Édito de la semaine : Salaire Social Minimum & Compétitivité

Si la hausse de 2,8% du salaire social minimum annoncée récemment par le Gouvernement a pu faire grincer les dents, force est de constater qu’assimiler stricto sensu le salaire et la compétitivité des entreprises est une vision partielle des choses – même si dans le contexte actuel de la pandémie de COVID-19, les entreprises auront à faire face à de nouvelles difficultés, du moins à court terme.

La confusion est en réalité de nature comptable. Tout comme les dépenses affectées à la R&D, celles pour les salaires apparaissent comme des charges sur le compte de résultat. Pourtant, la première est considérée comme un investissement alors que la deuxième ne l’est que très rarement. Croire qu’une entreprise puisse opérer en ne valorisant pas à la hauteur ses salariés revient à sous-estimer l’impact positif que peut avoir le capital humain.

Non seulement les salariés peuvent représenter selon le secteur d’activité une fraction seulement des coûts totaux, mais, bien rémunérés, ils peuvent être incités à prendre plus d’initiatives, innover et améliorer les processus de production et donc in fine compenser positivement leurs salaires par des gains de productivité. En outre, ils peuvent faire reculer certains coûts, comme ceux liés à l’adaptation à la suite d’un taux plus élevé de renouvellement du personnel. Enfin, ils peuvent améliorer la satisfaction et l’expérience client tandis que des salaires attractifs peuvent participer à capter plus facilement des compétences.

Sortons donc d’une vision exclusivement comptable et pensons davantage à la stratégie et l’efficacité opérationnelle des entreprises. Là pourraient être les points d’amélioration possibles. D’autant que la Suisse est un parfait exemple qui montre par son bon classement récurrent dans les classements compétitifs internationaux que les hauts salaires n’impliquent pas nécessairement une perte de compétitivité. Bien au contraire…

Pour un budget vert « à la luxembourgeoise »

Le budget vert ou « Green Budgeting » consiste à évaluer de manière systématique l’impact environnemental des budgets publics, en considérant idéalement les impôts, taxes et redevances, les dépenses budgétaires et les différentes « dépenses fiscales ».

La France est en pointe en la matière. Les autorités budgétaires y ont en effet déposé, en octobre 2020, une annexe au projet de loi de finances 2021 (PLF) où est passée au crible l’incidence environnementale des crédits budgétaires et des dépenses fiscales de l’Etat, sur la base de 6 objectifs environnementaux inspirés d’une taxonomie européenne (voir la figure ci-jointe). Sont isolés parmi les agrégats budgétaires les postes présentant un lien avec au moins l’un des 6 objectifs. Ces postes se voient ensuite assigner, à l’aune de chacun des objectifs, une cotation « favorable », « défavorable » ou « neutre ».

Le « Budget vert » français a été préparé par un groupe de travail interministériel et ce bien en amont du dépôt du PLF.  Les dépenses budgétaires et les dépenses fiscales de l’Etat ayant fait l’objet d’une évaluation dans le cadre du « Budget vert » hexagonal se sont montées à 574 milliards d’euros, dont 53 milliards présentant un lien avec l’environnement. Ce dernier montant se décompose en 38 milliards ayant des retombées environnementales favorables, près de 5 milliards affichant un bilan neutre et 10 milliards accusant une incidence environnementale négative. Les « dépenses fiscales » représenteraient à elles seules un peu plus de 70% de cette dernière catégorie[1].

Figure : les 6 axes environnementaux du « Budget vert » français

budget vert

Source : Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance (France).

Sur le plan luxembourgeois et au vu de cette dernière constatation (tirée de l’expérience française, certes), il serait opportun dans un premier temps de mettre en place un « Green Budgeting » se focalisant sur la liste « officielle » des dépenses fiscales (reprise à l’annexe 10 du projet de budget pluriannuel 2020-2024, « Indications sur les dépenses fiscales et leur impact sur les recettes »). Cette liste renferme surtout des « niches fiscales » en relation avec l’immobilier, le Bëllegen Akt notamment. Elle devrait être élargie au plus grand nombre de « dépenses fiscales » possible, le coût budgétaire du leasing, par exemple (la France a quant à elle évalué quelque 475 dépenses fiscales dans le cadre de son « Budget vert »). L’impact environnemental de chaque « dépense fiscale » relevant de cette liste élargie serait désormais évalué (neutre, positif, négatif), à l’instar de la pratique française – le cas échéant en se concentrant (du moins au départ) sur la neutralité carbone. Afin d’améliorer son évaluation environnementale, le Bëllegen Akt, qui porte sur quelque 202 millions d’euros dans sa forme actuelle, pourrait en outre faire l’objet d’une modulation en fonction des performances énergétiques des bâtiments concernés.

Par ailleurs, il serait intéressant que le Luxembourg devienne dans les meilleurs délais membre du « Paris Collaborative on Green Budgeting » de l’OCDE, une initiative lancée le 12 décembre 2017, à l’occasion du « One Planet Summit »[2] aux côtés de la Grèce, du Mexique, des Pays-Bas, de la Norvège, de la Suisse, de La France et de l’Irlande. Cette initiative, qui est à l’origine du « budget vert » français, permettrait au Luxembourg de tisser des liens en la matière et d’accéder par ce biais aux méthodologies mises en œuvre dans les pays participants, évitant de « partir de zéro » dans ce domaine éminemment complexe.

Les défis méthodologiques risquent d’ailleurs d’être exacerbés, au Luxembourg, par le « Tanktourismus » qui va de pair avec de plantureuses recettes sur les énergies fossile (près de 2% du PIB en 2019 pour les seules accises). Ces recettes élevées constituent a priori un « bon point » dans le cadre du Green Budgeting.  Cette « performance » n’est cependant qu’un effet d’optique, associé aux achats de carburants par des non-résidents. Elle n’est nullement le reflet d’une fiscalité particulièrement incisive en matière d’énergies fossiles, ce dont toute « cotation environnementale » des recettes se doit de tenir compte.

Le but ultime du Green Budgeting est bien entendu d’identifier de manière transparente les points faibles du Luxembourg en matière de développement durable et d’élaborer en conséquence des mesures concrètes. Mieux évaluer pour mieux agir, en quelque sorte…


[1] Voir https://www.budget.gouv.fr/files/uploads/extract/2021/PLF_2021/rapport_IEE.PDF.

[2] Voir https://www.oecd.org/environment/green-budgeting/.

“Quelles équations pour le marché du travail transfrontalier ?” Retour sur la conférence-débat faisant suite à la publication des Cahiers de la Grande Région

A l’occasion de la publication de la troisième édition de la série Cahiers de la Grande Région, la Fondation IDEA asbl et le réseau Center for Border Studies de l’Université de la Grande Région (UniGR-CBS), en partenariat avec les membres de l’initiative des Cahiers de la Grande Région ont organisé une conférence-débat sur le thème : « Inadéquations, compétences, formation… Quelles équations pour le marché du travail transfrontalier ? » le 1er décembre 2020.

La conférence a débuté par une introduction d’Isabelle Pigeron-Piroth de l’Université du Luxembourg et de l’UniGR-Center for Border Studies, reprenant les principaux constats des Cahiers de la Grande Région N°2 et N°3 publiés cette année et portant sur le marché du travail transfrontalier. Ces deux éditions montrent que le marché du travail de la Grande Région se trouve face à plusieurs déséquilibres d’ordres quantitatif, qualitatif et temporel, déséquilibres renforcés par un contexte transfrontalier unique en Europe. Les Cahiers abordent également la question de la formation, intimement liée aux équations de ce marché du travail en pleine évolution et pour laquelle les politiques gagneraient à être davantage intégrées à l’échelle transfrontalière.

Trois documents extraits de ces deux Cahiers ont ensuite été présentés par leurs auteurs.

David Marguerit, tout d’abord, a présenté une étude du LISER (Luxembourg Institute of Socio-Economic Research) sur les types de compétences les plus demandés dans la Grande Région, étude menée à partir d’un large recensement d’offres d’emploi publiées en Lorraine, Wallonie, Sarre, Rhénanie-Palatinat et au Luxembourg.

Pierre Gramme, de l’ADEM (Agence pour le développement de l’Emploi au Luxembourg), a ensuite exposé les conclusions d’une analyse portant sur les inadéquations entre les offres et les demandes d’emploi sur le marché du travail luxembourgeois permettant de faire ressortir les métiers les plus en tension au Grand-Duché.

Enfin, Alexa Holz-Himbert de l’OIE (Observatoire Interrégional de l’Emploi) a présenté une contribution portant sur la formation professionnelle continue à l’ère de la numérisation du monde du travail ainsi que sur les perspectives et les champs d’action dans la Grande Région dans ce domaine.

Une table ronde animée par Vincent Hein (IDEA) ainsi que de riches échanges avec le public (virtuel, certes, mais nombreux et très actif) ont été l’occasion d’aborder de multiples questions. Pour n’en citer que quelques-unes, il fut notamment question de l’impact de la crise sanitaire actuelle à court et moyen terme sur le marché du travail transfrontalier, de la nécessité de renforcer la coopération transfrontalière en matière de politique de formation (avec quelques propositions concrètes à la clé), de l’efficacité des mesures visant à favoriser le recrutement (et la montée en compétences) des demandeurs d’emploi, de la coopération entre les agences de l’emploi, du défi de la demande des salariés pour se former tout au long de la vie, des solutions à aborder face aux fortes tensions dans certains métiers (infirmiers en particulier), de la bonne définition des compétences requises dans un contexte de transition digitale… et de beaucoup d’autres sujets.

Comme le précisait Franz Clément, du LISER, à l’origine de l’initiative des Cahiers de la Grande Région, les thématiques pour lesquelles l’expertise et les échanges de vue transfrontaliers doivent se poursuivre ne manquent pas, assurément ! De quoi alimenter de nombreux futurs Cahiers de la Grande Région, initiative ouverte à toute organisation qui aimerait contribuer aux débats.

Les organisateurs tiennent à remercier les invités pour leur participation active et enrichissante ainsi que les interprètes de la société Vis-à-vis pour la qualité de l’interprétariat.

Pour télécharger les présentations des intervenants :

Introduction – les Cahiers de la Grande Région: « Quelles équations à résoudre pour le marché du travail transfrontalier ? » (#2) et « La formation dans la Grande Région : réalités et défis » (#3) [Isabelle Pigeron-Piroth, Université du Luxembourg, UniGR-Center for Border Studies]
Les types de compétences recherchées dans la Grande Région [David Marguerit, LISER]
Les inadéquations entre offres et demandes d’emploi au Luxembourg [Pierre Gramme, ADEM]
La formation professionnelle continue à l’ère de la numérisation du monde du travail – perspectives et champs d’action dans la Grande Région [Alexa Holz-Himbert, OIE]

 

Pour retrouver tous les Cahiers de la Grande Région : https://www.liser.lu/cahiers-de-la-Grande-Region/