Les risques réglementaires ne sont pas spécifiques au Luxembourg, mais ils y revêtent une importance particulière du fait, notamment, d’un certain « tropisme » financier. Un risque nullement cantonné à notre époque, mais qui prend une dimension nouvelle face aux mutations technologiques, aux conséquences de la crise économique et financière (Union bancaire entre autres) ou encore suite au « buzz » médiatique alimenté par les « […]Leaks » ou autres « […]Papers ».

Une régulation bien conçue constitue un facteur de production (et d’attractivité) à part entière : elle permet de circonscrire divers risques opérationnels, de contrepartie ou légaux. Une économie moderne ne peut s’accommoder de la prolifération de zones grises contribuant à l’étiolement de la crédibilité, ce carburant des affaires. Une défiance généralisée induit in fine une destruction de valeur économique, comme démontré de manière éclatante (!) par la crise économique et financière.

D’un autre côté, une régulation trop lourde engendre des « compliance costs » et porte souvent atteinte au droit le plus élémentaire à la vie privée. Elle peut aussi étouffer la prise de risque et l’esprit d’entreprendre. Elle peut même, dans un cas extrême, déboucher sur un véritable magma de règles incohérentes ou même contradictoires.

Toujours cette nécessité d’un « juste milieu ». Qui s’apparente cependant à la quête du Graal dans un environnement actuellement assez « décoiffant ». On citera en vrac le projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) de l’OCDE, l’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés de l’UE, Bâle III, l’échange automatique d’informations sur les décisions fiscales anticipées ou encore les accords préalables en matière de prix de transfert. Nombre de ces aspects, par exemple les initiatives BEPS, répondent d’ailleurs davantage au concept économique d’incertitude qu’au concept de risque à proprement parler. Un risque peut être simulé sur la base d’hypothèses raisonnables (en jargon, sa distribution statistique est connue). Une incertitude est beaucoup plus « impalpable », les pertes et gains futurs ainsi que leur possible distribution étant inconnus. Personne n’est à ce stade en mesure de prévoir l’impact précis des dispositions BEPS sur les bases imposables, par exemple. Autre facteur d’incertitude : la dynamique inhérente au processus de réglementation, les rebondissements de l’actualité induisant fréquemment de nouvelles réformes, ces dernières révélant de nouveaux problèmes qui débouchent à leur tour sur de nouvelles actions. Une possible histoire sans fin…

« Compliance costs », incertitudes, risques d’emballement de la régulation : le tableau est-il donc résolument noir ?

Non, pour (au moins) trois raisons :

En premier lieu, divers « leaks » ou « papers » et des événements antérieurs ont pu entacher la réputation du Luxembourg à l’étranger. Souvent à tort d’ailleurs, à cause d’amalgames fallacieux entre ce qui relève de l’optimisation fiscale et de la fraude pure et simple. Cette confusion est cependant, qu’on le veuille ou non, une donnée objective. Raison de plus pour réduire à néant un déficit de réputation dommageable à la Place financière et, au-delà, au Grand-Duché dans sa globalité. C’est ainsi que peut être comprise la politique gouvernementale, s’appuyant sur une stratégie cohérente de « Nation branding » et sur une refonte prudente mais résolue de notre coopération fiscale internationale – qui vise à en gommer les aspérités, les « bombes à retardement potentielles » pour notre réputation. Un Luxembourg jouissant d’une image irréprochable pourra mieux tirer son épingle du jeu sur le plan économique, la confiance étant un puissant carburant des affaires. Malgré l’étiolement programmé du secret bancaire, Bâle III et on en passe, la croissance économique a d’ailleurs été élevée au Luxembourg de 2013 à 2015.

En deuxième lieu, les « BEPS et compagnie » devraient induire un élargissement de la base fiscale des entreprises – dont l’ampleur est toujours inconnue. L’occasion de remettre au goût du jour un régime d’imposition des sociétés s’appuyant sur des abattements, déductions et exemptions mais également sur un taux d’imposition nominal fort élevé par rapport à diverses places financières concurrentes (Royaume-Uni, Suisse, Irlande notamment). Cette « remise sur le métier » constitue certes un défi, mais aussi une chance…

Enfin, le Luxembourg dispose de nombreuses niches de compétences. Or le processus de régulation financière requiert une telle expertise, avec à la clef la constitution de marchés nouveaux (comme observé par le passé dans le contexte des OPCVM). Notamment dans le domaine du conseil fiscal, mais on soulignera également l’importance d’une formation ciblée vers les « nouveaux risques » ou encore la possible installation au Luxembourg de gestionnaires actuellement établis dans des centres « offshore », mais désireux de réduire leur risque de réputation tout en bénéficiant des compétences financières, informatiques, fiscales et … réglementaires du Luxembourg.

Le volontarisme paie en la matière. A condition, toutefois, d’éviter l’écueil de la sur-régulation : un équilibre bien délicat, assurément…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *