Depuis la naissance de la « Grande Région » en tant qu’espace de coopération institutionnalisé en 1995, le Grand-Duché s’est indiscutablement positionné comme le principal centre de gravité économique et démographique de cette « petite Europe ». Sa dynamique aussi spectaculaire qu’unique[1] n’est pas sans susciter le débat sur les limites et les vulnérabilités du modèle de développement luxembourgeois, dont la dimension territoriale transfrontalière est un élément indissociable.
L’émergence d’une aire métropolitaine transfrontalière autour du Luxembourg
L’interdépendance croissante entre le Luxembourg et les territoires frontaliers voisins a fait émerger une aire métropolitaine transfrontalière ou vivent entre 1,3 et 2,4 millions d’habitants (selon la définition choisie). L’une de ses principales singularités est que l’intégration transfrontalière ne s’accompagne pas d’une dynamique de convergence économique et sociale. Elle se caractérise également par des aubaines et des risques partagés, plaidant pour un renforcement de la coopération transfrontalière.
* arrondissements d’Arlon, de Virton et de Bastogne (BE) + Landkreise de Trèves-Sarrebourg et Eifel-Bitburg-Prüm (DE) + zones d’emploi de Thionville et Longwy (FR) ; ** : précédents (*) + arrondissement de Neufchateau (BE) + Stadtkreis de Trèves + Landkreis de Merzig-Wadern (DE) ; *** : précédents (**) + arrondissement de Verviers (BE) + zone d’emploi de Metz (FR) ; Sources : EUROSTAT, DESTATIS, INSEE, IWEPS, STATEC, calculs IDEA
Le codéveloppement ou comment renforcer le caractère gagnant-gagnant de l’intégration transfrontalière
Ce Document de travail a pour objectif d’alimenter le débat sur la politique de coopération transfrontalière entre le Luxembourg et les régions voisines en abordant la définition d’une politique de codéveloppement au sein de l’aire métropolitaine transfrontalière du Luxembourg, un territoire plus restreint que celui de la Grande Région, mais qui dépasse les frontières nationales du Grand-Duché.
Compte tenu des multiples interprétations possibles émergeant dans le débat public, du caractère éminemment transversal mais aussi sensible de cette thématique, la publication s’attache dans un premier temps à préciser les raisons pour lesquelles une politique de codéveloppement gagnerait à être mise en place. Il tente de définir les objectifs qu’elle devrait chercher à atteindre, les acteurs potentiellement impliqués ainsi que son contenu possible.
La mise en œuvre d’une logique de codéveloppement pourrait contribuer à renforcer le caractère « gagnant-gagnant » de l’intégration transfrontalière qui, en l’état actuel des choses, ne conduit pas toujours « naturellement » à un tel schéma. Ainsi, il pourrait viser quatre objectifs partagés par le Luxembourg et ses voisins : jouer sur des effets de « masse critique » pour renforcer l’attractivité du territoire, susciter une dynamique de convergence socio-économie, notamment en faisant émerger des pôles « secondaires » de développement, inventer de nouveaux mécanismes pour renforcer l’investissement dans les territoires frontaliers et contribuer au renforcement de la politique de cohésion territoriale de l’Union européenne.
Cette politique de codéveloppement, spécifique à l’aire métropolitaine transfrontalière du Luxembourg, ne se substerait pas aux différentes initiatives multilatérales déjà engagées au niveau de la Grande Région.
Pour le Luxembourg, le codéveloppement pourrait renforcer sa capacité à agir sur des problématiques d’intérêt direct pour son avenir. Pour les régions voisines, il offrirait la possibilité de bénéficier davantage d’effets de diffusion du dynamisme économique du Grand-Duché. Il constituerait enfin une occasion de renforcer l’adhésion de tous les acteurs à une vision commune pour l’avenir de ce territoire transfrontalier situé au cœur de l’Union européenne.
5 thèmes, 18 projets possibles dans le cadre d’une politique de codéveloppement
1- (Continuer à) lever les freins à la mobilité
Proposition #1. Recourir davantage aux cofinancements d’infrastructures de mobilité stratégiques par des conventions bilatérales.
Proposition #2. Développer des centres de télétravail pilotes dans les régions frontalières du Luxembourg, en plus des projets de centres à l’intérieur des frontières du pays.
2- Développement économique : de la compétition à la « coopétition » ?
Proposition #3. Prendre des initiatives communes en matière d’attractivité économique ayant pour but de favoriser l’installation d’entreprises et d’actifs qualifiés dans le territoire transfrontalier.
Proposition #4. Chercher une meilleure intégration des politiques de recherche et d’innovation.
Proposition #5. Lancer une réflexion sur des zones d’activités transfrontalières au sein de groupes de travail bilatéraux (espaces de télétravail, zones artisanales, services à la personne, activités de recherche, extensions de zones industrielles déjà existantes, etc.).
Proposition #6. Réfléchir au développement d’un « modèle d’entreprise transfrontalière » afin de promouvoir les avantages comparatifs du territoire dans son ensemble.
Proposition #7. Mener un recensement et une publicité du potentiel foncier économique dans le territoire.
Proposition #8. Etudier le potentiel de développement de plateformes logistiques d’intérêt commun compte tenu du contexte de saturation des infrastructures actuelles, mais aussi des complémentarités.
3- Renforcer l’intégration de l’offre de formation dans un contexte de « guerre des talents »
Proposition #9. Multiplier les Masters « co-diplômants » lorsque la masse critique ne peut être atteinte dans un seul territoire de l’aire métropolitaine. Créer, par exemple, une « école d’ingénieurs » franco-luxembourgeoise sur le modèle de l’ISFATES-DFHI (Metz-Sarrebruck).
Proposition #10. Réfléchir à une gestion partagée de formations professionnelles binationales dans les secteurs les plus « critiques » (santé, artisanat, etc.).
Proposition #11. Renforcer les projets éducatifs transfrontaliers (langue du voisin, échanges scolaires, etc.).
4- Une coopération « de proximité » pour renforcer la cohésion et l’attractivité de l’aire métropolitaine transfrontalière
Proposition #12. Envisager des mécanismes de partage d’informations automatiques sur les projets d’aménagement pouvant avoir un impact transfrontalier (commerce, logement, etc.).
Proposition #13. Cofinancer des projets d’équipements d’intérêt commun dans les communes proches des frontières où ils sont insuffisamment développés.
Proposition #14. Réaliser davantage de projets culturels et touristiques communs (cf. Esch 2022).
Proposition #15. Assouplir les critères de reconnaissance des prestataires du chèque service-accueil pour augmenter le nombre de crèches frontalières éligibles.
5- Gouvernance et financement : expérimenter des solutions nouvelles
Proposition #16. Conclure des accords-cadres de coopération bilatérale spécifiques à la politique de codéveloppement dans l’aire métropolitaine transfrontalière (objectifs, moyens, gouvernance, évaluation).
Proposition #17. Mettre en place des fonds de coopération bilatéraux pour appuyer la politique de codéveloppement avec chacun des trois pays voisins pour renforcer les investissements dans l’intérêt de l’ensemble du territoire (l’ensemble des projets cités dans la note pourraient en bénéficier).
Proposition #18. Créer des zones transfrontalières dotées d’une gouvernance spécifique et bénéficiant au besoin de dérogations fiscales et règlementaires pour des projets précis (zones d’activités transfrontalières, infrastructures publiques spécifiques, projets de développement urbain, etc.).
[1] En un peu moins de 25 ans, sa population a bondi de 50%, son PIB en volume a plus que doublé (+120%), 230.000 emplois y ont été créés (+108%) et le nombre de travailleurs frontaliers est passé de 55.000 à plus de 200.000 (+264%).
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