Mardi 20 juillet 2021, IDEA tenait une Matinale sur le thème « Dettes publiques dans la zone euro : est-ce si grave ? » avec Muriel Bouchet, Directeur d’IDEA et Georges Heinrich, Secrétaire Général de la Banque de Luxembourg et ancien Directeur du Trésor.

En sa qualité de Président de la Fondation IDEA, Michel Wurth a introduit la Matinale, rappelant qu’il s’agissait de la deuxième manifestation ouverte au public (physiquement) depuis la sortie du Recueil d’IDEA intitulé : « Inventaire avant sortie de crise ! ».

Voir l’intervention de Michel Wurth

Muriel Bouchet a ensuite présenté l’Idée du mois N°25 “Dette COVID : soutenable ?” qui revient sur les retombées en termes de finances publiques de la pandémie et les enjeux posés pour les années à venir. Après avoir passé en revue des projections de dettes publiques en France, Allemagne, Italie, Espagne et au Luxembourg à l’horizon 2040 qui intègrent divers éléments tels que le coût de la transition énergétique et climatique et le vieillissement démographique, Muriel Bouchet a discuté de quatre pistes régulièrement évoquées dans le débat pour « contenir » les dettes (inflation, annulations de dettes, rigueur en matière de dépenses ou « sortie par le haut » via les investissements publics).

Voir la présentation de Muriel Bouchet

Georges Heinrich a ensuite réagi à la présentation de Muriel Bouchet en discutant des quatre hypothèses avancées. Il a également précisé les contours de sa publication récente dans le recueil de contributions d’IDEA « Inventaire avant sortie de crise » titrée « Stability and Growth Pact: Dropping the anchor to gain stability » et qui propose un nouveau cadre budgétaire européen.

Voir l’intervention de Georges Heinrich

Enfin, une séance de discussion avec le public a eu lieu. Vous trouverez ci-dessous un compte-rendu des échanges.

  1. N’est-il pas caricatural de présenter l’effacement de la dette publique de la sorte ? A ma connaissance, aucun économiste ne préconise d’annuler les dettes détenues par les investisseurs privés, mais celles détenues dans les comptes de la Banque centrale européenne. Comment cette opération pourrait-elle avoir un impact négatif au niveau de la confiance des ménages et des entreprises ? A priori, la confiance des ménages baisse plus dès lors que la dette publique s’accroît. Il s’agirait d’effacer la dette publique pour faire des investissements.

Georges Heinrich attire l’attention sur la structure des bilans des banques centrales. Ne pas rembourser ces dettes reviendrait à réaliser comptablement des « impairments » (dépréciations), comme pour une banque commerciale. Il faudrait en effet appliquer une décote des actifs, et à terme cela aurait des effets sur la capacité de gestion de la politique monétaire et de la banque centrale à réinjecter des liquidités dans le système. Georges Heinrich ne dit toutefois pas qu’il ne faut pas le faire. Mais si ce choix devait être fait, il faudrait qu’il y ait en amont une transparence totale sur les effets et conséquences potentiels. Les impacts vont en effet beaucoup plus loin qu’une simple annulation.

Pourriez-vous donner plus de précisions sur les impacts d’une possible annulation de dettes ?

Georges Heinrich : le contexte actuel au sein du Pacte de stabilité européen reste celui de la soutenabilité, avant même une annulation de dette. Les niveaux de dettes publiques soutenables pour certains pays se trouvent bien au-delà de 60%. Ces pays arrivent d’ailleurs à refinancer actuellement leurs dettes publiques sans aucun problème. Tant que la dette est soutenable, tant qu’ils arrivent à refinancer leurs dettes, a priori, il n’y aucune urgence pour annuler la dette. Mais, il est important de rester prudent lorsqu’il est évoqué de faire une annulation des dettes. Si une annulation d’une grande partie des dettes publiques devait être réalisée, il faudrait aussi faire un « haircut » des dettes publiques qui ne sont pas en possession de la banque centrale. Pour l’heure, il n’y a aucune urgence à parler des niveaux d’endettement, car ils restent soutenables. En revanche, il n’est pas garanti qu’ils le resteront encore pour longtemps. Aujourd’hui, beaucoup de pays vivent au-dessus de leurs moyens. Même avec une annulation de dettes, cela ne devrait pas résoudre les problèmes de long terme. D’autant que la confiance et la crédibilité s’en verraient endommagées. D’où l’importance de faire preuve de transparence sur ce qui est proposé.

  1. Le Pacte de stabilité européen est un compromis entre tous les pays, qui fait apparaître certains équilibres. Il a aussi pour but d’empêcher les Etats de vivre au-dessus de leurs moyens. Peut-on être vraiment sûr qu’une sortie à court terme du Pacte de stabilité européen peut être une bonne solution ? Est-il réellement possible de retrouver un compromis dans les traités ?

Georges Heinrich : sur cette proposition, l’appréciation des chances de succès serait très faible. Il s’agit toutefois d’une base pour simuler une discussion. En revanche des pays pratiquent déjà ce type d’analyses holistiques des finances publiques comme le Royaume-Uni ou l’Irlande. Cela est certes complexe, mais pas impossible.

Muriel Bouchet : Le « Debt Sustainability Monitor » (DSM) de la Commission européenne publie chaque année un rapport détaillé en essayant d’évaluer la stabilité des finances publiques et quels sont les besoins des financements de dettes (aspects « early warning-system »). Les besoins seront importants par exemple en Italie. Le DSM peut constituer une certaine base holistique, bien qu’il soit assez technique. Il resterait à rendre ce cadre, déjà utile, plus opérationnel.

  1. A l’heure actuelle, la dette publique luxembourgeoise oscille aux alentours de 24%. Et il n’est pas rare de lire dans les médias ou d’entendre la nécessité de faire une réforme fiscale car la dette publique se rapproche dangereusement des 30%. Mais lorsque la comparaison est faite avec les dettes publiques des pays comme l’Allemagne, la France, ou encore la Belgique, il pourrait être tentant de dire que le Luxembourg a encore beaucoup de marge de manœuvre. Jusqu’où le Luxembourg pourrait aller en termes de ratio d’endettement de sa dette publique tout en gardant une certaine soutenabilité ?

Muriel Bouchet : l’Idée du mois s’inscrit dans une perspective européenne, plus précisément de la zone euro. Le Luxembourg, en tant que cas spécifique, n’est pas directement évoqué. Si la comparaison est faite avec les autres pays, la première impression pourrait être que le Luxembourg est dans une situation idyllique. Il reste toutefois un petit pays, très ouvert, avec un secteur financier important qui est dès lors exposé à des chocs financiers. Pour le cas du Luxembourg, spécifiquement, il faudrait faire une étude avec des risques stochastiques. Il n’est pas à exclure que le Luxembourg puisse être sujet à un choc positif ou alors négatif. Dans le dernier cas, celui-ci pourrait entraîner des répercussions bien plus négatives qu’initialement anticipées. Le cas de l’Irlande, cité par Georges Heinrich, est à ce titre instructif. Malgré un taux d’endettement de départ limité, de l’ordre de 30%, l’Irlande a été durement frappée en 2008/2009 en raison des difficultés de son secteur financier. En outre le Luxembourg risque d’avoir des problèmes de vieillissement démographique. Dès lors, la situation n’est pas aussi idyllique qu’il n’y paraît.

Georges Heinrich rappelle comment la zone euro est arrivée à un critère du seuil de 60% du taux d’endettement par rapport au PIB. Il s’agissait d’une volonté politique et économique émanant de l’Allemagne. Les autres pays se sont ensuite alignés sur ce critère. Pour certains pays ce seuil de 60% n’est peut-être pas pertinent. En effet, certains pays pourraient être au-dessus de 60%, alors que d’autres devraient être en-dessous. Le Luxembourg fait partie des pays qui devraient avoir un seuil de taux d’endettement en dessous de 60%. Georges Heinrich évoque les rencontres qu’il a eues avec les investisseurs intéressés par la dette publique luxembourgeoise. Si le critère de la qualité de la dette est très recherché et ce d’autant plus avec la notation AAA, la liquidité est elle aussi extrêmement recherchée. Le Luxembourg a une petite taille d’émission, et donc sa dette est très peu liquide. Il n’est pas aussi facile de la revendre sur le marché secondaire que d’autres produits dits plus standards comme la dette publique allemande, française ou américaine. Il existe donc un dilemme au Luxembourg entre la qualité et la liquidité de sa dette. Pour avoir plus de liquidité sur le marché, il faut émettre plus, mais cela pourrait mettre en péril le AAA. Personne ne sait si le seuil du taux d’endettement au Luxembourg devrait être de 30%. Il s’agit uniquement d’une question de confiance des investisseurs et notamment des plus importants. Aussi, Georges Heinrich tient à rappeler que le taux d’endettement par rapport au PIB de 60% est un plafond et non un objectif.

  1. Si vous parlez d’alchimie pour qualifier la proposition d’annulation de la « dette COVID », n’y aurait-il pas aussi d’autres formes d’alchimies ? Les acheteurs qui investissent dans des bons du trésor à des taux d’intérêt négatifs ? Ou encore la BCE qui est intervenue à travers ses programmes d’achats, avec ses LTROs par exemple ? Aussi, vous avez comparé lors de votre intervention la dette publique à la dette privée d’un ménage. Pour autant, est-il grave pour un Etat d’avoir un taux d’endettement par rapport à son PIB de l’ordre de 200% ? Si l’on compare ce ratio à un ménage, celui-ci est facilement atteignable en raison des prix élevés de l’immobilier. Enfin, étant donné que le Luxembourg prend souvent pour exemple Singapour, comment se fait-il que le Grand-Duché puisse s’inquiéter de son niveau de dette publique alors que la dette publique singapourienne oscille aux alentours de 115% du PIB ?

Georges Heinrich conseille de ne pas comparer l’endettement public à l’endettement des ménages. S’agissant d’un ménage, les banques regardent davantage la capacité de remboursement. C’est-à-dire les revenus accumulés par un foyer durant une année. In fine, vivre dans un Etat qui détient un niveau de dettes élevé pose des questions entre le niveau de vie actuel et le niveau de vie futur.

  1. D’où vient précisément le seuil de 30% du taux d’endettement par rapport au PIB à respecter au Luxembourg ?

Georges Heinrich ne sait pas précisément d’où vient cette idée. Il peut toutefois s’imaginer que ce critère puisse provenir des investisseurs, à la suite de discussions auprès d’agences de notation, jugeant que compte tenu des particularités du Luxembourg, le pays ne pourrait pas vraiment se permettre un taux d’endettement plus élevé. Aucune étude scientifique n’a été réalisée pour déterminer ce seuil de 30%. Finalement Georges Heinrich recommande de se rappeler de l’exemple de l’Irlande, qui était quasiment, lors de la période d’avant crise, dans la même situation en termes de finances publiques que le Grand-Duché.

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