Photos de l’évènement

Plus d’une centaine de personnes se sont réunies à l’invitation d’IDEA le 11 septembre dernier pour  ce quatrième « Débat d’IDEA ». Grande Région ou Grand Luxembourg ? Les nouvelles frontières de la croissance. Un sujet vaste, assurément.

Dans son propos introductif, Marc Wagener, Directeur de la Fondation IDEA a.s.b.l., a rappelé les enjeux qui ont amené IDEA à aborder la question du développement transfrontalier. « Le Grand Luxembourg, parmi tous les pôles d’attractivité de la Grande Région, constitue l’espace où les flux frontaliers, leur évolution, mais aussi leurs conséquences sont de loin les plus importants. Il englobe un territoire d’environ 2 millions d’habitants sur 4 pays. Le « Grand Luxembourg » est indiscutablement tiré par la dynamique économique du Grand-Duché. Mais il en est également l’un des moteurs sans qui le pays n’aurait jamais pu connaître une telle évolution, grâce notamment, aux quatre libertés fondamentales de l’Union Européenne. Cette croissance soutenue des relations transfrontalières fait apparaitre plusieurs défis. Notre capacité à y répondre sera cruciale pour l’avenir du Luxembourg comme celui de ses voisins. Nous avons tous intérêt à y répondre. »

Pour en débattre, Michèle Detaille, Vice-Présidente de la FEDIL, dirigeante du Groupe luxembourgeois ALIPA et qui fut dans le passé responsable politique (locale et fédérale) belge, Christian Eckert, ancien Secrétaire d’Etat français chargé du budget et Député issu d’une circonscription électorale frontalière du Luxembourg, et François Bausch, Ministre du Développement durable et des Infrastructures ainsi que tête de liste Déi Gréng pour les élections législatives du 14 octobre 2018 avaient répondu à l’appel.

Interview des débatteurs

© Pierre Guersing – Chambre de Commerce

Flux frontaliers : ne pas se laisser dépasser (encore)

La mobilité transfrontalière est le sujet idéal pour évoquer les expériences quotidiennes de chacun et les confronter à des visions globales, c’est aussi le premier défi qui vient à l’esprit quand on s’interroge sur l’impact de la croissance des flux de frontaliers. Le Luxembourg a en effet attiré plus d’un tiers de frontaliers supplémentaires en 10 ans, gagné 115 000 habitants (+24%) et créé 94.000 emplois (+30%). Et les flux quotidiens pourraient bien poursuivre leur hausse à en croire les projections (le STATEC table sur 270.000 frontaliers en 2030 dans son scénario « central »).

De part et d’autre de la frontière, François Bausch comme Christian Eckert ont confirmé le manque d’anticipation des décideurs, qui, couplé à une politique de l’aménagement du territoire insuffisante  a entrainé un développement incohérent des territoires, rallongé les distances entre les lieux de vie et de travail et provoqué une saturation des infrastructures de transport. Pour Monsieur Eckert, « en Lorraine, on a trop longtemps cru que l’essor du travail frontalier était transitoire et qu’il finirait par péricliter ».

Le Ministre luxembourgeois du Développement durable et des Infrastructures a quant à lui profité de l’occasion pour préciser sa vision de l’aménagement du territoire : il doit chercher à rapprocher les actifs de leurs emplois, arguant que « la meilleure des mobilités reste celle qui ne se fait pas ». Mais comme les déplacements non évitables sont encore loin d’être résiduels, il préconise de diriger les navetteurs vers les grandes infrastructures ferroviaires (parking relais, augmentation des capacités, nouvelles gares, tarification attractive), et de réserver toute nouvelle capacité routière (troisième voie de l’autoroute A3 par exemple) aux transports en communs (bus) et covoitureurs « aux heures de pointe ». La « mobilité routière intelligente » sera donc une pièce du puzzle. Monsieur Eckert a rappelé que le Luxembourg était prêt à financer des infrastructures de transport dans les régions frontalières permettant d’accélérer les projets et s’est félicité des annonces faites par les gouvernements français et luxembourgeois lors de la visite d’Etat du 22 mars dernier. Madame Detaille, qui dirige une entreprise présente dans le nord du pays, a créé « un bureau encore plus au nord du pays pour permettre aux frontaliers belges notamment de s’épargner du temps de transport quelques jours par semaine ».

Les trois panélistes étaient unanimes sur le fait que toutes les solutions devaient être mises sur la table : le télétravail, le covoiturage, les temps de travail flexibles, la création de tiers lieux (avec une priorité pour les espaces à l’intérieur du Luxembourg pour M. Bausch). Il n’en demeure pas moins que les obstacles demeurent, notamment liés à la fiscalité et à la règlementation, les difficultés d’organisation dans les entreprises, le manque de soutien politique des Etats voisins, parfois jugés peu sensibles aux particularités des territoires frontaliers.

Les zones économiques spéciales, nouvelle piste pour le co-développement transfrontalier ?

Le « Grand Luxembourg » offre deux visages. D’un côté, la formidable expansion économique du Grand-duché pourrait bien être entravée par une rareté foncière qui préoccupe les entreprises désireuses de se développer. De l’autre, les territoires frontaliers voisins ont incontestablement retrouvé un second souffle démographique, mais leur tissu économique ne s’est pas renforcé.

Très vite, Christian Eckert et François Bausch ont mis sur la table le sujet des « zones franches ». Du côté français, l’ancien Secrétaire d’Etat a rappelé qu’il avait tenté d’introduire une zone à fiscalité préférentielle sur le nord de la Lorraine pour diminuer l’écart de compétitivité fiscale avec le Luxembourg et attirer de la sorte des entreprises qui se font rares sur des territoires frontaliers. Le Ministre luxembourgeois a quant à lui fait la promotion d’un autre type de dispositif, des zones économiques spéciales dans lesquelles un régime juridique commun avantageux serait négocié entre Etats, sur un territoire qui dépasserait les frontières luxembourgeoises. De telles réflexions sont en cours en particulier sur le lieu-dit du « crassier des terres rouges » à cheval entre la France et le Luxembourg autour de Belval. L’idée a semble-t-il séduit l’ancien Secrétaire d’Etat français, bien qu’il pense que cette solution soit plus longue à négocier entre les Etats qu’une zone à fiscalité favorable telle qu’il la préconisait quand il était au gouvernement.

Pour Madame Detaille, « le Luxembourg a tout intérêt à ce que ça marche ! », plus encore que la France ou la Wallonie dont les capitales sont, selon elle, loin de ces considérations « locales ». Elle a par ailleurs souhaité voir renforcer le leadership luxembourgeois sur les questions transfrontalières : « dans le Gouvernement luxembourgeois, on a besoin d’un chef de projet avec des services dédiés qui pensent Grande Région ». L’appel au prochain gouvernement est lancé.

Transferts de fiscalité vs projets sélectionnés

Plusieurs intervenants du public ont appelé à un retour d’une partie de la « manne fiscale » des frontaliers, captée par l’Etat luxembourgeois alors que certaines collectivités frontalières font face à des coûts grandissants de la croissance démographique liée au développement du Grand-duché.

Si François Bausch a rappelé que le Luxembourg avait intérêt à investir dans les territoires frontaliers, il a fixé une ligne rouge : « je ne suis pas un adepte des rétrocessions fiscales car j’aimerais connaitre les projets qui sont financés et préférerais donc investir dans des projets communs définis. Je dois aussi me justifier vis-à-vis de mes concitoyens ». Monsieur Eckert a défendu la même ligne, en appelant néanmoins à réfléchir à l’avenir à dépasser les seuls projets de mobilité pour garantir le développement des services dans les communes hébergeant les frontaliers comme les crèches et les écoles.

La discussion s’est terminée sur de nombreuses interventions du public mais le débat, qui aurait pu s’appeler « Grande Région et Grand Luxembourg », est loin d’être clos.

 

P.S. Quelques questions que l’animateur n’a pas pu évoquer – clause de rendez-vous !

  •  Face au déclin possible de la population active des territoires frontaliers, une possible « guerre des talents » ne risque-t-elle pas de détourner les régions voisines des politiques visant à favoriser la mobilité transfrontalière ?
  • Que se passerait-il, si du jour au lendemain, l’ensemble des frontaliers et les membres de leurs familles (entre 350.000 et 400.000 personnes au total) venaient s’installer au Luxembourg ? Quel impact cela aurait-il sur les finances publiques du Grand-Duché… et des territoires voisins ?
  • Si les communes frontalières subissent des difficultés financières, alors même que leurs indicateurs démographiques sont excellents, la responsabilité de trouver des mécanismes de soutien ne revient-elle pas (aussi et avant tout) aux Etats ou Régions concernés ?
  • N’est-il pas normal d’être en concurrence sur les aspects liés au développement économique ?
  • Nous inspirons-nous assez des modèles de coopération transfrontaliers ailleurs ?
  • Les barrières à la coopération sont-elles plutôt institutionnelles, économiques ou culturelles ?

Partie 1/2, débat

Partie 2/2, questions du public

© Pierre Guersing – Chambre de Commerce

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