Comment va l’économie mondiale ?

Après avoir atteint 3,7% en 2018, la croissance économique mondiale s’établirait à 3,5% cette année d’après les prévisions du mois de février du FMI. Il s’agirait d’un niveau d’expansion de l’économie mondiale en ligne avec la moyenne observée depuis 2012. Puisqu’à mesure que le cycle économique se prolonge il est naturel que la croissance du PIB revienne vers son rythme potentiel, ce léger fléchissement prévu pour 2019 pourrait être considéré comme un simple trou d’air « normal » et « anodin ».

Mais compte tenu des décisions protectionnistes – initiées par les Etats-Unis et dirigées contre la Chine et l’UE – qui pèsent sur la confiance des entreprises et des consommateurs, de la popularité croissante des promesses « populistes » sur fond de répartition inégale des gains de la mondialisation et du progrès technologique, des questionnements existentiels concernant le Brexit, et des niveaux d’endettement records qui risquent de rajouter de l’instabilité à l’incertitude ambiante, ce ralentissement qui rappelle que l’économie mondiale évolue dans une situation d’équilibres instables fait craindre un affaiblissement de la croissance potentielle mondiale.

Le Pire arrive (ou pas)

  1. Alors que certains craignaient que l’élection de Donald Trump ne cause une récession prolongée aux Etats-Unis, 220.000 nouveaux emplois ont été créés en moyenne par mois dans le pays en 2018, le taux de chômage y est actuellement en dessous des 4%, et on y trouve désormais davantage de postes à pourvoir (7 millions) que de demandeurs d’emploi (6,2 millions). Malgré le néoprotectionnisme revendiqué du gouvernement et les hausses de droits de douanes, l’Américain est resté en 2018 le consommateur mondial en dernier ressort et les importations de biens et services du pays ont progressé de 7,5%. Il ne peut être exclu que le pire arrivera en 2019 et qu’il y aura une intensification de la guerre commerciale menée par les Etats-Unis avec des effets néfastes sur l’économie américaine et dévastateurs pour l’économie mondiale. Une pacification des relations commerciales des Etats-Unis avec le reste du monde n’est pas non plus inenvisageable. Toujours est-il qu’en l’état actuel des choses, le taux de croissance de l’économie américaine est attendu à 2,5% en 2019.
  2. L’économie chinoise devrait croître entre 6% et 6,5% en 2019. Le ralentissement de la croissance chinoise, qualifiée par le gouvernement depuis 2012 de « nouvelle normalité », se poursuit donc. Cela revient tout de même à ajouter à l’économie chinoise l’équivalent du PIB mexicain en une année et est compatible avec l’objectif des autorités d’un doublement du PIB entre 2010 et 2020[1] pour faire du pays une « société de moyenne aisance ». Par conséquent, ce taux de croissance pourrait être qualifié de robuste, d’autant plus que le pays ne bénéficie plus du dividende démographique et connaît une tertiarisation progressive qui pèse sur sa croissance potentielle. Mais la Chine est engagée dans un bras de fer commercial avec les Etats-Unis et est de plus en plus critiquée par les pays développés pour ses pratiques (anti)-concurrentielles, l’ouverture relative de ses marchés et ses acquisitions d’entreprises stratégiques. Le pire pour la Chine (et l’économie mondiale) serait une multilatéralisation des conflits à son détriment et une stratégie coordonnée des pays développés « contre » elle. Cela est tout à fait possible en 2019 comme en témoignent la multiplication des stratégies de contrôle des investissements chinois et les craintes communes des pays développés concernant la sécurité des réseaux 5G. Il est cependant tout à fait possible qu’en 2019 la Chine accélérera les réformes internes pour se « conformer » aux pratiques internationales et qu’il y aura, non pas une simple trêve, mais un retour à la normale dans les relations commerciales sino-occidentales avec des effets bénéfiques sur l’expansion économique mondiale.
  3. Au Royaume-Uni, malgré le choc politique du vote en faveur du Brexit en 2016, l’économie a plutôt bien résisté jusqu’à présent. Certes, l’investissement des entreprises marque le pas et la confiance des ménages est en berne, mais il n’est (toujours) pas observé de « vagues » de départs d’entreprises, ni de constitutions d’épargne de précaution par les ménages en prévision du Brexit, qui pourrait « effectivement » avoir lieu le 29 mars, ou à une date ultérieure. Malgré l’imbroglio politique en cours dans le pays et l’illisibilité concernant la relation future avec l’UE depuis le référendum, le taux d’emploi (75,8%) est à son niveau le plus élevé depuis 1971, le taux de chômage (4%) est à son niveau le plus faible depuis 1975, et la consommation des ménages – soutenue par la croissance du revenu disponible – reste bien orientée (+1,9% en 2018). En 2019, la croissance britannique s’élèverait à 1,3% sous l’hypothèse qu’un accord serait conclu entre le Royaume-Uni et l’UE et que le Brexit se ferait de manière ordonnée, ce qui reste encore possible quoiqu’incertain, le « no-deal » étant une alternative crédible, tout comme le maintien dans l’UE d’ailleurs.
  4. La zone euro, qui a connu une double récession entre 2009 et 2013 et dont la pérennité était questionnée au plus fort de la crise des dettes souveraines, semble tirée d’affaires comme en attestent les hausses significatives du salaire minimum en Espagne (+22%) et en Grèce (+11%) en 2019 ou la décision de la Banque centrale européenne de mettre fin à ses achats d’actifs nets en décembre 2018. Son taux de chômage a baissé de près de 2 points depuis 2016 pour s’établir désormais en dessous de 8% (le niveau le plus faible depuis octobre 2008) et dans de nombreux Etats membres la crainte de pénuries de main-d’œuvre a remplacé les débats sur la fin du travail et la métamorphose de la société salariale. La croissance assez vigoureuse en 2017 et 2018 (autour de 2% en moyenne) y serait moins forte en 2019 (1,3%), mais le taux de chômage devrait continuer de reculer tout comme le niveau de dette publique en pourcentage du PIB. Cependant, une dégradation de l’environnement international (Brexit sans accord, tensions commerciales redoublées) pourrait causer un infléchissement encore plus marqué de l’économie, alimenter le retour du risque souverain, et rappeler qu’il existe des failles institutionnelles toujours pas comblées au sein de l’Union économique et monétaire. Symétriquement, un environnement extérieur porteur (Brexit « doux », accords sino-américains), alors que la politique monétaire sera accommodante et la politique budgétaire globale (légèrement) expansionniste, pourrait permettre à la zone euro d’afficher des performances supérieures à celles attendues.

Et le Luxembourg dans tout ça ?

Fidèle à sa devise[2] et égal à lui-même, le Luxembourg devrait continuer son « petit bonhomme de chemin » qui, à certains égards, s’apparente à un miracle maîtrisé par un petit pays singulier. En 2019, la croissance de l’économie luxembourgeoise s’élèverait à 3% et serait tirée exclusivement par la demande intérieure. L’emploi devrait augmenter de 3,4% et le nombre de chômeurs reculer de 7%. De plus en plus d’entreprises devraient par conséquent être confrontées à des difficultés pour trouver la main-d’œuvre qui convient à leurs besoins, surtout si la montée en puissance du congé parental devait continuer à faire reculer le taux d’emploi.

Petit pays ouvert, le Luxembourg est un « gagnant » de la mondialisation qui a su – grâce notamment à un système de protection sociale étendu et une fiscalité attractive (pour les entreprises) et progressive (sur les revenus) – se protéger sans protectionnisme et faire en sorte que les gains tirés de son intégration commerciale soient partagés par le plus grand nombre. Par conséquent, les tensions commerciales en cours et le Brexit, qui concerne son traditionnel allié objectif au sein de l’UE, sont d’importantes sources d’inquiétudes.

Plus que de la conjoncture, de la conjecture : le consensus économique d’IDEA

Si l’analyse conjoncturelle soulève parfois plus de questionnements qu’elle n’en adresse, émettre des conjectures peut alors permettre d’apprécier certaines incertitudes. Le consensus économique d’IDEA, en agrégeant l’avis d’une cinquantaine de personnalités du Luxembourg, apporte ainsi des éléments de réponse sur les principales sources d’évolution de la conjoncture, les contours possibles de la prochaine crise, le scénario macroéconomique privilégié au Luxembourg pour les années 2019 et suivantes, les défis politico-économiques et les réponses que le « nouveau » gouvernement luxembourgeois pourrait y apporter.

Sur la conjoncture internationale en 2019, 57% des répondants estiment que la « bonne surprise » de l’année sera l’apaisement des tensions commerciales entre les principales économies mondiales et la « mauvaise surprise » la poussée des partis souverainistes/populistes aux élections européennes. Entre aspiration à la détente et crainte de la matérialisation des risques politiques, l’envolée des prix du pétrole en 2019 ne constitue pas une conviction forte du panel, contrairement à la survenue du Brexit. A ce titre, une politique fiscale et réglementaire offensive du Royaume-Uni au profit de la City serait, d’après les répondants, le phénomène qui aurait l’impact le plus fort sur l’économie luxembourgeoise.

Sur le plan macroéconomique, le panel, en ligne avec les Institutions, affiche une confiance relative sur la trajectoire de la croissance pour 2019 et 2020, mais se montre un peu moins en phase avec les projections existantes sur le taux de chômage et encore moins sur le niveau de la dette à la fin de la législature (2023).

Dans cette situation économique relativement favorable malgré quelques signaux d’alerte, le panel a été interrogé sur des défis pour l’économie luxembourgeoise et les réponses possibles que le « nouveau » gouvernement pourrait y apporter. Au sujet du logement, qui ressort inlassablement comme le principal problème auquel le Luxembourg doit faire face, le panel considère que la mesure la plus efficace pour en améliorer l’accès serait de faciliter la densification du bâti. En revanche, une augmentation sensible des droits de succession ressort comme la moins efficace.

De plus, 69% des répondants investiraient une enveloppe budgétaire fixée à 65 millions d’euros, égale au coût de la gratuité des transports, dans les infrastructures de transports (plus que dans le logement social, la gratuité des transports ou la redistribution).

Par ailleurs, le panel considère comme particulièrement nécessaire pour l’économie luxembourgeoise durant cette législature de réformer les pensions, une mesure absente du programme gouvernemental, mais pas de réduire le temps de travail.

Enfin, le panel a été interrogé sur les contours de la prochaine crise, la précédente ayant déjà « fêté » ses 10 ans. Si le moment de son éclatement divise les répondants, son origine et ses causes semblent faire plus consensus : elle partirait des Etats-Unis (49%), peut-être de Chine (37%), suite à un différend commercial (38%) ou au retournement du marché immobilier dans l’une des principales économies (24%).

Entre faits, incertitudes et prédictions, cet Avis annuel 2019 invite résolument à convenir d’une clause de rendez-vous.

 


 

[1] Compte tenu des taux de croissance observés entre 2010 et 2018, l’objectif serait atteint si en 2019 et 2020 la Chine connaissait une croissance moyenne de 6%.

[2] Mir wëlle bleiwe wat mir sinn.

2 thoughts on “Avis annuel 2019: des tas d’urgences

  1. Bonjour,
    je lis de vos publications que le taux de chômage serait de 5% (en baisse de -4% sur un an).
    Je lis par ailleurs que le Luxembourg n’indemnise les chômeurs frontaliers que pendant 3 mois.
    Pourriez-vous nous indiqué de quelle manière est calculé ce taux de chômage:
    – inclut-il les chômeurs frontaliers seulement pendant 3 mois?
    – inclut-il l’ensemble des chômeurs frontaliers alors qu’ils ne sont plus indemnisés par Luxembourg?
    Dans la 1ère hypothèse et en tenant compte de la réforme adoptée par l’Union Européenne visant à faire porter l’indemnisation du chômage exclusivement par le pays qui a perçu les cotisations, est-il juste de considérer que le taux affiché est faux?
    En réalité et en tenant compte des postes occupés dans le secteur privé (182 000 résidents sans les 30 000 fonctionnaires résidents +
    192 000 frontaliers) il serait probablement juste de considérer qu’il y ait autant de frontaliers au chômage que de résidents.
    Auquel cas le vrai taux de chômage à l’issue de la réforme serait double de celui affiché, puisqu’on ramènera le nombre de chômeurs au nombre d’actifs résidents, faisant de Luxembourg l’un des plus mauvais élève de la classe Europe? Me trompe-je?
    Un rapide calcul à partir des coûts étudiés par l’UNEDIC nous permet d’estimer le surcoût pour Luxembourg à 300M€ par an.
    Merci de votre retour
    Bien cordialement
    Bien cordialement

    1. Bonjour Monsieur Reitz, merci pour votre commentaire.
      Par convention, un taux de chômage est calculé au lieu de résidence des actifs de la zone considérée. Celui fourni par l’ADEM et le STATEC n’inclue pas les non-résidents recensés comme « disponibles » par l’ADEM (environ 2.700). Voir : http://adem.public.lu/fr/publications/adem/2019/Chiffres-cles-jan-2019/Chiffres-Cles-ADEM-jan-2019.pdf
      Un taux de chômage englobant l’ensemble des territoires concernés par le marché du travail luxembourgeois nécessiterait de changer à la fois le numérateur (nombre de chômeurs total de ce territoire) mais aussi le dénominateur (population active de ce territoire) et rien ne nous permet de dire que cela conduirait à un doublement de sa valeur. De plus, les règles relatives à l’assurance chômage ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre, ce qui rendrait toute comparaison difficile.
      Un tel indicateur serait en outre influencé par d’autres facteurs que le seul marché du travail luxembourgeois : une évolution de la situation économique ou de la démographie sur les territoires frontaliers auraient une influence significative sur le résultat.
      Bien à vous,
      Vincent Hein

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