Billet invité de Marc Wagener, Chief Operating Officer (COO) et Director Entrepreneurship à la Chambre de Commerce du Luxembourg. Membre du Conseil d’Administration d’IDEA.
© photo : Julien Mpia Massa
« Trop d’index tue l’index » est-on amené à dire en suivant les dernières évolutions statistiques publiées ces derniers jours et si l’on se soucie en même temps de celles qui doivent les payer : les entreprises. En effet, celles-ci encaissent des chocs à répétition et elles sont bien plus fragiles que supposé par l’opinion publique. Le travailleur indépendant est par exemple deux fois plus exposé au risque de pauvreté que le salarié. Une entreprise luxembourgeoise donnée est avec une probabilité de 99% une PME (et à 93% une microentreprise de moins de 10 salariés). Pour ces dizaines de milliers d’entreprises et leurs patron(ne)s, le mot d’ordre est la survie économique et l’atteinte d’un niveau de vie décent, et non pas la génération d’un superprofit digne d’un impôt spécifique ou d’un yacht au Sud de la France.
L’entrepreneur est exposé de plein fouet à tout ce qu’on appeler crises, transitions et autres transformation digitale et environnementale. Il est souvent assez seul et isolé, il doit constamment réécrire son logiciel, son modèle d’affaires, ses façons de faire. Ses quelques salariés jouissent de congés légaux et spéciaux eux aussi soumis à une inflation certaine. Et en contrepartie, l’organisation du temps de travail est quant à elle largement immuable et le pendule est du côté « rigide » et non du côté « réactif ». La trésorerie est souvent épuisée, saccagée au gré des crises. Le personnel est de plus en plus difficile à trouver et à maintenir. Gare aux offres alléchantes, se déployant sur des banners digitaux et des abribus physiques, issues souvent du secteur public, que les entreprises et leurs salariés financent et qui représentent souvent une concurrence inégale. En effet, comment les quelque 30.000 microentreprises, créant pourtant 20% de la valeur ajoutée et de l’emploi, peuvent-elles rivaliser avec un mastodonte étatique doté de budgets vertigineux et en hausse continue ?
Accès difficile aux ressources en tous genres et leur renchérissement, organisation du travail dépassée (surtout pour les PME), rentabilité mise à mal, … difficile de continuer à se lever le matin en tant que « petit patron », travailler (souvent) beaucoup pour gagner (souvent) peu. A rebours de jalousies contre les « riches patrons », une vie faite de défis et de grandes responsabilités, tous les jours. Chapeau à celles et ceux qui ne désespèrent pas ! Et si les 3 index désormais prévus en 2023 (et on n’ose guère anticiper 2024) faisaient déborder le vase ?
Est-ce que le système d’indexation n’est pas mené à l’absurde s’il est en roue libre, incontrôlé, sauvage ? Peu de voix prônent désormais son abolition, point barre. De nombreux commentateurs, plus ou moins libéraux, ont compris qu’il a le mérite de réduire les « coûts de transaction », c’est-à-dire notamment le fait de devoir négocier, tous les ans, des augmentations salariales (individuelles, au niveau des entreprises ou encore sectorielles) portant tant sur la « compensation de l’inflation » que sur l’évolution réelle. Si l’inflation est « proche mais inférieure à 2% », l’index est déclenché environ tous les 15 mois. C’est assez prévisible. Mais quand l’inflation fait des galipettes dans des sphères méconnues non pas suite à une « lente et progressive hausse générale des prix » mais à cause d’une guerre qui déclenche une crise énergétique (elle-même exacerbée par la mentalité « Nimby » du développement des énergies renouvelables ayant auparavant sévi), le système d’indexation doit être sauvé de sa propre dynamique infernale et autodestructrice (boucle prix-salaires). Comme dans tout, le péché est dans l’excès. Il faut freiner ce système, le moduler, l’accompagner d’actions ciblées. Il faut dompter l’animal sauvage qui dévore les fiches de paie.
Au Luxembourg, nous sommes souvent dans une sécurité illusoire, convaincus que l’économie « tourne toute seule ». On n’a pas vraiment besoin de considérer la compétitivité et la rentabilité de la locomotive générant notre richesse. On peut simplement y accrocher des wagons à rallonge ; un attelage souvent digne d’une cavalcade carnavalesque où des « bonbons gratuits » sont jetés 365 jours sur 365 aux ménages qui les accueillent à bras ouverts sans se soucier du bon vieil adage (jamais invalidé) qu’il n’y a pas de repas gratuit.
L’économie grand-ducale tourne, aussi et en grande partie, parce que 40.000 entreprises et leurs patrons (souvent non-Luxembourgeois) mettent du charbon dans la machine et dépensent de la sueur tous les jours. Les charger et les charger encore davantage tous les jours risque de mener au drame. Alors si au moins cette « ind-excessivité » contreproductive pouvait être freinée, une lueur d’espoir bienvenue pourrait voir le jour. Tout ce qui est excessif est insignifiant. Tout ?
Marc Wagener