Muriel Bouchet, Directeur d’IDEA, a contribué à un ouvrage collectif français récemment publié par le laboratoire d’idées BSI Economics. Sa contribution porte sur les dettes publiques dans la foulée de la crise sanitaire.
Cette contribution renferme des simulations de dette publique assez préoccupantes, en tout cas dans les grandes économies européennes. La rigueur budgétaire, consistant à ralentir la progression des dépenses ou à rehausser la pression fiscale, peut – par définition – entraver la montée en puissance de l’endettement. Cependant, des calculs décrits dans la contribution montrent qu’une telle option ne peut constituer la seule modalité d’ajustement à la « crise de l’endettement ». Ainsi, afin de stabiliser le ratio d’endettement de 2040 à son niveau pré-COVID de 2019, la France devrait passer d’une progression « spontanée » des dépenses réelles hors charges d’intérêt de 1,2 % par an dans la simulation de référence à 0,4 % seulement – et ce sur un horizon de près de 20 années. Il en résulterait en 2040 une réduction de 14 % des dépenses concernées par rapport à leur niveau « spontané ». Le tout alors que de nombreux besoins risquent de se manifester, en ce qui concerne par exemple la santé, les infrastructures, le vieillissement, etc. Cela montre la nécessité de réfléchir à des mesures de désendettement allant au-delà de la seule rigueur budgétaire.
Le recours à une inflation plus élevée (« taxe inflationniste ») constitue a priori une modalité de désendettement, mais une telle pratique comporte de multiples effets collatéraux (perte de confiance éventuelle dans la monnaie fiduciaire et dans la politique monétaire unique, distorsion des vecteurs de prix, …). Elle devrait par ailleurs induire à terme une remontée des taux d’intérêt. Or la dynamique d’endettement est très sensible à ce facteur.
Une annulation pure et simple de la dette constituerait en quelque sorte une version radicale de la taxe inflationniste. Avec là aussi des effets collatéraux, comme une confiance des épargnants en berne à l’égard des instruments d’endettement des Etats et des bilans de banques centrales (ou commerciales) lourdement affectés. Une option en définitive peu recommandable, sauf sous une forme plus pragmatique, consistant à réaménager la seule « dette COVID » détenue par les banques centrales. Par exemple en transformant cette dernière en rentes perpétuelles dont les taux d’intérêt seraient plafonnés.
Enfin, la dynamique d’endettement pourrait être endiguée par le biais d’une sortie par le haut jouant sur la croissance potentielle, consistant par exemple à mieux sélectionner les investissements publics. A titre d’exemple, les investissements liés à la transition verte n’exerceraient aucun effet notable sur la dynamique d’endettement (bien au contraire…) s’ils présentaient un effet d’entraînement économique élevé, ce qui souligne l’extrême importance d’une bonne sélection de ces investissements et d’une meilleure coordination de ces derniers à l’échelle européenne (l’UE constituant un vaste ensemble, des investissements publics promus à cette échelle se traduisent par de moindres effets de fuite à l’importation, sans compter les effets de complémentarité et de synergies entre les différents pays).
Plus généralement, la croissance potentielle importe énormément pour la dynamique d’endettement. Ainsi, une hausse de la croissance à raison de 0,5 % par an permettrait, dans le cas français, de stabiliser le ratio d’endettement à son niveau de 2022 (une situation similaire prévaut dans les autres pays considérés dans la contribution). En revanche, une détérioration de 0,5 % par an de cette même croissance serait synonyme d’enfer budgétaire avec une dette publique à la japonaise, excédant 200 % du PIB dès la fin des années 2030. On ne peut mieux souligner l’importance d’une « sortie par le haut » de la spirale d’endettement…