Malik Kerkour est économiste au département conjoncture, modélisation, prévisions du STATEC.
Par Malik Kerkour, STATEC
L’interdépendance croissante entre la sphère financière et l’économie réelle a largement contribué à fragiliser les économies avancées pendant les périodes de crises économiques et financières. La communauté scientifique s’est donc intéressée de plus en plus au lien qui pourrait exister entre ces deux sphères. Plus particulièrement, la théorie de l’accélérateur financier se fonde sur l’existence d’interconnexions entre les imperfections du marché des crédits et l’amplification des cycles économiques. Ainsi, un choc temporaire dans l’économie réelle ou dans la sphère financière impactant les avoirs nets des entreprises et/ou des banques pourrait générer des fluctuations durables dans l’économie, même si le choc initial n’est pas intrinsèquement persistant.
Dans cette étude, deux types d’accélérateur financier sont modélisés : l’accélérateur du levier financier développé dans un article de Bernanke et Gertler (1989) et l’accélérateur en réseau développé dans Delli Gatti et al. (2010) et utilisé dans Riccetti et al. (2016). Un système d’équation structurel de long terme (modèle de cointégration) a été développé afin de relier les principales variables macroéconomiques de l’économie luxembourgeoise avec les valeurs courantes et retardées de quatre variables clés du Luxembourg : les investissements privés non-financiers dans les machines et équipements, les crédits, le spread de taux et un indice de solvabilité des banques. Ce modèle empirique est estimé en fréquence trimestrielle sur la période 2000q1-2018q4 afin d’évaluer le rôle de l’accélérateur financier dans l’amplification et la propagation de chocs économiques et/ou financiers.
Le mécanisme de l’accélérateur financier est fondé sur l’idée qu’il existe des imperfections sur le marché des crédits. La présence d’asymétries d’information entre les banques et les entreprises non-financières sur le marché des crédits implique que la capacité d’emprunt de celles-ci dépend essentiellement de la valeur de marché de leurs avoirs nets (i.e. de leurs collatéraux). En d’autres termes, l’accélérateur du levier financier repose essentiellement sur l’hypothèse que le coût de financement des emprunteurs dépend inversement de la solvabilité de ceux-ci. Ce dernier est mesuré par un indicateur que l’on nomme dans la littérature le levier financier. Ainsi, les banques peuvent contraindre les emprunteurs à rembourser leurs dettes puisque les biens durables comme les machines et équipements, la terre et les bâtiments servent de collatéral pour les prêts bancaires (Kiyotaki et Moore, 1997). Les crédits et le levier financier sont donc interdépendants. Par conséquent, un choc négatif dans l’économie, comme par exemple un choc de productivité, engendrerait une diminution de la production et une détérioration du stock de capital des firmes, ceteris paribus. Ceci provoquerait alors une hausse du levier financier qui se traduirait par une prime de financement externe (ou prime de risque) plus importante, détériorant les conditions de financement des entreprises sur le marché des crédits. S’en suivra une diminution de l’investissement des entreprises même si le choc initial a disparu. Un choc positif peut engendrer un effet opposé.
L’existence de l’accélérateur financier en réseau provient lui aussi de l’imperfection dans le marché des crédits. L’idée principale est que le système bancaire joue un rôle dans l’amplification et la propagation de chocs dans l’économie. En théorie, une détérioration des avoirs nets des banques devrait causer une augmentation du taux d’intérêt à tous ses emprunteurs afin de couvrir leurs pertes. Cependant, une augmentation du taux d’intérêt ne permet pas forcément de couvrir les pertes des banques. En effet, Stiglitz et Weiss (1981) démontrent que l’augmentation du taux d’intérêt ou une plus grande exigence sur les garanties pour les prêts bancaires pourraient causer une augmentation du risque de portefeuille des banques. Effectivement, les emprunteurs seront incités à délaisser les investissements sûrs ou peu risqués au profit de projets plus risqués, impliquant une diminution du profit des banques. Dans de telles conditions, les banques limiteront le nombre de crédits (rationnement de crédit) au lieu de limiter la taille de chaque prêt afin de diminuer le risque de leur portefeuille. Par ailleurs, les banques ont l’obligation légale de détenir un certain montant de capital/fonds propres pour couvrir le risque de crédit. Le nombre et la taille des crédits sont donc aussi conditionnés par les règles de régulation et de supervision appliquées aux banques (accords de Bâle 3). Ainsi, les banques ne pourront couvrir qu’un niveau plus faible de risque de crédit si le capital des banques diminue suite à un choc négatif sur leurs avoirs nets (rationnement de crédit). L’effet opposé est observé suite à un choc positif. Par conséquent, les crédits accordés par les établissements de crédit dépendent positivement de leurs avoirs nets. En résumé, les crédits et la solvabilité des banques sont donc interdépendants.
L’originalité de cette étude réside dans le fait que les deux accélérateurs financiers (l’accélérateur du levier financier et l’accélérateur en réseau) sont modélisés dans un seul et même modèle macroéconométrique. Le modèle permet donc de prendre en compte simultanément les interdépendances entre le stock de capital des firmes, le levier financier, le taux d’intérêt et les crédits d’une part (accélérateur du levier financier), et le PIB, l’indice de solvabilité des banques et les crédits d’autre part (accélérateur en réseau). La stratégie empirique de ce papier est donc (1) d’évaluer comment un choc affectant le système bancaire ou les conditions de financement des entreprises impacte l’économie réelle et la sphère financière; (2) comment les deux accélérateurs financiers interagissent afin d’accentuer ou d’atténuer l’effet d’un choc sur l’économie réelle et la sphère financière.
Cette étude empirique montre que l’accélérateur du levier financier en réseau contribue à l’amplification d’un choc dans l’économie Luxembourgeoise, ce qui permet d’expliquer en partie l’amplification des cycles économiques. En particulier, il existe des covariations entre la sphère financière et la sphère réelle qui se renforcent mutuellement via ces deux types d’accélérateur financiers. En outre, l’impact de l’accélérateur financier combiné sur l’économie est beaucoup plus important que celui de l’accélérateur du levier financier seul.
Ainsi, les équations structurelles du modèle montrent qu’une diminution de 1% de la VAB du secteur privé non financier engendre une diminution de 1% des investissements en machines et équipement du secteur privé non financier, toutes choses égales par ailleurs. Cette baisse entraine à son tour conjointement une diminution des crédits de 1.23% et une augmentation du spread de 0.61% via l’augmentation du levier financier. La baisse des crédits de 1.23% provoquera une nouvelle baisse des investissements. La hausse du spread de 0.61% accentuera encore plus la baisse des crédits. La baisse des investissements engendrera une nouvelle hausse du spread. Une nouvelle boucle sera alors déclenchée.
Parallèlement, le PIB sera négativement impacté d’une part par la baisse initiale de la VAB (PIB approche production) et d’autre part par la baisse des investissements (PIB approche dépense). Une baisse du PIB de 1% engendrera une diminution de 2.15% de l’indice de solvabilité des banques. Cette baisse provoquera une nouvelle diminution des crédits de 0.48%, ce qui accentuera encore plus la diminution des investissements. La baisse des investissements entrainera une nouvelle diminution du PIB. Une autre boucle sera alors enclenchée. Les deux accélérateurs financiers se renforcent mutuellement ce qui permet de comprendre pourquoi un choc économique ou financier défavorable peut engendrer une crise économique et financière relativement importante.
References:
Adam, F., & Glocker, C. (2018). A simple financial accelerator in a standard macro-econometric model. STATEC Working Paper, Économie et statistiques, N° 101/2018.
Bernanke, B., & Gertler, M. (1989). Agency costs, net worth, and business fluctuations. American Economic Review, 79, 14–31.
Delli Gatti, D., Gallegati, M., Greenwald, B., Russo, A., & Stiglitz, J. (2010). The financial accelerator in an evolving credit network. Journal of Economic Dynamics and Control, 34(9), 1627-1650.
Glocker, C. (2016). Introducing a financial accelerator in Modux. STATEC Working Paper, Économie et statistiques, N° 87/2016.
Kerkour M. (2020). The leveraged network-based financial accelerator and the real economy: an empirical investigation for Luxembourg. STATEC Working Paper, Économie et statistiques, N° 112/2020.
Lim, J. (2014). Institutional and structural determinants of investment Worldwide. Journal of Macroeconomics, 41 (2014) 160–177.
Riccetti, L., Russo, A., & Gallegati, M. (2016). Stock Market Dynamics, Leveraged Network-Based Financial Accelerator and Monetary Policy. International Review of Economics & Finance, Volume 43, May 2016, Pages 509-524.
Stiglitz, J., & Weiss, A. (1981). Credit Rationing in Markets with Imperfect Information. The American Economic Review, 71(3), 393-410.
Bonjour
Très bel article. Est il prévu une nouvelle version avec une mise a jour des données?
Cordialement