Billet invité du Dr Serge Allegrezza, Directeur général du STATEC et Directeur de l’Observatoire de la compétitivité (ministère de l’Économie).

Le lundi 21 novembre, lors d’un séminaire consacré à la productivité et à la compétitivité, le Ministre de l’Économie a rendu un hommage appuyé au travail de l’Observatoire de la compétitivité, créé en 2004 à l’issue d’une Tripartite.

La compétitivité, au même titre que la productivité, sont des syntagmes tombés en désuétude depuis la crise de la pandémie, jusque dans les milieux patronaux pourtant traditionnellement très à cheval sur ces sujets. Concepts du « monde d’avant », ils ont été supplantés par le concept de résilience et le « quoiqu’il en coûte »!

La résilience réhabilitée

La résilience, définie simplement comme capacité à rebondir après un choc, a marqué les premiers mois de la pandémie du coronavirus. L’absence de stocks de masques chirurgicaux, de gel hydroalcoolique et de respirateurs, fabriqués à flux tendus à l’autre bout de la planète, avaient mis les autorités en posture délicate et traumatisé l’opinion publique. Or, s’il n’y avait pas de lits d’hôpitaux et du personnel en surnombre, pour parer à un événement rare et violent (“black swan”), c’est parce que cette redondance a un coût que les acteurs impliqués, d’après leur évaluation du risque, pensaient ne pas devoir supporter.

Comment les entreprises pourraient-elles se battre sur leurs marchés, si elles n’arrivaient pas à rebondir après des catastrophes : épidémies, guerres, rationnement de denrées alimentaires ou d’énergie. En l’absence de système de santé et d’infrastructures de communication en ordre de marche, le Luxembourg n’aurait pas été à même de refaire surface. Faut-il rappeler les bienfaits du télétravail qui a permis à l’économie servicielle locale de fonctionner, arcboutée sur les infrastructures de télécommunications puissantes? La résilience consiste aussi à maintenir en vie des entreprises, au risque de pérenniser des activités à bout de souffle (“firmes zombies”), en attendant que la tempête passe, de manière à leur offrir une occasion de se refaire une fois la mer redevenue calme. La résilience engendre un coût macro-économique visible qui se traduit, entre autres, par des déficits publics considérables financés par de la dette. Il est plus difficile de mesurer les efforts que les entreprises ont concédés pour renforcer leur résilience.

Il est significatif que la résilience soit passée au premier plan dans les publications phare de l’Observatoire, le “Bilan compétitivité”, comme s’il s’agissait de réparer un manquement. En effet, le Bilan de 2020, présenté avant la nouvelle vague du virus du COVID 19, notait  « En cette année de crise, l’ODC met particulièrement en avant deux benchmarks en matière de vulnérabilité et de résilience. Le Pandemic Vulnerability Index atteste au Luxembourg d’une vulnérabilité structurelle relativement faible face à une pandémie et une marge de manœuvre budgétaire assez élevée permettant d’atténuer les effets d’une crise. Quant au Résilience Index, celui-ci juge que l’économie luxembourgeoise est assez bien outillée pour tenir bon en cas de chocs et qu’elle a la capacité de résister face à des perturbations potentiellement disruptives ».

Le Bilan de 2021 a creusé les dimensions de la résilience dans un chapitre spécial. Il expose  doctement les éléments entrant dans la définition de la résilience et illustre le propos par une application empirique sous forme de tableau de bord livré opportunément par la Commission européenne. Le tableau de bord de l’Observatoire contient 68 indicateurs communs avec ceux du Tableau de résilience de la Commission européenne (68/124). Les indicateurs de compétitivité et de résilience partagent un fond commun.

Jeremy Rifkin, auteur prolifique, s’est emparé du sujet de la résilience dans un nouvel essai “L’âge de la résilience” (Les Liens qui libèrent) aux accents hyperboliques. Rifkin ne nous est pas d’un grand secours car il semble avoir changé son fusil d’épaule: il voue l’efficience aux gémonies: ” Les facteurs qui minent notre résilience collective- la grande responsable est donc l’efficience, saluée depuis longtemps comme le bras armé de la théorie et de la pratique capitalistes…”(p.29) .

J’oserai lui rappeler, s’il repasse dans nos contrées, que dans son livre sur la troisième révolution industrielle et celui sur la société au coût marginal zéro, dans lesquels nous avons tant pioché au point d’inspirer le plan Rifkin (Troisième révolution industrielle (TIR), il défendait la possibilité d’une “productivité extrême” permise par l’internet des objets, de l’énergie et du partage…

 Gérer le dilemme

On aurait tort d’opposer efficience et résilience ; il n’est pas question d’aporie mais d’arbitrage entre des options alternatives.  On peut avoir un peu plus de résilience à condition de céder sur l’efficience.

Qui dit dilemme suppose un choix combinant efficience et résilience, entre court terme et long terme, entre risques assumés par les secteurs public et privé. Bien que la vulnérabilité et les réactions correspondantes avaient été explorées à de nombreuses reprises, il faut avouer qu’il n’avait pas été pris en compte comme il se devait.

Les choses ont changé avec la pandémie. Nous avons commencé à évoquer ces nouvelles dimensions de redondance et d’adaptabilité aux événements extrêmes lors de deux séminaires réalisés pendant la pandémie, le premier tenu le 6 juillet, intitulé “Lessons learned” et le deuxième le 16 novembre 2021 intitulé “Pour une transition vers une économie sociale et écologique”.

 Les deux derniers rapports du Conseil national de la productivité, organisme indépendant installé au Ministère de l’Économie, documentent le “paradoxe de la productivité” au Luxembourg : un niveau élevé de productivité et une stagnation de sa dynamique. On est donc loin, malgré les efforts de recherche et d’investissement en information et communication, d’un bond en avant de la productivité. Jeter la productivité (et l’efficience) aux orties, au profit d’un panégyrique de la résilience, me paraît excessif, voire nocif.

En conclusion, il faut penser résilience et efficience en même temps et gérer les deux termes de l’équation.

Je plaiderai pour la constitution d’un tableau de bord élargi efficience/résilience pour l’ensemble de l’économie. Certes la mesure statistique de la résilience est encore dans les limbes et les liens avec les autres dimensions comme l’efficience (et la productivité) ou le bien-être sont encore peu explorés.  La Commission européenne n’a pas mis à jour son tableau sur la résilience, malgré l’excellent travail livré par le centre de recherche d’Ispra au bon milieu de la crise pandémique. La leçon de la pandémie serait-elle déjà oubliée? D’ailleurs, dans le rapport lançant le nouveau semestre européen, la Commission s’inquiète du dérapage du coût salarial unitaire au Luxembourg, mais pas d’investissement dans la résilience des infrastructures.

Dr Serge Allegrezza

One thought on “Efficience ou résilience : il faut choisir le bon mélange !

  1. Comment peut-on encore lire et citer Rifkin? Ce pseudo-scientifique qui s’est si souvent totalement planté, qui se contredit avec conviction,
    et qui vend très chèrement le tout en son contraire…

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