Il y en a qui citent une avalanche de chiffres afin de « justifier », par la force des statistiques, qu’une extension du droit de vote aux ressortissants étrangers est une nécessité absolue, qu’elle s’impose au vu du poids démographique, économique et social des non-Luxembourgeois. 7 travailleurs sur 10, presque 1 habitant sur 2 et 3 créateurs d’entreprises sur 4, n’ont pas le passeport grand-ducal, et ainsi de suite. Donc, il faut faire en sorte qu’ils obtiennent une représentativité politique à hauteur de leur contribution.
Je ne vais pas choisir cet angle d’approche, car il est déjà amplement documenté. Par ailleurs, il manque d’émotions. Je plaide plutôt pour une séparation des notions de citoyenneté et de nationalité. Tant les Luxembourgeois que les étrangers vivant sur notre territoire sont des citoyens de notre pays. Ils ont fait le choix de vivre en commun sur le sol luxembourgeois. Il s’agit d’une « association de personnes unies par des liens contractuels, manifestant leur volonté de vivre sous les mêmes lois[1] ». Tout un chacun apporte sa pierre à l’édifice luxembourgeois. Le vivre ensemble confère dès lors un ensemble de droits et d’obligations, et le droit de vote me semble en faire partie car il permet aux citoyens de s’exprimer sur les grandes orientations politiques du pays et sur l’orientation générale des choix publics.
Nombreux sont ceux qui, en s’opposant au droit de vote, estiment que les concepts de « citoyen » et de « national d’un pays » sont indissociables, forment un tout. Ceci n’est pas vrai, et il existe, dans le chef en tout cas des citoyens européens, un précédent important : les citoyens de l’Union ont un droit de vote au niveau européen alors qu’ils sont des nationaux de 28 Etats souverains (dont certains font par ailleurs apparaître des velléités séparatistes régionales, illustrant de la sorte que le sentiment d’appartenance à une « nation » ne se confond pas nécessairement avec la définition politique la nation, et encore moins avec la notion de citoyen). Quoi qu’il en soit, il est tout à fait possible d’être « citoyen » et « national » en même temps, de cumuler ces deux qualités.
Au-delà de cette analogie, il me semble important de décrisper la discussion autour du droit de vote. Ceux qui s’opposent becs et ongles à l’extension du droit, sont-ils inquiets du devenir de notre pays ? Pourquoi le droit de vote « des étrangers » fait-il si peur ? Le Luxembourg a toujours été, et il l’est encore plus aujourd’hui que hier, une terre d’accueil. Le Luxembourg a réussi, alors que de nombreux pays ont échoué, à intégrer les étrangers sans avoir la prétention de les assimiler. Le Luxembourg aujourd’hui, c’est plus de 170 nationalités qui vivent paisiblement sur les 2.586 km2 du Grand-Duché. La diversité culturelle et linguistique est une richesse de notre pays : une richesse intrinsèque à notre pays, et d’ailleurs beaucoup plus durable que tout secret bancaire.
Nous n’avons que les têtes et les expériences de nos concitoyens, à défaut de gisements pétroliers. Les Luxembourgeois d’aujourd’hui sont en très grande partie des immigrés de hier ; les noms de famille à consonance allemande cèdent aujourd’hui la place aux noms italiens et portugais ; le reflet à long terme des différentes vagues migratoires. Qu’un chiffre me soit permis : 61% de la population a aujourd’hui un arrière-plan migratoire[2]. C’est ce que nous sommes. Le Luxembourg a toujours eu l’intelligence de s’ouvrir, de partager, d’accueillir. La diversité sur son petit territoire me paraît inégalée. Nous formons aujourd’hui une communauté de destin. L’ouverture nous a permis de grandir et de prospérer.
Le droit de vote au Luxembourg devrait être ouvert à toutes celles et à tous ceux qui ont un lien avec le pays. La nationalité est un lien évident et les récentes réformes de la nationalité luxembourgeoise, avec l’introduction d’un droit du sol de 2e génération et de la double nationalité, ont été des avancées certaines et indispensables ; qui tiennent compte de la grande diversité au Luxembourg. Or, en suite logique de ce qui précède, la nationalité ne peut pas être l’unique « ticket d’entrée » au bureau de vote. Une résidence sur le territoire luxembourgeois de quelques années permet de « plonger » dans le microcosme grand-ducal, d’apprendre les us et coutumes, et de s’intégrer, au sens positif du terme. La contribution culturelle, sociale et très souvent économique doit trouver un reflet politique. Une appropriation unilatérale des « avantages » de la présence des non-Luxembourgeois sans retour de la part de la société d’accueil sous forme d’un droit de s’exprimer me semble injuste.
La double nationalité, que certains voit comme « la solution » (« ils n’ont qu’à adopter la nationalité luxembourgeoise, c’est facile ! ») discrimine indirectement, bien que cela ne soit de toute évidence pas l’intention du régime, les étrangers dont le droit national ne prévoit pas la possibilité de soit adopter une autre nationalité, soit de la cumuler avec la nationalité d’origine. Aussi, une ouverture du droit de vote ne doit pas être travestie en choix politique contre les Luxembourgeois de souche, les retraités, les fonctionnaires, etc. C’est, a contrario, un choix pour tenir compte des réalités luxembourgeoises, un choix pro-intégration. Pour préparer l’avenir de notre pays, il faut river le regard sur la route qui est devant nous, et ne pas regarder constamment en arrière. Notre pays a changé ; il faut donc que le pays change.
Mais il demeure un important casse-tête : un droit de vote doit-il nécessairement être une obligation de vote ? Nous ne pouvons pas brandir l’arme de notre « droit de vote obligatoire » pour refuser d’emblée de l’ouvrir à celles et ceux qui ne connaissent pas cette tradition. Or c’est à mon avis une discussion qui doit être creusée.
Le Luxembourg a ouvert le droit de vote actif et passif aux élections communales. Et pourtant, notre pays tient toujours debout, il ne s’est pas écroulé. Les craintes se sont avérées malvenues et les doutes se sont dissipés. Il est temps d’aller de l’avant car, tôt ou tard, les statistiques que je n’ai pas voulues citer à foison nous auront rattrapées.
[1] L. SOSOE : « Nation », dans le Dictionnaire de Philosophie Politique (dir. Philippe Raynaud et Stéphane Rials), Paris, 1996, Presses Universitaires de France.
[2]http://www.luxembourg.public.lu/fr/actualites/2013/04/09-population/index.html
“les étrangers dont le droit national ne prévoit pas la possibilité de soit adopter une autre nationalité, soit de la cumuler avec la nationalité d’origine”. ces pays sont très rares et représentent une infime minorité de personnes vivant au luxembourg.
Contribution de grande qualité, d’abord parce qu’elle pose sereinement des sujets réels.