En 1986, deux jeunes économistes de moins de 40 ans (Olivier Blanchard et Lawrence Summers) publiaient un article, devenu depuis un classique, qui allait populariser le concept d’hystérèse dans la science économique. Emprunté à la physique, il désigne la persistance d’un phénomène lorsque sa cause a disparu. Dans leur article fondateur, Blanchard et Summers l’utilisaient pour illustrer la tendance du chômage conjoncturel européen à s’enkyster à des niveaux élevés en sortie de récession et à devenir structurel.

La récession pandémique en cours a, par la force des choses, changé énormément de choses. Le télétravail se pratique à grande dose, l’Université s’est délocalisée chez les étudiants, les réunions d’affaires se font à distance (via Zoom, Teams, Skype, etc.), le grand public a découvert que les États pouvaient s’adonner au socialisme pandémique et creuser les déficits publics sans dégradation de leur note souveraine par les agences de notation ni tension sur les taux d’emprunt, les entreprises sous-investissent en immobilier de bureau, les ménages (qui le peuvent) sur-épargnent et sous-consomment, les avions sont cloués au sol, le tourisme est avant tout local, le commerce en ligne explose, les cinémas sont désertés au profit du Netflix and chill, la bise n’est plus, les afterworks où il est bon de se montrer non plus, les restaurants d’entreprise tournent au ralenti quand ils ne sont pas fermés, la voiture de fonction offerte à des cadres en télétravail semble être un avantage indu, etc.

En faisant l’hypothèse que grâce aux vaccins la Covid-19 aura été un choc transitoire, la crise sanitaire et le « grand confinement » pourraient tout de même avoir des effets permanents sur l’économie et la vie sociale.

Le télétravail sera peut-être une nouvelle organisation répandue du travail sans la voiture de fonction qui ne va pas avec, le tourisme d’affaires s’effacera peut-être devant les online business meetings, le nombre de m2 nécessaire par salarié sera peut-être structurellement en baisse, les petites mains des restaurants d’entreprise devront peut-être se former à d’autres métiers, la baisse de la fréquentation touristique entraînera peut-être une hausse de l’offre de logements locatifs avec la disparition des locations de courte durée (type Airbnb) et la transformation de certains hôtels en appartements pour étudiants, les autorités sanitaires recommanderont peut-être de continuer à porter le masque et à pratiquer des gestes barrières afin de lutter contre les épidémies habituelles de l’hiver (grippe, gastro-entérite),  etc.

Le monde étant encore en proie à la pandémie, il est sans doute hasardeux de trop conjecturer sur l’après. Mais ces quelques exemples, qui sont autant de comportements d’hystérèse possible, poussent à musarder en dehors des sentiers battus et à prendre avec une « pincée de sel » (voire même plusieurs kilos…) les scénarios a priori les mieux établis.

C’est ce qu’IDEA a tenté de faire dans cet avis annuel.

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