La proposition d’introduire un jour de carence au Luxembourg a récemment provoqué un certain émoi faisant réagir à chaud les partenaires sociaux et le ministre de la sécurité sociale à ce sujet. Le motif principal d’une telle mesure est de combattre l’absentéisme abusif au Grand-Duché, qui aux yeux de certains commentateurs atteint un coût prohibitif pour les entreprises et ceci dans un contexte où le gouvernement prend la décision de diminuer son apport financier à la mutualité des employeurs.
L’absentéisme « abusif » est un phénomène difficile à contrôler et qui varie selon la situation du marché du travail et du secteur d’activité. Pour les entreprises, cela représente un coût non négligeable engendrant des frais directs (continuation de salaire, recours aux intérimaires, perte de chiffres d’affaires…) et indirects (désorganisation dans l’entreprise, risque de démotivation d’autres collaborateurs…). Des facteurs comme la sécurité de l’emploi, la « continuation du salaire » en cas de maladie ou encore la protection contre le licenciement peuvent influencer le choix du salarié de demeurer en congé de maladie. La propension à l’absentéisme dépend ainsi directement, parmi d’autres facteurs, du coût d’opportunité des absences et du risque de sanctions. Selon la littérature économique, un salarié qui dispose d’une sécurité d’emploi élevée craint moins le risque de sanctions et sera davantage incité à chômer. C’est l’aléa moral qui le permet, un phénomène qui peut apparaître dans une relation entre deux agents (principal – agent) ou deux parties contractantes lorsque que l’agent, isolé d’un risque, se comporte différemment que s’il était lui-même intégralement exposé au risque.
L’idée d’introduire un jour de carence n’est pas inédite. En France par exemple, il existe 3 jours de carence pour le secteur privé. Le secteur public, pour des raisons électoralistes, en est dispensé depuis 2014, alors que son introduction en 2012 avait contribué à faire chuter l’absentéisme de plus de 40%. De même, en Autriche, le jour de carence a fait ses preuves et a contribué à faire diminuer significativement l’absentéisme, notamment dans les PME.[1]
L’évolution du taux d’absentéisme
Source: Observatoire de l’absentéisme
Au Luxembourg, le taux d’absentéisme s’élevait à 3,7% en 2012, soit une augmentation de 0,5% par rapport à 2006. L’observatoire de l’absentéisme distingue entre le taux d’absentéisme de courte durée (durée d’absence de 1-21 jours) et de longue durée (plus de 21 jours). Les motifs d’absence sont significativement distincts en fonction de la durée de l’absence : les maladies infectieuses et parasitaires figurent parmi les raisons dominantes pour les absences de courte durée (30%), par contre pour les absences de longue durée les facteurs stress et dépression (23%) ainsi que les convalescences après acte chirurgical (21%) figurent parmi les causes principales.
Sur la période, c’est le taux d’absentéisme de longue durée (+0,5%) qui explique la hausse du taux global ; le taux de courte durée quant à lui est resté stable. L’introduction d’un jour de carence devrait vraisemblablement diminuer les charges reprises par la mutualité des employeurs. Elle pourrait également inciter davantage les « chômeurs » qui s’absentent moins de 3 jours, dont la remise de certificat médical attestant l’incapacité de travail n’est souvent pas obligatoire, de retourner à leur travail. Pourtant, il faut prendre en considération l’autre revers de la médaille : Le concerné pourrait être incité de « prolonger » sa maladie. S’il n’est pas payé que le premier jour d’absence, pourquoi pas rester à la maison un jour ou deux de plus.
Néanmoins, afin de pouvoir mesurer l’efficacité d’un jour de carence, il faudrait publier les chiffres sur les absences de moins de trois jours. La période couverte du taux d’absentéisme de courte durée (21 jours) tel que défini par « l’Observatoire de l’absentéisme » est trop vaste et ne permet pas de tirer des conclusions pertinentes quant à l’évolution des absences de moins de trois jours. Certes, le taux d’absentéisme de courte durée est resté stable sur la période, pourtant il se peut que les absences de moins de 3 jours aient progressées ces dernières années.
Une autre observation à soulever est que le taux d’absentéisme auprès des frontaliers est plus élevé que parmi les travailleurs résidents (3,9% vs 3,2%)[2]. Il importe également de rappeler que la main d’œuvre transfrontalière est en moyenne plus jeune que les travailleurs résidents, donc elle devrait a priori être moins susceptible de tomber malade. Cette différence peut sans doute être expliquée entre autres par l’aléa moral qui est plus prononcé dans les relations transfrontalières. Les sanctions à craindre sont moindres vu que les mécanismes de contrôle au-delà des frontières sont quasi inexistants pour les entreprises luxembourgeoises.
La Fondation IDEA consacrera un dossier entier au financement du système de santé dans lequel sera entre autre traité la problématique de l’absentéisme. Toute contribution ou idée à ce sujet de votre part est la bienvenue.
[1]Böheim, R. und Leoni, T. (2011). Firms’ Moral Hazard in Sickness Absences, IZA Discussion Paper No. 6005, 1-34.
[2]Source: Observatoire de l’absentéisme