Y’a-t-il un jeune informaticien dans la boite ?

© photo : Pexels, Kevin Ku

Au Luxembourg, le secteur de l’information et des communications traverse une zone de turbulences. Il représente 4,5% de l’emploi total du pays, 7% de la VAB[1] en 2024 et a vu la croissance de son emploi ralentir depuis 2023[2]. De plus, derrière ces évolutions, se cachent – depuis bien longtemps – des changements parmi les profils des salariés, tant d’un point de vue générationnel que de leur provenance géographique.

Est-ce que le secteur de l’information et des communications au Luxembourg se trouve en risque de vieillissement ?

Entre 2010 et 2025, la part des jeunes salariés de moins de 30 ans a toujours été légèrement en-dessous de la moyenne de l’économie, et a connu une baisse, à l’image de la tendance générale de l’économie[3]. Pendant ces 15 dernières années, le secteur a vu son effectif salarié croître de plus de 8.400 salariés, passant d’un total de 13.930 à 22.380. Mais cette croissance masque d’importants changements générationnels. Si les jeunes de moins de 30 ans ont vu leur nombre augmenter de 830 salariés sur 15 ans, atteignant 3.280 salariés, leur progression s’est fortement ralentie, et même inversée : leur taux de croissance annuel moyen est passé de 3,7% sur la période 2010-2017 à -0,5% entre 2018 et 2025, avec une baisse de 7,1% rien qu’en 2025. Leur part dans l’effectif total a ainsi reculé, passant de 17,6% en 2010 (2.450 salariés) à seulement 14,7% en 2025. À l’inverse, les seniors de plus de 55 ans, à l’origine étant peu nombreux (860 en 2010, soit 6,2% des effectifs) comparés aux moins de 30 ans, représentent en 2025 une part de 13,1% de l’effectif des salariés du secteur, soit 2.930 salariés. Leur hausse reste très soutenue, avec un taux de croissance annuel moyen de leur effectif de 7,6% entre 2018 et 2025 et une hausse de 7,7% en 2025[4]. Ce phénomène pourrait s’expliquer par plusieurs facteurs : un vieillissement progressif de l’âge des salariés dans le secteur (éventuellement amplifié par une baisse des recrutements), un certain manque d’attractivité pour les jeunes ou une évolution des profils recherchés.

Source : données IGSS et calculs de l’autrice.

En outre, les entreprises du secteur ont des exigences élevées en matière de recrutement dans l’IT. D’abord, un niveau de qualification de type enseignement supérieur est recherché par les métiers de l’IT, ce qui retarde l’arrivée sur le marché de l’emploi des jeunes encore en formation[1]. Ensuite, selon l’ADEM[2], les sociétés de conseil IT, qui formaient auparavant des profils juniors, recherchent à présent plutôt des personnes dotées d’une expérience professionnelle de 5 à 10 ans – pour répondre à une demande plus pointue des clients – ce qui complique l’intégration des jeunes diplômés (et des personnes en reconversion). Entre autres, l’essor des outils d’IA tend à réduire la demande pour les développeurs juniors, tout en créant de nouveaux besoins pour des profils expérimentés capables d’encadrer ces technologies. Cependant, il faut souligner que le marché cherche encore à se structurer autour de ces enjeux d’IA, car, selon l’ADEM, « il semble que le marché ne soit pas encore tout à fait prêt pour intégrer l’IA ».

Est-ce que ce secteur repose principalement sur des travailleurs résidents ou frontaliers ?

Dans le secteur de l’IT, les frontaliers sont désormais plus nombreux que les résidents. Sur les 15 dernières années, entre 2010 et 2025, le nombre de salariés frontaliers a augmenté de 68%, contre 53% pour les résidents qui ont atteint 47% du total des salariés du secteur. En 2025 les frontaliers en provenance de la France restent largement majoritaires avec un effectif de 7.260, soit une hausse de 87% depuis 2010, suivis de ceux en provenance de la Belgique, au nombre de 3.180, en hausse de 38%, et enfin ceux venant d’Allemagne, au nombre de 1.490, avec une croissance de 64% de leur effectif en 15 ans. Ces tendances se remarquent aussi auprès des salariés âgés de moins de 30 ans.

Du côté des résidents, la croissance est particulièrement marquée chez les non-Luxembourgeois, dont les effectifs ont cru de 125%, alors que l’effectif des résidents Luxembourgeois n’ont progressé que de 4%[3] en 15 ans.

Quelles implications pour le renouvellement générationnel ?

Pour avoir une idée du potentiel de renouvellement générationnel dans ce secteur, le ratio entre le nombre de salariés de moins de 30 ans et ceux âgés de 55 ans et plus permet de voir dans quelle mesure les jeunes sont suffisamment nombreux à prendre le relais des seniors en fin de carrière.

En 2025, les résultats de ce ratio montrent des dynamiques contrastées : le renouvellement des talents dans ce secteur semble bien assuré auprès des frontaliers, surtout par ceux en provenance de la France (ratio de 2,0) ; en revanche, le cas des frontaliers d’Allemagne, où le ratio est très faible (0,4), indique un certain vieillissement, à l’image de la démographie allemande. Du côté des frontaliers venant de la Belgique, ce ratio est équilibré (0,9), mais il est à surveiller.

Les résidents, de leur côté, présentent une différence par nationalité : les Luxembourgeois affichent un ratio faible de 0,7 (il y a moins de jeunes Luxembourgeois qui travaillent dans l’IT) tandis que chez les non-Luxembourgeois, ce ratio est équilibré et s’élève à 1,1 (légèrement plus de jeunes que de seniors), ce qui peut aussi s’expliquer par une immigration forte de jeunes professionnels dans l’IT.

Source : données IGSS et calculs de l’autrice.

Le secteur paraît ainsi largement porté par une main-d’œuvre jeune et en provenance de l’étranger, ce qui interroge sur son attractivité auprès des jeunes Luxembourgeois et sur la capacité du pays à former ses propres talents.

[1] Voir aussi : IDEA, Document de travail N°24 : Des bourses d’études pour les futurs talents de la diversification économique, par Jean-Baptiste Nivet, 2024.

[2] ADEM, Zoom sur les évolutions et tendances récentes dans le domaine de l’informatique, juin 2025.

[3] Données de l’IGSS.

[1]STATEC, comptes nationaux, E2305 Valeur ajoutée brute (B1) aux prix de base par branche (NaceR2) (volumes chaînés ; 2015).

[2] La croissance de l’emploi dans ce secteur est passée de +3,9% en 2023 à -0,1% en 2024, avec une stagnation au premier trimestre 2025, selon les données du STATEC.

[3] En 2010, la part des jeunes de moins de 30 ans dans ce secteur était de 17,6% et la moyenne de l’économie 18,7% ; en 2017 ces parts correspondaient à 16,8% et 17,2% ; en 2025, ces parts respectives sont de 14,7% et 16,1%, données de l’IGSS et calculs de l’autrice.

[4] Données de l’IGSS.

Le quantique, « next step » de l’IT luxembourgeois

© photo : Julien Mpia Massa

Depuis le 16 novembre, le Luxembourg a un plan de marche pour les cinq années à venir. IDEA propose une série de blogs pour analyser quelques-uns des points saillants de l’accord de coalition 2023-2028. Troisième volet de cette série : la future stratégie sur l’informatique quantique.

L’accord de coalition 2023-2028[1] a, sans surprise, prôné la continuité en matière de diversification économique. Il indique ainsi que « le Gouvernement stimulera davantage la diversification économique de notre pays afin de créer, voire de renforcer, des écosystèmes intégraux dans les secteurs prioritaires, à savoir la logistique, les technologies de santé, le cleantech, l’espace et l’économie des données y compris le domaine de l’intelligence artificielle. » Le Luxembourg s’est déjà fortement engagé sur le développement de ces secteurs prioritaires, avec pour certains d’entre eux de premiers investissements datant d’il y a deux décennies.

Les initiatives sur l’économie des données sont plus récentes et se sont multipliées ces dernières années. L’objectif ambitieux affiché en juin 2021 par la stratégie « Ons Wirtschaft vu muer – Feuille de route pour une économie compétitive et durable 2025[2] » était de devenir un « leader européen en matière de sécurité et de confiance en la transformation de l’économie axée sur les données dans un environnement géopolitique complexe. » Pour cela, le Luxembourg peut s’appuyer sur le développement du superordinateur Meluxina, le projet de cloud souverain basé sur les technologies de Google et sur des stratégies dédiées à la « data-driven innovation[3] » et à l’intelligence artificielle[4].

L’accord de coalition propose les prochaines étapes du développement de l’économie des données. « Le Gouvernement procédera à une mise à jour de la stratégie d’innovation basée sur la donnée, effectuera une mise à jour de la stratégie IA et veillera à ce que les deux stratégies soient complémentaires. Le Gouvernement se dotera également d’une stratégie dans le domaine de l’informatique quantique », qui serait ainsi le prochain grand domaine visé pour devenir un leader du big data en Europe.

L’informatique quantique, qu’es aquò ?

L’informatique quantique repose sur l’utilisation de la mécanique quantique pour calculer beaucoup plus rapidement et résoudre certains problèmes trop complexes pour des ordinateurs classiques. Cette accélération provient notamment d’un fonctionnement basé sur des bits quantiques, ou qubits, en lieu et place des traditionnels bits informatiques standards. Présentée comme une technologie transformatrice, l’informatique quantique pourrait concrètement faciliter l’invention de nouvelles molécules, l’optimisation des processus logistiques, l’anticipation des mouvements des marchés financiers, l’apprentissage des intelligences artificielles ou encore le décryptage des réseaux sécurisés par des pirates, des problématiques dont la résolution repose sur une très grande complexité sur le plan des calculs. Actuellement, la fabrication d’ordinateurs quantiques rencontre de nombreuses difficultés dues principalement à l’instabilité des qubits qui nécessitent d’être placés dans un environnement proche du zéro ou du vide absolus pour ne pas redevenir de simples bits.

Des acteurs privés internationaux tels que Microsoft, Intel, IBM ou Google, ont investi massivement dans cette technologie, tout comme les principales économies mondiales, la Chine, qui projette d’allouer 10 milliards de dollars à son laboratoire national quantique, étant à la pointe dans ce domaine. L’Union européenne a initié en 2018 le Quantum Technologies Flagship, un programme de recherche doté d’un budget de 1 milliard d’euros, et a pour ambition de disposer d’un premier ordinateur à accélération quantique d’ici à 2025 et être à la pointe des capacités quantiques d’ici à 2030.

Premières étapes du code quantum luxembourgeois

L’informatique quantique est déjà une réalité au Luxembourg. Le LIST vient d’obtenir un financement de 4 millions d’euros dans le cadre du programme PEARL du Fonds National de Recherche pour le projet AQuaTSiC (Advanced Quantum Technologies with Silicon Carbide) qui vise à développer des matériaux plus performants pour l’informatique quantique en utilisant le carbure de silicium. En outre, le groupe Post, Rhea Group, Hitec, le SnT et l’Agence spatiale européenne se sont associés pour mettre en œuvre des cas d’usage internationaux pour la distribution de clés quantiques dans des environnements informatiques opérationnels, avec le secteur financier comme client potentiel pour cette solution innovante en matière de cybersécurité.

Les fondements d’une stratégie réussie

Si la future stratégie luxembourgeoise sur l’informatique quantique ne garantit pas, à elle seule, une spécialisation réussie, ceci d’autant plus sur une technologie en amélioration permanente, la démarche annoncée par l’accord de coalition devrait permettre d’augmenter la maitrise de ces technologies pour les acteurs privés et publics tout en renforçant la souveraineté numérique du pays.

Quelques fondements, basés sur des expériences récentes, seraient susceptibles d’augmenter l’impact d’une telle stratégie. Tout d’abord, le gouvernement devrait s’appuyer sur un comité composé d’experts reconnus au niveau international, comme c’est le cas pour l’initiative sur les ressources spatiales. De plus, la future stratégie devrait identifier des partenariats potentiels européens et internationaux, publics et privés, la complexité du sujet requérant des coopérations entre experts de par le monde. Par ailleurs, une approche bottom-up reposant sur une vaste consultation des entreprises, chercheurs et experts, individuelle et collective, est nécessaire à l’exploration de toutes les potentialités concrètes de telles technologies pour le pays. Cette consultation devrait alimenter, comme cela a été fait pour « The Data-Driven Innovation Strategy for the Development of a Trusted and Sustainable Economy in Luxembourg », les passerelles concrètes avec les spécialisations présentes et en devenir, soit des secteurs d’activité tels que l’industrie des fonds d’investissement ou la logistique.

Les défis d’une telle stratégie sont immenses, au regard de la révolution technologique que pourrait constituer l’informatique quantique et de l’identité des acteurs s’étant fortement engagés dans ce domaine : GAFA, économies à la pointe technologique… Le Luxembourg a beaucoup à gagner de la réussite de cette future stratégie s’il réussit à rassembler des compétences de pointe, à développer des produits et services de niche et, bien entendu, si l’informatique quantique répond aux espoirs qu’elle a fait naître.

 


[1] Accord de coalition 2023-2028 – « Lëtzebuerg fir d’Zukunft stäerken », 2023.

[2] Ons Wirtschaft vu muer – Feuille de route pour une économie compétitive et durable 2025, 2021.

[3] The Data-Driven Innovation Strategy for the Development of a Trusted and Sustainable Economy in Luxembourg, 2019.

[4] Intelligence artificielle : une vision stratégique pour le Luxembourg, 2019.