Tullio Forgiarini a écrit des romans noirs, un scénario, des pièces de théâtre. Il a publié récemment Amok, (Baby(a)lone au cinéma), La ballade de Lucienne Jourdain, De Ritter an der Kartongsrüstung et Lizardqueen qui est, comme son titre ne l’indique pas, son premier roman en allemand.

Enseignant depuis plus de 30 ans et m’occupant d’une classe d’élèves en décrochage scolaire depuis plus de 15 ans, je ne suis pas venu pour vous parler d’école et vous êtes très mal renseigné, mon projet n’est pas du tout utopique… Mais je pense que vous m’aviez invité pour cela : un écrivain, un littéraire un peu fumeux, provocateur, pour faire un peu le clown comme ça.

Eh non ! Je suis désolé, mon projet est très réaliste, très facile, très simple et peu coûteux et a une vocation économique : rendre notre économie plus efficace. Le but est très simple : il faut enrichir, au sens nucléaire du terme, enrichir la seule richesse au Luxembourg, la matière grise. La sidérurgie tout ça c’est parti. Il ne reste que la matière grise. Qu’est-ce qu’on peut faire pour la rendre plus efficace, pour nous rendre plus intelligent, meilleur, tout ce qu’on veut ? En tant qu’enseignant, j’ai déjà essayé et on voit bien que ça ne marche pas très bien dans l’enseignement alors voici une autre idée :  ce qu’il me faut c’est 20 minutes par jour. Attention, 20 minutes du temps de travail. Ce n’est pas 20 minutes que l’on prend sur les loisirs, mais sur le temps de travail. Pendant 20 minutes, on arrête tout : travailler, courir, les réunions, les cours. On pourrait même peut être arrêter le trafic, les transports en commun.

Et qu’est-ce qu’on fait ? Ah oui surtout on éteint tous les écrans, on met tout en veille et puis on sort… ça ! Un livre, son livre, on sort le livre qu’on a déjà commencé à lire la veille. On l’ouvre et on se met à lire… Eh oui alors comme ça il y a un silence qui va se faire dans les bureaux, dans les écoles, c’est très très impressionnant… Alors il y a des gens qui ont déjà fait l’expérience… lire comme ça, ça fait du bien… et puis il y en a d’autres qui disent : « oh ça c’est de l’utopie,  il nous a bien eus ». Je ne suis pas tellement sûr que ce soit vraiment de l’utopie.

On va lire. Qu’est-ce-qu’on va lire ? Tout et n’importe quoi ! De la fiction, des romans, de la poésie, de la philosophie, de la vulgarisation scientifique. Il y un seul interdit : on ne lit rien qui ait un rapport de près ou de loin avec le travail qu’on est en train de faire. Moi par exemple, en tant que prof d’histoire, je ne vais pas lire de livre d’histoire, de romans historiques, de bouquins de pédagogie. Je lis autre chose. Il faut aller lire ailleurs. Pourquoi ? Le but c’est d’aérer notre esprit, d’envoyer  notre esprit réfléchir ailleurs, il faut le sortir du boulot, qu’il aille ailleurs. Non pas s’abrutir devant la télé. Ça fait du bien aussi des fois, non pas que je ne le fasse pas. Non il faut que ce soit un exercice intellectuel, il faut lire autre chose, il faut lui donner une gymnastique à laquelle il n’est pas habitué et après 20 minutes d’ailleurs, l’esprit revient et on se remet au travail. On a une perspective tout à fait différente sur ce qu’on a fait. On est plus tonique, on est plus efficace, c’est une mesure économique ne l’oublions pas, c’est pour travailler mieux, pour travailler plus. Bon il y a évidemment plein d’objections certains d’entre vous diront « mais je fais ça déjà depuis tout le temps, je fais ça durant la pause de midi, je fais ça le matin dans le bus, tram, le soir » et c’est vrai il y a des gens qui font ça et ils en tirent un avantage certain. Ce n’est pas pour prêcher à ceux qui le font, et nous savons tous que ça fait moins de 10% de gens qui font cela régulièrement, c’est pour tous les autres, pour les 90% qui ne le font pas. Qui ne le font pas parce qu’ils n’ont pas le temps et surtout pour tous ceux qui n’ont jamais eu l’occasion. On donne cette occasion de le faire pendant les heures de travail donc il n’y a plus d’excuse. Le deuxième obstacle majeur, ça tous les profs de littérature le savent, les enseignants en général : on ne peut pas forcer quelqu’un à lire. Ca, c’est la pire chose. Forcer quelqu’un à lire, ça ne marche pas. En plus forcer quelqu’un à lire, ça a un petit parfum totalitaire, ça sent la révolution culturelle et on sait tous où ça nous a menés… Mais quand même en tant que formateur j’essaierais. J’essaierais quand même d’introduire cela et de voir ce que ça donne parce que ça en vaut la chandelle. Il y a des expériences comme ça il y en a qui ont essayé : une école dans le nord de la France. Tout le monde lit : les enseignants, les élèves, le personnel technique. Je l’ai essayé moi-même avec une de mes classes : bon, 20 minutes par semaine car je n’ai pas plus de temps et on est assez frappé par ce silence, ce sérieux et ce n’est d’aucune contrainte. En plus, ce serait quand même chouette comme “Nation Branding”. D’ailleurs, deuxième mesure que je prendrais en tant que formateur : j’éliminerais ce mot barbare tout de suite ! Parce qu’au lieu d’entendre « ahhh le Luxembourg ? C’est ce drôle de petit pays riche, plein de banques », ce serait quand même bien d’entendre « Luxembourg ? Ce drôle de petit pays riche où les gens lisent des livres ! »

Merci beaucoup.

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