Compte-rendu de Ioana Pop, Economiste IDEA
© photos : Sana Kalla
Le 10 juillet 2025 s’est tenue la réunion annuelle conjointe du Conseil d’administration, du Conseil scientifique et de l’équipe opérationnelle d’IDEA, sur le thème « Les (grands) défis du système scolaire luxembourgeois ». Le dernier Rapport National sur l’Éducation[1] stipule que « le système éducatif traditionnel n’est […] plus adapté depuis longtemps à la diversité de la population scolaire et demande à être modifié ». Ce séminaire a été l’occasion de réunir des experts du LUCET[2] et de l’OCDE, afin d’aborder les thèmes et questions suivants :
- Les changements démographiques dans l’enseignement primaire et secondaire : un défi pour le système scolaire, par Dr. Susanne Backes, chercheuse au LUCET et l’un des coordinateurs du Nationaler Bildungsbericht 2024
- L’éducation pour tous ? Le système éducatif luxembourgeois et ses obstacles, par Dr. Thomas Lenz, Researcher manager, LUCET, et l’un des coordinateurs du Nationaler Bildungsbericht 2024
- Le programme de suivi du système scolaire luxembourgeois : enseignements et perspectives, par Dr. Sonja Ugen, Acting Head, LUCET, et par Dr. Joanne Colling, Research and Development Specialist, LUCET
- Le Luxembourg dispose-t-il d’un système éducatif performant, et comment le saurions-nous ? par M. Edmund Misson, Chef de division, Innovation et mesure du progrès à la Direction de l’éducation et des compétences de l’OCDE.
Cet évènement a mis en lumière certains des grands défis que rencontre le système éducatif luxembourgeois.
Le Luxembourg a connu, entre 2014/2015 et 2024/2025, une décennie marquée par une rapide hausse de sa population scolaire, soit +17,5% (soit +17.289 élèves), qui est aussi de plus en plus diversifiée. Alors que de moins en moins d’élèves parlent luxembourgeois comme première langue à la maison, le régime trilingue de l’école rend l’apprentissage difficile pour un certain nombre d’entre eux. Le contexte socio-économique de l’élève influence fortement ses résultats scolaires et cela accentue les inégalités éducatives, en particulier pour les élèves issus de milieux défavorisés ou non germanophones.
Le système reste fortement stratifié, marqué par une orientation précoce des élèves dès l’âge de 12 ans, ainsi que par une forte différenciation des parcours, avec des transitions assez rigides entre les filières (par exemple vers de longues études supérieures ou vers les diplômes de techniciens). Par comparaison européenne, une remarque intéressante soulevée à ce sujet était que l’orientation précoce (dès 10 ans, comme en Allemagne et Autriche) est associé à une spécialisation efficace, notamment pour la formation professionnelle, mais il tend à renforcer les inégalités scolaires et sociales ; alors que l’orientation tardive (vers 15 ans, comme en France et Belgique) est plus favorable à la mobilité éducative et sociale, bien qu’il s’accompagne souvent d’une offre de formation professionnelle moins performante.
Les inégalités socio-économiques et linguistiques s’installent dès les premières années de l’école primaire et ne cessent de se creuser tout au long du parcours scolaire. Comparé à des pays comme la France, la Belgique, l’Allemagne ou l’Autriche, le Luxembourg présente l’un des écarts de performance les plus marqués entre élèves selon leur origine sociale ou migratoire. Les élèves lusophones, notamment, sont nettement sous-représentés dans les filières générales, alors que leurs performances à l’entrée en primaire sont comparables à celles des autres élèves.
Les épreuves standardisées nationales, les « ÉpStan », permettent de repérer précocement ces inégalités en évaluant des compétences fondamentales (compréhension orale, compréhension en littéracie précoce, compréhension de l’écrit, mathématiques) dès le début de la scolarité. Les résultats révèlent que les élèves issus de milieux défavorisés ou non germanophones rencontrent davantage de difficultés à atteindre les standards attendus. Toutefois, certaines initiatives comme les écoles publiques européennes ou le programme Alpha – zesummen wuessen, amené à se généraliser dès la rentrée 2026/2027, montrent des effets positifs sur les résultats et la motivation des élèves concernés.
L’outil ÉpStan apparait ainsi comme un outil essentiel qui pourrait être davantage exploité pour orienter les politiques éducatives vers plus d’équité et des meilleures performances dans le contexte complexe et multilingue du système luxembourgeois.
Enfin, suite au parcours éducatif de l’élève, bien que l’accès à l’emploi semble relativement équitable pour tous les nouveaux arrivants sur le marché du travail, l’accès à des postes hautement qualifiés reste fortement corrélé au statut socio-économique des familles.
En outre, par comparaison avec les pays de l’OCDE qui ont participé à l’enquête PISA de 2018 (le Luxembourg n’a pas participé à celle de 2022), les performances des élèves restent préoccupantes. En comparaison avec la moyenne de l’Union européenne (UE), les résultats de l’enquête montrent des scores inférieurs à la moyenne de l’UE dans tous les domaines évalués (mathématiques, sciences et lecture).
Vivant à une époque sujette aux changements, selon le nouveau rapport de l’OCDE Trends Shaping Education 2025, les systèmes éducatifs doivent être repensés non seulement en termes de performance académique, mais aussi selon les objectifs sociaux, culturels et humains qu’ils poursuivent. Il est essentiel de clarifier ce que l’on attend réellement du système scolaire : préparer des individus compétents, mais aussi épanouis et engagés. Des pays comme Singapour sont en tête des résultats scolaires, mais interrogent sur le bien-être des élèves. D’autres, comme l’Albanie ou le Danemark, montrent qu’un système éducatif peut être performant autrement, soit en équilibrant la réussite académique, le bien-être et la cohésion sociale. Ce constat invite à diversifier les indicateurs d’évaluation des systèmes éducatifs, et à mieux aligner les politiques éducatives sur les besoins futurs des sociétés, au-delà des classements traditionnellement connus.
[1] Rapport National sur l’Éducation, Luxembourg 2024.
[2] Luxembourg Centre for Educational Testing (LUCET).