par Marc WAGENER et Muriel BOUCHET
RDV lundi 29 février pour la publication du Working Paper!
Bientôt centenaire, « den Index » appartient au Luxembourg comme le Kachkéis, les vignobles de la Moselle et les formations rocheuses du Mullerthal. Il polarise, il interpelle. D’aucuns l’élèvent au rang de garant de la paix sociale. D’autres estiment qu’il pénalise excessivement une économie ouverte et exposée aux pressions compétitives extérieures. Est-ce l’inflation qui provoque l’index ou l’index qui provoque l’inflation, ou les deux ? Voilà encore un « débat canonique » qui fait jaser. L’observateur avisé de la vie socio-économique luxembourgeoise se rend vite compte que la place de l’index dans le dialogue, respectivement le monologue, social prend une ampleur telle qu’il mène à un effet d’éviction : d’autres sujets, d’autres défis sont insuffisamment discutés et commentés car l’index fait échouer des tripartites et échauffe les esprits.
Qu’est-ce qu’IDEA peut faire pour apporter une contribution à ce débat ? Tout d’abord, ce qu’IDEA ne fera pas : produire une énième étude sur le sujet, ses tenants et ses aboutissants, ses forces prétendues, ses faiblesses invoquées. A IDEA, on s’est dit : il faut élargir le débat. Indépendamment du lien de causalité entre inflation et indexation, l’index donne lieu, « accross-the-board », à des augmentations (nominales) des salaires (et de nombreuses prestations sociales, « for that matter »). Si l’index n’existait pas, la « compensation du pouvoir d’achat » se ferait par d’autres moyens comme la négociation sectorielle, au niveau de l’entreprise. Or l’index existe.
Etant donné qu’environ 80% des évolutions salariales au Luxembourg correspondent à l’indexation des salaires, à IDEA, on s’est dit plusieurs choses. Premièrement, on constate qu’une compensation de l’inflation par une revalorisation nominale des salaires a lieu dans des pays qui ne connaissent pas l’indexation. Elle serait à ce moment-là non pas « ordonnée » par l’Etat ou du moins régie par la loi, mais négociée (sans doute différemment) par secteur et/ou par entreprise. Deuxièmement, si le salarié est légitimement intéressé par le pouvoir d’achat que sa rémunération lui offre, l’entrepreneur est tout aussi légitimement intéressé par la conduite de ses affaires, par sa capacité à s’imposer sur le marché. Ainsi, il faudrait déjà inventer un système qui concilie ces deux intérêts, l’index semblant, de ce point de vue, unilatéral car il ne prend pas en compte la capacité de l’entreprise à pouvoir payer les augmentations, même nominales. Le tout sans tenir aucunement compte du contexte – par exemple un choc pétrolier qui pénalise doublement nos entreprises. Ensuite, au-delà du nominal, il y a une dimension réelle. Ce « réel » peut être appréhendé, en termes macroéconomiques, par la productivité.
Si nous parlons de « croissance économique », nous parlons soit de plus d’emplois, soit de plus de production par heure travaillée (ou des deux choses à la fois). La productivité, c’est la capacité des entreprises à transformer des entrants (travail et capital) en une production. Si la productivité augmente, l’entreprise a plus de marge de manœuvre pour faire évoluer les salaires. La productivité apparaît donc comme un étalon de mesure de la capacité des entreprises à augmenter les salaires : si, en une heure de travail, l’entreprise sait produire davantage, elle peut aussi rémunérer davantage ses facteurs de production.
IDEA a donc tenté de trouver un dénominateur commun. Récapitulons : l’inflation (concept nominal) donne lieu à l’index qui donne lieu à des hausses salariales « compensatoires » (nominales aussi). Retour à la case départ. Au-delà du nominal, il y a toujours une dimension réelle, une dimension qualitative, une notion de progrès et d’efficience. Or, qui dit efficience économique dit équité sociale : si l’efficience (la productivité) économique augmente, la richesse produite (le PIB) augmente et il est possible de redistribuer davantage aux salariés. C’est la progression réelle des salaires. Cette progression réelle, elle, devra être négociée au niveau sectoriel et/ou à l’échelle de l’entreprise. Mais elle ne peut durablement avoir lieu que si les gains de productivité se réalisent.
Ce que nous proposons dans une publication à paraître, n’est ni plus ni moins qu’une façon d’instaurer un instrument de mesure permettant de mettre en musique le monstre du Loch Ness – souvent invoqué mais jamais aperçu – du lien entre productivité et salaires. Rappelons, par exemple (et il s’agit vraiment d’un exemple parmi une multitude), l’accord tripartite de 2006 : « Le Gouvernement et les partenaires sociaux conviennent que la politique salariale doit dans le moyen terme respecter l’évolution de la productivité générale de l’économie luxembourgeoise. Ils rappellent leur engagement pour une politique salariale qui prend en considération la situation spécifique des différents secteurs et entreprises et qui est menée en toute autonomie par les partenaires concernés ».
C’est dans cette perspective qu’IDEA a élaboré une première proposition concrète, sans aucun doute perfectible et ne constituant que l’amorce d’une étude plus large et plus détaillée. Cette première proposition vise à « tuer dans l’œuf » tout dérapage excessif des salaires par rapport à la productivité. L’idée est que la productivité, étalon de mesure de la santé et de la compétitivité économique, puisse servir de glissière de sécurité afin de mieux encadrer l’évolution des salaires. Ce lien entre salaires et productivité ne s’effectuerait pas « au jour le jour » ou en temps réel : le mécanisme proposé ne serait déclenché que lorsque le décrochage entre les salaires et la productivité excéderait un seuil donné. En outre, le déclenchement en question n’impliquerait pas un brusque ajustement des salaires nominaux : cette correction ne s’effectuerait que graduellement. En d’autres termes, le « mécanisme de correction » des écarts entre la progression des salaires et celle de la productivité s’effectuerait de manière lissée.
Le mécanisme proposé par IDEA préserverait au demeurant la philosophie de déclenchement de tranches indiciaires. Ce mécanisme d’ajustement aux prix ne serait suspendu que lorsque l’évolution cumulative de la productivité n’est plus en mesure de soutenir la progression des salaires. La modulation qui résulterait de ce mécanisme serait bien plus objective et prévisible pour les salariés que dans les présentes circonstances : à des bricolages imprévisibles (modulation discrétionnaire) se substitueraient des ajustements graduels, découlant de critères précis et transparents (modulation objective).
De manière plus précise, le mécanisme de formation des salaires proposé par IDEA reposerait sur un indicateur de référence macroéconomique établi à partir de statistiques publiques, soit le ratio de la productivité réelle aux salaires réels moyens : le numérateur serait un indicateur de santé des entreprises, tandis que le dénominateur refléterait le pouvoir d’achat des ménages: l’équilibre parfait, en somme. En attendant une déclinaison sectorielle, l’indicateur serait d’abord dégagé pour l’ensemble de l’économie marchande.
Concluons. Le maintien du pouvoir d’achat des consommateurs suite à l’évolution de l’Indice des Prix à la Consommation National, sous-jacente à l’indexation, est légitime en soi : si l’inflation n’était jamais compensée, les salaires réels baisseraient, résultant in fine en moins de consommation, moins d’activité et moins d’emploi. Dans des pays ne connaissant pas une indexation automatique, la composante de l’adaptation des salaires à l’inflation est, dans une large mesure, intégrée dans les négociations tarifaires sectorielles ou encore au niveau de l’entreprise. Au Luxembourg, la formation de salaires étant largement encadrée par l’indexation (et par l’existence et l’ajustement récurrent d’un salaire social minimum), la négociation tarifaire peut se concentrer « sur la marge » : la différence entre la productivité réelle et l’évolution salariale y compris l’indexation, la compensation de l’inflation ayant déjà eu lieu.
Le système proposé dans la publication à venir s’apparente à une modulation permanente (certes ajustable en fonction de l’expérience acquise au fil du temps) et (semi-)automatique du système d’indexation actuel. En effet, l’observation de l’évolution de la productivité et des salaires serait permanente et l’indexation serait appliquée au cas où il y aurait une congruence suffisante entre les deux paramètres. Elle serait par contre retardée – automatiquement ou de manière concertée – à défaut. Aux yeux des acteurs économiques, un tel système permanent, et de surcroît fondé sur une logique économique saine pour les deux parties prenantes, aurait des mérites certains : il serait visible, compréhensible, explicable et permanent.
La proposition d’IDEA se veut constructive et IDEA souhaite lancer le débat quant à l’établissement d’un lien entre la productivité et les salaires – une nécessité souvent mise en avant mais rarement, sinon jamais, mise en musique. Objectivité oblige, IDEA met par ailleurs sur table, de manière ouverte et transparente, un grand nombre de défis : la mesure même de la productivité dans une économie de services, les écarts sectoriels en la matière, les révisions ex-post des comptes nationaux, la prise en compte de la composante conjoncturelle de la productivité pour tirer les bonnes conclusions. Ainsi, il faudrait aller plus loin, analyser en profondeur l’ensemble de ces éléments.
Ce qu’IDEA souhaite, c’est une discussion de fond sur ces paramètres. Ce qu’elle aurait du mal à accepter, par contre, est l’invocation ad vitam aeternam d’arguments méthodologiques et techniques pour tuer dans l’œuf un mécanisme « productivité / salaire », sachant que les mêmes failles sont sous-jacentes au statu quo et que le système proposé est meilleur que la statu quo car il permet de « réunir sous un même toit » les intérêts de court terme et de long terme et les intérêts des salariés et des entreprises.
Ce qu’on demande, c’est qu’au Luxembourg, le bénéfice du doute soit plus souvent laissé aux nouvelles idées.
A lundi, STAY TUNED !