Pour la deuxième année consécutive, IDEA a été invitée à organiser un workshop lors de la Journée de l’économie, organisée par le Ministère de l’Economie, la Chambre de Commerce et la Fédération des Industriels Luxembourgeois (FEDIL), en coopération avec PwC. Il s’intitulait: Peut-on protéger sans protectionnisme? 

Après une introduction aux allures de “conférence gesticulée”, dont nous vous proposons le script ci-dessous, un panel animé par Michel-Edouard Ruben et composé de Jézabel Couppey-Soubeyran (CEPII, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Sarah Guillou (OFCE) et Pauline Bourgeon (LISER et Université du Luxembourg) a permis de répondre à la question en évoquant notamment les aspects financiers, sociaux et politiques.

La vidéo intégrale suivra ainsi qu’un “best of”.

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Introduction au workshop IDEA « Peut-on protéger sans protectionnisme ? » par Vincent Hein et Sarah Mellouet

Sarah : Vincent, pour notre conférence du 28 février, j’ai trouvé un titre… wahou. Tu ne vas pas en revenir c’est digne de The Economist. Non, c’est même mieux !

« Make protectionism unpopular again »

Vincent : Mouais… moi j’avais pensé à : « Has globalization gone too far ? ». Ce serait quand même plus dans l’air du temps, non ?

Le protectionnisme dont tu parles, est-ce qu’il est vraiment nouveau ? Ce n’est pas Trump qui a inventé le protectionnisme, ni même le America first, si tu réfléchis bien… Regarde ce que Busch avait fait sur l’acier en 2002.

Et dans le fond, on s’agite beaucoup, mais le protectionnisme, c’est vraiment si populaire que ça ?

Sarah : le protectionnisme pas populaire ? Tu plaisantes. Je ne sais pas si tu as vu les derniers sondages conduits à ce propos, ce n’est pas très rassurant…

  • 75% des Français et 57% des Allemands veulent plus de protection contre la concurrence étrangère.
  • Plus généralement, la moitié des Américains souhaitent être plus protégée du monde d’aujourd’hui…

Clairement, il y a une méfiance, pire une défiance croissante qui fait le lit des populistes. Et eux, ils confisquent la doctrine protectionniste et nous font avaler des couleuvres. Et elles, elles parlent l’esperanto.

Vincent : Oui mais quand même, « Make protectionism unpopular again ». Ce n’est pas un peu dangereux quand des gens bien éduqués comme nous en viennent à décréter ce qui a le droit d’être populaire ou pas ?

Je crois qu’il est quand même difficile de nier certaines évidences. Les régions dévastées par les délocalisations dans les pays industrialisés, avec le chômage et la résignation rageuse de leurs habitants. Les dégâts environnementaux, avec les vaches européennes pisseuses de lait, nourries au soja brésilien, tout ça pour exporter du lait en poudre en Chine. Franchement, sous certains aspects c’est dur de dire que cette économie de bazar profite à tout le monde. Et la polarisation est partout : villes-campagnes, anciennes régions industrielles-sillicon valley, ouvriers-développeurs IT, etc.

Je crois que vu le contexte, la PROTECTION ne doit non seulement plus être un tabou, mais doit aussi devenir un chantier prioritaire, un sujet de réflexion sérieux.

Sarah : Bon c’est clair que tu vois juste pour certaines catégories de travailleurs clairement laissées pour compte… Cependant, il y a une autre réalité ! C’est celle du consommateur. Tu sais combien de pv d’achat tu as gagné grâce aux petites mains chinoises / par l’achat de biens produits dans des pays à bas coûts? D’après des économistes de la Banque de France, 1000 euros par an ! C’est le prix d’un Iphone… Ben oui soyons honnêtes, avec ce supplément de pouvoir d’achat tu ne t’es pas acheté plus de linge de maison des Vosges pour sauver la filière, si ?… Donc plutôt que de s’asseoir sur le libre-échange, je serais pour qu’on anticipe et forme mieux les laissés-pour-compte dont tu parles pour éviter ces drames sociaux …

Vincent : Ah oui… le fameux « traverser la rue… ou plutôt traverser l’Europe » pour trouver un job. Tout un programme !

Et puis l‘Europe, tu ne crois pas qu’elle commence à être un peu naïve ? Regarde les bâtons qu’on se met inutilement dans les roues en s’interdisant de créer des champions industriels. Entre les Etats-Unis et la Chine qui, eux, clairement annoncent la couleur…

Sarah : … c’est vrai que je préfère Margaret Vestager en Robin des Bois de la tech [imposer aux GAFA le paiement de l’impôt du] qu’en John Sherman de l’industrie [Alstom/Siemens]…

De toute façon, la mondialisation est un bouc émissaire facile. Mais les emplois ouvriers d’aujourd’hui sont sans doute plus menacés par l’automatisation que par le commerce mondial… alors plutôt que de parler des « perdants de la mondialisation » on devrait aussi parler des perdants (supposés) de l’automatisation.

Vincent : bon globalement ici, au Luxembourg, ça va plutôt bien… On ne peut pas dire qu’on n’ait pas profité de l’ouverture des frontières. D’ailleurs, si on y a tant gagné c’est peut-être aussi qu’on a beaucoup à perdre… On est obligés, plus que les autres, de rester attentif aux grandes tendances, sans idéologie.

Sarah : bien sûr, on est d’accord là-dessus. Ce que je veux c’est que le protectionnisme à l’américaine d’aujourd’hui manque un peu d’audace… Et augmenter les droits de douane, c’est aussi pénaliser des consommateurs et des entreprises moins réactifs…

Ca me rappelle une histoire d’un de mes profs d’économie : au début du XXe s le Conservateur Joseph Chamberlain a fait campagne en Grande Bretagne sur l’instauration de droits de douane plus élevés en réponse à la crise économique. Ni une ni deux les libéraux ont mobilisé un argument « imparable » : l’accuser de vouloir faire reposer le fardeau fiscal sur les plus pauvres à travers ses droits de douane et éviter d’augmenter l’impôt direct pour une minorité aisée. Chamberlain a été défait et sa politique de droits de douane avec.

Tout ça pour dire que si le protectionnisme ne protège pas ceux qui sont le plus à protéger, il est probable que l’histoire se répète…

Vincent : eh ben attends, on a notre titre : « peut-on protéger sans protectionnisme ? » !

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