La création d’une « medical school » (MS) au Luxembourg défraie la chronique depuis quelques années déjà. En termes non techniques, une « medical school » est une version « allégée » d’une faculté de médecine à part entière. Moins onéreux, ce format « réduit » pourrait néanmoins induire des retombées favorables sur l’ensemble de l’économie luxembourgeoise, la santé n’étant de toute évidence pas seulement une contrainte budgétaire, mais également une niche de diversification prometteuse, un garant du bien-être et un moteur d’innovation et d’emploi.

L’ « Idée du mois » vise à débroussailler le terrain, tout d’abord en présentant le concept de MS ainsi que le projet de l’Université du Luxembourg en la matière, puis en passant en revue quelques expériences étrangères raisonnablement comparables – en insistant non seulement sur les coûts, mais également sur les effets d’entraînement socio-économiques potentiels.

Ces expériences (le cluster médical de Lübeck, l’Université de Leyde, la MS Oldenburg-Groningen) mettent en exergue un apport potentiellement très porteur d’une MS en termes économiques, entrepreneuriaux, de recherche et de qualité des soins ou encore de réputation. En ce qui concerne les retombées économiques d’une MS, divers effets directs (dépenses courantes et en capital de l’Etat, des universités ou d’autres acteurs) ou de ricochet (découlant des dépenses directes : incidence des dépenses des étudiants, du personnel ; impact sur la réputation, l’innovation, la culture, le tourisme) sont à noter. Ces diverses expériences étrangères suggèrent qu’un euro de dépense directe en faveur d’une MS donne lieu à 2 à 3 euros de valeur ajoutée additionnelle. Avec à la clef de substantiels effets d’entraînement sur l’emploi et les recettes publiques – ce qui réduit au passage considérablement le coût net, pour la collectivité, du lancement d’une institution du type medical school.

Ces retombées se matérialisent notamment sous la forme d’une diversification accrue et de la constitution de clusters d’activité reposant principalement sur de petites et moyennes entreprises innovantes.

Enfin, les MS étrangères étudiées mettent en relief une incidence favorable sur la santé et la recherche, comme l’indique également la citation suivante de l’Association américaine des medical schools qui souligne l’existence d’un fort effet de levier d’une MS en termes de recherche :

« The economic impact resulting from commercial application and cost-savings to society from medical progress is many times higher than operational impacts […]. Previous studies by […] suggest that these additional measures (outputs) may be as high as seven times greater than operational impacts (inputs). »

La situation du Luxembourg est spécifique à de nombreux égards – on notera notamment la petite taille de la MS envisagée avec environ 300 étudiants en vitesse de croisière – et diverses retombées assez immatérielles et sociétales sont fort difficiles à appréhender. Le projet de MS « à la luxembourgeoise » mérite cependant un examen approfondi, dans le genre « coûts/avantages » mais d’une portée assez large, intégrant non seulement des indicateurs économiques et budgétaires, mais également les retombées plus qualitatives en termes de santé, de « patrimoine intellectuel », d’attractivité du Luxembourg pour les chercheurs, sans oublier le nation branding ou encore la redynamisation de la formation des médecins dans un contexte de besoins croissants – du fait, notamment, du vieillissement démographique.

On notera également la convergence évidente entre une MS « à la luxembourgeoise » et la stratégie de diversification économique de nos autorités, qui repose notamment sur un important pilier biomédical. Ce dernier est toutefois encore assez balbutiant, comme le révèle une récente analyse des services de la Commission européenne. La présence d’une MS pourrait constituer un atout majeur pour les entreprises actives dans le domaine biomédical, y compris les start-up, en contribuant à créer comme à Lübeck, Leyde ou Oldenburg-Groningen, un « écosystème » porteur exploitant les synergies entre l’économie, la santé, la formation et la recherche. Dans un scénario idéal, une medical school deviendrait une pièce maîtresse d’un cluster de la santé étendu et performant, fer de lance du redéploiement économique et reposant sur un tissu de PME performantes (secteur IT, gestion des données médicales et de leur sécurité, biotechnologie et biomédecine, etc.).

Il importe cependant de souligner l’importance de mesures d’accompagnement telles que l’amélioration de l’environnement général du biotech ou de l’industrie des équipements médicaux. Il convient aussi de veiller attentivement à la qualification des acteurs de l’univers de la santé, d’où l’importance d’un cadre général attractif incitant des spécialistes étrangers à s’établir ou du moins à pratiquer au Luxembourg, d’où l’intérêt également d’infrastructures performantes facilitant la transmission de connaissances – notamment au sein des hôpitaux. A noter enfin la nécessité d’un système de santé plus souple et plus ouvert aux évolutions et innovations extérieures – émanant tant de l’étranger que des autres acteurs (au sens large) de la santé. Une plus grande place étant accordée aux soins ambulatoires, qui sont essentiels pour une meilleure connaissance de la gériatrie (discipline de plus en plus névralgique en raison du contexte démographique à moyen terme).

Par ailleurs, comme le montre l’exemple transfrontalier de la « European Medical School Oldenburg – Groningen », la dimension « coopération internationale » doit occuper une large place dans l’évaluation et la mise en oeuvre du projet – cette dimension est essentielle compte tenu de la forte imbrication « naturelle » entre le Luxembourg et les régions environnantes au coeur de la Grande Région. C’est à cette condition que la MS sera un « pont vers l’extérieur », à rebours de toute tentation de repli national.

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3 thoughts on “Idée du mois n°11 – Une “medical school” au Luxembourg?

  1. Etude et revue de litteratures très interessantes; ej em permets du coup quelques commentaires
    1) on remarque dans toutes les etudes d’impact que vous avez cité des effets de masse et de réseaux; si le Luxembourg dispose sur le papier d un ensemble d interet qui laisse supposer de possibles effets de réseaux (avec l université, les CRP, les clusters, les practiciens ou kethertill) n y a til pas structurellement un manque de masse qui tendrait à minimiser les effets multiplicateurs qui économiquement ne doivent commencer à jouer qu’à partir d un certain seuil que des propomotions de 30 eleves ne permettent pas forcément d’atteindre?
    2) l approche en termes de multiplicateurs que vous avez retenu pour la medica school ne vaut elle pas également pour le tramway (car il y a des études d impact sur des lancements de tramway qui sont tres positives et avec des effets multiplicateurs, ce qui pourrait rassurer mr Thelen http://www.carlothelenblog.lu/2014/03/14/tram-un-projet-qui-risque-de-derailler-financierement/
    3) enfin souvent on voit des recommandation de baisses de dépenses publiques (450 millions dans le denrier avis de la chambre de commerce par exemple) avec les effets multiplicateurs dont vous parlez n est ce pas alors une tres mauvaise idee de vouloir réduire les dépenses publiques

    1. Merci beaucoup pour vos intéressants commentaires.
      Votre remarque 1) met en effet l’accent sur un problème fondamental : les études actuellement disponibles ne se rapportent qu’à des entités plus grandes que la Medical school envisagée au Luxembourg. Si elles ne sont pas directement transposables telles quelles au Luxembourg, elles sont cependant riches d’enseignements et attirent l’attention sur les paramètres à prendre en compte – bien au-delà d’une simple analyse comptable ou budgétaire. Il est explicitement fait référence à ce problème des « effets de seuil » dans l’étude IDEA. Il est cependant impossible de quantifier ces effets. Ils pourraient être très bas dans certains cas: après tout, si un individu effectue un investissement immobilier ou accroît sa consommation, il alimente déjà un effet multiplicateur… Il en serait sans doute de même des dépenses de/du personnel d’une MS ou de ses étudiants ou encore des dépenses en équipements de la MS. Les seuils (la nécessité d’un effet de masse) sont probablement plus élevés en ce qui concerne l’effet d’entraînement de la MS sur la recherche et la création de petites entreprises innovantes. C’est la raison pour laquelle il est fait référence dans l’Idée du mois à la nécessité de diverses mesures d’accompagnement (amélioration de l’environnement général du biotech ou de l’industrie des équipements médicaux, nation branding, etc.) assurant le déploiement d’un cluster de la santé étendu et performant (« écosystème favorable »). La seule mise en place d’une MS « à la luxembourgeoise » ne suffirait probablement pas : ce serait l’élément d’un tout.
      Il convient par ailleurs, au-delà de l’impact immédiat sur la demande agrégée, de prendre en compte les retombées plus qualitatives en termes de santé, de « patrimoine intellectuel », d’attractivité du Luxembourg pour les chercheurs, de « Nation branding », de formation des médecins dans un contexte de besoins croissants, plus d’autres aspects sociaux/sociétaux. Une analyse « coûts-bénéfices » mais assez globale serait donc requise.
      Je n’ai pas spécifiquement analysé le tram, qui mériterait à lui seul une étude… Merci pour vos références en tout cas. Pour ce qui est des dépenses publiques en général, la Chambre de Commerce, à laquelle vous vous référez, a aussi publié une étude sur les investissements publics (http://www.cc.lu/uploads/media/A_T_17.pdf), où l’impact multiplicateur généralement favorable de ces derniers est mis en évidence. Il est explicitement affirmé que ces investissements sont un excellent vecteur de relance, au contraire des dépenses courantes qui présenteraient au Luxembourg des multiplicateurs deux fois moins élevés (effets de fuite à l’importation, à l’épargne, etc.). D’où l’intérêt d’un « expenditure shift » (le simple fait de remplacer des dépenses courantes par des investissements publics renforcerait la croissance, à coût budgétaire par définition nul). Evidemment, tous les investissements publics ne se valent pas quand à leur multiplicateur et il est difficile de commenter « à chaud » le niveau du multiplicateur du projet Tram (d’autant plus que, là aussi, le Tram n’est qu’un maillon d’un système intégré en matière de mobilité, complexe et multimodal, ce qui complique grandement toute quantification isolée du projet Tram).

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