Après un tour d’horizon de la conjoncture économique internationale et luxembourgeoise, l’Avis annuel 2022 de la Fondation IDEA aborde la situation économique mondiale et dans les trois principaux blocs économiques (zone euro, Chine, États-Unis), dans l’ombre de la crise sanitaire et de la tension géopolitique ambiante. Il interroge les principaux impacts de la juxtaposition des crises sur le Luxembourg et les orientations socio-économiques à privilégier dans un tel environnement. Le document présente également les résultats du Consensus économique d’IDEA réalisé entre le 9 et le 18 mars 2022, ayant permis de prendre le pouls de près de 120 responsables économiques et partenaires sociaux au Luxembourg.
Synthèse de l’Avis annuel 2022
C’est dans un contexte pour le moins particulier que paraît l’Avis Annuel 2022 d’IDEA, le monde étant toujours englué dans une lancinante crise sanitaire porteuse de lourdes retombées non seulement d’un point de vue économique, mais également sociétal (culture, psychologie, éducation, etc.). En outre la guerre sévit à nouveau sur le continent européen – avec d’ores et déjà un terrible bilan en termes de vies humaines. Cet environnement pour le moins évolutif ne peut qu’inciter tout observateur à la plus grande prudence. Ce rapport prétend fournir à ses lecteurs des outils d’analyse performants, mais nullement un « prêt à penser », et encore moins des prévisions vouées à être dépassées avant même que leur encre ne sèche. Il donne une photographie des économies mondiale, européenne et luxembourgeoise telles qu’elles se situaient au début de l’année 2022 et met en avant quelques défis majeurs qui ne disparaîtront vraisemblablement pas à court terme.
L’économie mondiale a accusé le coup en 2020, avec une diminution de son PIB en volume de 3,1%. Un effet de rebond de l’ordre de 6% est certes survenu en 2021, mais le « trou » d’air par rapport à la tendance antérieure à la crise est clairement perceptible. Divers risques continuent encore à peser sur l’économie mondiale, à savoir (c’est une liste non limitative…) l’émergence de nouveaux variants du COVID, l’explosion des prix de l’énergie et des matières premières, l’accentuation des tensions sociales et (géo)politiques ou encore l’accélération d’événements climatiques graves.
Aux Etats-Unis, l’effet de rebond a été manifeste en 2021 (+5,5% pour le PIB réel), à la faveur notamment de plans de relance ambitieux (mais amoindris par les dissensions politiques). Une question essentielle à l’heure actuelle est la stratégie de sortie de crise face à la résurgence de l’inflation. La Réserve Fédérale a récemment annoncé une « normalisation » de sa politique monétaire.
En Chine, le PIB en volume a augmenté de plus de 8% en 2021, au-delà des 6% visés par le Gouvernement. Le second semestre a cependant été obscurci par les difficultés du secteur immobilier et par la rupture de certaines chaînes de valeur. Des mesures « structurelles » ont été adoptées, à savoir la politique de « trois enfants » et les initiatives en faveur d’une monnaie digitale centralisée.
Autre acteur majeur, la zone euro semble pour sa part avoir perçu la nécessité de revoir en profondeur sa gouvernance, en ce qui concerne notamment le Pacte de Stabilité et de Croissance, une capacité budgétaire commune, l’union bancaire ou celle des marchés des capitaux. Elle a en outre mis en place d’importants mécanismes de solidarité en 2021, dont il reste à établir la pérennité afin de contribuer à amoindrir les divergences socio-économiques croissantes qui se sont manifestées au cours des vingt dernières années. La « période COVID » et l’actuelle crise ukrainienne ont encore compliqué la donne. Si la zone euro a bénéficié d’un appréciable rebond économique en 2021, son PIB réel a cédé environ 1% par rapport à 2019. Par ailleurs, les tensions inflationnistes héritées de la crise sanitaire ont été prolongées et même accentuées par la nouvelle donne géopolitique, tandis que les finances publiques de la zone seront confrontées au cours des années à venir aux conséquences du décrochage du PIB, du vieillissement, du coût de la transition « verte » et numérique, de besoins en infrastructures et dans le domaine de la défense, pour ne citer que quelques facteurs. Face à ces défis, des avancées en matière de politique européenne sont attendues et pourraient aboutir à un projet européen renouvelé (et renforcé).
La crise sanitaire a durement sévi au Luxembourg également, avec des épisodes de restrictions aiguës et d’évidents dégâts pour diverses activités (économiques mais aussi humaines) et ce pendant de longs mois. Pourtant, une lecture même rapide des grands indicateurs économiques donne le sentiment, avec un recul de deux (longues) années, que l’économie luxembourgeoise ne porte guère les stigmates de ce qui peut pourtant être qualifié à juste titre de catastrophe. Ainsi, sur les années 2020-2021, le taux de croissance du PIB en volume a été strictement semblable à la moyenne annuelle des 10 précédentes années. Le PIB n’a en effet décliné « que » de 1,8% au Grand-Duché en 2020 – cette décrue ayant atteint 6,4% dans la zone euro – tout en enregistrant en 2021 un rebond de près de 7% digne des pays économiquement les plus « dévastés » en 2020. En conséquence et à l’inverse du constat établi dans le sillage de la « Grande récession » de 2008-2009, le Grand-Duché ne manifeste de 2019 à 2021 aucun décrochage économique par rapport à sa tendance antérieure d’évolution du PIB réel. A l’évidence, peu de pays à travers le monde peuvent se prévaloir d’un tel résultat.
De nombreux facteurs expliquent cette résilience économique (la situation étant moins brillante socialement parlant), dont l’interventionnisme sur le mode « Et kascht, wat et kascht », la bonne gestion sanitaire, des spécialisations économiques favorables et une prépondérance des branches « télétravaillables », la chance (le fameux « Luxembourg élu des dieux », fantaisiste en apparence mais semblant souvent corroboré par les faits…) et on en passe. Il est difficile, sinon impossible, de pondérer les effets respectifs de ces différents amortisseurs.
Cette étonnante résilience ne se cantonne pas au pré carré des comptables nationaux (très méritants au demeurant dans le présent contexte). Le marché du travail illustre également cette résistance, avec en deux années la création de quelque 23 000 emplois (dont près de 17 000 salariés de plus en 2021, soit le record absolu), un taux de chômage revenu sous les 5% et des tensions sur l’offre de travail figurant à nouveau au premier rang des préoccupations de nombreux employeurs.
La bonne résistance de l’économie luxembourgeoise se manifeste aussi à l’aune des finances publiques, pourtant lestées par le « Et kascht, wat et kascht » et par la récession en 2020. Elles ont bénéficié d’un brusque rebond des recettes en 2021, de sorte que les administrations publiques ont renoué avec l’équilibre budgétaire dès 2021, tout en limitant la hausse de leur endettement par rapport à 2019 à 3,6 points de PIB. Ce rétablissement a été nettement plus convaincant que dans la zone euro ou dans les pays limitrophes, même si le financement des pensions laisse planer un doute sur la pérennité à terme de ce rebond. Les nouvelles mesures d’urgence risquent également de s’avérer coûteuses, d’où la nécessité de les cibler au mieux en visant résolument les personnes et les entreprises les plus vulnérables, à rebours d’un « arrosage » tous azimut pénalisant de surcroît les objectifs CO2 du Luxembourg, qui demeurent plus primordiaux que jamais. En outre, la récente « crise COVID » constitue une expérience utile à la mise en œuvre de dispositifs de soutien public permettant à l’Etat d’assurer ses fonctions assurancielles, régulatrices et stabilisatrices, qui devraient en ces temps de crise (de guerre) restées activées, au moins à court terme.
Si le tableau d’ensemble peut sembler « miraculeux » à nombre d’égards, les deux dernières années n’ont pas été exemptes de « secousses » économiques et sociales. Le caractère hétérogène des effets de la crise sanitaire, tout d’abord, reste visible. Ainsi, alors que le marché du travail est en surchauffe, les demandes de chômage partiel restent élevées au début de l’année 2022 en comparaison à la période d’avant crise. Un autre bémol de taille est la résurgence du chômage de longue durée et, plus généralement, la fragilisation sociale de divers segments de la population déjà vulnérables avant même la crise sanitaire. Cette dernière s’est au demeurant traduite par une hausse des décrochages scolaires et par une diminution de l’intensité des efforts de formation continue – des facteurs à scruter de près. Enfin, la « déformation » structurelle de l’économie luxembourgeoise s’est accélérée, à la faveur d’une croissance nettement plus élevée de l’emploi dans les secteurs principalement non marchands.
Le Grand-Duché doit enfin s’attaquer d’urgence à certains défis, exacerbés par les « multiples crises ». Il s’agit notamment de la fiscalité. Dans un environnement très changeant, il est difficile de calibrer correctement une réforme fiscale d’envergure. Les récentes initiatives internationales en matière de taxation des multinationales supposent par ailleurs que le Luxembourg maintienne sa compétitivité et son attractivité sur le plan fiscal. Un 2ème défi d’envergure, à savoir le logement, présente aussi des ramifications fiscales, l’impôt foncier générant actuellement des recettes quasiment « confidentielles » tandis que les « dépenses fiscales » immobilières gagneraient à être conditionnées au revenu. Plus généralement, il importe de favoriser une application effective du principe « Wunnen ass e Mënscherecht », précondition à la fois de la cohésion sociale et d’une immigration nette (donc d’une croissance…) demeurant suffisamment soutenue. Un 3ème défi d’envergure se rapporte au futur du (télé)travail. L’avènement du travail à distance, grande transformation accélérée de la société salariale, soulève en effet des défis non négligeables qu’il conviendra de traiter.
Les résultats du Consensus économique d’IDEA, décrits en détail dans le présent avis et qui s’inscrivent sur cette toile de fond, permettent en outre de jauger les premiers effets de la présente crise géopolitique. Cette dernière étant des plus évolutives, une grande prudence est plus que jamais de mise dans l’interprétation des divers résultats et évolutions.
Sur le plan européen, le Consensus, qui repose sur les réponses de près de 120 professionnels, confirme le risque d’une inflation élevée au sein de la zone euro, la BCE étant dans ce contexte susceptible d’augmenter au moins une fois ses taux en 2022. Une majorité des participants se dégage en faveur d’une adaptation des règles du Pacte de Stabilité et de Croissance. Ils souhaitent par ailleurs redonner à l’Union européenne une souveraineté industrielle et harmoniser la fiscalité écologique.
En ce qui concerne le Luxembourg, les panélistes tablent sur une croissance du PIB en volume de 2,3% en 2022, qui résulterait notamment d’un affaiblissement des investissements et même de la consommation privée dans la foulée des récentes tensions géopolitiques. Cette anticipation serait en retrait par rapport aux prévisions les plus récentes du STATEC, soit +3,5%. Le chômage connaîtrait quant à lui une légère augmentation en 2022 et 2023, tandis que la dette publique serait de l’ordre de 28% du PIB en 2027.
L’inflation moyenne anticipée serait de 5,4% en 2022 (contre +4,4% selon le STATEC – avant il est vrai l’invasion russe de l’Ukraine) et elle demeurerait relativement élevée en 2023, avec +3,6%. Face à la montée des coûts énergétiques, les participants penchent vers des aides ciblées en faveur des entreprises les plus vulnérables. En revanche, aucun consensus ne se dégage autour des propositions d’évolution du mécanisme d’indexation.
Les prix de l’immobilier continueraient quant à eux à progresser d’ici 2030, mais à un rythme moindre que ces dernières décennies. Dans leur majorité, les panélistes souhaitent conditionner les aides au logement au niveau des revenus des bénéficiaires et, dans une moindre mesure cependant, rehausser l’impôt foncier. Ils anticipent par ailleurs une augmentation de 0,7 point de pourcentage des taux hypothécaires cette année.
Les participants au Consensus jugent enfin que les objectifs climatiques pour 2030 sont hors de portée, tant en Europe qu’au Luxembourg. Le scepticisme à cet égard a d’ailleurs sensiblement progressé par rapport à l’année dernière, alors que cet objectif ne peut certainement être perdu de vue, même (surtout ?) dans des circonstances passablement bousculées.