Le 10 mars 2016, IDEA publiait une Idée du mois (IDM) explicitant le concept de Medical School « à la luxembourgeoise » (LMS), passant en revue quelques expériences étrangères en la matière et abordant le sujet, ô combien délicat, de son éventuelle mise en œuvre au Luxembourg – l’Université du Luxembourg ayant déposé un projet assez abouti en ce sens, couvrant 6 années d’études pour 300 étudiants en vitesse de croisière. La principale conclusion de l’étude d’IDEA (http://www.fondation-idea.lu/wp-content/uploads/sites/2/2016/12/IDEA_-Idee-du-mois-n°11_Medical-school.pdf) était que cette option serait moins onéreuse que supposé par nombre d’observateurs et qu’elle pourrait induire des retombées directes et indirectes favorables à l’économie luxembourgeoise – la santé (outre sa présence au cœur de l’humain) n’étant pas tant une « contrainte budgétaire » qu’une niche de diversification prometteuse, un moteur d’innovation et d’emploi. Pourvu cependant que quelques conditions soient respectées, notamment une stratégie publique cohérente intégrant les divers aspects de la santé et du biomédical et favorisant l’émergence d’un écosystème porteur. L’étude soulignait également l’importance de la coopération internationale.

L’Association luxembourgeoise des étudiants en médecine (ALEM) avait abondé en ce sens dans un billet invité publié le 30 mars 2016 (http://www.fondation-idea.lu/2016/03/30/1292-2/), où elle affirmait notamment « Comme les autorités politiques souhaitent atteindre le grade de l’excellence dans le domaine médical, une LMS est la voie à suivre au Grand-Duché. Le concept d’un bachelor en médecine seul ne suffira pas à ces fins et sera fermement rejeté par l’ALEM ». Enfin, Henri Entringer, directeur honoraire de la Commission européenne et membre de la Section des sciences morales et politiques de l’Institut grand-ducal, avait exprimé sur notre site un point de vue argumenté et globalement assez réservé (http://www.fondation-idea.lu/2016/09/14/faut-il-creer-une-medical-school-au-luxembourg/).

De multiples points de vue, charriant une masse d’arguments.

Après un examen approfondi, le Gouvernement vient d’annoncer une décision en la matière. Il y aurait effectivement une montée en puissance de la formation médicale dispensée par l’Université du Luxembourg. Alors que les étudiants en médecine ne peuvent actuellement accomplir que leur première année au Grand-Duché, ils pourraient désormais y demeurer durant trois années correspondant à un « Bachelor » à partir de l’année académique 2020-2021. Au-delà de cette période de trois ans, les étudiants bénéficieraient pour leur master de passerelles vers des facultés étrangères de médecine. Le Gouvernement n’exclut cependant nullement l’introduction à terme d’une medical school « pleine et entière » au Luxembourg. Il procédera en effet en 2023 à une première évaluation du Bachelor. Si cette expérience est concluante, un master viendrait compléter ce dernier (cycle de 6 ans au total).

Cette décision gouvernementale a le mérite de poser les jalons d’une LMS, certes de manière prudente et graduelle, avec d’abord un bachelor puis ensuite éventuellement un master (approche « two step »). Par ailleurs, les autorités insistent à juste titre sur l’intérêt d’une coopération avec des universités étrangères – en évoquant un accord imminent avec Strasbourg et des accords en gestation avec l’Université de Lorraine, voire avec des facultés belges et allemandes.

On peut cependant légitimement s’interroger sur les projets gouvernementaux, pour deux raisons. En premier lieu, le système de passerelles vers l’étranger après le bachelor est primordial pour le succès de ce dernier auprès des étudiants. Or de quelle garantie bénéficiera réellement à cet égard un étudiant au moment même où il devra décider d’entamer (ou non) son bachelor au Luxembourg, compte tenu notamment des numerus clausus à l’étranger et des règles d’équivalence des diplômes? De la réponse (rapide) à cette question cruciale dépendra le succès ou l’enlisement de l’initiative gouvernementale – donc à terme l’installation ou non d’une medical school à part entière, dispensant un cycle de 6 ans.

En second lieu, nombre d’arguments développés dans les études citées ci-dessus ou par d’autres intervenants au débat n’ont à ce stade guère été développés par les autorités. On peut citer les aspects suivants, mais la liste n’est pas du tout limitative:

  • La LMS en tant qu’instrument de lutte contre la pénurie médicale: les projections démographiques d’Eurostat disponibles au moment de la publication de notre IDM, en mars 2016, indiquaient que la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus allait passer de 14% des résidents actuellement à 22% en 2060. Les projections démographiques d’Eurostat actualisées en février 2017 sont encore plus préoccupantes, la proportion en question étant censée atteindre 26% en 2060 et 28,5% en 2080. Le risque de pénurie médicale paraît donc bien plus tangible que lors de la publication de notre IDM en mars 2016. Or ce risque de pénurie n’a pas été mentionné lors de la présentation du nouveau projet gouvernemental. L’absence d’un master au Luxembourg, qui aurait permis d’ « enraciner » au Grand-Duché les futurs médecins, renforce pourtant ce risque.
  • Apport de la LMS en termes de pratiques de santé : c’est un aspect primordial, qui dépend de la disponibilité de formations spécialisées (neurologie, oncologie et pharmacie, par exemple), des langues de formation, du profil des personnes dispensant l’enseignement ou encore du degré d’implication des hôpitaux et des chercheurs. Autant d’aspects sur lesquels nous disposons d’informations encore fort parcellaires à l’heure actuelle, même si le gouvernement a mentionné la possibilité de formations spécialisées de neurologie et d’oncologie pour les étudiants ayant effectué un cycle de 6 ans. On peut cependant se demander si des étudiants ayant suivi trois années de master à l’étranger, à cause de l’absence au Grand-Duché d’une LMS couvrant 6 années (bachelor et master), reviendront au Luxembourg pour accomplir ces spécialisations. En d’autres termes, les trois années suivant le bachelor risquent rapidement d’apparaître comme le « chaînon manquant » de l’approche gouvernementale.
  • Effets d’entraînement économique d’une LMS: comme l’indiquait l’IDM d’IDEA de mars 2016, les dépenses liées à une medical school peuvent avoir de substantielles retombées économiques directes et indirectes si les conditions initiales et d’environnement s’y prêtent – en particulier l’émergence d’un écosystème impliquant les entreprises, la recherche, les médecins et pharmaciens ou les pouvoirs publics. Cet écosystème est loin d’être acquis : la Commission européenne insiste régulièrement sur le fait que notre secteur des biotechnologies demeure très limité et qu’il conviendrait d’adopter en la matière une stratégie plus globale. L’introduction du seul bachelor risque de constituer un handicap à ce propos (le master étant une meilleure courroie de transmission potentielle avec la recherche). Les enjeux sont pourtant cruciaux. Sur base d’expériences étrangères (notamment Leyde et Oldenburg-Groningen), notre IDM mentionnait en mars 2016 un effet multiplicateur allant de 2 à 3, ce qui signifie qu’un euro dépensé pour une LMS tend à générer un surcroît d’activité économique directe et indirecte de l’ordre de 2,5 euros.
  • Ces effets directs et indirects peuvent à leur tour amortir l’incidence budgétaire du projet. Ainsi, l’impact favorable de ces effets sur les recettes publiques pourrait, selon notre IDM de mars 2016, couvrir (en cas de multiplicateur égal à 2) près des trois quarts du coût budgétaire initial… On peut dès lors regretter que les autorités continuent à cantonner leur analyse – ou du moins leur communication – aux traditionnels coûts bruts, dans une optique statique ne prenant pas en compte des effets d’entraînement pourtant appréciables.

En conclusion, même si la présentation gouvernementale a le mérite de clarifier la situation, elle ne peut constituer le point d’aboutissement du débat sur la medical school à la luxembourgeoise, qui doit reposer sur des arguments à charge et à décharge complets, précis et argumentés. Le tout inspiré par une vision globale d’un sujet certes complexe, mais essentiel pour l’avenir et la santé des Luxembourgeois.

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