© photo : Julien Mpia Massa

C’est une règle de prudence élémentaire en économie que de répondre « je ne sais pas » quand on vous demande de quoi l’avenir sera fait pour la simple, bonne et pertinente raison que le futur n’est jamais ce qu’il avait l’habitude d’être.

Cette impossibilité de prédire l’avenir est particulièrement vraie s’agissant de l’évolution du marché du travail qui est un domaine où les erreurs de prévision sont courantes : ni le chômage technologique évoqué par John-Maynard Keynes en 1930 (« nous découvrons des moyens d’économiser de la main-d’œuvre à une vitesse plus grande que nous ne savons trouver de nouvelles utilisations du travail humain »), ni la fin prochaine du travail proclamée par Jeremy Rifkin (The End of Work : The Decline of the Global Labor Force and the Dawn of the Post-Market Era en 1995), ni l’ubérisation à grande échelle (c’est-à-dire un recul du salariat et une massification du travail indépendant) régulièrement annoncée entre 2015 et 2019 n’ont eu lieu.

Le (marché du) travail a la fâcheuse habitude de n’en faire qu’à sa tête.

Cette mise en garde faite, ce n’est pas cependant pas prendre trop de risques que d’affirmer qu’en 2023 la métamorphose de la société salariale que constitue le télétravail devrait continuer au Luxembourg à animer les débats et à causer de sérieux casse-têtes (entre autres) aux chefs d’entreprise, aux départements de ressources humaines, au ministère des finances, aux salariés, aux juristes spécialisés en droit du travail et aux économistes.

S’il devrait en être ainsi, c’est parce que, de toute évidence, la massification du télétravail qui a eu lieu depuis la crise sanitaire se révèle être un choc persistant mais aussi parce que de nombreuses questions structurelles que pose cette nouvelle façon de travailler sont encore sans réponses définitives (voire pas véritablement débattues) :

– Quel sera l’impact du télétravail sur l’investissement en immobilier de bureaux ?

– Quel est le coût du télétravail pour les secteurs du commerce et de la restauration dans un pays où près de la moitié des salariés habitent à l’étranger ?

– Y a-t-il nécessité de compléter le droit du travail d’un droit du télétravail ?

– Le niveau optimal de télétravail dépend-il de l’offre de télétravail des salariés ? est-il avant tout fonction de la demande de télétravail des entreprises compte tenu de leur mode d’organisation ? ou résulte-t-il des contraintes socio-fiscales imposées par l’importance du travail frontalier ?

– Le télétravail peut-il être un allié objectif pour transformer le temps partiel en travail à temps plein ?

– Le télétravail a-t-il un impact positif sur la productivité ? et si oui, cela implique-t-il qu’un salarié qui a recours au télétravail devrait, en moyenne, connaître des augmentations plus importantes qu’un salarié qui vient tous les jours au bureau ?

– Avec la transformation du résidentiel en commercial causée par le télétravail et les éventuels gains pour les uns/pertes pour les autres qui en découlent, faut-il compléter la fiscalité du travail par une fiscalité du télétravail ?

– La massification du télétravail n’est-elle pas, en l’absence de nouvelles réglementations, la porte ouverte à la télé-migration (c’est-à-dire la délocalisation d’emplois de services qualifiés) ?

One thought on “Le télétravail en 2023

  1. Monsieur Ruben,

    Je me permets de répondre (partiellement) par des illustrations à 2 des interrogations que vous soulevez.

    A la question “Quel sera l’impact du télétravail sur l’investissement en immobilier de bureaux ?”, je répondrais, comme vous, que je ne sais. Cependant, je note que l’existence de seuils de fiscalité et de cotisations sociales combinée à l’expérimentation massive de nouveaux modes de travail durant la Covid pourraient avoir un impact positif inattendu sur l’immobilier de bureau… « périphérique ». Ainsi, des villes – pour ne pas dire des villages – luxembourgeoises réparties aux frontières du pays voient arriver des demandes d’installation de bureaux satellites, ce qui pourrait avoir un effet d’entraînement sur l’économie locale notamment le commerce et l’Horeca. PwC s’est ainsi déjà installé dans pas moins de 7 communes: Wemperhardt, Oberpallen, Esch-Belval, Wecker, Mondorf, Pétange et Dudelange.
    Plutôt que du télétravail en 2023, peut-être conviendra-t-il de parler des formes du télétravail (car, accordons-nous sur une chose, “les télétravaux”, ça ne sonne pas très bien).

    A la question “Y a-t-il nécessité de compléter le droit du travail d’un droit du télétravail ?”, je vous dirais qu’il y a en tout cas matière à “y réfléchir” pour éviter des situations où l’on doit invoquer l’éthique plus que le droit. Ainsi, j’ai eu vent d’un cas de femme enceinte à qui son médecin traitant a fait une “ordonnance de télétravail” afin de limiter ses trajets mais que les RH de l’employeur ont refusé d’appliquer. L’absence de règles formelles en la matière met tout le monde dans une situation délicate (l’employé qui souhaite continuer à travailler mais ne peut plus assurer les trajets, le médecin qui se retrouve à “créer du droit” et les RH qui n’ont pas de règle sur laquelle s’appuyer et préfèrent, dans ce cas, éviter de créer une “jurisprudence interne” au risque d’écorner leur image d’employeur responsable).

    Au plaisir de prochaines discussions.

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