La croissance extensive, intensive, qualitative, quantitative, dirigée, sélective, pilotée… Que de qualificatifs pour désigner la croissance. La croissance ? Oui, cette variation positive de la valeur marchande des biens et des services produits au cours d’une année (ni plus, ni moins). Si le débat fait rage sur la « désirabilité » de l’une ou l’autre « forme de croissance » au Luxembourg (voire même sur sa raison d’être), tâchons déjà de répondre à la question, sans justement se prononcer sur la « forme de croissance », consistant à savoir si la croissance peut être infinie.
Bien sûr, elle peut l’être. Fort heureusement. La croissance, ce n’est pas « que » davantage de « trucs produits », c’est aussi la qualité de ces « trucs ». Il est faux de postuler une équivalence entre la production et la consommation de « trucs nouveaux ou améliorés » et la consommation de ressources. Or, ceci est régulièrement fait : vu que, pour produire davantage, il nous faudrait davantage de ressources (on entend : primaires), la croissance doit être forcément limitée car les ressources le seraient aussi.
La croissance est la variation du PIB – c’est-à-dire la somme des biens et service finis nouveaux produits au cours d’une année et écoulés sur un marché. Il y a une offre, une demande et un prix ; ce dernier reflétant pour le producteur la valeur pour l’obtenir (plus la marge pour vivre, espérons-le) et pour le consommateur ce à quoi il est prêt à renoncer pour l’obtenir (en règle générale, des euros dans nos latitudes). Or il est tout simplement impossible de prévoir ce qui sera produit à l’avenir, pour quels biens (et de plus en plus quels services) il existera un marché et une volonté de payer de la part du consommateur. Un marché des bananes et des chantiers navals, c’est encore bien tangible. Mais qu’en est-il d’un marché pour les « infuencers » censés drainer la consommation sur certaines « tendances », des services d’un community manager, de l’intelligence artificielle déclinée à la réalité virtuelle ? Et j’en passe.
Si maintes études nous enseignent que nous ignorons à ce stade jusqu’à 2/3 des emplois qui seront exercés par nos enfants, on peut conclure que la croissance future a des très beaux jours devant elle ! Et postuler que la croissance est finie, n’est-ce pas commettre le même type d’ « erreur » que Malthus, qui se figurait que compte tenu de la croissance exponentielle de la population et de la progression linéaire de la production alimentaire, on en viendrait fatalement à un point où toute l’humanité ne pourrait plus être nourrie ? On connaît la suite : Il avait négligé le progrès technique agricole (et la population a progressé de moins d’un milliard en 1800 à plus de 7 milliards aujourd’hui). De même les apôtres de la croissance limitée oublient le progrès techniques mais oublient aussi le fait qu’une partie croissante de la demande ne consiste plus en des biens tangibles, « pesables », mais plutôt en des concepts, services à la personne, logiciels, de la qualité, etc.
Au cours du dernier siècle, l’humanité a observé une progression jamais vue du niveau de vie dans une très grande partie du monde. C’est ce désir de qualité de vie qui alimentera la croissance future. Le PIB mondial a été multiplié presque par 100 au cours des 200 dernières années[1] (beaucoup plus que la population), il a littéralement explosé après des siècles de surplace, grâce aux révolutions industrielles qui ont amenés des niveaux de vie jamais vus pour des proportions de plus en plus importantes d’êtres humains (pas tous, c’est sûr).
Source : https://ourworldindata.org/economic-growth, dans un article de Max Roser.
Selon le chercheur Bradford deLong, entre l’année 1 et l’année 1800 le PIB par habitant est resté plus ou moins stable à 200 $ l’an à l’échelle mondiale (prix de 1990). Croissance zéro, développement zéro, fortune prédéterminée. Après 1800, il a progressé de façon exponentielle, atteignant déjà 6.500$ à en 2000[2], sortant de la pauvreté des millions sinon de milliards d’êtres humains. Il est vrai que les précédentes révolutions industrielles ont été accompagnées de nombreux épiphénomènes et que la consommation de ressources a été significative. A l’avenir, tout l’art consistera dans ce qu’on pourrait appeler « le grand découplage » : il faut parvenir à dissocier davantage la croissance de la consommation des ressources (j’avoue, c’est plus facile à dire qu’à faire).
Quoi qu’il en soit, il est tout à fait possible de concevoir une « croissance infinie ». Or, cette explosion de la croissance montre qu’elle peut augmenter, même de manière exponentielle, en l’espace de quelques générations seulement. Ainsi, une croissance paraissant « infinie » n’est pas impossible et les barrières à la croissance sont plus intellectuelles que physiques. C’est l’absence de nouvelles idées et de nouvelles façons de résoudre des défis qui limitent la croissance. Le défi de notre époque sera de poursuivre cette « grande marche vers la croissance », tout en la rendant durable, ce que les deux précédentes révolutions industrielles n’ont pas réussi de faire. Donc, au lieu de remettre en question la croissance per se, il faut se consacrer à la rendre pérenne, circulaire, efficiente. La croissance seule permet de résoudre les défis notre époque et de relever le niveau de vie partout dans la société. L’étrangler, c’est saper la courroie de diffusion des fruits de la croissance de son carburant (durable).
[1] Voir le graphique impressionnant sous https://ourworldindata.org/economic-growth dans un article de Max Roser.
[2] Chiffres cités par Matthew Johston dans « Is Infinite Economic Growth on a Finite Planet Possible? », 2015.
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