Ça chauffe !

Avec l’accumulation d’événements extrêmes ces dernières années, l’ampleur et l’interconnexion des impacts du changement climatique sur les individus, les organisations et les nations ne peuvent plus être ignorés, pas même au Luxembourg, habituellement à l’abri des tempêtes.

En octobre 2021, le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg a nommé les membres de l’OPC. L’OPC a été créé dans le cadre de la loi luxembourgeoise sur le climat ; loi visant à répondre aux défis posés par le changement climatique. L’OPC est un conseil scientifique, actuellement composé de sept membres ayant une expertise dans divers domaines des sciences liées au climat, dont la mission consiste à donner des avis sur les projets, actions ou mesures pouvant avoir un impact sur la politique climatique, à évaluer scientifiquement les mesures réalisées ou envisagées dans le domaine de la politique climatique, à analyser leur efficacité et proposer de nouvelles mesures. Il a également pour mission de rédiger un rapport annuel pour le Gouvernement sur la mise en œuvre de la politique climatique, et de proposer des recherches et des études dans tous les domaines liés au climat.

Principes pour une transformation rapide et équitable de la société une société durable et décarbonée

les principes généraux de l'OPC

Figure 4: les principes généraux de l’OPC

Dans tous les secteurs, la dépendance de l’économie luxembourgeoise vis-à-vis des combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel) devrait être fortement réduite. Ce processus de décarbonation est non seulement important pour atteindre les objectifs de réduction des émissions, mais aussi pour réduire la dépendance à l’égard des combustibles importés

Décarboner l’économie pour atteindre la neutralité carbone du pays (au plus tard) en 2050 nécessite des changements structurels profonds. Ce processus peut être décomposé en trois leviers principaux : la « suffisance » pour promouvoir les modes de vie à faible consommation d’énergie, « l’efficacité énergétique pour accroître le rendement énergétique de l’économie luxembourgeoise et la production d’énergies renouvelables pour décarboner la production et les importations d’énergie

Traditionnellement, les politiques climatiques se concentrent sur les deux derniers leviers. L’amélioration de l’efficacité énergétique et la production d’énergies renouvelables reposent toutes deux sur le changement technologique. Cette évolution peut être encouragée par la tarification du carbone, les normes de performance énergétique, l’interdiction de toute forme de subvention aux combustibles fossiles et les investissements dans les capacités de production d’énergies renouvelables. Il s’agit de premières mesures importantes, mais elles ne seront pas suffisantes.

Pour permettre l’adoption de modes de vie à faible consommation d’énergie et « suffisants », des changements de comportement ainsi que des changements systémiques sont nécessaires. Les possibilités d’effectuer ces changements devraient être accessibles à tous, et pas seulement aux segments de la population qui peuvent se permettre de faire les investissements financiers nécessaires. Cela implique à la fois, tant pour les citoyens que pour les professionnels, une sensibilisation et l’ouverture d’espaces d’apprentissage sur les possibilités de changement. Mais cela implique également le développement de politiques pour s’assurer que les citoyens et les professionnels soient habilités à s’engager dans de tels changements ou à expérimenter les solutions qui pourraient fonctionner le mieux eu égard à leur situation spécifique. Les changements dans le système éducatif joueront également un rôle fondamental pour outiller les citoyens et les professionnels afin qu’ils contribuent et puissent faire face aux changements, tant au travail qu’à la maison. Les consommateurs particulièrement aisés, qu’il s’agisse de particuliers ou de professionnels, contribuent de manière significative à façonner et à stabiliser des modèles de comportement à forte émission (et forte consommation). Dans le cadre des efforts déployés pour favoriser la transition, lorsque l’on élabore des politiques d’atténuation, il est donc au moins aussi important de tenir compte des émissions liées à la demande – la consommation – que de tenir compte des émissions générées par l’offre de biens et services. À cette fin, des politiques favorisant la compréhension des possibilités de changement, la sensibilisation et les politiques d’autonomisation sont nécessaires pour assurer une transition équitable. Un levier émergent, intrinsèquement lié à l’ouverture au changement et à l’apprentissage, est la promotion des politiques de bien-être, qui ont été positivement corrélées à la « suffisance » et aux modes de vie respectueux du climat.

Il est donc nécessaire de prendre en compte les émissions liées à la consommation. Cela signifie que le comptage des émissions doit prendre en compte le carbone intégré dans les biens importés, car la transformation de l’économie luxembourgeoise doit tenir compte de la nécessité d’une décarbonation mondiale.

Un PNEC sur la bonne voie mais avec quelques lacunes

La mise à jour du Plan National intégré Energie et Climat (PNEC), soumise à la Commission européenne en juillet 2024, fournit un aperçu précieux des politiques et mesures climatique du Luxembourg pour les années à venir. Ce document détaillé et la modélisation des émissions de gaz à effet de serre associée aux mesures proposées, constituent une avancée importante par rapport à la première version du PNEC. Les principales remarques et critiques de l’OPC par rapport au PNEC peuvent être résumées comme suit :

– Il manque des solutions intégrées : Le PNEC se concentre sur des mesures individuelles, sectorielles et progressives. Il manque une stratégie et une vision nationale pour des solutions intégrées qui soient pertinentes au niveau intersectoriel. Le plan actuel néglige largement la nécessité de concevoir et d’examiner des ensembles complets et cohérents de politiques qui visent stratégiquement des changements systémiques, tout en motivant les citoyens à modifier leur comportement actuel de forte consommation et de forte émission de gaz à effet de serre pour adopter des modes de vie plus résilients au changement climatique.

– Émissions liées à la production ou à la consommation : Le PNEC reconnaît l’importance de garder à l’esprit les émissions basées sur la consommation. Cependant, la modélisation du STATEC et la plupart des mesures visent à réduire les émissions basées sur la production, telles qu’elles sont incluses dans la comptabilité officielle des gaz à effet de serre. Cela conduira inévitablement à des fuites de carbone à l’étranger (externalisation des dommages et de la pollution liés au carbone), pour le secteur des transports (voir ci-dessous). L’inclusion dans le PNEC de politiques intégrées qui soutiennent la réduction de l’empreinte basée sur la consommation, par exemple en se concentrant sur la promotion des changements de comportement, est importante pour atteindre l’objectif global d’émissions nettes égales à zéro nécessaire pour limiter l’augmentation de la température mondiale à 1,5°C.

– Risque élevé de fuite de carbone dans le secteur des transports : Selon les calculs du STATEC, les objectifs d’émissions dans les secteurs du bâtiment et de l’industrie ne seront très probablement pas atteints, tandis que l’objectif dans le secteur des transports sera dépassé. Malheureusement, cette réduction repose en grande partie sur la taxation de la consommation de carburant du secteur logistique et des non-résidents. Il ne s’agit donc pas de véritables réductions d’émissions, mais seulement d’un transfert vers l’étranger, c’est-à-dire d’une fuite de carbone.

L’OPC propose dès lors plusieurs changements spécifiques aux mesures du PNEC. Voici les plus importantes d’entre elles :

– Augmentation de la taxe sur le CO2 : La taxe sur le CO2 devrait être augmentée à 200€/t CO2 en tenant compte à la fois des preuves scientifiques et des opinions publiques du Klima-Biergerrot (KBR). Les recettes supplémentaires devraient être utilisées pour financer des mesures transformationnelles de protection du climat et pour soulager les ménages et les entreprises vulnérables.

– Planification intégrée de l’énergie et de la mobilité :

– Agriculture et l’utilisation des terres, leurs changements et la forêt : d’un point de vue territorial, il s’agit des secteurs les plus importants pour atteindre la neutralité climatique d’ici 2050, comme le prévoit la loi luxembourgeoise sur le climat. Alors que le PNEC se concentre sur les objectifs de 2030, l’OPC considère que les mesures proposées dans ces secteurs ne sont pas suffisantes pour conduire à un développement résilient au climat. Un objectif clair de limitation de la taille du cheptel, en accord avec les recommandations du KBR, ainsi qu’un engagement clair pour augmenter la capacité d’absorption du carbone dans le secteur forestier et par l’agroforesterie sont nécessaires pour atteindre l’objectif de neutralité climatique.

– Modèles et scénarios : Des analyses de sensibilité pour les résultats du modèle sont nécessaires en ce qui concerne la croissance du PIB, les prix de l’énergie et la faisabilité de la mise en œuvre de la politique. Les limites et les hypothèses de l’approche de modélisation doivent être documentées et rendues transparentes et accessibles au public.

Les subventions aux énergies fossiles sont contreproductives

En réponse à la crise énergétique, le gouvernement luxembourgeois a introduit une prime à l’énergie pour les ménages à faibles revenus et a décidé de subventionner l’électricité et les combustibles fossiles afin d’aider les consommateurs de manière plus générale. D’un point de vue social, il est possible de reconnaître l’importance d’un soutien financier aux consommateurs vulnérables, d’entraîner un blocage à long terme des émissions de carbone.

Le Conseil consultatif scientifique européen sur le changement climatique (CCESCC) a abordé la question des subventions aux combustibles fossiles dans une lettre adressée aux ministres de l’énergie et du climat des 27 États membres de l’UE, formulant une série de recommandations sur la manière d’aligner les réponses politiques à la hausse des prix de l’énergie sur l’objectif à long terme de la neutralité climatique. Dans un récent rapport sur les progrès, les lacunes politiques et les opportunités vers la neutralité climatique de l’UE, le CCESCC fait deux recommandations similaires :

➢ « Les États membres devraient clairement spécifier dans leurs PNEC actualisés comment et quand ils supprimeront progressivement les subventions aux combustibles fossiles, y compris une trajectoire claire vers une suppression complète d’ici une année bien déterminée dans un avenir proche. Les mesures de soutien aux ménages vulnérables qui constituent une subvention aux combustibles fossiles devraient être remplacées par des interventions bien ciblées qui ne compromettent pas l’incitation aux économies d’énergie ou le passage aux énergies renouvelables. » (p. 242)

➢ « Une élimination rapide des subventions aux combustibles fossiles permettrait d’augmenter les recettes des États membres ou de réduire leurs dépenses, qui pourraient alors être réorientées vers le financement d’investissements climatiques. » (p. 243)

En outre, les engagements internationaux tels que le pacte climatique de Glasgow de la COP26, le consensus des Emirats arabes unis de la COP28, le Green Deal européen ainsi que le huitième programme d’action pour l’environnement de l’UE appellent à une suppression immédiate des subventions aux combustibles fossiles. Le Fonds monétaire international estime que la suppression des subventions explicites et implicites aux combustibles fossiles dans tous les pays « permettrait d’éviter 1,6 million de décès prématurés par an, d’augmenter les recettes publiques de 4,4 de dollars, de mettre les émissions sur la bonne voie pour atteindre les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique et de redistribuer les revenus, car les subventions aux combustibles profitent davantage aux ménages riches qu’aux ménages pauvres ».

En accord avec le CCESCC et ces accords internationaux, l’OPC souhaite proposer trois approches alternatives pour faire face aux impacts sociaux et économiques d’une hausse des prix de l’énergie, tout en protégeant l’économie luxembourgeoise du risque d’inflation galopante due à l’augmentation rapide des coûts de l’énergie et de l’indexation des salaires.

Fournir une aide directe au revenu pour les consommateurs vulnérables

L’OPC a mis en avant la recommandation du CCESCC sur l’octroi d’une aide directe au revenu des consommateurs vulnérables au lieu d’interventions sur les prix qui faussent la concurrence, telles que les subventions énergétiques. Le CCESCC déclare à ce sujet qu’« Un soutien ciblé peut atténuer les pires conséquences sociales et économiques de la crise tant que les prix restent élevés. Les États membres devraient cibler les mesures de soutien sur les consommateurs vulnérables, notamment les ménages à faibles revenus et les secteurs économiques confrontés à des coûts énergétiques élevés. Les aides directes au revenu sont préférables aux interventions qui faussent les prix, car elles maintiennent le signal de prix pour les économies d’énergie et les investissements dans les énergies renouvelables. Les réductions de prix ciblées, telles que les tarifs sociaux ou les tarifs globaux, pourraient être considérées comme une solution de second choix, étant donné qu’elles ne faussent le signal de prix marginal que dans une mesure limitée. Le conseil consultatif recommande à l’UE et à ses États membres de s’abstenir de toute intervention non ciblée et ayant un effet de distorsion sur les prix, telle que des réductions fiscales générales et des subventions à l’énergie, car ces mesures sont coûteuses, inefficaces, car elles sapent l’incitation à réduire la demande et pourraient potentiellement déclencher une spirale des prix due aux subventions, et pourraient conduire à des blocages de combustibles fossiles difficilement réversibles avec des implications négatives pour le climat. »[1]

Ajustement du panier de l’indice national des prix à la consommation (IPCN)

Il est compréhensible que l’une des raisons du régime de subvention actuel est un compromis politique visant à empêcher les augmentations de salaires déclenchées par le panier de l’IPCN reliant les prix à la consommation aux salaires. Compte tenu de la forte probabilité que la crise énergétique s’étende sur plusieurs années ou devienne un événement récurrent déclenché par des circonstances différentes en raison de l’instabilité croissante des marchés mondiaux de l’énergie et de la géopolitique, on s’attend à ce que les prix de l’énergie restent élevés ou augmentent encore dans les années à venir. Ces perspectives à long terme suggèrent que l’utilisation directe des combustibles fossiles dans les pays en voie de développement ne devrait pas se traduire par une augmentation des prix.

L’OPC prend note que le gouvernement a décidé de ne pas poursuive le système d’aide après le 31.12.2024 et va continuer à suivre ce point dans le futur.

Investir dans des mesures indirectes visant à réduire les besoins en combustibles fossiles et ciblant les consommateurs les plus vulnérables

Unr réduction des besoins en combustibles fossiles devrait être favorisée au lieu de subventionner les achats de combustibles fossiles. L’OPC estime qu’en cas d’augmentation soudaine du coût de la vie, il serait plus efficace de fournir une aide directe transitionnelle au revenu des consommateurs vulnérables que de subventionner les combustibles fossiles.

Les mesures les plus pertinentes pour réduire la consommation d’énergies fossiles comprennent l’amélioration des transports publics, la promotion de programmes de voitures électriques partagées, des subventions pour les pompes à chaleur (urbaines) et le raccordement aux réseaux de chauffage urbain, ainsi que des programmes de rénovation organisés collectivement pour améliorer la performance énergétique des habitations. Ces mesures permettraient de réduire considérablement la dépendance des citoyens luxembourgeois à l’égard des combustibles fossiles à moyen et à long terme.

 


[1] Source : www.eea.europa.eu/about-us/climate-advisory-board/recommendations-to-eu-and-member/view (p. 6)

Retrouvez cet article dans notre recueil IDEA « Les politiques de transition énergétique du Luxembourg – l’impératif climatique sous contraintes multiples » :

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