Skills-Plang et Job rotation scheme : deux modèles complémentaires

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Le lancement de la mise en pratique du Skills-Plang est officiel depuis le 19 juin 2025[1]. Après le vote du projet de loi de l’introduction d’un programme de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences, un appel à candidature a été lancé par l’ADEM[2] pour trouver les consultants agréés. Enfin, une présentation à l’automne 2025 d’une première liste officielle de consultants est également prévue.

En résumé, cette loi contient deux volets : l’un sur l’identification des salariés ayant des besoins spécifiques de formation et l’autre sur les remboursements aux entreprises des frais liés à la formation des salariés et au consultant agréé (ou à l’entreprise de conseil). L’entreprise qui souhaite avoir recours au Skills-Plang doit d’abord déposer un dossier à l’ADEM qui vérifiera son éligibilité ; puis, à l’aide d’un consultant (ou entreprise agréée), elle va identifier parmi ses salariés ceux qui ont un besoin de se former, en ayant recours à un bilan de compétences, choisir la formation longue (de minimum 120h) la plus appropriée et élaborer le rapport final qu’il déposera à l’ADEM. Ensuite, l’entreprise recevra, de la part du Fonds pour l’emploi[3], un remboursement sur base des coûts facturés.

Cependant, le Skills-Plang pourrait aller plus loin, en incluant un volet visant à la mobilisation des demandeurs d’emploi. En complément à cette loi, le schéma danois job rotation[4] pourrait offrir une source d’inspiration précieuse. En quelques mots, ce schéma permet à un salarié de suivre une formation continue longue et aux employeurs de recevoir une subvention pour recruter un demandeur d’emploi qui remplacerait le salarié pendant sa période de formation. En effet, ce système danois de job rotation présente un aspect « triple-win » : il permettrait aux employeurs de pallier le manque de main-d’œuvre pendant la formation longue continue des salariés, aux salariés d’acquérir de nouvelles compétences et aux chômeurs de bénéficier d’une expérience de travail. L’attractivité du dispositif pour les demandeurs d’emploi serait particulièrement cruciale en vue d’une possible adaptation de ce schéma au Luxembourg.

Si on prend du recul, les deux modèles se complètent :

– Le Skills-Plang est un projet centré sur la formation longue, pour identifier et accompagner les salariés et les entreprises face aux évolutions des besoins sur le marché du travail.

– Le job rotation scheme propose une méthode aussi centrée sur la formation longue avec en plus l’insertion des demandeurs d’emploi, surtout ceux de longue durée.

L’évaluation du job rotation scheme réalisée par l’Agence danoise du marché du travail et du recrutement (STAR) montre des effets positifs à long-terme. Entre 2015 et 2017, l’agence a comparé 6.357 chômeurs ayant bénéficié d’un emploi temporaire dans le cadre du dispositif avec un groupe de contrôle resté uniquement au chômage. Les résultats indiquent qu’au bout d’un an, le taux d’emploi du groupe « job rotation » est supérieur de 1,2 point à celui du groupe de contrôle, et que cet écart s’accroît progressivement pour atteindre 5,8 points deux ans et demi plus tard. Ces données quantitatives confirment la hausse de l’employabilité des demandeurs d’emploi. De plus, des évaluations qualitatives menées dans plusieurs communes danoises soulignent que le dispositif renforce réellement les compétences des participants et constitue un canal de recrutement efficace pour les entreprises.

Avec un taux de chômage « qui était retombé sous les 5% en 2022 et frôle désormais les 6% » en 2025[5], et une hausse annuelle[6] de 5% du nombre de demandeurs d’emploi inscrits à l’ADEM depuis 12 mois et plus, vouloir adapter les compétences des personnes en emploi n’est plus suffisant. Il faudrait aussi accompagner ceux qui restent en retrait et qui n’arrivent pas à se réinsérer sur le marché du travail, ce à quoi le job rotation scheme apporterait une réponse.

[1] Legilux, loi du 19 juin 2025, projet Skills-Plang.

[2] ADEM, Appel à candidatures jusqu’au 31 août 2025 pour trouver des consultants agréés.

[3] Le remboursement s’adapte à la taille de l’entreprise, avec un soutien différencié pour l’analyse prévisionnelle, la formation et la prise en charge des salaires des participants. Pour les micro et petites entreprises, l’analyse prévisionnelle peut être remboursée jusqu’à 75%, avec un plafond de 900€ par jour-homme. Le nombre de jours-hommes varie de 2 à 12, et chaque salarié peut bénéficier d’un jour supplémentaire pour un accompagnement individuel. L’entreprise peut également obtenir jusqu’à 10 jours supplémentaires pour son organisation. Le plafond global de remboursement atteint 60.000€. La formation est prise en charge à hauteur de 50% des frais directs, avec un maximum de 250€/jour et 7.500 € par salarié, et le salaire des participants est remboursé à 50% (plafond 250% du salaire social minimum (SSM)). Pour les moyennes entreprises, le remboursement de l’analyse prévisionnelle est de 50%, avec un plafond de 600€ par jour-homme. Le nombre de jours-hommes varie de 9 à 20, avec les mêmes modalités pour les jours supplémentaires individuels et organisationnels que pour les petites entreprises. Le plafond global reste de 60.000€. La formation est remboursée à 50% des frais directs (jusqu’à 250€/jour et 7.500€ par salarié), et le salaire des participants est pris en charge à 25% (plafond 250 % du SSM). Pour les grandes entreprises, l’analyse prévisionnelle est remboursée à 15%, avec un plafond de 180€ par jour-homme. Le nombre de jours-hommes s’étend de 12 à 25, et chaque salarié impacté peut bénéficier d’un jour supplémentaire uniquement pour son accompagnement individuel, sans jours supplémentaires pour l’organisation. Le plafond global de remboursement est également de 60.000 €. La formation est remboursée à 40% des frais directs (jusqu’à 200€/jour et 6.000 € par salarié), et le salaire des participants à 15% (plafond 250% du SSM).

[4] Pour plus d’informations, voir IDEA, Ioana POP (2024), Décryptage N°31 : Job rotation scheme, une best practice à la danoise.

[5] Voir IDEA, Michel-Edouard Ruben (2025), Décryptage N°46 : Du chômage au Luxembourg.

[6] Selon les dernières données de l’ADEM, le nombre de demandeurs d’emplois de 12 mois et plus est passé de 7.198 en juillet 2024, à 7.560 en juillet 2025. 

Y’a-t-il un jeune informaticien dans la boite ?

© photo : Pexels, Kevin Ku

Au Luxembourg, le secteur de l’information et des communications traverse une zone de turbulences. Il représente 4,5% de l’emploi total du pays, 7% de la VAB[1] en 2024 et a vu la croissance de son emploi ralentir depuis 2023[2]. De plus, derrière ces évolutions, se cachent – depuis bien longtemps – des changements parmi les profils des salariés, tant d’un point de vue générationnel que de leur provenance géographique.

Est-ce que le secteur de l’information et des communications au Luxembourg se trouve en risque de vieillissement ?

Entre 2010 et 2025, la part des jeunes salariés de moins de 30 ans a toujours été légèrement en-dessous de la moyenne de l’économie, et a connu une baisse, à l’image de la tendance générale de l’économie[3]. Pendant ces 15 dernières années, le secteur a vu son effectif salarié croître de plus de 8.400 salariés, passant d’un total de 13.930 à 22.380. Mais cette croissance masque d’importants changements générationnels. Si les jeunes de moins de 30 ans ont vu leur nombre augmenter de 830 salariés sur 15 ans, atteignant 3.280 salariés, leur progression s’est fortement ralentie, et même inversée : leur taux de croissance annuel moyen est passé de 3,7% sur la période 2010-2017 à -0,5% entre 2018 et 2025, avec une baisse de 7,1% rien qu’en 2025. Leur part dans l’effectif total a ainsi reculé, passant de 17,6% en 2010 (2.450 salariés) à seulement 14,7% en 2025. À l’inverse, les seniors de plus de 55 ans, à l’origine étant peu nombreux (860 en 2010, soit 6,2% des effectifs) comparés aux moins de 30 ans, représentent en 2025 une part de 13,1% de l’effectif des salariés du secteur, soit 2.930 salariés. Leur hausse reste très soutenue, avec un taux de croissance annuel moyen de leur effectif de 7,6% entre 2018 et 2025 et une hausse de 7,7% en 2025[4]. Ce phénomène pourrait s’expliquer par plusieurs facteurs : un vieillissement progressif de l’âge des salariés dans le secteur (éventuellement amplifié par une baisse des recrutements), un certain manque d’attractivité pour les jeunes ou une évolution des profils recherchés.

Source : données IGSS et calculs de l’autrice.

En outre, les entreprises du secteur ont des exigences élevées en matière de recrutement dans l’IT. D’abord, un niveau de qualification de type enseignement supérieur est recherché par les métiers de l’IT, ce qui retarde l’arrivée sur le marché de l’emploi des jeunes encore en formation[1]. Ensuite, selon l’ADEM[2], les sociétés de conseil IT, qui formaient auparavant des profils juniors, recherchent à présent plutôt des personnes dotées d’une expérience professionnelle de 5 à 10 ans – pour répondre à une demande plus pointue des clients – ce qui complique l’intégration des jeunes diplômés (et des personnes en reconversion). Entre autres, l’essor des outils d’IA tend à réduire la demande pour les développeurs juniors, tout en créant de nouveaux besoins pour des profils expérimentés capables d’encadrer ces technologies. Cependant, il faut souligner que le marché cherche encore à se structurer autour de ces enjeux d’IA, car, selon l’ADEM, « il semble que le marché ne soit pas encore tout à fait prêt pour intégrer l’IA ».

Est-ce que ce secteur repose principalement sur des travailleurs résidents ou frontaliers ?

Dans le secteur de l’IT, les frontaliers sont désormais plus nombreux que les résidents. Sur les 15 dernières années, entre 2010 et 2025, le nombre de salariés frontaliers a augmenté de 68%, contre 53% pour les résidents qui ont atteint 47% du total des salariés du secteur. En 2025 les frontaliers en provenance de la France restent largement majoritaires avec un effectif de 7.260, soit une hausse de 87% depuis 2010, suivis de ceux en provenance de la Belgique, au nombre de 3.180, en hausse de 38%, et enfin ceux venant d’Allemagne, au nombre de 1.490, avec une croissance de 64% de leur effectif en 15 ans. Ces tendances se remarquent aussi auprès des salariés âgés de moins de 30 ans.

Du côté des résidents, la croissance est particulièrement marquée chez les non-Luxembourgeois, dont les effectifs ont cru de 125%, alors que l’effectif des résidents Luxembourgeois n’ont progressé que de 4%[3] en 15 ans.

Quelles implications pour le renouvellement générationnel ?

Pour avoir une idée du potentiel de renouvellement générationnel dans ce secteur, le ratio entre le nombre de salariés de moins de 30 ans et ceux âgés de 55 ans et plus permet de voir dans quelle mesure les jeunes sont suffisamment nombreux à prendre le relais des seniors en fin de carrière.

En 2025, les résultats de ce ratio montrent des dynamiques contrastées : le renouvellement des talents dans ce secteur semble bien assuré auprès des frontaliers, surtout par ceux en provenance de la France (ratio de 2,0) ; en revanche, le cas des frontaliers d’Allemagne, où le ratio est très faible (0,4), indique un certain vieillissement, à l’image de la démographie allemande. Du côté des frontaliers venant de la Belgique, ce ratio est équilibré (0,9), mais il est à surveiller.

Les résidents, de leur côté, présentent une différence par nationalité : les Luxembourgeois affichent un ratio faible de 0,7 (il y a moins de jeunes Luxembourgeois qui travaillent dans l’IT) tandis que chez les non-Luxembourgeois, ce ratio est équilibré et s’élève à 1,1 (légèrement plus de jeunes que de seniors), ce qui peut aussi s’expliquer par une immigration forte de jeunes professionnels dans l’IT.

Source : données IGSS et calculs de l’autrice.

Le secteur paraît ainsi largement porté par une main-d’œuvre jeune et en provenance de l’étranger, ce qui interroge sur son attractivité auprès des jeunes Luxembourgeois et sur la capacité du pays à former ses propres talents.

[1] Voir aussi : IDEA, Document de travail N°24 : Des bourses d’études pour les futurs talents de la diversification économique, par Jean-Baptiste Nivet, 2024.

[2] ADEM, Zoom sur les évolutions et tendances récentes dans le domaine de l’informatique, juin 2025.

[3] Données de l’IGSS.

[1]STATEC, comptes nationaux, E2305 Valeur ajoutée brute (B1) aux prix de base par branche (NaceR2) (volumes chaînés ; 2015).

[2] La croissance de l’emploi dans ce secteur est passée de +3,9% en 2023 à -0,1% en 2024, avec une stagnation au premier trimestre 2025, selon les données du STATEC.

[3] En 2010, la part des jeunes de moins de 30 ans dans ce secteur était de 17,6% et la moyenne de l’économie 18,7% ; en 2017 ces parts correspondaient à 16,8% et 17,2% ; en 2025, ces parts respectives sont de 14,7% et 16,1%, données de l’IGSS et calculs de l’autrice.

[4] Données de l’IGSS.

Décryptage N°46 : Du chômage au Luxembourg

© photo : Pexels, Ron Lach

Pendant longtemps, le chômage a été au Luxembourg un phénomène statistiquement anecdotique. Ainsi, seulement quelques dizaines de demandeurs d’emploi étaient enregistrés dans les années 60 auprès de l’Office National du Travail (devenue Administration de l’emploi en 1976), et le taux de chômage n’était que de 4% dans le pays à la veille de la crise des subprimes. Depuis, entre chocs multiples et exigences croissantes du marché du travail, la donne a profondément changé !

Télécharger le Décryptage :Le télétravail transfrontalier, 5 ans après la pandémie

Document de travail N°22 : Rétrospective économique 2018-2022

© photo : Julien Mpia Massa

La rétrospective économique des cinq années écoulées est largement dominée par l’analyse des effets d’une succession de deux chocs, sanitaire, puis géopolitique, face auxquels l’économie luxembourgeoise semble avoir plié (un peu) mais pas rompu. Si la période observée correspond à la mandature politique qui s’achève, il n’est pas possible pour autant de considérer cet exercice comme un « bilan économique » complet et définitif de la coalition au pouvoir.

Il n’en demeure pas moins qu’avec l’éclatement des crises, les réorientations de la politique budgétaire et économique ont tranché avec la conduite adoptée au moment de la crise des dettes souveraines, au Luxembourg comme au niveau européen. Avec une succession de plans de soutien aux entreprises et aux ménages, l’État a apporté une forme de stabilité dans un contexte dominé par l’urgence et l’incertitude radicale. Il s’est à la fois positionné en assureur en dernier ressort des agents économiques et en animateur du dialogue social, remettant au goût du jour le néocorporatisme luxembourgeois né d’autres crises passées.

Cette rétrospective économique 2018-2022 est l’occasion d’aborder la bonne résistance aux chocs de l’économie luxembourgeoise, visible en particulier sur le marché du travail. Le pays a continué à attirer de nombreux résidents et frontaliers et a pu limiter la casse sur le plan social, malgré des inquiétudes exacerbées par le retour de l’inflation et la remontée des taux d’intérêts. L’analyse met en avant un certain nombre de « décrochages » latents qui ont été accentués par le double choc pandémique et énergétique et revient sur les évolutions des finances publiques ainsi que sur des indicateurs de consommation énergétique et du bilan CO2 « en trompe l’œil ».

Taux de croissance annuel moyen de quelques indicateurs macroéconomiques du Luxembourg sur les périodes 2007-2017 et 2017-2022 (* = 2017-2021)
Sources : STATEC, Agence Européenne de l’Energie

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Document de travail N°22 : Rétrospective économique 2018-2022

« Août of the box » : La menace de la vague de faillites

Ce blog est issu de la série « Août of the box », réalisé en partenariat avec Paperjam

Quand adviendra la vague de faillites ? Cette question plane depuis le début de la crise avec tout son lot d’incertitudes.

Factuellement, cette potentielle vague de faillites n’a pas (encore ?) pointé le bout de son nez : entre 2019 et 2020 les faillites ont diminué de 3,6%. Depuis le début de l’année 2021, elles repartent à la hausse. Elles sont 8% plus nombreuses sur le premier semestre que celles enregistrées en moyenne au cours des premiers semestres des deux années précédant la crise sanitaire. Cependant, cette progression mérite d’être mise en perspective avec l’augmentation beaucoup plus marquée observée lors de la précédente récession à la suite de laquelle elles avaient augmenté de 21% en 2009, puis de 33% en 2010.

Peut-être que le pire est à venir et que, comme pressenti par le consensus d’IDEA réalisé au mois de février, la vague déferlera au second semestre ; à moins que la question pertinente ne soit plus « quand adviendra la vague de faillites ? » mais « et si la vague de faillites n’arrivait pas ? » Cette nouvelle interrogation n’est pas aussi saugrenue qu’elle aurait été au début de la pandémie et il n’y a, pour le moment, pas de raisons d’anticiper une explosion des faillites. A moins que les aides accordées à certains secteurs d’activités (comme l’Horeca par exemple) ne soient subitement stoppées, ce qui poserait de réels problèmes de trésorerie et/ou de liquidité pour des entreprises qui étaient viables et ne connaissaient pas de difficultés majeures avant la crise. Les fermetures successives ainsi que les restrictions d’accès ont en effet fragilisé les acteurs de manière inégale et le regain d’activité constaté ces derniers mois pourrait ne pas avoir été suffisant pour rétablir pleinement toutes les « trésoreries ». La clé de leur survie résidera donc dans le bon dosage des aides mais surtout dans la progressivité de l’arrêt de ces dernières.

De l’autre côté du spectre se trouvent aussi des entreprises qui connaissaient déjà des difficultés financières avant la pandémie et qui sans les dispositifs d’aides exceptionnelles leur ayant permis de garder la tête hors de l’eau pendant plusieurs mois auraient probablement déposé le bilan. Il faut bien garder à l’esprit que les faillites contribuent à un processus d’assainissement de l’économie ou, comme l’aurait dit Schumpeter, une sorte de destruction créatrice permettant notamment un renouvellement de l’offre sur le marché. Elles ont également le mérite de « clarifier » des situations parfois complexes vis-à-vis des créanciers.

Face à la diversité des situations, il faudra donc observer les (probables) hausses de faillites des prochains mois avec un certain discernement et garder à l’esprit qu’en adoptant un mix des visions de Schumpeter et de Keynes, la vague tant redoutée ne verra peut-être pas le jour.

D.ieu, ce Luxembourgeois !

Par Muriel Bouchet et Michel-Edouard Ruben

Alors que 2020 touche à sa fin, il est possible de faire un rapide bilan (économique) du « Grand confinement » qui a vu des entreprises cesser/réduire leurs activités pour raison impérieuse de distanciation physique et de lutte contre la propagation du coronavirus. Puisque les pas très bonnes (voire carrément mauvaises) nouvelles ne manquent pas, il est bon de s’étonner, dans cette année de malheur, que le PIB et le marché du travail du Luxembourg aient relativement bien résisté.

Alors que les chiffres du deuxième trimestre mettaient déjà en évidence la relative bonne résistance de l’économie luxembourgeoise, les estimations du STATEC portant sur le PIB au 3ème trimestre, qui ont été publiées ce 14 décembre, renforcent encore ce constat. Au cours des 9 premiers mois de 2020, période pour laquelle des données « officielles » (certes susceptibles d’être révisées) sont désormais connues, le PIB luxembourgeois en volume aurait diminué de « seulement » 2% par rapport à la même période de l’année 2019. Selon Eurostat, le recul mesuré pour la même période s’est établi à 5,8% en Allemagne, à 6,8% en Belgique et à 9,5% en France.

Le regain de l’épidémie au 4ème trimestre aura-t-il raison de cette résilience en 2020? Probablement pas. La BNB et l’Ifo Institute ont tous deux estimé le déclin du PIB réel (en Belgique et en Allemagne) à 1% environ au 4ème trimestre de 2020 par rapport aux trois mois précédents. Si un recul trimestriel du PIB similaire était observé au Grand-Duché, l’« annus horribilis » 2020 se solderait in fine par une récession de 1,7%. Un résultat « objectivement mauvais », mais « bizarrement » pas tant que cela puisqu’en 2009 le PIB du Luxembourg avait reculé de 4,4%.

Le marché du travail grand-ducal est également emblématique de cette relative bonne résistance. Au 3ème trimestre de 2020, l’économie du Luxembourg comptait ainsi 9.000 emplois de plus qu’au 3ème trimestre 2019 (+2%), contre -4 millions au sein de l’UE (-2%), -18.000 en Belgique (-0,4%), -654.000 en Allemagne (-1,4%), -754.000 en France (-2,6%). Il est à signaler que 74% des 9.000 emplois supplémentaires qui ont été créés au Luxembourg l’ont été dans les secteurs de la construction (+1.800), de l’administration publique (+1.600), de l’éducation (+1.200), et de la santé et action sociale (+2.100) qui pèsent 32% de l’emploi total. D’un côté (cas des emplois dans la construction), cela est « encourageant » puisque la demande en logements reste forte et que le manque de main-d’œuvre est traditionnellement la principale raison avancée par les entreprises du secteur comme contrainte pour le développement de leurs activités. De l’autre (cas des emplois dans les secteurs principalement non-marchands), il est permis d’y voir la traduction concrète de ce que l’économie luxembourgeoise a été dans une situation de « socialisme pandémique » durant l’année 2020.

Hélas, ces deux constats relativement positifs (à savoir l’apparente bonne tenue du PIB et la progression de l’emploi (certes tirée principalement par les secteurs non-marchands)) ne suffisent pas à faire oublier les nombreuses difficultés encore en présence (circulation du virus, questionnement sur l’efficacité des vaccins, devenir de l’organisation du travail, hausse des prix immobiliers alimentés par l’épargne forcée due à la crise, zombification/mise en hibernation de certaines entreprises, questionnement de certains sur la soutenabilité de la dette publique luxembourgeoise, etc.) qui interdisent de croire que 2021, toute proche, s’annonce sous de bons auspices.