C’est graphe docteur ? Luxembourg : la résilience économique mise à mal

Quel sera l’impact de la « crise ukrainienne » sur l’économie luxembourgeoise ? Même un économiste muni de doctorats en défense, en géostratégie et en histoire, intime de surcroît des sphères dirigeantes russes ne serait pas en mesure de fournir « la » réponse à une telle question. Une chose est sûre en tout cas : les prévisions de croissance, certes embrumées par les inévitables « risques et incertitudes », ont été nettement révisées à la baisse depuis l’invasion déclenchée le 24 février 2022, comme l’illustrent clairement les projections de la Commission européenne présentées le 16 mai dernier.

Graphique : PIB en volume au Luxembourg : décrochage par rapport à une « tendance » de 3 % par an (millions d’euros)

Sources : Commission européenne, STATEC et calculs IDEA.
Notes : graphique élaboré en valeurs de 2019 et en partant de la plus récente estimation du PIB en 2019. Tendance « de 3% » : elle est plus précisément basée sur la croissance moyenne de 2,93% l’an observée de 1999 à 2019.

Les prévisions « grand-ducales » de la Commission peuvent être utilement comparées à celles qui ont été diffusées par la même institution le 10 février 2022, soit deux semaines seulement avant l’invasion russe. Alors que les experts « de Bruxelles » tablaient encore en février sur un PIB luxembourgeois renouant miraculeusement avec sa tendance antérieure à la COVID, une configuration radicalement différente émerge en mai 2022.

Les prévisions de février (droite verte) laissaient augurer une croissance du PIB luxembourgeois de 3,9% en 2022, permettant au Luxembourg de rejoindre dès cette année la trajectoire de croissance « pré COVID » (droite orange), correspondant à une tendance « naturelle » de 3%. Alors que le grand-duché enregistrait encore une déperdition de PIB de quelque 3 milliards d’euros en 2020 par rapport à cette tendance, crise sanitaire oblige, cet écart est revenu à 0,6 milliard d’euros en 2021 et il était censé se résorber intégralement en 2022 et 2023 (le vert s’alignant sur l’orange).

Malheureusement et selon toute vraisemblance, cette « belle histoire » d’un effacement de la crise sanitaire – d’un point de vue strictement économique s’entend – n’aura pas résisté à l’actuel contexte, dominé par la crise ukrainienne. Les projections de mai 2022 laissent en effet augurer une perte de PIB excédant 1 milliard d’euros en 2022 et en 2023, toujours par rapport à la tendance de 3% l’an, en lieu et place de la « vertueuse convergence » attendue en février. À cette aune certes étroitement comptable et nonobstant les nombreux « risques et incertitudes », la résilience de notre économie n’aura pas survécu aux présentes tensions géopolitiques…

C’est graphe docteur ? Crises et difficultés des institutions bancaires

Selon le Consensus économique d’IDEA réalisé pour l’Avis Annuel 2022, 59% des répondants estiment qu’il y a peu voire très peu de chances que l’Etat luxembourgeois soit sollicité pour soutenir une ou plusieurs institutions financières en raison de la crise géopolitique actuelle. Toutefois, 14% d’entre eux jugent que la situation actuelle est propice voire très propice à une recapitalisation bancaire. Pourtant, si une banque luxembourgeoise devait prochainement rencontrer des difficultés, il y aurait fort à parier que la cause réelle provienne en réalité de son business model et que la crise géopolitique actuelle ou tout autre élément semblable n’est ni plus ni moins qu’un simple catalyseur.

Graphique : Probabilités que l’Etat luxembourgeois soit sollicité pour soutenir une ou plusieurs institutions financières en raison de la crise géopolitique actuelle

Source : Consensus économique d’IDEA (mars 2022)

En effet, une banque devient rarement insolvable du jour au lendemain. La plupart du temps, d’importantes vulnérabilités sont déjà ancrées dans son business model de manière structurelle. Une importante provision passée lors d’un choc économique (diminuant de ce fait ses actifs et capitaux propres) ou un accès plus difficile à la liquidité va alors révéler publiquement les failles de l’institution financière. La Crise financière de 2008 a montré que les banques qui avaient un business model non soutenable comportant des informations insuffisantes, des risques excessifs, des hypothèses irréalistes, une extrême concentration en termes d’exposition géographique, de clientèle et de revenus, des sources de financement intenables et instables, une volatilité importante dans les bénéfices, des investissements dans des produits complexes sans contrôle adéquat ou une compréhension incomplète de la nature des risques sont celles qui ont rencontré le plus de difficultés. L’important effet levier d’une banque aboutit ensuite à décupler les pertes, ce qui risque de déboucher sur une recapitalisation.

De nos jours, les banques font face à un environnement changeant, incluant de multiples facteurs de risques et pouvant avoir de réelles implications sur leur business model. Les changements réglementaires et de fiscalité, le passage d’un environnement à faible taux d’intérêt à un autre plus inflationniste, avec des taux d’intérêt qui remontent progressivement, le niveau élevé des prix immobiliers, les technologies disruptives et la concurrence plus soutenue de la part des acteurs de la tech ainsi que le changement climatique font partie de cette liste non exhaustive, pouvant jouer à court et moyen terme. Même si les organismes de réglementation bancaire sont davantage regardants quant à la soutenabilité du modèle d’affaires depuis la crise de 2008, il incombe aux banques de s’adapter durablement à ces défis. L’importance de leur business model a en effet non seulement des conséquences microprudentielles (affectant entre autres leur notation de crédit, mais pas uniquement) mais aussi macroprudentielles, via la stabilité financière.