A travers cinq contributions sous le format « c’est graphe docteur ? », IDEA fait le point sur des statistiques, parfois étonnantes, toujours éclairantes, montrant des réalités du marché du travail luxembourgeois. Dans une optique de comparaison européenne, la troisième contribution fait brièvement le point sur la progression de l’emploi et son apport à la réduction du chômage.

Le marché du travail luxembourgeois est souvent dépeint sous un jour éminemment favorable, souvent à juste titre d’ailleurs. La progression de l’emploi total excède désormais les 3% et le taux de chômage est sur une pente descendante depuis l’été 2014.

Graphique: évolution sur un an de l’emploi (en %) et du taux chômage (en points de pourcentage)

Source : Eurostat, juin 2017.

Le graphique ci-dessus vient néanmoins nuancer ce constat d’ensemble. Il a été élaboré à partir de données diffusées vers la mi-juin par Eurostat, l’office statistique européen (dont le STATEC est le partenaire luxembourgeois). Chaque pays de la zone euro y est représenté par un point, qui est fonction à la fois du taux de progression de son emploi total sur un an (du premier trimestre 2016 au trimestre correspondant de 2017 ; axe horizontal) et de l’évolution annuelle de son taux de chômage harmonisé (d’avril 2016 à avril 2017 pour la plupart des pays ; axe vertical). Même si le chômage est un phénomène complexe et multidimensionnel, une forte progression de l’emploi devrait « toutes autres choses égales par ailleurs » s’accompagner d’un fléchissement du chômage (et inversement), d’où la pente négative de la droite de tendance reproduite au cœur même du graphique.

Le graphique permet d’emblée de « désacraliser » quelque peu le fort taux de croissance de l’emploi souvent évoqué au Luxembourg. Selon Eurostat, ce dernier taux se serait établi à quelque 3,2%, ce qui correspond en net à quelque 13 000 postes – un résultat objectivement impressionnant. Il convient cependant de noter qu’à la faveur de la reprise économique, de nombreux autres pays de la zone euro ont enregistré des taux plus élevés encore (Chypre, le Portugal, l’Irlande et surtout Malte, avec +6%) ou une progression certes inférieure mais raisonnablement proche (les Pays-Bas, la Slovénie, l’Estonie, la Slovaquie et l’Espagne, qui se situent entre +2 et +2,6%). Au total, le Luxembourg n’est donc qu’un des 10 pays sur les 19 de la zone euro (soit une majorité) qui affichent de bonnes performances. La situation du Grand-Duché paraît surtout exceptionnelle à l’aune de la relative atonie prévalant dans ses trois pays limitrophes (la France, avec +0,7%, la Belgique, avec +1,3%, voire l’Allemagne, avec +1,5%), qui induit une forme d’« illusion d’optique ».

Autre constat, plus préoccupant, mis en relief par le graphique : la forte croissance de l’emploi observée sur un an au Luxembourg – +3,2% pour rappel – s’accompagne certes d’une décrue du chômage, mais cette diminution paraît peu prononcée en comparaison internationale. Le taux de chômage grand-ducal n’a en effet fléchi que de 0,5 point de pourcentage d’avril 2016 à avril 2017, selon Eurostat. Or pour le groupe précité des 10 pays « très performants » en termes de créations d’emplois, qui se sont caractérisés par une hausse de 2% ou plus sur un an, le recul moyen du taux de chômage harmonisé s’est établi à 1,4 point de pourcentage – soit 3 fois plus qu’au Grand-Duché… Par ailleurs, avec son recul du taux de chômage limité à un demi-point d’avril 2016 à avril 2017, le Luxembourg se compare à l’Autriche, l’Allemagne et la France. Trois pays pourtant caractérisés par une création nette d’emplois nettement moins dynamique.

La traduction graphique de ces constats est que le Luxembourg se situe parmi les pays lévitant allégrement au-dessus de la « droite de tendance », ce qui signifie qu’un même taux de croissance de l’emploi s’accompagne d’un recul relativement faible du chômage – ou qu’un fléchissement donné du chômage requiert une plus forte augmentation de l’emploi. La forte croissance de la population active observée au Luxembourg et le recours à la main-d’œuvre non résidente (souvent très qualifiée) peuvent en partie expliquer un tel décalage. Cependant, un pays se situant nettement en dessous de la droite de tendance comme l’Irlande, où la croissance de la population en âge de travailler a pourtant été encore plus soutenue qu’au Luxembourg en 2016, a affiché une réduction du chômage de quelque 2 points de % en l’espace d’une année seulement (au départ d’un niveau de 8,4%, contre 6,4% au Luxembourg, en avril 2016) et ce en dépit d’une progression de l’emploi largement en ligne avec celle du Luxembourg. Ces chiffres doivent certes être interprétés avec précaution et ils devront inévitablement faire l’objet d’un étroit suivi. Reposant sur une période de temps assez courte, ils pourraient en effet refléter dans une certaine mesure des phénomènes temporaires ou conjoncturels.

La bonne performance de certains pays dits « périphériques » pourrait en outre s’expliquer en partie par des effets de rattrapage consécutifs au vif décrochage qu’ils ont subi pendant la crise économique et financière. Il convient cependant de noter dans la foulée que les nations figurant sous la courbe de tendance ne peuvent être assimilées sans autre forme de procès aux « pays périphériques », ces pays « sous la courbe » présentant au final des profils très différents (pays « du sud », d’Europe centrale et orientale, Belgique, Pays-Bas, etc.). La Grèce, pays « périphérique » par excellence, se situe par ailleurs résolument au-dessus de la droite de tendance, à l’instar du Luxembourg.

En conclusion, le Luxembourg affiche de bonnes performances en matière d’emploi, mais il ne peut absolument pas se reposer sur ses lauriers, certains chômeurs résidents paraissant assez démunis par rapport à la vive concurrence émanant des pays limitrophes faute, notamment, de qualifications suffisantes. Le Grand-Duché doit en particulier veiller à ce que les créations d’emplois, objectivement assez soutenues, soient plus « efficaces » en termes de résorption du chômage[1]. Il s’agit en particulier de lutter de manière résolue contre le chômage de long terme (46% des chômeurs sont inscrits depuis plus d’un an), le sous-emploi des moins qualifiés (79% des demandeurs d’emplois présentent un niveau de formation inférieur ou moyen) et le chômage des seniors (près de 30% des chômeurs ont 50 ans ou plus) – trois dimensions se recoupant dans une large mesure et qui compliquent grandement l’appariement entre l’offre et la demande de travail. Le projet de loi « portant modification du Code du travail en vue de l’introduction d’un nouveau dispositif de lutte contre le chômage de longue durée », déposé à la Chambre des Députés début juin, est bienvenu dans ce contexte. Il conviendra cependant d’évaluer de près et de manière continue son incidence sur le « noyau dur du chômage » et de renforcer en parallèle l’effort de formation à destination des personnes les moins qualifiées.


[1] Une étude du STATEC, figurant dans la NDC n°2 de novembre 2014 (http://www.statistiques.public.lu/catalogue-publications/note-conjoncture/2014/PDF-NDC-02-14.pdf) montre quant à elle, sur la base d’une analyse économétrique en série temporelle, que le taux de chômage ne tend à décliner qu’en présence d’une progression annuelle de l’ordre de 4% de l’emploi. A partir d’une analyse en série temporelle similaire, la Fondation IDEA (Idée du mois n°10, pages 16 et 17, http://www.fondation-idea.lu/wp-content/uploads/sites/2/2016/10/IDM_3decennies.pdf) a pour sa part montré que le taux de croissance de l’emploi requis pour stabiliser le chômage était de 4% (et de 3,2% « post 2008 »). Ces résultats sont encore moins favorables que suggéré par le graphique ci-dessus, établi au moyen de données d’Eurostat.

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