Le Luxembourg compte déjà deux semaines de confinement en cette fin mars et la perspective d’un retour massif en usine, au bureau, d’un repas convivial au restaurant ou d’un « Patt » à la luxembourgeoise n’est certes pas encore d’actualité. Nous devons avant tout penser aux conséquences sanitaires de la crise et nous investir pleinement, parfois à nos modestes niveaux (en respectant scrupuleusement les règles, tout simplement), afin d’enrayer au plus tôt la diffusion du virus. Mais se pose également la question de l’impact socio-économique, qui n’est certainement pas prématurée ou hors sujet, car le virus se répand comme une traînée de poudre sur ce terrain également. Il constitue une menace pour notre santé, mais également pour la survie même de nombreuses entreprises, donc pour notre emploi et notre pouvoir d’achat. D’où la nécessité d’une action suffisamment rapide, déjà initiée au demeurant par le Gouvernement, l’Union européenne ou la BCE. Cette action doit cependant être complétée et adaptée « au jour le jour » et secteur par secteur (voire entreprise par entreprise), dans un environnement extrêmement mouvant.
D’où l’importance d’une évaluation flexible de l’impact socio-économique de la crise au Luxembourg. Un exercice qui relève de l’exploit au stade actuel, dans la « purée de pois » ambiante, mais nous pouvons déjà poser quelques jalons, proposer quelques scénarios avant tout illustratifs en termes de croissance économique.
Quel impact sur la croissance économique, précisément ? Cela dépend en premier lieu de la durée de la suspension des activités et du confinement, mais je me garderai de m’aventurer sur ce terrain sanitaire, mon expertise étant clairement perfectible sur ce plan… Tous nos scénarios illustratifs se basent dès lors sur l’hypothèse simplifiée d’un confinement jusqu’à la fin avril.
L’impact sur la croissance économique dépend aussi de la perte d’activité dans les différentes branches de notre économie. En se basant notamment sur des études étrangères (l’Insee en particulier) et en les appliquant au poids économique des différents secteurs au Luxembourg, nous aboutissons « en toute première estimation » à une perte d’activité d’un peu plus de 35% en moyenne lors du confinement (ou du moins de la suspension de l’activité, qui pourrait s’avérer un peu plus longue que le confinement proprement dit en raison de difficultés temporaires liées au redémarrage, la nécessité de respecter les distances par exemple).
Mais – et c’est là notre point central – l’impact de la crise dépend aussi intimement du caractère temporaire ou à l’inverse permanent du décrochage économique lié au confinement. Un choc économique, même de court terme, pourrait devenir en partie irréversible (« perte sèche ») si la consommation privée ou les investissements étaient durablement affectés à cause d’une « perte de confiance », si de nombreuses personnes s’enlisaient dans le sous-emploi ou si des faillites en cascade survenaient, impliquant une perte de substance économique non seulement au cours du confinement mais également à moyen terme.
Le graphique ci-dessous montre l’incidence sur le PIB trimestriel en 2020 et 2021 de ce facteur « permanence du choc économique ». La courbe rouge du graphique livre l’évolution du PIB trimestriel qui aurait été observée en l’absence de crise, en supposant une croissance économique annuelle de 2,8% tant en 2020 qu’en 2021. A l’inverse, toutes les autres courbes intègrent la crise actuelle, mais de manière très différenciée.
Ainsi, la courbe bleue est clairement affectée par la perte d’activité liée au confinement, mais il est supposé que cet important décrochage du PIB ne laissera pas de stigmates par la suite, l’activité renouant dès la fin du confinement avec les niveaux qui auraient été observés en l’absence de crise. A l’inverse, la courbe verte revient à considérer que tout décrochage trimestriel sera irrémédiablement perdu, ce qui est à l’évidence excessif car à titre d’exemple, les gens recommenceront à aller au restaurant ou dans leur café préféré après le confinement… La ligne orange illustre un scénario « entre deux » a priori plus réaliste que ces deux extrêmes, consistant à considérer que la moitié d’un choc est définitivement perdue, le reste étant rapidement récupéré. Sous ce scénario plus mesuré, la perte définitive de PIB serait de près de 8%, ce qui équivaut à quelque 5 milliards d’euros en valeurs de 2020.
Graphique : Trajectoire du PIB trimestriel aux prix de 2010 en fonction du degré de permanence des chocs (millions d’euros)
Sources : STATEC (données PIB avec effets saisonniers et projections à moyen terme 2020-2024), Insee pour la calibration de divers paramètres et calculs Fondation IDEA asbl.
Quel message ? Il faut absolument éviter tout ce qui peut conférer un caractère permanent à la crise : l’enlisement dans le chômage, les faillites ou encore une perte de confiance durable des consommateurs et investisseurs. En allant voir inlassablement sur le terrain, en scrutant de près la vie des entreprises et de leurs travailleurs (dans les secteurs en tension notamment) ainsi que les personnes en marge du système productif. En complétant et en adaptant les « packages » – certes bienvenus – de mesures et en évaluant constamment leurs retombées concrètes. Où le micro rejoint le macro…
Au-delà de cet indispensable effort au cœur même de la crise sanitaire, nous devons d’ores et déjà tout entreprendre pour que les mois suivant la phase la plus aigüe de la crise se passent pour le mieux, ce qui suppose de prolonger l’accompagnement des entreprises et des ménages et de concevoir dès maintenant un plan de relance permettant de « coaguler » une reprise durable.
Bref: soit V (très positif), soit U (réaliste) soit L ?
Mes félicitations pour l’analyse .
Je vous remercie pour vos commentaires, Monsieur Tremuth.
Les scénarios pourraient en effet être résumés de la sorte : en V si nous parvenons à éviter toute permanence du choc (courbe bleue du gaphique), en L si les chocs s’avèrent totalement permanents (courbe verte) et U dans la situation intermédiaire « moitié / moitié » (ma courbe orange). Donc il importe absolument d’éviter toute perte de confiance durable, tout enlisement dans le chômage ou les cessations d’activité.