de décès covid-19 reste stable autour de 110 depuis la fin du mois de mai, le souvenir de la maladie est encore bien présent et le virus continue de « circuler » puisqu’il y a régulièrement de nouvelles personnes infectées. Le port encore fréquent d’un masque, les obligations de continuer à respecter les mesures de distanciation physique, les interdictions des activités sportives à caractère compétitif, des foires et des salons, les interrogations sur l’opportunité de « voyager » longue distance l’été prochain, ou les contraintes de productivité imposées aux restaurants, bars, et café, rappellent ainsi que même si la vie reprend son cours, il faut encore rester vigilant et éviter de vaquer à ses occupations de façon désinvolte car cela pourrait « causer » une deuxième vague. Cette « épée » de Damoclès, parce qu’elle contraint encore l’offre, mine la confiance, et pèse sur la demande, pourrait plonger l’économie dans une longue convalescence jusqu’à la découverte d’un vaccin ou l’émergence d’un consensus scientifique qui autorise à ne plus se soucier de Covid-19.

  1. La peur des maux de dette publique

Malgré une littérature très fournie sur les effets récessifs des politiques de consolidation budgétaire, le Luxembourg compte des adeptes du « mythe » de l’expansionary fiscal austerity et de la « religion » des excédents budgétaires. Si durant la période de confinement il a été unanimement salué que le pays verse dans un « socialisme pandémique » et que l’Etat prenne en charge près de 50% des salaires versés au mois d’avril, il est fort probable que prochainement des voix se feront entendre pour mettre en garde contre le fait que la dette publique s’approche « dangereusement » de la cible des 30% du PIB, faire remarquer que tel autre pays prévoit un déficit budgétaire moindre que le Luxembourg, dire que les dépenses publiques hors investissements dérapent, craindre que le triple A soit menacé, rappeler la nécessité de disposer de marges de manœuvre, exiger des baisses de dépenses de fonctionnement, voire une réforme des pensions en 2021. Ces discours pourraient empêcher de « soutenir autant que possible et sauver autant que nécessaire » et engendrer des comportements ricardiens au sein de la population. L’Etat risque d’être persuadé qu’il ne devrait en aucun cas s’éloigner de la cible de dette – qui a pourtant été définie à une époque où une pandémie n’était pas un risque pris en compte -, et les ménages craignant un « nécessaire » tournant austéritaire dans un avenir plus ou moins proche pourraient décider de réduire leur consommation. Et pourtant, le Luxembourg dispose d’assez de marges de manœuvre pour fournir sans hésitation une orientation prospective à la politique budgétaire qui dirait que tout ce qui sera nécessaire sera fait pour que l’économie ne s’éloigne pas du plein-emploi et que le niveau de dette publique n’est pas un obstacle sur ce chemin.

  1. Le télétravail

Si le télétravail a permis au Luxembourg de mieux résister économiquement qu’ailleurs durant le confinement, il pourrait – s’il devenait une organisation du travail encore très répandue après le déconfinement – empêcher que le pays renoue avec sa trajectoire d’avant-crise. Car en plus d’augmenter les inégalités de position, une nouvelle organisation productive articulée autour du télétravail risque de provoquer une chute spectaculaire de la demande adressée aux entreprises en les privant des dépenses de consommation habituellement effectuées par les frontaliers présents dans le pays en journée et pourrait pousser vers la faillite tout un pan de l’économie dont l’activité dépend en partie de la présence de salariés dans leur bureau (comme les services de taxi, les lieux d’after-work, les salles de sport très fréquentées le midi, les services de pressing, les vendeurs de costumes, de chaussures de ville, de cravates, de tailleurs pour dame, les instituts de beauté, les restaurants situés dans les quartiers d’affaires peu résidentiels, les services de nettoyage de bureau, etc.)

  1. La loi psychologique fondamentale

La « loi psychologique fondamentale » stipule que la propension à épargner augmente avec le revenu. Cela est particulièrement vrai au Luxembourg où les écarts de taux d’épargne sont très marqués entre les plus modestes et les ménages les plus aisés.

Une des clefs endogènes de la reprise sera donc que ceux (notamment parmi les plus aisés qui ont télétravaillé) dont la consommation a chuté durant la période de confinement alors que leur revenu était préservé se remettent à consommer « local ».

Cela suppose en sortie de confinement qu’ils ne succombent pas aux sirènes de la décroissance/déconsommation, qu’ils délaissent le télétravail et reprennent le chemin du bureau, qu’ils soient en confiance vis-à-vis du risque sanitaire et des perspectives concernant le marché du travail. Compte tenu du caractère prudent des ménages du Luxembourg, quelques incitations pour transformer l’épargne forcée en dépenses de consommation pourraient être nécessaires. Une façon (théorique) de s’y prendre serait de lancer un programme « helping hour » (par exemple entre juillet et octobre) en vertu duquel une partie des salaires au-delà d’un certain seuil de revenu (par exemple 250% du salaire minimum) serait payée en bons de consommation valables jusqu’au mois de décembre. Il s’agirait, à n’en pas douter, de la plus « keynésienne » des politiques envisageables. Car contrairement à ce qui est parfois évoqué, la plus optimale relance n’est pas de « donner » des bons de consommation aux plus modestes (car compte tenu de leur propension élevée à consommer on peut leur « donner » directement de l’argent), mais de verser une partie de la rémunération de ceux qui ont une propension à épargner élevée en monnaie fondante (ie. bons à dépenser avant un délai fixé). Des baisses de TVA, un raccourcissement de la durée de validité des chèques repas, des promotions ou des primes pour l’achat de certains biens durables restent toutefois des alternatives plus réalistes.

  1. Le diktat des indicateurs

Le STATEC publiera les chiffres d’évolution du PIB pour le 1er trimestre le 19 juin 2020. Il est possible que le chiffre soit (étonnamment) bon (comme en Irlande où la croissance a été de 1,2% au 1er trimestre). Après tout, les revenus des ménages ont été globalement maintenus via les dispositifs de chômage partiel, de congés pour raison familiale et grâce au recours au télétravail, les (petites) entreprises ont pu bénéficier d’indemnité d’urgence, et l’arrêt des activités non-essentielles à partir du 18 mars n’a concerné que 13 jours sur le trimestre, avec une activité qui tournait à 75% durant cette période – ce qui doit être plus ou moins comparable à la situation du pays au mois d’août avec les vacances scolaires, judicaires et les congés collectifs. Il est cela dit également possible que le chiffre soit « particulièrement » mauvais. Le Luxembourg est une petite économie très ouverte qui vend des services aux entreprises à l’international et beaucoup de ces entreprises étaient à l’arrêt ; le Luxembourg est une économie où la finance joue un rôle important et les marchés financiers ont plutôt dévissé en mars ; le Luxembourg est une économie « volatile » compte tenu de sa petite taille et de l’importance des flux financiers internationaux de certaines multinationales qui sont établies dans le pays et il est possible qu’au premier trimestre il y ait eu d’importants mouvements de flux financiers faits par ces entreprises.

Dans le premier cas (chiffre étonnamment bon), il ne fait aucun doute que certains feront savoir que le thermomètre est cassé, que le PIB est dépassé, que les chiffres du STATEC sont trop optimistes, etc. Dans le second cas (chiffre particulièrement mauvais), il ne fait aucun doute que certains feront savoir que la crise est très grave, qu’il faut de toute urgence faire ceci, ou cela.

Ces déclarations risquent de marquer les esprits, de peser sur les anticipations des agents, voire de façonner la réalité en causant de l’épargne de précaution et en augmentant l’aversion au risque des entreprises. Pourtant, les chiffres d’activité du 1er trimestre publiés mi-juin n’auront rien de définitifs, il y a actuellement toute une longue série de points de doctrine en discussion pour que ces chiffres reflètent le plus fidèlement possibles un jour la complexité de la situation exceptionnelle de l’économie sous Covid-19, et concerneront une période exceptionnelle lointaine (les trois premiers mois de l’année) qui ne mérite plus forcément beaucoup d’attention … un trimestre plus tard.

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