Face aux difficultés que les entreprises familiales luxembourgeoises (EFL) sont amenées à rencontrer[1], un usage (plus courant) de l’intelligence économique (IE) pourrait contribuer de façon non négligeable à leur performance et permettre de renforcer leur résilience. Ingrédient essentiel pour soutenir une stratégie durable et créatrice de valeur, ce mode de gouvernance[2] peut contribuer à les rendre plus compétitives et les aider à se relancer à la suite de la perte d’activité causée par la crise sanitaire du COVID-19. Quels sont les attributs qui peuvent conférer une résilience aux entreprises ? Quelles sont les contraintes des EFL et comment l’IE peut répondre à certaines de leurs problématiques ?
La résilience des entreprises
Au regard de l’importance du poids des entreprises familiales dans le tissu économique luxembourgeois, il importe de ne pas négliger ces types de structure[3]. Malgré que ces organisations aient de nombreuses contraintes, il n’en demeure pas moins qu’elles peuvent aussi faire preuve d’une certaine résilience, pouvant leur permettre de rebondir face à des imprévus. Cette résilience, plus ou moins forte selon l’entreprise et le secteur d’activité, se distingue principalement dans «la capacité : d’absorption du choc, de renouvellement et d’appropriation» [4].
Toute chose égale par ailleurs, cette crise sera d’autant plus absorbée par les entreprises dont la structure financière était saine dès le début. Celles qui ont ou qui ont pu conserver des liquidités[5], détenaient moins ou pas de dettes financières, bénéficiaient d’un patrimoine important -et d’une bonne réputation acquise à travers le temps- en souffriront a priori moins. En outre, les entreprises qui, dans cette période de grande incertitude, sauront se renouveler rapidement et faire preuve d’agilité organisationnelle d’ingéniosité, de pragmatisme et d’audace dans la conquête de nouveaux marchés et le développement de nouveaux produits et services seront celles les plus à même à survivre. Enfin, les entreprises qui auront appris des chocs précédents et pour lesquelles les équipes partagent des valeurs communes auront également plus de chance d’éviter la faillite[6].
Les contraintes des EFL
Bien que ces attributs diffèrent pour chaque EFL, la majorité (73%) d’entre elles exprimaient déjà, et ce bien avant l’arrivée de la crise sanitaire, leur inquiétude à rester compétitives face à l’intensité concurrentielle. C’est donc sans surprise que le rapport de PwC Luxembourg révélait que le «contrôle de la profitabilité était également devenu une de leurs priorités». En toute logique, le tiers d’entre elles faisaient état de difficultés à contrôler leurs profitabilité, coûts et trésorerie. Les EFL éprouvaient également de grandes difficultés à recruter du personnel compétent, le motiver et le fidéliser. Au même moment pourtant, 79% d’entre elles exerçaient leurs activités pratiquement uniquement sur le marché luxembourgeois. Bien que souhaitant garder une proximité auprès de leurs clients pour conserver un service de qualité et une certaine flexibilité, une autre étude de PwC Luxembourg[7] révélait que ces entreprises avaient déjà des craintes à conquérir des parts de marché au sein de la Grande Région.
L’IE : dynamique d’intelligence stratégique
Souvent confondu à tort avec l’espionnage économique, l’IE est fortement recommandée par de nombreuses études économiques. Son usage permet de faire un état des lieux et de se rendre plus facilement compte de ses forces, faiblesses, opportunités et menaces[8] et de comprendre les climats économiques, sociaux et politiques des pays dans lesquels les entreprises souhaitent s’implanter[9].
En épluchant les rapports et documents publics des autres acteurs économiques, des journaux et revues spécialisées et en effectuant des investigations (légales), les EFL peuvent collecter, selon des délais et coûts précis, un ensemble de données comptant différents degrés de fiabilité. Elles peuvent ensuite les recouper pour les transformer en informations plus ou moins robustes et pertinentes. Ces dernières peuvent alors être étudiées afin de comprendre et prédire les agissements de leurs fournisseurs, clients, compétiteurs actuels et potentiels, analyser les produits et services substituables[10] ainsi qu’assurer un meilleur suivi des risques politiques, naturels et industriels et des évolutions technologiques. Au-delà des travaux de veille, l’IE peut également s’articuler autour de la sécurité économique et/ou de l’influence. L’entreprise pourra ainsi protéger son image et patrimoine informationnel et veiller au bon fonctionnement de ses outils de gestion. Elle sera aussi en mesure de s’orienter vers des techniques d’opération d’influence[11] pour accroître ses parts de marché, si l’entreprise choisit une approche plus offensive.
Si l’IE est davantage pratiquée par les grandes entreprises, elle n’en reste pas pour autant leur apanage[12]. Les TPE-PME (familiales)[13] peuvent aussi tirer grandement profit de son application. En centralisant la collecte des données et l’interprétation de l’information et en veillant à ce que les renseignements circulent efficacement, les résultats peuvent, après un certain temps d’adaptation, être largement bénéfiques[14]. L’IE participerait à : «augmenter la qualité de l’information, accélérer la prise de décision, favoriser systématiquement le processus organisationnel, améliorer l’efficacité, réduire les coûts, accroître le savoir, perfectionner le flux et la diffusion de l’information, identifier les opportunités et les menaces, faire gagner du temps, (…), conduire à une découverte de clients inconnus, une meilleure planification stratégique et une vision plus large des connaissances cachées au sein de l’organisation, aider à une collecte systématique d’informations (…) et finalement entraîner une augmentation du chiffre d’affaires annuel[15]».
Dès lors, un recours (plus courant) à l’IE permettrait aux EFL d’être a priori plus compétitives, d’augmenter leur part de marché à l’international et donc d’accroître leur profitabilité et résilience. Les risques liés au développement de nouveaux produits et services et à la conquête de nouveaux marchés seraient ainsi diminués car des études approfondies de renseignement auront en amont été effectuées. Davantage de liquidité pourrait ainsi être gardée au sein des bilans tandis que les salariés pourraient être plus justement rémunérés à la hauteur de leurs performances. Les EFL deviendraient ainsi plus attractives pour recruter des salariés compétents. Enfin, les problématiques concernant la gestion de trésorerie et de qualité des marchandises pourraient se réduire car l’intégrité et les critères financiers -minimum exigés de profitabilité, solvabilité et liquidité- des clients et fournisseurs auront auparavant été analysés. Toute chose égale par ailleurs, le besoin en fonds de roulement et les factures impayées des EFL pourraient ainsi diminuer.
Si le concept de l’IE peut paraître farfelu, rappelons au lecteur que le Luxembourg dispose d’un modèle phare en la matière. La véritable toile de réseau d’information tissée par Emile Mayrisch, fondateur et directeur de l’Arbed, à l’aide de sa cinquantaine de succursales (Columeta) installées à travers le monde à la fin des années 1930, fut l’une des raisons du grand succès de l’entreprise sidérurgique. Les renseignements ont en effet permis de garantir approvisionnements et débouchés[16].
[1]Voir : PwC Luxembourg (2007): Les entreprises familiales luxembourgeoises
[2] L’IE n’est pas un outil de compétitivité mais s’assimile à la définition d’intelligence stratégique d’Edgar Morin
[3] 70% des entreprises luxembourgeoises seraient de type familial
[4]Voir: Bégin & Chabaud (2010): La résilience des organisations – Le cas d’une entreprise familiale, Lavoisier
[5]La détention de cash n’est toutefois pas homogène. Elle tend à être positive lors des trois premières années de la crise mais elle est négative sur six ans. Voir: Lozano & Yaman (2020): The European Financial Crisis and Firm’s Cash Holding Policy, Global Policy Volume
[6]Voir: Coutu (2002): How Resilience Works, Harvard Business Review
[7]Voir : PwC Luxembourg (2007): L’entreprise transfrontalière ou l’émergence d’un modèle hybride
[8]SWOT: Strengths, Weaknesses, Opportunities and Threats (outil stratégique)
[9]Voir: Muñoz-Cañavate & Alves Alvero (2017): Competitive intelligence in Spain: A study of a sample of firms, Business Information Review
[10]Voir: Porter (1985): The Competitive Advantage: Creating and Sustaining Superior Performance, Free Press
[11]Les plus citées sont : la construction de réseaux d’influence (décideurs politiques/économiques), les opérations de lobbying et le financement d’études
[12]Voir : Carayon (2003) : Intelligence Economique, Compétitivité et Cohésion Sociale, Rapport Carayon, La Documentation française
[13] 2/3 des entreprises familiales luxembourgeois seraient des PME
[14]Voir: Galvin (1997): Competitive Intelligence at Motorola, Wiley
[15]Voir: Oraee et al. (2020): The competitive intelligence diamond model with the approach to standing on the shoulders of giants, Library & Information Science Research
[16]Voir: Arboit (2016): Les réseaux du fer – Information, renseignement économique et sidérurgie luxembourgeoise entre France, Belgique et Allemagne 1911-1940, Peter Lang